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Lettre ouverte à Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT
samedi 11 novembre 2023 par Jean-Pierre Page
Chère camarade,
Le génocide auquel nous assistons en direct sur nos écrans de télévision est révoltant et soulève le cœur par les horreurs, la perversité, le cynisme, les mensonges dont Netanyahu et son régime criminel sont les responsables.
A l’occasion du récent Comité Confédéral National de la CGT, Mme Hala Abou Hassira, Ambassadrice de Palestine, s’est exprimée devant tous les dirigeants des organisations de la CGT. Elle l’a fait avec émotion et conviction ! Elle a souligné l’ampleur des crimes de guerre d’Israël et le prix payé par les peuples de cette région martyre, un prix très lourd et inimaginable par son ampleur à Gaza et en Palestine occupée.
Dans l’indifférence de la plupart de la classe politique internationale, un génocide a lieu dans ce Proche et Moyen Orient que l’on a colonisé, dépecé, pillé, maintes fois remodelées au gré des expéditions coloniales. Elle a également rappelé l’influence qui est encore celle de la CGT et combien dans ce contexte l’engagement de notre syndicat est si important.
Il est certain que la mobilisation mondiale sans précédent à laquelle nous assistons exprime une émotion forte, une prise de conscience mais aussi un espoir. Pour des millions de manifestants la solidarité avec la cause du peuple palestinien est devenu une exigence universelle. Pour beaucoup l’absence totale d’humanité comme les prétentions totalitaires des États-Unis et d’Israël, ces états hors la loi constituent le danger principal et une menace permanente à la paix et la sécurité internationale comme aux exigences de coopération de l’humanité toute entière.
Il faut arrêter le bras des assassins et imposer un cessez le feu véritable sans conditions qui seul permettra de trouver une issue.
C’est pourquoi, la logique arrogante et criminelle de Netanyahu a pris cette fois la forme de la recherche d’une solution finale qui vise purement et simplement à l’extermination de tout un peuple, c’est à dire la nation palestinienne. Il s’agit d’aller au-delà de ces 75 ans qui l’on maintenue quotidiennement en otage, en violation de la Charte des Nations Unies, de la loi internationale, y compris la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux, adoptée par les Nations-Unies en 1960.
Permets moi de rappeler que la nation Palestinienne s’est vue voler la terre qu’elle occupait depuis des générations et des générations. Elle a vu ses villages, ses maisons détruites afin que des colons israéliens extrémistes puissent les chasser et s’accaparer de leurs biens. Elle est une nation spoliée, humiliée, persécutée avec perversité.
La nation palestinienne s’est vue imposer un apartheid et un racisme sans limites par un État qui emprisonne plus de 5 000 Palestiniens dont des enfants maintenus depuis des années derrière des barreaux, la plupart sans procès ni avocats.
Elle représente un peuple à qui l’on interdit de prier dans ses lieux saints que les soldats de Tsahal viennent régulièrement souiller.
Elle est un peuple qui veut vivre de son travail dans la dignité mais que l’on exploite, rackette et abuse de manière éhontée avec la complicité de la confédération syndicale Histadrout.
Elle est un peuple que l’on torture, assassine de sang froid et que l’on massacre de manière méthodique.
Elle est un peuple sous des bombardements incessants, y compris de bombes au phosphore.
Depuis le 7 octobre, Israël refuse à la population martyre à Gaza, l’eau la contraignant à boire de l’eau de mer, l’électricité, le fuel, les produits alimentaires et ceux pour soigner plus de 20 000 blessés, elle lui interdit d’enterrer ses morts plus de 10 000 dont 40% d’enfants, sans compter les milliers sous les décombres d’un territoire détruit à près de 30%.
Israël en violation du droit international, continue à imposer un blocus inhumain appliqué depuis le début des années 90 et de façon permanente depuis 2007. Faut-il ajouter que 57 journalistes ont été délibérément assassinés et près d’une centaine de fonctionnaires des Nations-Unies.
Comme l’a écrit avec beaucoup de force Gideon Levy ce journaliste du quotidien israélien Haaretz :
- « Benjamin Netanyahou porte une très lourde responsabilité dans ce qui s’est passé, et il doit en payer le prix, mais l’affaire n’a pas commencé avec lui et ne se terminera pas après son départ. Nous devons maintenant pleurer amèrement pour les victimes israéliennes. Mais nous devons aussi pleurer pour Gaza. Gaza, dont la population est majoritairement composée de réfugiés créés par Israël ; Gaza, qui n’a pas connu un seul jour de liberté”.
Dans ces conditions la seule question qui vaille est comment contribuer par des actes forts et concrets à cette mobilisation aux côtés d’autres travailleurs et peuples dans le monde. C’est une responsabilité immense, incontournable qu’il nous faut tous assumer.
C’est la raison pour laquelle je m’adresse à toi.
Toute la CGT doit prendre la mesure de la gravité de cette situation comme du caractère historique de la période dans laquelle nous sommes dorénavant entrés. Je ne sous estime pas le fait que la CGT a été avec d’autres organisations partie prenante d’appels à manifester. Je n’ignore pas la répression, les menaces et même les arrestations comme celle de notre camarade Jean-Paul Delescaut.
C’est justement pourquoi nous ne saurions nous laisser impressionner par ces campagnes médiatiques insupportables qui assimilent la critique des crimes d’Israël avec de l’antisémitisme ou la légitime résistance d’un peuple avec du terrorisme.
C’est précisément pour ça qu’il faut s’indigner et parler plus haut.
Toutefois, nous qui représentons cette force décisive au sein des forces progressistes de notre pays, avons-nous mis la barre de la mobilisation au niveau des exigences qu’impose cette situation inédite ?
Pour ma part et sans porter de jugement de valeur, je ne le pense pas. A fortiori si l’on compare à d’autres pays voisins comme l’Espagne, la Grèce ou l’Italie ou même encore les États-Unis ou les syndicats s’opposent concrètement à la fabrication comme au transport de matériel militaire à Israël.
Nous n’en sommes pas là !
Pourtant la balance bilatérale du commerce entre la France et Israël est en hausse. Notre pays est le premier fournisseur d’armement à l’état d’Israël. Depuis 10 ans la France lui a vendu pour plus de 200 millions d’euros d’armes. Combien de missiles, de blindés, de drones et d’équipements de pointe fabriqués en France servent à massacrer le peuple palestinien ?
Ces équipements servent-ils directement à l’offensive en cours ?
La France va-t-elle suspendre la vente de ces armes qui servent à commettre des crimes de guerre ?
Nous ne pouvons seulement faire le constat des choses, il faut mettre en cause le gouvernement français et Emmanuel Macron quant à leur complicité et leur duplicité et exiger qu’il cesse ces livraisons d’armes indignes des valeurs qui sont les nôtres.
Il en va de même en Europe pour qui Israël est un partenaire privilégié en fait le premier et donc un quasi membre de ses institutions depuis son accord d’association. Les exemples ne manquent pas et ce dans tous les domaines : Israël est plus précisément inclus dans le Partenariat Euromed, le volet de la politique de voisinage destiné aux pays du pourtour méditerranéen.
La coopération entre l’UE et Israël concerne aussi le domaine scientifique. Le pays participe à Horizon Europe, programme de l’UE pour l’innovation et la recherche doté de plus de 95 milliards d’euros pour la période 2021-2027. Israël est aussi partie prenante de Galileo. L’Union Européenne doit mettre un terme à cette relation incestueuse avec ce régime barbare israélien.
Les domaines et les secteurs ou l’intervention du mouvement syndical peut être efficace ne manquent pas. Dans ces conditions que fait également la Confédération Européenne des Syndicats ?
Inspiré par les actions contre l’apartheid en Afrique du Sud la campagne mondiale BDS de boycott des produits Israéliens connait un soutien qui ne cesse de grandir. De nombreuses organisations de la CGT y contribuent pourtant la direction de la Confédération se refuse toujours à être partie prenante.
Pourquoi ?
Ne devons-nous pas de cette manière encourager l’isolement nécessaire d’Israël.
Aujourd’hui, le génocide et les crimes de guerre auxquels nous assistons à Gaza ont pour cause principale la politique d’impunité dont le régime fasciste Israélien bénéficie depuis des dizaines d’années de la part de Washington et de ses alliés dont la France. Depuis sa création, Israël est la pièce maitresse de la politique moyen orientale des États-Unis. Ceux-ci viennent à la rescousse d’Israël et prennent inconditionnellement son parti comme ils le font maintenant.
Par conséquent, il ne s’agit pas comme on l’entend parfois d’une déresponsabilisation de la communauté internationale, d’un désengagement des institutions internationales ou d’un laissé faire mais d’une politique de choix délibérés des États Unis et des Occidentaux qui visent à maintenir un contrôle économique et politique sur une région stratégique pour ses corridors maritimes et terrestres, qui par ailleurs dispose des plus grandes ressources pétrolières au monde.
Dans un monde qui change vite, là sont les enjeux géopolitiques. Il faut les prendre en compte. Il est clair que face à cela les légitimes exigences du peuple palestinien à exercer son droit inaliénable à l’autodétermination, souveraineté, indépendance, et intégrité territorial sont vues par l’impérialisme, ses vassaux et les forces du capital comme incompatibles avec leurs prétentions géopolitiques.
Pour les puissances occidentales, il faut donc mettre un terme à cette lutte de libération nationale, s’opposer à une décolonisation que l’on du admettre pour plus de 80 pays, mais que l’on refuse aux palestiniens.
Vers la fin des années 90, j’ai eu l’honneur avec d’autres camarades d’accompagner Louis Viannet au Liban, à Gaza, en Cisjordanie et en Israël. A cette occasion nous avions eu à Gaza des entretiens avec Yasser Arafat. C’était la première visite d’un secrétaire général de la CGT dans cette région martyre. A cette époque, la CGT était la seule confédération syndicale à entretenir des relations sans aucune exclusive avec les syndicats de tous les pays du Proche Orient et cela par delà leurs affiliations internationales.
Ce n’est plus le cas ! Pourquoi existe t’il cet ostracisme de la part de la CGT à l’égard de la confédération palestinienne avec laquelle nous avions des relations étroites comme l’Union Générale des Travailleurs Palestiniens, parce qu’elle n’appartient pas à la même confédération internationale que la notre ? Il en va de même à l’égard d’autres confédérations en Palestine comme dans la région.
En janvier 2009, au moment d’une nouvelle agression israélienne contre Gaza, j’ai dénoncé le soutien au gouvernement israélien de la confédération syndicale israélienne Histadrout aux bombardements sur la population palestinienne. A cette époque, je me suis étonné dans une déclaration publique de l’inaction et des silences coupables à mes yeux du mouvement syndical et en particulier de la direction de la CGT.
J’ai logiquement mis en cause la relation de notre confédération avec la Histadrout aujourd’hui comme hier soutien inconditionnel à la politique criminelle de Benjamin Netanyahu. De manière cohérente j’ai donc souhaité la rupture des relations de la CGT avec cette organisation.
Il n’en fût rien !
Je veux te rappeler, que la Histadrout est beaucoup plus qu’un syndicat, c’est aussi une importante entreprise et le plus grand employeur en Israël avec des intérêts financiers dans de nombreux secteurs. Sa corruption est du domaine public. Celle-ci est considérée comme une des forces sinon la force fondatrice d’Israël, en quelque sorte un précurseur de l’État d’Eretz-Israël auquel elle se réfère.
Ben Gourion comme Golda Meïr en furent des dirigeants. Sa doctrine est depuis sa fondation en 1920 celle du foyer national juif pour promouvoir l’exclusion de la main d’œuvre et de la production palestinienne dans le but de transformer la Palestine d’un pays arabe en un état sioniste. C’est d’ailleurs pourquoi la Histadrout n’a jamais mis en cause le système d’apartheid mis en place en Israël et dont sont victimes les travailleurs palestiniens en particulier et tous les palestiniens en général.
Il s’agit toujours de dénier aux palestiniens le droit imprescriptible à l’autodétermination. Historiquement, la Histadrout a contribué par la force à la Naqba cette déportation de 700 000 palestiniens et la destruction de 400 villages pour faire place nette aux colons.
Ce que l’écrivain libanais Elias Khoury qualifiait de “processus, car la confiscation des terres n’ont jamais cessé, car nous vivons toujours dans l’ère de la Naqba.”
Dois-je ajouter significativement que l’ancien secrétaire général de la Histadrout fût Ministre de la Défense et un des responsables de la guerre contre le Liban en 2006 ?
Selon les termes de la Coalition Syndicale Palestinienne de 2007 :
- « Depuis sa création, la Histadrout a soutenu l’occupation et adopté des politiques racistes à l’encontre de nos travailleurs, en leur déniant leurs droits. Elle a gardé le silence devant des crimes d’Israël contre notre peuple tout au long des décennies d’occupation. »
Pour les syndicalistes que nous sommes, la question est donc de savoir si la poursuite des liens avec la Histadrout peut être considérée comme un dialogue positif qui contribue à la réalisation des légitimes aspirations palestiniennes, ou si, en réalité, un tel dialogue ne fait que renforcer l’occupation coloniale israélienne sous la domination de plus en plus évidente de l’extrême-droite israélienne.
C’est pourquoi je pense que la CGT s’honorerait en rompant et en encourageant ses partenaires syndicaux à faire de même. Cela serait une mesure de salubrité qui participerait à la crédibilité du syndicalisme international.
C’est pourquoi je pense que la solidarité inconditionnelle avec la résistance héroïque du peuple palestinien qui doit être la nôtre exige une volonté politique forte et un engagement concret pour contribuer à cette mobilisation mondiale. Cela doit se faire dans la clarté, l’action et non dans la rhétorique.
Ce sont quelques opinions et propositions avec lesquelles je voulais contribuer au nécessaire débat dans la CGT. Je voulais les partager avec toi ainsi qu’avec d’autres camarades. Dans de telles circonstances tu le comprendras, nous avons besoin d’actes forts de la part de la direction de la CGT et au premier rang de sa secrétaire générale.
Pour ma part, je pense que c’est un impératif qui donnerait confiance et signifierait clairement l’indépendance de la CGT. Tout cela exige une complète réévaluation par toute la CGT de l’action qui est la sienne au plan international, ce qui suppose une réappropriation urgente de l’internationalisme qui est historiquement le sien.
Je te salue fraternellement,
Jean-Pierre Page
Ancien membre de la Commission Exécutive Confédérale et responsable du Département international de la CGT
Messages
1. Lettre ouverte à Sophie Binet, Secrétaire Générale de la CGT
12 novembre 2023, 11:53 - par Gérard Jugant
Bonjour, je partage pour l’essentiel le point de vue de mon camarade Jean-Pierre Page, mais je pense qu’il faut aller plus loin. Après 75 ans d’apartheid, la solution en deux Etats n’est plus viable. Il faut aller vers un seul Etat palestinien, où les juifs qui ont accepté d’y vivre seront des citoyens à part entière de la Palestine réunifiée. Je ne vois pas d’autre solution, qui serait celle de la justice et la vérité.
Gérard Jugant/ANC