ANC - URC

Forum Communiste pour favoriser le débat. Depuis le 3 novembre l’ANC est devenue URC qui aura bientôt son site en lien avec celui-ci

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Voir aussi > Mayotte. « Les bâches, on les attend toujours »

Mayotte. « Les bâches, on les attend toujours »

vendredi 24 janvier 2025 par Mathile Hangard

Un mois après le passage du cyclone Chido et malgré les promesses d’Emmanuel Macron et de son Premier ministre François Bayrou, inquiétude et incompréhension dominent dans l’archipel : face à une aide qui se fait attendre, les habitants sont incités à reconstruire dans l’urgence, tandis que l’État promet de reprendre la destruction des bidonvilles... Avec un objectif : reprendre la chasse aux « étrangers »...

Mayotte, Mamoudzou. Depuis le passage du cyclone Chido le 14 décembre 2024, le caillou brûlant mahorais n’est plus que du papier mâché. Alors que les habitants reconstruisent progressivement leurs habitations dans une chaleur suffocante, l’État a annoncé le redémarrage des opérations de « décasage » qui visent à détruire les bidonvilles de l’île pour en expulser les Comoriens en situation irrégulière sur le territoire.

Les vents de Chido ont soufflé jusqu’à 250 km/h sur le 101e département français. La rapidité du cyclone et sa taille relative font dire à certains architectes qu’il s’agissait plutôt d’un « cyclo-tornade de type nouveau, inconnu jusqu’alors » [1]. La moitié des habitations de l’île, construites en tôle et en matériaux de récupération, n’a pas résisté. Leurs débris sont devenus des projectiles, balayant de la carte plusieurs quartiers. Les bruits typiques de la vie quotidienne ont disparu, comme si tout avait été englouti.

Les jours suivants, dans cet amas de décombres, quelques rares coups de marteau se font entendre. Sous des trombes d’eau et un ciel orageux, l’arrivée d’Emmanuel Macron, le 19 décembre, inaugure une série de visites politiques à la rencontre des sinistrés. Rapidement, le chef de l’État insiste sur l’impératif de reconstruire. « On a su le faire pour organiser des Jeux olympiques, pour rebâtir Notre-Dame de Paris, et donc on le fera pour rebâtir Mayotte », jure-t-il aux élus lors d’un déplacement à Cavani, un quartier de Mamoudzou.
Un emballement présidentiel auquel rétorque, sceptique, Kira Bacar Adacolo, le président de l’Union pour la sécurité de Mayotte : « Pour l’instant, l’État s’est engagé à hauteur de 600 000 euros pour reconstruire Mayotte. C’est franchement dérisoire. On ne nous prend pas au sérieux. Notre-Dame de Paris ! Et puis quoi encore ! Notre-Demoiselle de Fatima ? »

« J’AI PEUR QUE LA POLICE REVIENNE »

Mais à Mtsapéré, un quartier de Mamoudzou, le chef-lieu du département, les rêves de Hassan [2], un Comorien de 22 ans, sont loin de ces projets politiques grandiloquents. Le jeune homme vivait dans le bidonville de Mavadzani, à Koungou (au nord de Mamoudzou), avant son démantèlement par les autorités le 2 décembre 2024. Avant le passage du cyclone, il se cachait avec un ami dans le quartier de Mandzarsoa (dans le sud de Mamoudzou). Leur case en tôle a été balayée. « J’ai été chercher du bois et de la tôle. On a réparé, car il y avait l’eau qui rentrait partout. C’est difficile. Les gens qui recherchent les blessés sont venus. J’ai peur que la police revienne pour nous emmener loin d’ici », confie-t-il, à l’affut de la moindre sirène d’alarme.

Insidieusement, une machine politique à double tranchant se met en marche : « Il y a l’urgence qu’on est en train de faire et il y a rebâtir Mayotte, pour répondre aux défis que l’on connaît et que l’on traîne depuis des années : l’immigration clandestine, des habitats indignes », déclare le chef de l’État, encourageant la population à rebâtir les logements tout en déclarant vouloir mettre fin aux bidonvilles. « L’urgence absolue, c’est de réparer les maisons et les habitats. Plusieurs tonnes de bâches et de tôles vont arriver. Est-ce qu’aujourd’hui on peut régler la question des bidonvilles ? La réponse est non. »

Mais, poursuit le président, une fois l’urgence passée, « la prochaine priorité [sera] qu’on puisse reprendre le programme de destruction de ces bidonvilles ». Sans ces nouveaux « décasages », assure-t-il, « on ne pourra jamais reconstruire Mayotte ».

DES ANNONCES SANS LENDEMAIN

Le plan « Mayotte Debout » présenté quelques jours plus tard par le Premier ministre, François Bayrou, l’expose comme tel. Dans ce programme de reconstruction, le gouvernement annonce la mise à disposition de centaines de tonnes de bâches, de charpentes métalliques, de tôles bac acier ainsi que des « ateliers bricolage » pour accompagner la population dans les travaux.

Mais en même temps, le Premier ministre laisse entendre que le gouvernement pourrait « interdire les bidonvilles » en intervenant directement sur les habitations informelles peu à peu reconstruites. Une mesure justifiée au nom de la « dangerosité » des habitations et du respect de la dignité humaine. « Le cyclone nous a rappelé qu’on fait courir un risque aux gens qu’on laisse dans ces situations. C’est pas vrai que c’est humain de laisser les gens dans les bidonvilles. Ce qui est humain et juste, c’est d’accueillir les gens qui sont en situation d’asile, que l’on doit protéger, et de reconduire les gens qui n’ont pas le droit d’être ici, car sinon on ne pourra jamais reconstruire Mayotte », martèle le président français à l’issue de sa visite.

« Les bâches, on les attend toujours, comme l’eau, comme l’électricité ! » s’exclame une habitante de Combani (centre de Mayotte), excédée par les annonces sans lendemain. Fatima vivait à M’Gombani, un quartier de Mamoudzou, avant le passage du cyclone. De sa maison en tôle, il ne reste rien. « Tout s’est envolé », déplore-t-elle avec émotion.

SOLIDARITÉ ENTRE COMORIENS

Dans la nuit du 14 au 15 décembre, lorsque la tempête s’est calmée, cette mère de famille a marché pendant près de six kilomètres avec ses cinq enfants pour rejoindre sa sœur à Tsoundzou (au sud de Mamoudzou), dans une maison en dur. « Ici, on est mieux, mais les enfants disent qu’ils veulent retourner là-bas, car ils n’aiment pas vivre ici. » Alors que son permis de séjour a expiré, Fatima est toujours dans l’attente d’un nouveau titre de séjour valable et craint d’être renvoyée aux Comores en cas d’arrestation par la police aux frontières. « J’ai peur de sortir de chez moi et de ne plus revoir mes enfants. »

Lorsqu’elle est arrivée à Mayotte, Fatima s’est installée à M’Gombani car « il y avait beaucoup de Comoriens ». Pour elle, ce quartier est un repère où les habitants sont solidaires. « Je sais qu’il y a des Comoriens qui ont trouvé un travail en venant ici. Si tu as besoin d’aide, on peut t’aider. »

Si les relations géopolitiques entre le reste de l’archipel des Comores et l’île de Mayotte sont tendues, c’est parce qu’elles sont le reflet de plusieurs peuples imbriqués à l’histoire jumelle. En 1886, Anjouan, Grande Comore, Mohéli et Mayotte, sous protectorat français, composaient la colonie française appelée « Mayotte et dépendances ». En 1974, Mayotte s’est détachée de l’archipel mais elle reste l’un des fruits de ce mélange ethnique et social.

Déjà, avant le passage de Chido, l’immigration était présentée à Mayotte comme la cause de tous les maux, éclipsant les vrais besoins structurels de l’île. L’amalgame entre immigration, insécurité et délinquance fait croire qu’une politique policière réglerait les tensions. Pourtant, les opérations « Wuambushu » [3] en 2023, rebaptisées « Place nette » au début de l’année 2024, ont fait exploser la délinquance.

LES EXPULSIONS FONT FLAMBER L’INSÉCURITÉ

« Avec “Wuambushu”, c’est pire qu’avant. Les familles sont éclatées, les jeunes ne voient plus leurs parents ramenés aux Comores. Après, ils intègrent des bandes et ils font des caillassages », explique Sarah, une enseignante, dont certains élèves sont dans cette situation. « J’ai des élèves qui vivaient avec une tante, un oncle ou une sœur de leurs parents. Souvent, ils sont fragiles ; ils ne mangent pas à leur faim ; à l’école, ils sont sages, mais dehors, c’est la survie. » Il n’est pas rare qu’avant l’annonce d’une opération de « décasage », les actes de délinquance se multiplient, que des bandes rivales s’affrontent et agressent d’autres habitants.

La loi Elan, dérogatoire à Mayotte et en Guyane, permet au préfet d’expulser sans décision de justice les personnes occupant des habitats qualifiés de « précaires », mais l’autorité préfectorale doit transmettre « une proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant ». Cette obligation légale n’est toutefois pas respectée par les autorités du département, faute de relogements disponibles en quantité suffisante.
De plus, seuls les nationaux, les étrangers titulaires d’un titre de séjour ou les personnes en attente d’une réponse sur leur statut peuvent prétendre à ces solutions d’hébergement. Dans les quartiers d’habitations précaires, où une grande partie de la population est en situation irrégulière, il n’existe aucune protection. Leurs habitants jouent pourtant un rôle clé dans le tissu économique du territoire, où près des deux tiers des entreprises marchandes de l’île sont informelles.

Si François Bayrou admet que la lutte contre les bidonvilles ne se fera pas facilement – « Il faut trouver des centres d’accueil, ça ne se fait pas en claquant des doigts » – la destruction d’habitations précaires pour reconstruire certains quartiers de l’île a des conséquences profondes. Souvent réduits à des lieux de passage sans fin, les bidonvilles portent la trace d’un ancrage progressif de centaines de familles depuis plusieurs générations. « Je vis là avec ma famille depuis quinze ans. Il y a ma mère, mes enfants, mon frère, mes neveux. S’ils [les policiers] viennent, on ne sait pas où on ira », explique une habitante de Koungou. En s’apprêtant à poursuivre la destruction des bidonvilles de Mayotte, sans se préoccuper de l’intégration des populations et notamment des plus jeunes, l’État risque de déchaîner la violence qu’il dit vouloir combattre, et d’entraîner dans sa chute un département désagrégé socialement et économiquement.

Photo : Bidonville de Tsoundzou vu du ciel, une semaine après le passage du cyclone. Certains habitats sont reconstruits avec de la tôle et protégés par des bâches bleues. Mathilde Hangard


Voir en ligne : https://afriquexxi.info/Mayotte-Les...


[1« Premières évaluations et analyse typologique des dommages du cyclone Chido sur l’habitat. Mise en place d’un état major opérationnel », rapport de Attila Cheyssial, architecte et docteur en sociologie, 28 décembre 2024.

[2le prénom a été modifié à sa demande.

[3En shimaoré, ce terme veut dire « repris ». Il désigne l’opération policière française déployée à Mayotte depuis le 23 avril 2024 pour expulser les étrangers en situation irrégulière.

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?