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L’énigme syrienne : comment elle pourrait mener à la première guerre des BRICS

jeudi 5 décembre 2024 par Pepe Escobar

L’attaque fait partie d’une opération complexe interconnectée - avec le chaos comme outil préférentiel - pour mettre l’Asie occidentale sens dessus dessous & l’enflammer au sens propre.

La Majorité Mondiale devrait être en état d’alerte maximale. L’attaque du Grand "Idiblistan" fait partie d’une opération complexe et interconnectée.

La chronologie raconte l’histoire.

18 novembre : Ronen Bar, chef du Shin Bet en Israël, rencontre les chefs du MIT, le service de renseignement turc.

25 novembre : Mark Rutte, chef de l’OTAN, rencontre le sultan turc Erdogan.

26 novembre : Les salafistes-djihadistes rassemblés par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), anciennement Nusa Front, soutenus par les services de renseignement turcs, plus une lourde coalition de Rent-a-Jihadi, lancent une attaque fulgurante contre Alep.

L’offensive des rentiers djihadistes a pris naissance dans le Grand Idlibistan. C’est là que des dizaines de milliers de djihadistes étaient retranchés, selon la stratégie Damas-Moscou de 2020, dont l’échec est désormais avéré, et que la Turquie a dû accepter à contrecœur. La foule des “djihadistes à louer” est composée de très nombreux mercenaires qui ont traversé la frontière depuis - où ailleurs - la Turquie : Ouïghours, Ouzbeks, Tadjiks, Ukrainiens, et même des membres de l’État islamique.

Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Esmail Baghaei, a confirmé en début de semaine que l’offensive salafiste-djihadiste est coordonnée par les États-Unis et Israël.

M. Baghaei n’a pas mentionné la Turquie, soulignant même que l’attaque terroriste s’est produite immédiatement après qu’Israël a accepté un cessez-le-feu avec le Hezbollah - déjà rompu par Tel-Aviv des dizaines de fois - et après que Netanyahu a publiquement accusé le président syrien Bachar al-Assad de “jouer avec le feu” en permettant le transit de missiles iraniens modernes et d’équipements militaires via la Syrie vers le Hezbollah.

Juste avant le cessez-le-feu, Tel-Aviv a détruit pratiquement toutes les voies de communication entre la Syrie et le Liban. Par la suite, Netanyahu a souligné que l’accent doit désormais être mis sur “la menace iranienne”, indispensable pour briser l’Axe de la Résistance.

Selon une source des services spéciaux syriens qui s’est confiée à RIA Novosti, les conseillers ukrainiens ont joué un rôle clé dans la prise d’Alep en fournissant des drones et des systèmes américains de navigation par satellite et du matériel de guerre électronique, et en formant les collaborateurs syriens et les agents du Parti islamique du Turkestan à leur utilisation.

Les communications de l’Armée arabe syrienne (AAS) ont été complètement brouillées par ces systèmes de guerre électronique :

“Les groupes d’assaut et les drones étaient équipés de dispositifs GPS cryptés et utilisaient largement l’intelligence artificielle, de sorte que l’utilisation et la navigation des drones d’attaque et des drones kamikazes se déroulaient de loin”.

Le dispositif a été mis en place il y a plusieurs mois. Kiev a passé un marché clair avec les salafistes-djihadistes : des drones en échange de fournées de Takfiris à armer contre la Russie dans la guerre par procuration des États-Unis et de l’OTAN en Ukraine.

Quel rôle la Turquie joue-t-elle réellement ?

Le rôle pratique de la Turquie dans l’offensive salafiste-djihadiste du Grand Idlibistan est on ne peut plus obscur.

Le week-end dernier, le ministre des Affaires étrangères Hakan Fidan, un ancien chef des services de renseignement, a nié tout rôle de la Turquie. Personne - hormis la sphère de l’OTAN - ne le croit. Pas un seul salafiste-djihadiste dans le nord-ouest de la Syrie ne peut craquer une allumette sans le feu vert des services de renseignement turcs, car le système d’Ankara les finance et les arme.

La ligne officielle de la Turquie est de soutenir l’“opposition” syrienne - salafi-jihadi - dans son ensemble tout en déplorant vaguement l’offensive du Grand Idlibistan. Là encore, une stratégie classique. Pourtant, la conclusion logique est qu’Ankara vient peut-être d’enterrer le processus d’Astana - en trahissant ses partenaires politiques que sont la Russie et l’Iran.

Erdogan et Hakan Fidan n’ont, jusqu’à présent, pas réussi à expliquer à l’ensemble de l’Asie occidentale - ainsi qu’au Sud global - comment cette opération sophistiquée de “djihadistes à louer” a pu être mise en place par les États-Unis/Israël sans que la Turquie n’en ait eu connaissance.

Et au cas où il s’agirait d’un piège, Ankara n’a tout simplement pas le pouvoir souverain de le dénoncer.

Ce que les faits montrent clairement, c’est qu’un nouveau front a de facto été ouvert contre l’Iran, que la stratégie “diviser pour régner” des États-Unis et d’Israël est susceptible d’anéantir totalement l’entente entre Téhéran et Ankara, et que des ressources russes essentielles - principalement aérospatiales - devront être détournées de l’Ukraine pour soutenir Damas.

Pas de mystère : depuis des années, Ankara meurt d’envie de contrôler Alep - même indirectement, pour la “stabiliser” pour le business (au profit des entreprises turques) et aussi pour permettre le retour d’un grand nombre de réfugiés d’Alep relativement riches qui se trouvent actuellement en Türkiye. En parallèle, l’occupation d’Alep est aussi un projet américain : en l’occurrence pour miner sérieusement l’Axe de la Résistance au profit de Tel-Aviv.

Autre nouveauté : le sultan Erdogan - désormais partenaire des BRICS - est une fois de plus sur la sellette. Pire : il se retrouve face à deux membres clés des BRICS. Moscou et Téhéran attendent de nombreuses explications détaillées. Il n’y a rien que Poutine déteste plus que la trahison pure et simple.

Erdogan a pris l’initiative d’appeler Poutine - en introduisant un élément nouveau : il s’est concentré sur les relations économiques entre la Russie et la Turquie. Après le tsunami des sanctions contre la Russie, la Turquie est devenue le pont clé et privilégié entre Moscou et l’Occident. D’ailleurs, les investissements russes en Turquie sont conséquents : gaz, nucléaire, importations de produits alimentaires. Les deux acteurs ont toujours abordé la guerre en Syrie en lien avec la géoéconomie.

Des gangs de djihadistes en plein boom

Entre-temps, les faits sont de nouveau implacables. HTS, l’ancien Front Al-Nusra, pourrait ne pas relever strictement de l’État islamique : il s’agit plutôt d’un État islamique turc. Le commandant Abu Mohammed al-Joulani, émir de facto de la nouvelle bannière ultra-rodée, a abandonné toutes les variantes d’Al-Qaïda et de l’État islamique pour former HTS. Il est à la tête d’un ensemble de “djihadistes à louer” , provenant pour la plupart des régions du cœur de l’Europe. Et c’est un chouchou du MIT turc.
Donc, un chouchou d’Israël et de l’OTAN.

La CIA et le Pentagone, chacun exploitant son propre réseau, ont armé 21 des 28 milices syriennes, salafistes et jihadistes, organisées par le MIT turc en une sorte d’“armée nationale” mercenaire dans le Grand Idlibistan, selon le think tank turc SETA.

L’analyste syrien Kevork Almassian a montré comment les proverbiaux “anciens responsables israéliens” ont admis avoir fourni au gang du Grand Idlibistan des fonds, des armes, des munitions et même des traitements médicaux.

L’ancien colonel de l’armée israélienne Mordechai Kedar a ouvertement admis son soutien aux “rebelles” pour “éliminer le triangle du Hezbollah, de l’Iran et d’Assad”. Les “rebelles”, a-t-il dit, ont même manifesté leur désir “d’ouvrir des ambassades israéliennes à Damas et à Beyrouth”.

HTS est la dernière incarnation de l’un des jouets préférés de l’Occident collectif : le “rebelle modéré” (vous vous souvenez d’Obama/Hillary ?) dont l’allégeance va à près de 100 % à Ankara.
Ils détestent les chiites et les alaouites, et gèrent un vaste réseau de prisons.

Ce sont les salafistes-djihadistes de HTS qui ont forcé la reddition complète d’Alep - sans combat - et se sont filmés devant la légendaire Citadelle. De 2012 à 2016, seules quelques dizaines de soldats de la SAA ont réussi à défendre avec succès la citadelle, même lorsqu’ils étaient complètement encerclés.

Depuis le début de la guerre en 2011, Damas n’a jamais connu de défaite aussi dévastatrice que la chute d’Alep. L’Irak a vécu quelque chose de tragiquement similaire avec la chute de Mossoul en 2014. On peut affirmer que la majorité absolue des Syriens est opposée à l’accord Russie-Turquie-Iran de 2020, qui a en fait empêché la libération d’Idlib : une erreur stratégique majeure.

Mais il y a pire - car le problème remonte en fait à 2018, lorsque les Turcs n’étaient même pas à Afrin, et que la libération de Hama/Idlib a été interrompue au profit de la libération de la banlieue de Damas. C’est de là que des dizaines de milliers de djihadistes ont été transférés à Idlib.

En 2020, il était déjà trop tard : Idlib était défendue par l’armée turque.

Quant à l’armée syrienne, elle s’est révélée être un véritable désastre à Idlib. Elle n’a pas modernisé ses défenses, ni intégré l’utilisation des drones, ni préparé la défense tactique contre les drones FPV kamizake et les drones d’observation, ni prêté attention aux pointages d’espions étrangers. Il n’est pas étonnant que la foule “djihadistes à louer” n’ait trouvé aucune résistance pour prendre la majeure partie d’Alep en 48 heures.

Après l’accord de 2020, l’Iran et les forces pro-iraniennes ont quitté la Syrie, notamment dans les provinces d’Alep et d’Idlib. Ces secteurs ont été transférés à l’armée syrienne. Quant aux entreprises russes, qui n’avaient déjà pas vraiment envie d’être sanctionnées en allant à l’encontre du blocus occidental contre Damas, elles ont été snobées par les clans, les tribus et les familles locales.

Cette fois-ci, il était évident depuis des mois qu’HTS préparait une offensive. Des avertissements ont été envoyés à Damas. Mais les Syriens ont fait confiance à l’accord avec la Turquie et au rétablissement des relations avec les nations arabes.
Une grave erreur.

Tout cela permet de tirer au moins deux leçons majeures pour la Russie. Désormais, quoi qu’il arrive, Moscou devra mettre au pas ces réseaux syriens aussi pervers que corrompus pour contribuer réellement à la défense de la souveraineté de la nation. Et ce qui s’est passé à Idlib montre que la guerre contre les banderistes de Kiev devra aller jusqu’au Dniestr, et ne pas s’arrêter aux frontières de la république de Donetsk.

La guerre à la croisée des chemins de la connectivité

Jusqu’à présent, HTS et les groupes Rent-a-Jihadi ne commettent pas trop d’erreurs. Ils tentent de bloquer toutes les routes qui mènent à Alep afin de refouler les combats le plus loin possible de la ville, et avoir ainsi le temps de la conquérir entièrement.

La guerre en Asie occidentale est une affaire d’axes routiers. Soit avec des chevaux dans le désert, soit avec des Toyota. Les mines sont rares et la boue inexistante, contrairement à l’Ukraine. La guerre en Syrie est donc en constante évolution - et toujours par la route. HTS utilise déjà l’autoroute M4 depuis Idlib et progresse sur des tronçons de l’autoroute M5, cruciale, qui relie Alep à Damas.

Pendant ce temps, les éléments d’une contre-offensive se mettent en place. Depuis l’Irak, des dizaines de milliers de milices chiites, yazidies et chrétiennes du Hezbollah Kata’ib, de la brigade Fatemiyoun et des Hashd al-Shaabi (les Unités de mobilisation populaire, UMP, très expérimentées dans la lutte contre l’État islamique) sont entrées en Syrie au nord-est par le point de passage d’al-Bukamal.

La 25e division/Forces du tigre du très respecté commandant Suhail Al-Hassan, en fait les meilleures forces syriennes, sont en mouvement aux côtés des milices tribales.

La Syrie est un carrefour de connectivité absolument essentiel, qui rappelle les anciennes routes de la soie. Si le combo États-Unis/Israël réalise son éternel rêve d’un changement de régime à Damas, il bloquera le point de transit crucial de l’Iran vers la Méditerranée orientale.

De plus, le Qatar pourrait être contraint de construire un gazoduc pour acheminer du gaz naturel vers l’Europe via la Syrie, l’un des stratagèmes de Brzezinski pour remplacer le gaz naturel russe - un dossier étudié en détail il y a déjà 12 ans.

La tactique de l’État profond américain n’est pas exactement une nouveauté : essayer de faire diversion en se concentrant sur la Syrie, en faisant pression sur Moscou et en allégeant la pression sur l’Ukraine, juste avant la signature du très sérieux partenariat stratégique global entre la Russie et l’Iran.

Néanmoins, les États-Unis peuvent être confrontés à des facteurs aggravants. L’Arabie saoudite, dont le soutien au terrorisme a été avéré au début de la guerre contre la Syrie, a changé de politique après que la Russie s’est impliquée en 2015. Et maintenant, Riyad est également un partenaire des BRICS - qui reste encore sur sa faim. L’Arabie saoudite, l’Égypte et les Émirats arabes unis, notamment, soutiennent Assad contre les hommes de main d’HTS.

La Syrie est absolument cruciale pour la stratégie globale de la Russie en Asie occidentale et en Afrique. Damas est un lien essentiel entre la Russie et l’Afrique, où Moscou déploie de facto toute sa puissance internationale, comme j’ai pu le constater récemment en Afrique du Sud, avec quelques nouveautés fascinantes sous la forme de contre-sanctions imposées de facto aux oligarques occidentaux, dont les positions dans toute l’Afrique sont sérieusement mises à mal.

La Russie et l’Iran, membres des BRICS, n’ont pas d’autre choix : ils doivent remédier, par tous les moyens nécessaires, à l’incompétence manifestée par Damas et l’armée, afin de pouvoir conserver leur accès à la Méditerranée orientale, au Liban, à l’Irak et au-delà. Cela suppose une manœuvre très délicate : la Russie écartant des moyens clés de la bataille en Novorossiya pour préserver une Syrie relativement souveraine.

Vers la première guerre des BRICS ?

À l’heure actuelle, l’armée semble avoir mis en place une ligne de défense encore fragile dans les villages situés au nord de Hama. Le légendaire général Javad Ghaffari, ancien numéro deux du général Soleimani, spécialiste de tous les secteurs de la guerre contre le terrorisme, est arrivé d’Iran pour prêter main forte. D’ailleurs, en 2020, il voulait aller jusqu’à Idlib. Voilà pourquoi Assad a exigé qu’il parte, Damas a opté pour un gel de la guerre. Aujourd’hui, la situation est tout à fait différente.

La mafia “djihadistes à louer” /NATO/Grand Idlibistan n’a strictement aucune défense aérienne. Ils sont maintenant frappés pratiquement sans interruption par les avions de combat russes et syriens.

La situation à Alep est dramatique. Les gangs terroristes dirigés par HTS contrôlent la quasi-totalité de la zone “rouge”, et les rares secteurs épargnés par l’invasion sont en état de blocus. Ils progressent également sur le front Alep-Raqqa, mais les Kurdes soutenus par les États-Unis aussi, ce qui signifie une progression de l’OTAN.
Dans le désert, tout est étrangement calme.

L’armée russe ne disposait que de 120 hommes à Alep. Ceux qui ont survécu sont partis. Qu’est-ce qui attend la Russie ? Le meilleur scénario possible à moyen terme serait de se concentrer sur Lattaquié, d’apprendre aux soldats syriens à se battre à la russe, et de leur montrer comment libérer correctement leur propre nation.

L’étape première va consister à mesurer les conséquences désastreuses d’avoir offert un sanctuaire à des dizaines de milliers de terroristes dans le Grand Idlibistan en 2020.

L’étape suivante sera de pleinement comprendre que si Moscou négocie une sorte de Minsk-3 avec l’OTAN - ce qui est essentiellement ce que Trump préconiserait - Kiev deviendra un Idlib 2.0. Et les gangs banderistes s’assureront de créer de nouveaux Alep - déchus - à l’intérieur de la Fédération de Russie.

La Majorité Mondiale devrait être en état d’alerte maximale. L’attaque du Grand Idiblistan fait partie d’une opération complexe interconnectée - avec le chaos déployé comme outil préférentiel - visant à mettre l’Asie occidentale sens dessus dessous et à l’enflammer au sens propre.

Il se pourrait bien que cette opération se métastase en la première guerre des BRICS.


Voir en ligne : https://substack.com/home/post/p-15...

   

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