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Comment l’écologie a perdu la guerre de l’information
vendredi 6 septembre 2024 par Marc Laimé
En un demi-siècle, la dynamique progressiste qui a mobilisé des générations d’amoureux de la nature, broyée par l’ultra-libéralisme autoritaire, a mué en épouvantail de toutes les régressions réactionnaires.
À l’orée des années 1960, on n’en parle pas encore. La nature c’est la pêche pendant les vacances, les nichoirs pour les oiseaux, les herbiers en classe de sciences naturelles. Des naturalistes formés par les réseaux d’éducation populaire vont créer les premiers groupes, dotés de bulletins ronéotypés, au sein d’une mouvance qui verra émerger La Vie Claire, Anper-Tos, la Sepanso et les centaines d’associations locales qui se fédéreront ensuite au sein de France nature environnement ou de la Ligue protectrice des oiseaux (LPO).
À la maison on lit aussi Rustica, Nature et progrès ou Le Chasseur français. À la fin des années 1970, les parents amoureux de le nature abonnent leurs enfants, puis leurs petits enfants, à La Hulotte, qui vient de fêter ses cinquante ans. La presse écrite domine le paysage de l’information, même si les documentaires animaliers font leur trou à la télévision, que l’on regarde encore en famille.
Presse nationale, spécialisée, quotidiens locaux donnent le « la ». Quelques grandes plumes se passionnent déjà pour l’environnement, à l’instar de Marc-Ambroise Rendu dans Le Monde, qui se battra trente-cinq ans durant, avec succès, pour la « réouverture » de la Bièvre à Paris [1].
La « grande presse » a encore les moyens de former des « rubricards » qui deviennent des spécialistes reconnus d’un sujet, parfois durant toute leur carrière, écrivant des livres, animant des débats, à mesure que la question de l’environnement investit le champ politique, comme en atteste le premier « ministère de l’impossible », confié par George Pompidou à Robert Poujade en 1971.
La défense de la nature ce sont alors le commandant Cousteau, Alain Bombard, Haroun Tazieff [2].
L’après mai-68 verra décoller la question environnementale. En 1962, le Printemps silencieux de Rachel Carson, puis le rapport Meadows, appuient en France les pensées d’André Gorz (Michel Bosquet dans les colonnes du Nouvel Obs...), de Jacques Ellul, Bernard Charbonneau, Ivan Illich…
La revue Survivre et vivre, soutenue par le génial mathématicien Alexandre Grothendieck compte alors 30 000 abonnés ! Viendront le Larzac et le retour à la terre, les communautés et la traduction en français sous le titre de Catalogue des ressources du Whole earth catalog américain, à partir de 1974.
Cette même année, l’agronome René Dumont se présente à la présidentielle.
La Gueule ouverte, le Sauvage, les militants du Parti socialiste unifié (PSU) amplifient le mouvement.
Au début des années 1980 la mobilisation du « combat Loire » sonne le glas des grands aménagements hydrauliques, préfigurant la lutte contre les mégabassines. C’est aussi l’ère des grandes catastrophes : l’agent orange au Vietnam, Minimata au Japon, les marées noires, Three Miles Island…
Les années 1980, Reagan, Thatcher et son « There is no alternative », l’envol du néolibéralisme, avant la révolution numérique dix ans plus tard, auront des conséquences majeures sur le secteur de l’information. Déjà l’image s’impose face à l’écrit. Fusions, concentrations, l’information devient une industrie comme une autre. C’est aussi l’avènement de la « com’ » qui imprègne la conversation publique.
Les années 1990-2000 voient ensuite émerger toute la complexité des sciences du climat et de la biodiversité. Il faut donc du temps, des moyens, des formations adaptées à la compréhension de cette complexité. Dans la même période, le journalisme devient un précariat multitâches auquel le public fait de moins en moins confiance.
Entrant en politique dans le courant des années 1980, une fraction du mouvement écologiste donne naissance à des générations de nouveaux apparatchiks verts, idiots utiles du « parti socialiste de gouvernement ». Faute de pouvoir s’opposer au mouvement général de destruction productiviste, ils s’abimeront en réformettes sociétales aussi ineptes que risibles.
Un demi-siècle après ses balbutiements, l’écologie est passée dans la lessiveuse ultra-libérale.
Un demi-siècle après ses balbutiements, l’écologie est passée dans la lessiveuse ultra-libérale. Nicolas Hulot, le pilote d’hélicoptère d’« Ushuaïa » devient ministre. Le « greenwashing » est devenu un secteur économique à part entière. Tout est vert, les centrales nucléaires, le charbon, le ciment, les autoroutes, les voitures, les lessives, les couches-culottes…
Les steaks sont « veggie », le vélo ultratendance… enfin dans les métropoles.
À mesure que la « génération climat » arrive aux manettes, les nouvelles technologies de gouvernance politique multiplient les promesses fallacieuses, financées par des taxes en tout genre, qui épargnent le capital mais massacrent les plus pauvres.
Résultat : les « Gilets jaunes ».
Et alors que la question environnementale gagne les faveurs de l’opinion publique, les tenants du vieux monde, promoteurs forcenés du technosolutionnisme forgent le concept d’« écologie punitive » qui fait florès.
Les manifestations pour la défense de l’environnement sont criminalisées, assimilées à du terrorisme.
Les mots perdent leur sens, l’image et la « com’ » règnent en maîtres, peu importe leur véracité, personne n’est là pour les vérifier. Aujourd’hui, en France le nombre de communicants a dépassé celui des journalistes. Des sites spécialisés inondent les medias de communiqués de presse clés en main et d’offres d’interviews exclusives de dirigeants de start-ups « inclusives, innovantes et biosourcées ».
La presse écrite est en état de mort clinique. Il ne reste plus que quelques dizaines de journalistes spécialisés dans les questions environnementales qui peuvent encore faire leur travail correctement (le service Planète au Monde, Mediapart, Localtis, Actu-environnement…) La presse spécialisée agonise.
Il y a dix ans La Gazette des communes, fleuron du groupe Le Moniteur, publiait des dossiers de quinze pages dédiés à des sujets environnementaux. Après son rachat par le groupe Infopro, elle survit en bâtonnant des communiqués de presse qui ne dérangent aucunement ses annonceurs.
Les réseaux sociaux et les stories sur Instagram nous tiennent lieu d’agora. À la télévision, des clowns arrivistes, à l’image de Camille Etienne ou Cyril Dion, tiennent le haut du pavé et monnaient leur notoriété en faisant des « ménages », rémunérés 5000 à 10 000 euros pour des entreprises ou le MEDEF.
Sous Emmanuel Macron, avec Gérald Darmanin, parfum Marcellin post mai-68, les défenseurs de l’environnement deviennent le nouvel ennemi de l’intérieur.
Demeurent quelques mouvements épars, une poignée de revues et de sites internet.
Pour l’écologie, voici venu le temps des catacombes.
Voir en ligne : https://blog.mondediplo.net/comment...
[1] La rivière, affluent de la Seine, avait été totalement recouverte au début des années 1950.
[2] Respectivement explorateur océanographique, biologiste et volcanologue.