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Pourquoi le Sénégal explose-t-il à son tour ?

jeudi 15 février 2024 par Francis Arzalier (ANC)

Les « informés » français n’en reviennent pas. Le Sénégal qu’ils affirmaient le plus stable des pays d’Afrique, le seul pratiquement à pratiquer depuis 1960 la » démocratie à la française », avec des élections opposant gentiment des partis calqués sur la Droite et la social-démocratie hexagonales, ce havre de « consensus à la française » est en pleine crise politique, avec un Président en fin de mandat qui annule les Présidentielles prévues, des manifestants plein les rues de Dakar, pourchassés sans ménagement par la police, des militants emprisonnés et même quelques morts à la suite des heurts.

« Notre » Sénégal serait il atteint par la contagion qui traverse l’Afrique, ces insurrections qui éclosent en régimes militaires dans ces pays appauvris que sont Mali ou Burkina, alors que tout nous indiquait une croissance économique, la construction fiévreuse d’immeubles à Dakar et ailleurs, la prolifération de jeunes libéraux cravatés qu’on dirait inspirés de Macron ou des traders de Wall Street…
Une surprise fabriquée par l’ignorance, simulée ou réelle, des réalités sociales et politiques de ce « bon élève de l’Occident ».

Un état néocolonial modèle

Parmi les colonies ouest-africaines de la France, le Sénégal a été le plus « proche » de la Métropole, d’abord parce que la plus ancienne : on l’oublie souvent, les habitants des comptoirs, Saint Louis au nord, et l’île de Gorée en face de Dakar au sud, furent sujets du Roi de France dès le 17éme siècle, et même, citoyens français dès 1790, avant ceux d’Avignon. Mais surtout, la France coloniale fit du Sénégal des Ouolofs sa base de départ de la conquête de l’Empire, en y recrutant des troupes à son service (tirailleurs dits « sénégalais » quelle que soit leur région de recrutement).

Et surtout, la Troisième République y fabriqua grâce aux missions et écoles laïques une forte proportion « d’évolués », jeunes nourris de culture française, et donc jugés fidèles serviteurs de l’Empire. Ce qui fut vrai en partie (le député de Dakar Blaise Diagne fut ainsi le grand recruteur de tirailleurs pour les tranchées de 1914 !), même si une partie d’entre eux devinrent anticolonialiste dès 1936, comme le futur Président Senghor. Ils furent les premiers dirigeants à Dakar dès l’indépendance en 1960, intellectuels francophones attachés au modèle politique français, voire Gaulliste.

Car tous les jeunes États issus de l’AOF et l’AEF s’étaient vus octroyer par un De Gaulle conscient des mouvements anti coloniaux en croissance (le RDA) une indépendance ficelée d’accords politiques, militaires et économiques donnant au Quai d’Orsay le contrôle de leurs décisions : des bases de Niamey à Dakar, permettant à l’armée française de combattre les dirigeants non alignés (plus de 40 interventions militaires en Afrique en 60 ans !), une monnaie (Franc CFA) imprimée et contrôlée depuis Paris, et une économie démunie, endettée, livrée pieds et poings liés aux Capitalistes français comme Bolloré.

Le Sénégal, comme la Côte d’Ivoire voisine, a été jusqu’au vingt et Unième siècle le fleuron de cette « Françafrique néocoloniale » , avec des dirigeants alignés sur la France et les partis politiques français, Droite et Social-démocratie, tous fidèles en tout cas au modèle hexagonal de
« Démocratie libérale », c’est à dire au Capitalisme occidental. Avec une opposition limitée durant un demi-siècle, et une seule inflexion marquante jusqu’au dernier Président libéral, Macky Sall.

Dans ce pays, les investisseurs occidentaux et leurs séides locaux font toujours de juteuses affaires, commerciales, immobilières et touristiques, mais elles sont moins qu’avant réservées aux capitalistes hexagonaux, devenus au fil du temps les supplétifs de ceux de Wall Street ou de Bruxelles. Le temps où Bolloré régnait en maître absolu d’Abidjan et Dakar à Konakry, est passé.

Ce qui n’a en rien amélioré le sort quotidien précaire de la majorité des citoyens et le mécontentement grandissant qui en découle : la décision de Macky Sall de reporter sine die les élections présidentielles légalement prévues en février, après avoir fait incarcérer le leader reconnu de l’opposition de gauche Sonko pour l’empêcher d’être candidat, est d’abord de sa part un constat de faillite.

Réalités sénégalaises

Beaucoup de touristes s’ébahissent des immeubles commerciaux et des hôtels de luxe qui fleurissent dans certains quartiers des villes. Ils croient y voir l’indice d’une économie florissante, alors que ce n’est que le symptôme d’un affairisme débridé, avide de profits juteux.

Il leur suffirait de se déplacer jusqu’aux quartiers populaires surpeuplés, de Dakar où Kaolack, où les trottoirs sont peuplés de jeunes chômeurs, qui survivent de petits commerces « informels ». Ou dans un de ces villages vidés de leur paysannerie familiale d’autrefois par les importations massives de riz asiatique.

Cette situation inégalitaire tient à l’héritage colonial, qui a laissé très peu d’industries, le seul secteur développé par le colonisateur fut le commerce exportateur de produits naturels non transformés, comme les arachides, avec lesquelles les usines de métropole faisaient le savon et l’huile.

L’autre héritage majeur de la colonisation est la monnaie, le franc CFA. Cette devise coloniale est encore aujourd’hui celle de 14 États d’Afrique qui firent partie de l’Empire français, une monnaie imprimée à Paris, et contrôlée aujourd’hui par la Banque Centrale Européenne, ce qui implique, qu’aucun de ces États ne dispose de sa souveraineté monétaire et économique. Leur économie est liée aux choix du Capitalisme européen incarnés par l’UE, favorisant au Sénégal les investissements spéculatifs plutôt que productifs, et l’exportation des profits réalisés vers l’Occident, notamment en achats immobiliers de luxe.

Le demi-siècle d’indépendance néo-coloniale n’a pas changé fondamentalement ce manque d’industries et donc d’emplois, et la ruine des villages a renforcé l’exode rural, et accru « l’économie informelle » de survie, qui empêche le financement par l’impôt des services publics et sanitaires : ce sont des milliers de jeunes gens diplômés réduits aux petits boulots qui rêvent d’émigrer vers le mirage européen ou canadien, au bénéfice des passeurs qui exigent des candidats au voyage de fortes sommes payées par les familles.

Cette aspiration à prendre tous les risques pour fuir la pauvreté vers le mirage occidental est encore renforcée par la floraison de supermarchés de chaînes européennes comme Auchan, qui réduisent l’attractivité des « marchés-trottoirs » de survie.
De plus, des milliers de pêcheurs artisanaux des rivages sénégalais ont été ruinés par l’autorisation donnée par les dirigeants libéraux de Dakar aux gros chalutiers européens de venir ravager les bancs de poisson.

Ce ne sont là que quelques exemples des dégâts sociaux provoqués par les politiciens libéraux entourant Macky Sall, qui ont entraîné la crise politique actuelle.

Le mouvement progressiste, d’inspiration marxiste, est ancien au Sénégal, et a connu des moments glorieux avec le PIT, mais aussi une dérive opportuniste parallèle à celle des mouvements européens à la fin du XXème siècle.

Dans la phase actuelle de reconstruction, sur des bases anticapitalistes et panafricanistes, il est le garant d’un avenir de souveraineté et de de développement économique et social, ce que veulent obstinément empêcher Macky Salle et ses soutiens libéraux.

Nous sommes solidaires de leurs luttes.

15/02/24

   

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