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Chili : À propos des dernières élections (Par un camarade chilien proche de l’ANC)
jeudi 20 mai 2021 par Abrahan R.
Les analyses de la situation chilienne actuelle qui abondent dans les journaux se limitent à affirmer que la droite et la gauche dite « traditionnelle » (l’ancienne Concertation des Partis pour la Démocratie, qui, depuis le retour de ladite démocratie, forme un arc allant des démocrates chrétiens aux socialistes et dont les membres, plutôt que d’abandonner leur esprit réformiste, ont simplement suivi la mode et changé d’habits) ont perdu les élections au Chili. Or, notre parti pris est différent : pour notre part, nous affirmons que c’est le peuple qui les a gagnées.
Par « peuple », nous n’entendons pas l’usage galvaudé qui en est souvent fait, à savoir celui d’une entité abstraite et idéalisée. Ce dont nous parlons ici est au contraire très concret : il s’agit d’appeler ainsi les hommes et les femmes qui, depuis ce mémorable 18 octobre 2019, ont sauté par-dessus les tourniquets du métro, combattu dans les rues et organisé des « cabildos », des cantines populaires et des manifestations.
Ce faisant, ils ont rendu la parole à un ensemble d’individus jusqu’à présent totalement invisibilisés.
Or, c’est précisément pour avoir rendu sa voix à la multitude que des centaines d’entre eux ont été mutilés, emprisonnés, terrorisés et humiliés.
Car, n’oublions pas que l’objectif de la répression est toujours le même : maintenir la majorité de la population dans le silence, la résignation et l’acception du système politique et économique existant puisque c’est de cette entreprise d’abrutissement et de destruction de la pensée que dépend la domination de cette minorité qui nous gouverne et décide à notre place, au nom d’une supposée supériorité intellectuelle.
Par conséquent, ce qui importe aujourd’hui n’est pas de savoir combien de membres de ce peuple insurgé qui a arraché à la classe politique un début de processus constituant sont allés voter, ni de savoir combien d’entre eux ont voulu écarter les partis traditionnels en choisissant leurs représentants à cette nouvelle instance délibérative appelée « Convention Constitutionnelle ».
Ce qui est important, c’est la réapparition de la lutte comme manifestation vivante de l’irréductibilité absolue de la nature humaine.
Or, cela, il faut l’occulter.
C’est pourquoi, ceux qui analysent actuellement la situation chilienne préfèrent concentrer leur attention sur l’ouverture d’un nouveau cycle politique marqué par le spectre de la crise et de l’instabilité politique plutôt que sur un phénomène inédit depuis le gouvernement de l’Unité Populaire, à savoir une formidable "repolitisation" de la société et un énorme travail de réorganisation des luttes réalisé par les insurgés du 18 octobre.
En d’autres termes, si le paysage politique est transformé au Chili, c’est parce que le peuple a retrouvé le désir de décider par lui-même de la manière dont doit être organisée et forgée sa réalité matérielle et concrète et non parce que les partis traditionnels et leurs sempiternels affrontements gauche/droite se sont effondrés (affrontements qui, soit dit en passant, dans ces contrées comme dans tant d’autres, ne sert qu’à occulter la collaboration de classe entre les deux camps).
Ce qu’ont montré les dernières élections au Chili est que la tradition politique héritée de la dictature et de la post-dictature a été définitivement vaincue. Un nouvel ethos politique, toujours plus réfractaire à des orientations politiques imposées par en haut et exigeant de prendre part à la construction d’un nouvel ordre politique et économique, est né.
La classe politique n’est plus considérée désormais que comme la représentante du souverain, chargé de mettre en œuvre ce que celui-ci lui aura dicté. Cette transformation irréversible marque une nouvelle ère pour le peuple chilien.
Définitivement sorti de l’enfance et de la tutelle de la classe dominante, il entre désormais dans l’âge adulte et dans l’autodétermination.
Pour autant, le plus difficile reste à venir. Il incombe désormais à ce nouveau peuple de veiller à ce que cette majorité constituante étrangère à l’arc traditionnel social-démocratie/extrême-droite pinochétiste ne négocie pas ce que, par la lutte, la résistance à la répression et la mort, lui seul est parvenu à gagner.
Traduction : V.Labique