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Ce langage "messianique" qui révèle la crise

mardi 31 octobre 2023 par Dante Barontini

Celui qui parle mal, pense mal parce qu’il est malade. En temps de guerre, cela devient particulièrement évident, et il en a toujours été ainsi. Mais dans cette guerre - entre Gaza et Kiev - quelque chose de plus grave est en train d’émerger.

La monstruosité et la déshumanisation de l’ennemi sont presque physiologiques, dans n’importe quelle guerre. Il faut motiver ses combattants, les convaincre de mourir pour une "juste cause", rallier la population à l’effort de guerre et aux "sacrifices" qui en découlent en termes de qualité de vie, de perte de bien-être, etc.

Rien de nouveau...

Mais dans toute guerre - comme Massimo Cacciari, et pas seulement lui, a essayé de nous le rappeler - il doit y avoir une recta intentio, c’est-à-dire un objectif politique rationnel et réalisable (basé sur des intérêts particuliers, bien sûr...) qui devrait inaugurer une nouvelle période d’absence de guerre ("la paix perpétuelle" est un noble espoir, mais elle le reste).

Ce qui signifie que l’ennemi sera à nouveau accepté comme interlocuteur, dans d’autres conditions "plus favorables" pour nous. Non pas qu’il "cessera d’exister".

C’est le point de vue le mieux interprété, en termes de théorie militaire, par von Clausewitz - "la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens" - qui est alors la clé du "réalisme politique". En somme, il ne sert à rien de se fixer des objectifs "hypergalactiques" ou métaphysiques, car ils ne seront certainement jamais atteints.

Or, si l’on observe les "stratégies de communication" des chancelleries occidentales - à commencer par Israël - et du système médiatique qui en dépend (la "presse libre" n’est qu’une feuille de vigne ; rares sont les journaux qui peuvent à juste titre se prévaloir de cette définition), on constate que la rhétorique ultra-idéologique, voire religieuse, prédomine.

"le bien contre le mal", "la lumière contre les ténèbres". "Le jardin contre la jungle" et ainsi de suite, en enfilant des métaphores belliqueuses.

Essayons de faire un très bref survol des expressions utilisées en ces heures, sans prétendre à l’exhaustivité (ils parlent tous, ils parlent mal, et la liste devrait être mise à jour de minute en minute).

Le Premier ministre israélien Netanyahou a donné hier sa nouvelle empreinte à la communication occidentale, allant jusqu’à dire qu’"Israël se bat pour toute l’humanité".

Si l’on calcule que Gaza a la taille d’un tiers de la ville de Rome et que le Hamas est une organisation "proportionnelle" à ce territoire, l’humanité doit être bien mal en point pour confier la "défense finale" à des gens comme "Bibi" ou son adjoint Ben-Givr.

Certains pourraient dire qu’après tout, Netanyahou ne fait que pêcher dans son milieu culturel limité, où les lectures de la Torah (qui n’est pas exactement un texte de la "modernité des lumières", disons-le) offrent un saupoudrage de citations utiles pour justifier des choix militaires génocidaires.

Après tout, nous parlons d’un ancien membre des commandos de l’armée israélienne chargés des "opérations spéciales" - le protagoniste, en mai 1972, de l’assaut contre l’avion de la Sabena à l’aéroport de Lod, détourné par quatre guérilleros palestiniens. Deux pirates de l’air ont été tués, ainsi qu’un des otages (deux autres et "Bibi" lui-même ont été blessés).

De plus, il s’agit d’un malfaiteur politique, capable de publier un tweet dans lequel - au milieu d’une offensive que le monde entier voudrait arrêter - il attaque les hauts gradés de sa propre armée et de ses services de renseignement, en prétendant qu’il "n’a pas été prévenu" de ce qui allait se passer ; puis de tout effacer, comme s’il s’agissait d’un jeu de pègre parlementaire.

De la part d’un tel homme, on peut s’attendre à de la "détermination" et à des mensonges à profusion, certes, mais pas à un raisonnement qui tienne compte de la complexité du monde.

Comment concevoir que "l’humanité entière" se reconnaisse dans ses propos et surtout dans le bombardement de deux millions et demi de personnes pour "éradiquer le mal" (représenté par quelque 30 000 miliciens) ?
Mais il essaie quand même. Et quelqu’un le fait, à l’Ouest....

Ce que pense le reste de l’humanité, les gens comme lui s’en moquent complètement. Au-delà des centaines de manifestations et des millions de personnes qui y ont participé, partout sur la planète, il y a en tout cas le vote à l’Assemblée générale de l’ONU, il y a deux jours, où 120 gouvernements ont demandé à Israël de s’arrêter pour une "trêve humanitaire" et où seuls 13 - outre Tel-Aviv - s’y sont opposés (des 45 abstentionnistes, il est inutile de parler ; don Abbondio a des adeptes partout).

Treize des complices de "Bibi" qui, pourtant, outre les États-Unis, représentent une part assez faible de la population et un "rôle politique international" totalement dépendant de Washington, souvent aux mains de gouvernements de droite (Tonga, Papouasie, Nouvelle-Guinée, Paraguay, Fidji, Guatemala, Nauru, Micronésie, Iles Marshall, ainsi que l’Autriche, la Tchécoslovaquie, la Hongrie, l’Australie, la Croatie).

En bref, l’action d’Israël est rejetée par l’écrasante majorité de l’humanité. Et face à cela, à moins de se considérer comme le "peuple élu" d’un dieu devenu fou, il faut s’arrêter.

Même la confédération industrielle Sole24Ore se montre très alarmiste à ce sujet.
"Israël a dangereusement élevé le niveau de la confrontation. Par une coïncidence qui n’est peut-être pas tout à fait fortuite, l’attaque d’Israël s’est durcie alors qu’au Conseil de sécurité de l’ONU, le monde demandait le contraire.
Israël est de plus en plus isolé : soit il ne l’a pas remarqué, soit il s’en moque".

Au contraire, la rhétorique guerrière israélienne a été adoptée par l’ensemble de l’Occident néolibéral.

Quelques perles ici et là. Le chef de l’armée de l’air du Hamas a été tué : il était le cerveau des raids en deltaplane", ont titré tous les grands journaux et organes de presse, reprenant la "revendication" de l’armée de Tel-Aviv.

Si quelques deltaplanes suffisent à constituer une "armée de l’air", alors, symétriquement, on pourrait envoyer à Zelensky une livraison commandée par Décathlon, au lieu des F16 qu’il ne cesse de réclamer...

Il en va de même pour l’autre "assassinat ciblé", concernant le "chef de la marine du Hamas", qui avait tenté en vain d’acheminer quelques canots pneumatiques vers les côtes israéliennes.

La "technique" rhétorique est assez grossière : la "puissance destructrice" qui serait entre les mains de l’ennemi est ridiculisée pour justifier le massacre qui se déroule concrètement dans une prison à ciel ouvert sans possibilité d’évasion.

C’est la même technique qui permet d’alterner de courts clips vidéo de Gaza - avec des milliers de personnes secourant des milliers d’autres sous les bombes et dans les décombres - et de longues "images" encadrées de quelques personnes en Israël. Le massacre de Gaza est invisible, les souffrances israéliennes, bien moindres, sont diffusées 24 heures sur 24.

Le "traitement" réservé aux manifestations pour la paix et la liberté en Palestine relève de la même logique, mais avec des "spécialisations" différentes entre les journaux laïcs-européens et les tracts clérico-fascistes.

Le Corriere trace la ligne. Il ne devrait pas en parler du tout, du moins en première page. Là où, au contraire, "la foule antisémite" qui a accueilli un avion de Tel-Aviv au Daghestan se distingue, reproposant l’identification désormais éculée et frauduleuse entre "juifs", "sémites" et Israël (pour être précis : les Palestiniens sont aussi des sémites...) qui autoriserait un État à l’impunité en vertu de la tentative de génocide subie par un peuple défini sur la base d’une religion.

Ou encore - toujours le Corriere - "Erdogan’s double standard on genocide". Et le massacreur turc applique certainement la même "technique" que l’Occident. Sauf que pour lui, les "terroristes" à exterminer par tous les moyens sont les Kurdes, alors qu’il considère instrumentalement le Hamas comme un "mouvement de libération".

C’est la confirmation de ce que nous écrivons depuis le début : "terroriste" est un mot-stigmate, qui prétend interdire tout autre raisonnement, mais qui n’a pas de sens internationalement partagé, étant utilisé pour qualifier l’"ennemi" que l’on veut exterminer.
Et chaque État a un ennemi différent....

En bref, il définit un "lieu arbitraire" qui peut changer au fil des ans sans avertissement, et n’importe qui peut passer du statut de "notre fils de pute" à celui de "nouvel Hitler" (Noriega, Saddam Hussein, etc.).

Et c’est précisément ce qui était autrefois unanimement reconnu comme le "mal absolu" - le nazisme, en fait - qui est devenu le test décisif de l’"embardée idéologique" en cours dans l’Occident néolibéral.

Il s’agit d’une part d’"angéliser" les vrais nazis (notamment en Ukraine, entre le bataillon Azov et les héritiers de Stepan Bandera), d’autre part de qualifier de "nouveaux nazis" tous ceux qui s’opposent ou s’opposent à l’hégémonie occidentale, quel que soit leur "credo" ou leur système de valeurs.

Même s’ils sont, comme les communistes, historiquement la partie la plus importante de la lutte contre le nazi-fascisme (le débarquement américain en Normandie a eu lieu un an et demi après la victoire soviétique à Stalingrad, qui a inversé le cours de la guerre).

Une tâche difficile, surtout lorsqu’elle est menée par des faussaires de bas étage, peu habitués à manier des concepts complexes. À moins de recourir au mensonge pur et simple...

Le court-circuit est continu, politiquement parlant, et donc la tentation de "jeter la pierre aux religieux" est immédiate (comme Salvini agitant le chapelet et appelant à des manifestations "pour la défense de l’Occident").

Autre complication : Bergoglio surveille attentivement ce côté et n’approuve pas les conneries du premier venu.

Ainsi, après avoir écarté le "dieu officiel", il ne reste plus qu’à parler de la lutte du "bien contre le mal", de la "lumière contre l’ombre", de "l’humanité contre les monstres" ("les orcs" de Tolkien, résume-t-on à Kiev). Des mots que chacun complète ensuite comme il le sait et comme il le souhaite, avec des exemples tirés de l’actualité quotidienne (de la guerre ou autre).

Au final, l’impression reste forte que tout ce baratin messianique et "gourou" cache une pensée indicible ou du moins malsaine. Tout se passe comme si l’angoisse toute occidentale de ne plus pouvoir "ordonner le monde" - et le monde - ne parvenait pas à produire une vision de l’avenir proche qui soit également acceptable par le reste de la planète (à commencer par les acteurs étatiques les plus forts et, bien sûr, les différents peuples).

S’il existait réellement, au sommet de l’Occident néolibéral, une vision rationnelle à proposer comme "nouvel ordre international", Israël n’aurait pas la possibilité de brûler ce qui reste de l’ancien édifice institutionnel - l’ONU, en premier lieu - en brandissant son propre intérêt national-religieux (sa propre folie) comme fer de lance d’un front minoritaire qui est certes aligné derrière lui, mais tout aussi certainement au bord d’une crise de panique.

Si cette vision rationnelle existait réellement, les "adultes" (les États-Unis, la Chine et la Russie) auraient tout le pouvoir de persuasion nécessaire pour ramener "Bibi" et sa frénésie d’accaparement des terres dans le giron de la "guerre politique", et donc à une "conférence de paix" ou à une table suffisamment médiatisée pour être acceptable par Israël, les Palestiniens et l’ensemble du monde arabe (souvent "consentant").

Mais non. Tous, ici en Occident, épousent un "langage" messianique qui n’envisage aucune médiation, seulement la solution finale.

Ce n’est pas un hasard - et cela devrait aussi apparaître comme un problème pour ceux qui sont directement concernés - si les pires armes de la galaxie néo-fasciste et néo-nazie se sont jetées avec enthousiasme dans cette fosse à purin linguistico-idéologique.

Ils disposent de "l’instrumentation rhétorique" appropriée à la tâche.

Ils ont la volonté de s’affronter, y compris à l’intérieur (contre leur propre population), de lier la guerre contre l’ennemi extérieur aux "sacrifices nécessaires" de l’économie de guerre.

Ils savent, rappelons-le, attaquer le monde entier au point de provoquer sa réaction et d’être anéantis par lui.

Certainement pas ces libéraux "soft touch" à l’aise dans les couloirs de Bruxelles....

Nous avons compris que l’impérialisme occidental peinait à rationaliser efficacement la crise du capitalisme. Mais nous ne pensions pas que vous étiez en si mauvais état....

JP/avec DeepL


Voir en ligne : https://contropiano.org/news/politi...

   

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