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En Kanaky, la France renoue avec la pratique coloniale de la déportation

samedi 6 juillet 2024 par Blog Histoire Coloniale

Au moment où plusieurs responsables kanak ont été transportés dans des prisons métropolitaines, à des milliers de kilomètres de chez eux, il n’est pas inutile de rappeler qu’il s’agit là de la perpétuation d’une forme de répression typiquement coloniale.
L’éloignement des résistants à la colonisation fut une pratique répressive constante de la France coloniale aux XIXe et XXe siècles.

L’illusion selon laquelle on pourrait éradiquer la soif d’indépendance et de justice d’un peuple par l’emprisonnement et l’éloignement de ses « chefs » a été constante dans l’histoire des répressions coloniales françaises. Chacun devrait savoir aujourd’hui qu’elle a toujours échoué.

Les septs militant.e.s de la CCAT actuellement détenu.e.s en France

Les prisons françaises de Dijon, Mulhouse, Bourges, Blois, Nevers, Villefranche et Riom viennent d’accueillir sept détenus venus de loin.
À la stupéfaction générale, la justice française a en effet ordonné le 22 juin dernier la détention préventive dans des prisons hexagonales, à 17 000 km de leurs domiciles, de militants et militantes de la CCAT (Cellule de Coordination des Actions de Terrain), partisans de l’indépendance de la Kanaky Nouvelle Calédonie.

Cette décision a fait suite à une « lettre » d’Emmanuel Macron communiquée à la presse la veille de leur arrestation. Elle appelait à punir les « quelques-uns » qui, selon lui, seraient « à l’origine » de la situation de révolte dans l’Archipel, le président niant ainsi à nouveau sa propre et écrasante responsabilité dans cette situation.
Une instruction immédiatement relayée par le ministre de la Justice Éric Dupont-Moretti et mise en œuvre sur le champ à Nouméa par le procureur Yves Dupas.

Christian Tein, Christian Tein, responsable de la CCAT, lors de la première assemblée générale de l’organisation qui se tient à Tribu d’Azareu, à Bourail, en Nouvelle-Calédonie, le 14 juin 2024. DELPHINE MAYEUR / AFP

Ces interpellations et transfèrements sont extrêmement choquants, d’autant que rien n’est entrepris par la justice contre les milices anti-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, ni contre les individus responsables de la plupart des morts récentes intervenues à Nouméa, qui sont celles de jeunes manifestants kanak « tirés comme des lapins » par des civils.

Après avoir renoué avec la politique néo-coloniale de mise en minorité politique du peuple kanak et provoqué sa révolte, la France renoue donc à présent avec un très ancien mode opératoire particulièrement brutal de la répression des révoltes et résistances dans ses colonies : la déportation politique carcérale de leurs leaders.

Des milliers de colonisés connurent ce sort aux XIXe et XXe siècles pour s’être élevés contre l’occupation et l’oppression coloniales. Rappelons ici l’histoire de quelques-uns de ces déportés politiques coloniaux, dont beaucoup ne survécurent pas à l’exil forcé, mais dont certains dirigèrent ensuite un Etat finalement devenu indépendant.

1802 : Toussaint Louverture, gouverneur de Saint-Domingue, devenu Haïti, est déporté en France.

Après 1802 : 183 Guadeloupéens et 239 Haïtiens qui luttaient contre le rétablissement de l’esclavage par Bonaparte sont déportés en Corse après 1802 et contraints aux travaux forcés.

1847 : Abd al Kader, souverain de l’ouest algérien, est déporté en France au mépris des promesses qui lui ont été faites.

Entre 1867 et 1887 : des centaines d’Algériens sont déportés en Guyane.

1872 : Cheikh El Mokrani, chef de la révolte en Kabylie contre la confiscation des terres, est déporté avec ses proches en Nouvelle-Calédonie.

1884 : après une révolte dans le Sud-Oranais, Mohamed Belkheir et ses compagnons sont déportés à Calvi, puis dans l’île Sainte-Marguerite dans les Iles de Lérins.

1889 : Hàm Nghi, souverain vietnamien, est déporté en Algérie.

1894 : Béhanzin, souverain du Dahomey devenu Bénin, est déporté en Martinique puis en Algérie.

1895 : Cheikh Ahmadou Bamba, théologien soufi sénégalais, est déporté au Gabon.

1897 : Ranavolana, reine malgache, est déportée à La Réunion, en Algérie puis en France.

1898 : Samory Touré, résistant mandingue de la future Guinée, est déporté au Gabon.

1916 : Duy Tan, prince impérial vietnamien, est déporté à La Réunion.

1926 : Abdelkrim al-Khattabi, chef de la République rifaine au Maroc, est déporté à La Réunion.

1952 : Messali Hadj, nationaliste algérien, est déporté à Brazzaville puis en France.

1953 : Mohammed Ben Youssef, sultan marocain, est déporté en Corse puis à Madagascar.

1956 : Ahmed Ben Bella, Hocine Aït Ahmed, Mostefa Lacheraf, Mohamed Khider et Mohamed Boudiaf, indépendantistes algériens, sont capturés en violation du droit international par un acte de piraterie aérienne et déportés en France.

L’illusion selon laquelle on pouvait éradiquer la soif d’indépendance et de justice d’un peuple par l’éloignement de ceux qui dirigeaient leur résistance a été constante dans l’histoire coloniale française. Chacun devrait savoir aujourd’hui qu’elle a toujours échoué, et qu’elle a renforcé ce qu’elle voulait étouffer.

Lire le dossier complet ICI.

   

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