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Gestion politique de la Covid-19 et exercice du pouvoir par les passions tristes (suite et fin) : Acceptation du statut d’esclaves ou réappropriation de la puissance d’agir ?

vendredi 3 septembre 2021 par Pierre Roche

Ce qui est sûr, c’est que la gestion politique de la Covid-19 ne constitue pas une parenthèse que l’on pourrait, un jour, refermer. Il n’y aura pas de retour à la vie normale, à la vie d’avant. Surtout que les confinements, couvre-feux, passes « sanitaires » et obligation vaccinale n’ont pas encore donné la pleine mesure de leurs effets économiques et sociaux. Beaucoup d’analystes estiment en effet que la récession mondiale consécutive à l’épidémie de la Covid-19 pourrait être pire que celle qui a suivi la « crise » financière de 2008.

Il est opportun de se souvenir de ce que Karl Marx déclarait à propos de la loi de l’accumulation du capital : « [Elle] établit une corrélation entre l’accumulation du capital et l’accumulation de la misère, de telle sorte qu’accumulation de la richesse à un pôle, c’est égale accumulation de pauvreté, de souffrance, d’ignorance, d’abrutissement, de dégradation morale, d’esclavage au pôle opposé, du côté de la classe qui produit le capital même. » (MARX, Livre 1, T3, chapitre 25, p.88.)

Aujourd’hui, l’accumulation de la richesse à un pôle, celui de la grande bourgeoisie, elle-même dominée par une oligarchie financière et rentière (Les mastodontes du système bancaire, les sociétés d’assurance, les fonds d’investissement… [1]) signifie la paupérisation et la prolétarisation à l’autre pôle, celui de l’ensemble des classes laborieuses (« classes populaires » et « classes moyennes » pour reprendre les termes actuellement les plus usités).

Le « quoi qu’il en coûte », selon la formule reprise par le président de la République française à l’ancien président de la banque européenne, risque de coûter très cher à ces dernières classes sociales, notamment en raison du remboursement de la dette (réduction des dépenses publiques, augmentation des impôts et des taxes et, au-delà, mise en œuvre de réformes structurelles visant à casser ce qui reste du modèle social français né du Conseil national de la résistance.

Nous poserons ici l’hypothèse selon laquelle la gestion de la Covid-19 contribue fortement à accélérer ce processus de polarisation en organisant, sur le versant économique, le transfert de valeur d’un pôle à l’autre mais aussi en mettant en place, sur le versant politique et idéologique, un contrôle généralisé des populations afin de tenter de casser les résistances auxquelles un tel projet se heurterait.

Nous devons aussi garder à l’esprit les analyses que Spinoza développe dans le Traité politique (TP), dans lesquelles il relie ce type de gestion des passions tristes par l’État à la production de sujets assujettis, conduits comme du bétail, d’une multitude soumise dont le seul but est l’évitement de la mort : « Quelquefois aussi, il arrive qu’une nation conserve la paix à la faveur seulement de l’apathie des sujets, menés comme du bétail et inaptes à s’assimiler quelque rôle que ce soit, sinon celui d’esclaves. » (SPINOZA, TP, CH.5, § 4, p.950) ;
« (…) l’une (la masse libre) essaie de faire quelque chose de sa vie, l’autre (la masse conquise) se contente d’éviter la mort (…) » (SPINOZA, ibid., § 6, p.951).

Nous nous situons en France très précisément dans une telle séquence.
Les mots dont se servent les agents du pouvoir viennent étayer une telle proposition. Ainsi, le premier ministre Jean CASTEX, dans le journal Le Monde, peu avant une conférence préparant le 2ième dé-confinement, déclare que « ce n’est certainement pas le moment pour desserrer la bride des français ». [2]

Les actes aussi notamment lorsque des agents de contrôle affublent les voyageurs de la SNCF d’un bracelet bleu afin qu’ils puissent attester, à tout moment de leur déplacement, d’un passe « sanitaire » en règle. Enfin, le fait d’accorder aux personnes qui présente un passe « sanitaire » des « libertés » dont les autres sont privés comme celle, par exemple, de boire un café sur une terrasse en plein air ou de prendre un train pour partir en vacances, loin de répondre à un impératif sanitaire, s’inscrit essentiellement dans une logique de la récompense pour bonne conduite.

Une logique qui devient plus explicite encore lorsque des enseignes réalisent des offres ou des réductions de prix sur certains de leurs produits ou services (séances de cinéma) aux personnes vaccinées. [3] Or « C’est aux esclaves, non aux hommes libres, que l’on fait un cadeau pour les récompenser de s’être bien conduits. » (SPINOZA, [1670]-1992, TP, ch.10, § 8, p. 1039). [4]

S’il est une peur bonne conseillère, guidée par la raison, c’est bien la peur de la consternation parce que cette dernière, en affolant ou en immobilisant les hommes, en inhibant nombre de leurs résistances, constitue son pire destin ; elle les dispose à suivre ceux qui savent le mieux utiliser leurs passions tristes afin de les dominer ; à être violables pour reprendre le terme utilisé par Serge TCHAKHOTINE ([1939]-1952) dans un ouvrage qui analyse la montée du nazisme en Allemagne ;
À se soulager en dirigeant leur haine vers ceux qui seront désignés comme coupables, bref, à adhérer à un système dominant de plus en plus totalitaire, exactement comme certains animaux, une fois hypnotisés, se jettent dans la gueule du reptile.

Bernanos nous disait que les horreurs n’adviennent que lorsque le nombre de ceux qui « ne cherchent pas à comprendre » grandit avec une rapidité stupéfiante. [5]

Il nous faut donc « chercher à comprendre ».

Mais nous avons aussi appris, à l’école de Spinoza, que c’est moins la production des connaissances sur un phénomène que la dynamique affective qui la traverse, que son orientation tournée vers son pôle joyeux qui importe si l’on vise la prévention de l’horreur et, au-delà, une réappropriation de la puissance d’agir par le plus grand nombre, voire la constitution d’une puissance d’agir collective, [6] de ce que, précisément, nous nommons la santé collective. [7].

Un collectif comme Réinfocovids’inscrit, selon nous, dans une telle démarche.
Si l’on veut faire reculer les passions tristes, il faut dépassionner certains affects en s’autorisant une parole et surtout en la transformant en savoir. « Une affection qui est une passion, cesse d’être une passion, sitôt que nous en formons une idée claire et distincte. » (Spinoza, E, T2, 5, III, p.175). [8] Le fait, par exemple, de mettre des mots sur la peur de l’épidémie de la Covid-19 et d’analyser son processus de production, de s’atteler patiemment à cela avec d’autres, permet de l’atténuer, de la transformer en simple crainte, voire en attention prudente.

Si l’on veut faire reculer les passions tristes, il faut travailler à ce que l’espoir soit plus fort que la crainte, que les hommes ne se contentent plus d’éviter la mort mais cultivent la vie, transformer son contenu même afin qu’il ne soit pas rivé au seul vaccin, fût-il non expérimental, mais aussi, dans le même temps, dépendre un peu moins de ce dernier affect qui, même s’il est préférable à la crainte, traîne toujours dans son sillage quelque tristesse :
« Plus donc nous nous efforçons de vivre sous la conduite de la Raison, plus nous faisons effort pour nous rendre moins dépendants de l’Espoir, nous affranchir de la Crainte, commander à la fortune autant que possible, et diriger nos actions suivant le conseil certain de la Raison » (SPINOZA, E, 4, proposition XLVII, scolie, p.97. ) [9]

Si l’on veut faire reculer les passions tristes, il faut prendre appui sur la résistance (LHUILIER, ROCHE, 2009 ; ROCHE, 2017) ; être porté par ses affects et notamment par l’indignation, cette colère que l’on éprouve lorsqu’une injustice est commise contre un tiers, lèse celui-ci dans son intégrité. Parce que l’indignation est un convecteur d’énergie.
Elle est encore triste et réactive parce que liée à la haine de celui qui commet l’injustice mais déjà joyeuse et active, voire inventive parce permettant d’exprimer de la bienveillance vis-à-vis de celui qui est victime d’injustice. Reposant sur l’identification à autrui, elle est partageable. Elle permet, à terme, d’être moins en colère contre quelqu’un que révolté par le fait qu’une telle injustice soit possible dans un système politique donné. Elle n’existe guère, enfin, sans son envers.

Il n’y a pas d’indignation contre l’injustice sans enthousiasme pour la justice.

C’est finalement cette façon de se travailler (SARTRE, [1957]-1980, p.20.), en faisant l’expérience de la puissance du penser et de l’agir ensemble, en éprouvant la joie d’ouvrir de nouvelles pistes là où il n’y avait a priori que des impasses et surtout en inventant de nouveaux modes d’existence qui peut permettre aux hommes d’atteindre une immunité psychique contre les toxines autoritaires, d’être plutôt résistants à l’emprise du pouvoir que violables, pour reprendre le vocabulaire de TCHAKHOTINE, et de préparer des soulèvements fondateurs d’une manière d‘être ensemble subjectivante, émancipatrice.


[1Le fond d’investissement BlackRock gère près de 7 000 milliards de dollars d’actifs, beaucoup plus que le PIB de la France (2354 milliards en 2019). Il possède des participations significatives dans des géants tels que Total, Valeo, Vinci, Apple… La puissance financière de Vanguard group est de même niveau puisque que ce dernier a annoncé le 31 janvier 2021 gérer pour plus de 7 200 milliards de dollars d’actifs. Ces deux fonds d’investissement sont aussi fortement présents dans l’industrie pharmaceutique et les médias.

[2Publié dans Le Monde, le 12 novembre 2020.

[3On pourrait aussi évoquer le cas limite de la proposition d’un vice-président d’un tribunal en charge de l’application des peines d’une réduction de deux mois de prison pour les personnes incarcérées qui accepteraient la vaccination.

[4C’est donc moins la punition pour les non-vaccinés que la récompense pour les vaccinés qui transforme les hommes en esclaves.

[5« (…) si notre espèce finit par disparaître un jour de cette planète, grâce à l’efficacité croissante des techniques de destruction, ce n’est pas la cruauté qui sera responsable de notre extinction et moins encore, bien entendu, l’indignation qu’elle inspire, les représailles et les vengeances qu’elle suscite ; ni la cruauté, ni la vengeance, mais bien plutôt la docilité, l’irresponsabilité de l’homme moderne, son abjecte complaisance à toute volonté du collectif. Les horreurs que nous venons de voir, et celles pires que nous verrons bientôt, ne sont nullement le signe que le nombre des révoltés, des insoumis, des indomptables, augmente dans le monde, mais bien plutôt que croît sans cesse, avec une rapidité stupéfiante, le nombre des obéissants, des dociles, des hommes qui, selon l’expression fameuse de l’avant-dernière guerre, ‘ne cherchaient pas à comprendre’. » (BERNANOS, 1947, p.216-217)

[6Nous avons assez longuement étayé cette proposition essentielle en promouvant un cadre qui crée les conditions d’une co-production des savoirs et prend en compte la dimension affective (ROCHE, 2016).

[7Nous avons proposé les concepts de normativité (CANGUILHEM), de grande santé (NIETZSCHE) et de persévérance en son être (SPINOZA) pour définir la santé. Des concepts qui ont en commun le fait de l’aborder en tant que processus et de la situer du côté de la puissance d’agir. (ROCHE, 2014)

[8Le terme affect aurait eu la préférence du traducteur Charles Appuhn s’il eût existé dans le vocabulaire. Aujourd’hui, ce terme s’est imposé dans la plupart des traductions.

[9Ces propos font écho à ceux que SENEQUE tenait dans une lettre à Lucilius. Pour ce dernier : « C’est à la prudence à discerner, au courage à rejeter les craintes même les plus fondées : du moins pouvez-vous corriger un vice par un autre, la crainte par l’espoir. Ce que vous redoutez est certain ; il est plus certain encore que souvent l’homme est abusé par la crainte et l’espérance. » (SENEQUE, 1778, T.1, pp.56-57).

   

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