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Accord Iran/Chine : Idiots utiles et inutiles...
lundi 27 juillet 2020 par Richard Labévière
Placé, comme la Syrie sous sanctions économiques américaines, le Liban – du moins certaines voix libanaises, dont celle du secrétaire du Hezbollah Hassan Nasrallah, appellent à une coopération « nouvelle » et « renforcée » avec la Chine, la Russie, l’Irak et d’autres pays afin de « préserver le Liban de la famine ». Dans un contexte de pression américaine maximale, l’Iran vient de finaliser un accord historique avec la Chine pour les 25 prochaines années !
En fait, ce « partenariat stratégique » – concernant les secteurs énergétiques, bancaires, les télécommunications, les transports et la coopération militaire – était en discussion depuis 2016. Pour les vingt-cinq prochaines années, la Chine obtiendrait pétrole et gaz à prix réduit contre des investissements lourds dans nombre d’infrastructures vitales pour l’Iran.
Aujourd’hui sous sanctions américaines, le pays exporte de 100 à 200 000 barils par jour contre plus de 2,5 millions en avril 2018 – avant que Donald Trump ne déchire l’accord sur le nucléaire.
En fait, tout a commencé le 14 juillet 2015 (date de la signature de cet accord), au moment où l’organisation « État islamique » (Dae’ch) était au zénith de sa puissance, alors que Paris était la cible d’attentats jihadistes. Les États européens étaient inquiets et, à Washington, Barack Obama pensait qu’il fallait constituer une nouvelle alliance contre la terreur qui réintègrerait l’Iran sur la scène internationale. En échange, Téhéran renoncerait à un enrichissement de l’uranium à des fins militaires, autrement dit à la bombe atomique.
L’accord est signé et les échanges commerciaux avec l’Iran reprennent, tandis que s’élaborent des projets communs d’envergure. A l’automne 2017, Dae’ch est militairement vaincu. La Russie a, puissamment aidé la Syrie à résister aux jihadistes et à préserver son intégrité territoriale et politique. L’Iran retrouve progressivement son rôle de puissance régionale au grand dam du régime de Tel-Aviv.
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Quand Donald Trump arrive à la Maison Blanche, il estime que l’accord sur le nucléaire iranien doit être déchiré, ce qu’il fait en mai 2018, imposant des sanctions à toutes les sociétés qui continuent à travailler avec Téhéran. Le front occidental – voulu par Obama – se fracture.
À nouveau, l’Iran est étranglé par des sanctions dont elle connaît bien les conséquences et les méthodes de contournement. Se rejoue la partie des années 1980, lorsque les intérêts iraniens étaient gravement menacés par la guerre avec l’Irak (soutenu par les États-Unis, la Grande Bretagne, la France et l’Allemagne) et la guerre civile du Liban.
Si les États-Unis n’ont plus besoin du pétrole produit dans le Golfe, essentiellement destiné à la Chine et l’Asie, Donald Trump s’est entouré d’une bande de faucons (évangélistes inconditionnellement pro-israéliens) qui cherche toujours à renverser le régime iranien. Ainsi, dans la perspective des prochaines élections présidentielles de novembre prochain, Washington multiplie les provocations à l’encontre de Téhéran (un avion de chasse américain vient de pourchasser un vol de ligne iranien Téhéran/Beyrouth, causant plusieurs blessés à bord), qui sait qu’il doit faire le dos rond jusqu’à une défaite électorale attendue de Trump.
Dans ce contexte, il n’est guère surprenant d’assister à la finalisation d’un véritable partenariat stratégique entre l’Iran et la Chine. Du reste, il est assez significatif de voir ainsi Pékin entrer de plein pied aux Proche et Moyen-Orient au moment même où Washington cherche à en sortir, sans vraiment esquisser une politique régionale de remplacement.
« Indéniablement, cet accord avec la Chine représente une très bonne affaire pour les Iraniens », estime un diplomate européen en poste à Téhéran, « mais bien qu’ils considèrent désormais Pékin comme leur premier partenaire, les dirigeants iraniens n’en conservent pas moins d’intenses relations avec d’autres partenaires comme Moscou et New Delhi. C’est justement avec l’Inde que Téhéran coopère pour l’extension des infrastructures du port stratégique de Chabahar ».
LA GRANDE PORTE DE CHABAHAR
Situé à l’extrême sud-est de l’Iran – à seulement une centaine de kilomètres de la frontière pakistanaise – Chabahar est le seul port iranien échappant aux sanctions économiques américainres. C’est aussi le plus grand port de la côte sud de l’Iran en dehors du Golfe. En bordure de l’océan Indien, Chabahar s’est vu octroyer une dispense lui permettant d’échapper aux sanctions.
Pour le département d’État, ce régime spécial est justifié par la nécessité de soutenir « l’assistance à la reconstruction de l’Afghanistan et le développement économique de ce pays ». Selon plusieurs sources officielles, Téhéran a investi un milliard de dollars dans le développement du port Chahid-Béhechti de Chabahar.
Les autorités espèrent en faire une plaque tournante qui désenclaverait l’Afghanistan et permettrait à l’Inde de commercer avec ce pays en contournant le Pakistan, son voisin et rival. Les ambitions de la République islamique ne s’arrêtent pas là : à terme, l’idée est de créer une nouvelle route commerciale en reliant Chabahar à l’Asie centrale par le rail. Ce projet de voie ferrée a été baptisé « couloir Nord-Sud ».
« Nous continuerons de développer ce port (…). Le réseau ferroviaire, le réseau routier et l’aéroport sont tous en train d’évoluer pour permettre la mise en œuvre du couloir Nord-Sud, qui est d’une importance stratégique capitale pour nous », déclare à l’AFP le ministre du Transport et du Développement iranien, Mohammad Eslami.
La première phase du projet d’agrandissement du port, situé entre océan et désert, a déjà permis de gagner plus de 200 hectares de terrain sur la mer et 17,5 millions de mètres cubes ont été dragués pour créer un tirant d’eau de 16,5 mètres, selon les données officielles. Les autorités affichent leur optimisme : au cours des 11 premiers mois de l’année iranienne 1397 (commencée le 21 mars 2018), le volume des marchandises chargées ou déchargées au port a augmenté de 56% par rapport à l’année précédente ».
Encore : « nous avons une hausse de 25% du nombre de navires ayant relâché au port », ajoute – toujours pour l’AFP – Hossein Chahdadi, adjoint au directeur des affaires maritimes et portuaires de la province du Sistan-Baloutchistan, estimant que la « porte de Chabahar change la donne géopolitique du pays, sinon de l’ensemble de la région ».
Toujours est-il que l’augmentation des échanges avec l’Inde s’accommode parfaitement du dernier accord avec la Chine, même si celle-ci privilégie le Pakistan dans le déploiement de son plan des Routes de la soie.
CHRISTIAN MALARD : « IDIOT INUTILE »
Ces avancées iraniennes nourrissent nombre de commentaires de la presse occidentale. Ainsi, Renaud Girard insiste sur « un tournant majeur » [1], qui confirme un « certain déclin américain » : « Par cette initiative diplomatique, la Chine veut-elle seulement envoyer un dernier avertissement à Washington ? Je ne le crois pas. Pékin a depuis longtemps compris l’utilité des ‘faits accomplis’ dans les relations internationales. Ce recul stratégique majeur des États-Unis met en lumière la faute commise par Trump lorsqu’il remit en cause l’accord nucléaire du 14 juillet 2015 avec l’Iran, qu’avait si patiemment négocié John Kerry. Trump agi par haine de l’œuvre d’Obama. Dans l’histoire des nations, il a toujours été dangereux de mener une politique extérieure pour des raisons de politique intérieure ».
Ancien « journaliste » du service étranger de France-3, Christian Malard – soudainement élevé à la dignité de « consultant diplomatique » par une chaîne de télévision israélienne – a lancé, lundi dernier, un avertissement solennel au monde entier, avertissement beaucoup moins sophistiqué : « l’accord irano-chinois est une affaire extrêmement grave pour l’Occident tout entier et pour Israël… ». Il a conclu son intervention en reprochant au président Emmanuel Macron de trop parler avec Vladimir Poutine…
Non content de croire que tout ce qui est bon pour l’« Occident » – avec un grand « O » – est forcément bon pour Israël et inversement, ce pauvre Malard n’a même pas la décence de rappeler que c’est quand même Donald Trump qui a commencé par déchirer l’accord sur le nucléaire iranien – à l’issue d’une décennie d’âpres négociations en format cinq plus un (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies et l’Allemagne).
Quant au fait de travailler pour une chaîne de propagande du Likoud, c’est plutôt moyen pour un ancien journaliste du service audiovisuel public, même s’il a dit tout et son contraire, accordant toujours ses faveurs aux puissants du moment.
Enfin, entendre Christian Malard remonter les bretelles d’Emmanuel Macron prête plutôt à sourire et nous rend soudainement le président de la République extrêmement sympathique, en l’occurrence repoussoir bienvenu d’une bêtise abyssale… proprement abyssale.
Le concept « d’idiots utiles » s’est imposé à partir de 1929, au moment où l’URSS adressait moult invitations aux intellectuels de l’Ouest pour visiter la Russie des Soviets. Calquée de l’anglais « useful idiot », l’expression fut utilisée pour la première fois dans un article du New York Times, signé par son correspondant à Rome l’ayant empruntée au journal L’Umanità en 1948.
En pleine Guerre froide, elle fut attribuée à Lénine lui-même, sans qu’on en retrouve trace dans ses écrits ou le compte-rendu de ses nombreux discours et propos politiques. A l’origine, l’expression « idiots utiles » servit à qualifier les sympathisants occidentaux du communisme soviétique, reprenant sans beaucoup de discernement les thèses officielles de Moscou à l’image – par exemple – d’Edouard Herriot, revenu d’Ukraine en 1933 et annonçant qu’il n’avait « vu que des gens bien nourris ».
Trop fort ce Christian Malard, et en rupture avec cette longue tradition de pied-nickelés, il invente, à lui tout seul, le concept « d’idiot inutile ». C’est-à-dire qu’il nous livre des propos du café du commerce sans rien apprendre, ni sur le fond, ni sur la forme des sujets qu’il aborde… Et puis tout de même… passer de France-3 à une chaîne de propagande du Likoud israélien : quel destin professionnel !
Dans tous les cas de figure, l’accord Irano-chinois ne constitue pas une surprise et illustre l’aboutissement logique de la politique étrangère américaine, faite d’interventions militaires unilatérales, de sanctions économiques et de menaces, comme celles de Mike Pompeo déclarant dernièrement « qu’il faut forcer la Chine à changer… ».
Et si on demandait à ce Monsieur et aux autres faucons de la Maison Blanche de commencer par changer de ton, afin d’être plus respectueux des réalités internationales, des pays et des peuples…
En attendant, bonne lecture et bon été.
Voir en ligne : https://prochetmoyen-orient.ch/acco...
[1] Le Figaro, 21 juillet.