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De l’Amérique au golfe d’Amérique, l’impérialisme linguistique en action
samedi 15 mars 2025 par Renan Vega Cantor

« La guerre, a dit une fois le comique John Stewart, et la façon qu’à Dieu d’apprendre la géographie aux Etasuniens. »
Les efforts désespérés de Donald Trump en tant qu’expression d’une tentative destinée à rétablir l’hégémonie impérialiste des États-Unis s’exprime dans des termes linguistiques. Non seulement il impose une politique agressive de droits de douane, de protectionnisme, de nationalisme économique, il annonce des annexions de territoires (Groenland, canal de Panama), il humilie ceux qui lui sont soumis (Union européenne, Ukraine), il traite ses laquais comme des chiens (Zelensky, en premier lieu) mais, de plus, il implante, grâce a des décrets présidentiels, un certain langage, ce qui montre que la domination aussi bien interne qu’externe passe par l’imposition d’un nouveau–vieux langage destiné à essayer de montrer symboliquement qui est le maître du monde et à qui on doit obéir.
Cette tentative de Trump d’imposer un autre langage se manifeste de plusieurs façons : imposer de nouveaux termes pour évoquer des lieux aux États-Unis et hors des États-Unis, ou rétablir des noms discrédités qui avait été changés, éliminer la page en espagnol du site de la Maison-Blanche, exercer une répression ouverte ou souterraine contre ceux qui parlent espagnol, et, non moins important, imposer l’anglais comme langue officielle de l’État fédéral.
L’événement le plus médiatisé a été le changement de nom du golfe du Mexique en golfe d’Amérique, parce que ce nom est « beau et approprié » pour cette étendue d’eau, a déclaré avec une ignorance arrogante le chef de la Maison Blanche, une étendue d’eau qui, par décret, semble appartenir exclusivement aux États-Unis, niant que deux autres pays [le Mexique et Cuba] possèdent des eaux territoriales dans le golfe.
Ce fait nous sert à analyser sommairement deux exemples linguistiques qui montrent que les dénominations disent beaucoup sur la politique impérialiste. Le premier est le mot a « Amérique » en tant que nom adopté par les États-Unis et la seconde le golfe du Mexique.
L’Amérique, ce sont les États-Unis
A première vue, on pourrait penser que la dénomination de golfe d’Amérique est inclusive et plus universelle que celle de Golfe du Mexique parce qu’elle tient compte de l’ensemble du continent. Mais ce n’est pas vrai puisque pour les États-Unis, l’Amérique, c’est eux et nous, les autres habitants au sud du Rio Bravo, appartenons à un monde en retard, de délinquants et de criminels.
Ce même fait doit être expliqué en termes historiques. Pour commencer, le vocable Amérique a été énoncé pour la première fois au XVIe siècle pour évoquer tout le nouveau continent sur lequel la puissance dominante était l’Espagne.
Le nom rend hommage à Américo Vespucci, un navigateur Florentin qui a été le premier à annoncer en Europe qu’on avait découvert un autre continent. Dans son hommage, le cosmographe allemand Martin Waldseemüller a édité en 1507 les cartes de Vespucci avec sa Cosmographiae Introductio. Dans la préface, il écrit :
« Maintenant que ces parties du monde ont été largement examinées et qu’une quatrième partie a été découverte par Américo Vespucci, je ne vois aucune raison pour que nous ne l’appelions pas Amérique, c’est-à-dire, terre d’Américo, celui qu’i l’a découverte, comme l’Europe, l’Afrique et l’Asie ont reçu des noms féminins. »
« Amérique » a commencé à être employé pour évoquer tout le continent et les habitants nés sur cet hémisphère ont commencé à être désignés par le nom « d’Américains ». Ensuite, on a commencé à l’utiliser pour nommer les colons d’origine européenne qui s’étaient établis sur ces terres ou leurs enfants. Le nom « américain », ne désignait pas une nationalité mais une provenance géographique générique, et s’appliquait à tout habitant du Nouveau Monde, que ce soit dans les régions dominées par l’Espagne, le Portugal, la Grande-Bretagne, ou la France, cela importait peu.
Les États-Unis ont commencé à s’auto-appeler Amérique, plusieurs siècles plus tard, seulement à la fin du XIXe siècle, quand ce pays est devenu une puissance impérialiste et ce nom est associé à cette transformation historique.
En 1776, après son indépendance, le nom imposé au nouveau pays a été celui d’États-Unis d’Amérique. À cette époque, là, certains ont suggéré d’autres noms :Fredonie, Columbie, L’Union, La République…
Au début, on avait l’habitude d’utiliser Colombie, un nom symbolique associé à Christophe Colomb, pour exprimer le fait que le nouveau pays se différenciait de la Grande-Bretagne et se situait sur un autre continent, dans le « Nouveau Monde. »
Cela a changé à la fin du XIXe siècle, plus exactement au moment où les États-Unis ont annexé les dernières colonies espagnoles (Cuba, Porto Rico, les Philippines, Guam) et d’autres territoires, Hawaï et Samoa. Avec leur entrée dans le club des pays impérialistes, les vieux noms n’ont plus semblé adéquats parce que ce n’était ni une république ni une union (les territoires annexés ne pouvait pas exprimer librement et expressément la volonté de leurs habitants).
Dans cette situation, de fervents impérialistes ont proposé différents noms pour la nouvelle réalité : Amérique impériale, la grande république, les grands États-Unis. Mais Amérique, un nom qui a le mérite d’être bref, sonore, facile à prononcer et n’évoque ni union, ni république, s’est imposé.
Ce n’est pas par hasard si le premier président viscéralement impérialiste, Théodore Roosevelt, a parlé de l’Amérique dans son premier discours annuel. Par la suite, tout le monde aux États-Unis a commencé à utiliser le vocable Amérique qui a commencé à figurer dans des chansons, des poèmes, des hymnes.
L’historien Daniel Immerwahr l’explique ainsi :
- L’impérialisme a mis l’Amérique au premier plan, résolvant les problèmes de du pays concernant le nom. Présomptueux, expansif avec désinvolture, c’était un nom qui correspondait au caractère national à l’aube du siècle. Là où les générations précédentes auraient pu se retenir d’adopter « Amérique » par respect pour les autres pays américains, le nouvel empire ne s’en souciait pas. Dieu n’avait pas répandu sa grâce sur eux, n’est-ce pas ? Il pouvait revendiquer l’hémisphère comme sien. Suggérer autre chose était anti-américain ».
Et le reste du continent, en terme d’espace, a simplement cesser d’exister, ou on ne lui concédait plus aucune importance. Le fait que 75 % du territoire soit situé au sud du Rio Bravo, qu’il couvre la terre, la mer et des îles, et qu’il ait eu, comme aujourd’hui, presque deux fois plus d’habitants que les États-Unis n’intéressait personne.
S’appeler soi-même « Amérique » et exclure de ce nom le reste du continent et ses habitants est devenu un cri de domination et de pouvoir et a créé un nouveau sens commun parmi les habitants des États-Unis qui ont commencé à se vanter d’être le centre du monde et soi-disant supérieurs. Et on le voit dans les premiers temps actuels avec Trump et sans Trump sauf que, maintenant, la discrimination linguistique jouit de la légitimité que lui confère la Maison Blanche, pardon,The White House.
Speak English. This is America. C’est par ces mots qu’un avocat de Manhattan a protesté auprès du patron d’un restaurant pour que ses employés parlent anglais, pas espagnol.
C’est la même idée qui a amené une maîtresse du New Jersey à dire à ses étudiants hispanophones qu’aux États-Unis, on luttait pour défendre le droit de parler américain (anglais) parce qu’il n’y a rien de plus naturel que de donner à une langue le nom du pays dans lequel on la parle.
Le chauffeur d’un bus scolaire a interdit aux enfants de parler espagnol dans le véhicule et les en a informés par un avis qu’il a collé sur l’autocar : » Par respect pour les étudiants qui ne parlent qu’anglais, on ne permettra pas de parler espagnol dans cet autobus ! C’est la logique de ce qu’on appelle sans féminisme l’impérialisme linguistique.
Golfe d’Amérique, les affaires avant tout, et l’histoire importe peu
Le golfe du Mexique, une corne océanique qui s’est formée il y a 300 000 000 d’années, s’étend sur 1 500 000 kilomètres carrés, héberge une grande diversité marine, ses ports sont vitaux pour le commerce mondial et, par malheur, il héberge des gisements de pétrole. Actuellement, trois pays se partagent la côte de ce golfe : le Mexique, Cuba et les États-Unis.
Les endroits qui jouxtent le golfe ont été peuplés par des civilisations indigènes bien avant l’arrivée des Européens. Là ont résidé les Mayas, les Toltèques, les Olmèques et les Aztèques et ils ont baptisé cette corne maritime de diverses façons. Les Mayas appelé ces eaux côtières Yóok’kʼáab (« grande étendue d’eau »), Cuauhmixtitlán (“lieu de l’aigle entre les nuages”) et Chactemal (“endroit rouge”), en référence aux couleurs du crépuscule.
Quand les Espagnols ont soumis les Aztèques, ils ont baptisé la corne maritime du nom de Golfe du Mexique, de « mexica », un terme d’origine Nàhuati hispanisé bien qu’au début, sur certaines cartes, soient apparus les noms de golfe de nouvelle Espagne ou de mer du Nord. Golfe du Mexique est un nom propre au colonialisme espagnol qui a été aussi un colonialisme linguistique.
Cette appellation est apparue officiellement sur les cartes qui ont été publiées à la fin du XVIe siècle.
L’imposition de noms, pour Donald Trump, un multimillionnaire ignorant qui ne connaît ni la géographie ni l’histoire, est une pratique quotidienne, dans sa vie de capitaliste fortuné habitué à baptiser de son nom et de son prénom les possessions de sa richesse (gratte-ciel, hôtels, vins…).
Pour Trump, en tant que capitaliste pur et dur, l’important est la marque. Maintenant, la marque est un pays qui s’appelle lui-même Amérique (les États-Unis) c’est pourquoi, pour cet individu, le golfe doit porter le nom du pays qui, dit-il, fait le plus d’investissements économiques dans la corne et la géographie, l’histoire, la culture et les langues qui s’y sont développées depuis des milliers d’années, ne l’intéressent pas, ni que cet endroit soit partagé par d’autres nations.
C’est comme si le golfe était né hier, quand Trump a appris son existence, ce qui a été possible parce que beaucoup de ses investissements économiques se font dans l’espace de la corne, en Floride.
Aux États-Unis, on a rebaptisé le golfe. Le système d’information sur les noms géographiques l’a actualisé. Les conglomérats technologiques et digitaux, des alliés direct de Trump, ont obéi immédiatement. Microsoft a changé le nom sur ses cartes de Bing. Google a décidé que sur son application de Google Maps, le nouveau nom apparaîtrait pour le territoire des États-Unis, mais qu’au Mexique, on continuerait à voir le nom original et que dans le reste du monde, les deux noms apparaîtraient. Apple a aussi changé l’appellation sur son service de cartes.
Pour ceux qui désobéissent, le garrot, comme le prouve le fait qu’on ait interdit à un reporter d’Associated Press l’entrée du bureau ovale de la Maison-Blanche parce que l’agence de presse continue à l’appeler Golfe du Mexique dans son manuel de rédaction.
Un décret modifie un nom lié à une histoire complexe de société indigènes, de colonialisme ibérique et de croisement de cultures. On veut effacer cela d’un trait de plume dans le cadre du projet de « rendre l’Amérique grande à nouveau » et pour cela, il faut taper fort en commençant par les noms puisque nommer une chose est une façon de se l’approprier.
C’est ce qu’affirme Trump quand il dit :
- « Aujourd’hui, je fais ma première visite au golfe d’Amérique depuis qu’il a changé de nom. Au moment où mon administration restaure la fierté des États-Unis pour l’histoire de la grandeur des États-Unis, il est approprié que notre grande nation se réunisse et commémore cette occasion importante ».
Pour Donald Trump et une grande partie des habitants des États-Unis, le golfe du Mexique est un simple accident géographique dans lequel se trouve du pétrole qu’on doit forer sans cesse. C’est pourquoi l’histoire ne raconte pas, même en la réécrivant, en niant les habitants d’origine et le fait que l’Espagne ait été le pouvoir dominant sur une grande partie de ce que sont aujourd’hui les États-Unis, pendant plusieurs siècles, comment cela se manifeste dans la langue qu’on parle à Cuba, au Mexique et dans une grande partie des États-Unis.
Dans ce projet impérialiste de « rendre l’Amérique grande à nouveau » , le symbolisme de la toponymie essentielle. Il s’agit de montrer une appropriation et une expropriation linguistique et culturelle en rebaptisant des lieux et en donnant le pouvoir aux expropriateurs, dans ce cas, les États-Unis. Le changement du nom de Golfe du Mexique n’est pas une question nominale, il a un sens profond, révèle la façon dont les les États-Unis font ce qui leur profite et montre leur histoire comme celle de gens qui ont réussi et de vainqueurs dans le style hollywoodien, qui est le style même de Trump.
C’est l’annonce de futures agressions militaires, commerciales, douanières dans la région, des agressions qui aggravent la situation d’un pays particulier : Cuba, qui est également présent dans la corne de ce que maintenant les États-Unis appellent golfe d’Amérique où ce pays peut prétendre que cette portion de mer lui appartient en vertu des desseins de la divine providence.
Nous sommes face à un exemple d’impérialisme linguistique dans lequel les États-Unis s’arrogent le droit de changer des noms à son grès et de les imposer en anglais. C’est une forme de discrimination linguistique qui renforce la langue dominante au détriment des autres langues parce qu’elle part de l’idée qu’une langue est meilleure que les autres et que l’utiliser donne plus de prestige et de cachet.
Le problème va au-delà de la modification du nom d’une masse d’eau et du fait d’estampiller une appropriation sur le papier ou sur les écrans et révèle une grossière xénophobie basée sur la prétendue grandeur des États-Unis. Un pays provincial qui se croit le nombril du monde et qui, avec une politique agressivement impérialiste, s’attribue le pouvoir de faire et de défaire selon son bon plaisir et l’applique aussi au domaine linguistique avec l’imposition de sa propre toponymie.
Donald Trump prétend rétablir une perte d’identité des États-Unis en recourant à la négation historique et culturelle et considère que la marque Amérique exprime le pouvoir des États-Unis et leur permet de piétiner les autres quand ça les arrange.
Parce que, souvenons-en, maintenant, ce que les États-Unis envisagent, c’est d’être « grands » à nouveau, et cela ne peut se faire qu’à travers la guerre. Oui, une guerre sur tous les fronts, y compris le front linguistique, ce qui suppose que l’anglicisation forcée du monde est une commodité pour les capitaliste des États-Unis puisqu’elle leur permet de faire des affaires dans n’importe quelle partie de la planète et les aide à diffuser et à imposer leurs idées, leurs ambitions et leurs projets de domination.
Avec les guerres commerciales, militaires, douanières, Trump et compagnie livrent une guerre linguistique parce que, comme nous l’avons dit dans l’introduction de cet article, la guerre est la meilleure façon, pour les Étasuniens, d’apprendre la géographie. Cela veut dire que beaucoup d’habitants des États-Unis, maintenant, avec le changement de nom du Golfe du Mexique et l’imposition du nom de golfe d’Amérique, sont au courant pour la première fois du fait que leur pays contrôle une partie de cette corne marine et certainement le fait de savoir que deux autres pays, deux « petits pays de merde » comme les appelle Donald Trump et ses millions de partisans du parti républicain « cultivé », « sage » et religieux la partagent leur importe peu.
Traduction Françoise Lopez pour Amérique latine–Bolivar infos
Source en espagnol :
https://www.resumenlatinoamericano.org/2025/03/14/estados-unidos-de-golfo-de-mexico-a-golfo-de-america-el-imperialismo-linguistico-en-accion/
URL de cet article :
https://bolivarinfos.over-blog.com/2025/03/culture-de-l-amerique-au-golfe-d-amerique-l-imperialisme-linguistique-en-action.html
Voir en ligne : https://bolivarinfos.over-blog.com/...