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Retailleau et l’immigration …tout court
jeudi 13 février 2025 par Philippe Arnaud, AMD Tours

Je voudrais, ci-après, faire une remarque de vocabulaire. J’ai écouté au journal de France 2 de 13 h de ce jour l’annonce que Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, voulait lutter contre "l’immigration illégale" ou "irrégulière". En quoi y a-t-il lieu de questionner ces termes ?
. Parce que les adjectifs "illégale" ou "irrégulière" ne sont là que pour atténuer, pour camoufler la brutalité de l’affirmation première. A savoir que ce qui est premier, dans l’esprit de Retailleau (et dans celui de Wauquiez et de toute la droite), ce n’est pas seulement l’immigration "illégale" ou "irrégulière", c’est l’immigration tout court ! D’ailleurs, Retailleau l’avoue indirectement dans une autre interview : "Si on veut diminuer cette immigration, notamment illégale..." L’adverbe "notamment" signifie, dans l’esprit du locuteur, que l’immigration illégale n’est que "peanuts" par rapport à l’immigration en général...
2. Parce que le mot "immigration" lui-même cache lui aussi autre chose. Car un Américain qui s’installe à Paris, c’est de l’immigration. Un Suédois, un Finlandais, un Luxembourgeois, un Britannique, un Japonais... qui s’installent en Provence, en Auvergne ou en Alsace, c’est toujours de l’immigration. En réalité, dans la tête de Retailleau ou de Wauquiez, "immigrant" ne signifie pas étranger (comme Américain, Suédois, Finlandais...), immigrant signifie Arabe, Noir, Africain, Kurde, Syrien, mais aussi musulman, mais surtout, pauvre et "basané"... Immigrant et immigration camouflent la réalité crue d’une idéologie de mépris raciste et social.
Autre chose.
Les émotions - ou les indignations - des médias et politiciens de droite suite à l’attaque palestinienne du 7 octobre 2023 contre Israël, reproduisent, dans une situation homologue, les indignations de cette même droite suite aux fusillades ordonnées par la Commune de Paris, en 1871, contre des personnalités représentant l’ennemi de classe : deux généraux (Clément-Thomas et Lecomte), un président de la Cour de Cassation (Louis-Bernard Bonjean), mais surtout l’archevêque de Paris (Darboy) et dix prêtres.
Pour la bourgeoisie française du second Empire, pétrie de morgue de classe et confite en dévotion, s’en prendre à des notables (généraux, magistrats, archevêque, prêtres...) c’était attenter à l’ordre social, c’était commettre un crime de lèse-hiérarchie.
En plus, l’exécution d’ecclésiastiques heurtait de front une idéologie dans laquelle, tout au long du XIXe siècle, l’Église, après le choc de la Révolution, avait repris du poil de la bête et développé, propagé et entretenu un état d’esprit contre-révolutionnaire. Il y avait eu les très réactionnaires pontifes Grégoire XVI et Pie IX, le Syllabus (catalogue de toutes les "erreurs" modernes) de ce même Pie IX, en 1864, le concile Vatican I (1870), qui avait proclamé l’infaillibilité pontificale. Il y avait eu la restauration des jésuites (en 1814), des bénédictins en 1837), des dominicains (en 1839), les apparitions mariales de La Salette (1846), Lourdes (1858), Pontmain (1871), etc.
Bref, l’atmosphère des bourgeois de l’époque baignait dans l’eau bénite.
C’est pourquoi, dans les livres d’histoire des années 1950, on faisait encore grand cas des fusillades de Mgr Darboy et des généraux Clément-Thomas et Lecomte, de la destruction de la colonne Vendôme, de l’incendie des Tuileries, etc. Ce n’est que des années après que j’ai pris connaissance de la répression de la Semaine sanglante perpétrée par les Versaillais, des milliers, voire des dizaines de milliers de Communards fusillés. Et en 2020, 150 ans après la Commune, la haine de la droite parisienne contre les Communards était toujours aussi vivace...
Eh bien, on voit jouer à droite, depuis le 7 octobre 2023, le même mécanisme psychologique. Ce qui tient lieu d’équivalent de la haine de classe des bourgeois de 1871, de leur révérence pour la bondieuserie et le cléricalisme, c’est, depuis 2023, l’instrumentalisation d’un philosémitisme frelaté, le soutien ostentatoire à l’État d’Israël n’étant que le revers d’une haine des Arabes, d’une rancune tenace de la guerre d’Algérie, et d’un mépris social envers un peuple pauvre et déraciné.
Mais ce qui lie 1871 et 2025, c’est la même disproportion des pertes entre les deux camps.
Photo : Rue de Paris en Mai 1871.Tableau de Maximilien Luce (1858-1941) au Musée d’Orsay.