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À propos de “l’offensive ukrainienne” quelques points que l’on ne doit pas perdre de vue…
jeudi 15 août 2024 par Franck Marsal
1. Toute guerre est difficile et rien n’est jamais gagné jusqu’au terme final. C’est une bataille de volonté, poussée jusqu’à son terme ultime. Tout relâchement peut susciter un renversement du conflit.
2. La Russie peut paraître l’acteur “fort” face à l’Ukraine, mais l’Ukraine n’est qu’une marionnette entre les mains de l’OTAN, et, au moins sur le papier, en force militaire, la Russie face à l’OTAN est clairement dans la position du faible au fort, dans la position où la moindre erreur peut être fatale. Il faudrait l’entrée en guerre de la Chine aux côtés de la Russie pour équilibrer un tant soit peu le rapport de force face à l’OTAN. Cependant, la Chine reste très prudente, alors que l’OTAN franchit ligne rouge après ligne rouge, au point qu’il devient difficile de nier qu’il est déjà en grande partie engagé dans le conflit.
3. On ne peut donc pas considérer l’offensive de Soudzha (il est encore prématuré de parler d’offensive de Koursk à mon sens) comme une seule décision ukrainienne. Il faut nécessairement l’envisager comme un élément de la stratégie commune Ukraine / Otan. Ce sont des blindés de l’OTAN, des soldats ukrainiens accompagnés de conseillers et de mercenaires de l’OTAN, du renseignement OTAN, du financement OTAN. Une telle décision n’a pu être prise sans discussion avec les organes décisionnaires de l’OTAN et donc, les gouvernements des principaux pays de l’alliance.
Ce qui ne signifie pas qu’il existe un accord total et complet sur l’opération. Il est probable que, tant au niveau ukrainien, qu’au niveau OTAN, il y eut des voix discordantes. L’opération est très risquée, à un moment où l’armée ukrainienne est déjà en grande difficulté et où la question de l’ouverture de négociation a commencé à être posée, y compris par Zelenski lui-même, qui a envisagé un référendum pour autoriser à négocier la paix contre l’abandon des territoires.
4. Toute la stratégie de l’Ukraine est précisément l’élargissement du conflit. L’Ukraine sait qu’il est quasiment impossible pour elle de gagner seule face à la Russie. La prétention de Zelenski à fournir la main d’oeuvre (la chair à canon) pendant que l’OTAN fournissait les équipements a tourné court. Donc, pour ceux qui veulent encore continuer la guerre, l’objectif ne peut être que de provoquer l’engagement officiel et total de l’OTAN dans une guerre contre la Russie. Ce point de vue n’est pas uniquement ukrainien, il est partagé par un certain nombre de décideurs de l’OTAN, par divers gouvernements occidentaux qui ont poussé à accélérer l’engagement à chaque étape.
D’autres pays de l’OTAN sont en revanche neutres ou opposés à cette stratégie guerrière.
5. Le choix de Soudzha n’est pas anodin par rapport à ce débat. Le gazoduc qui passe par Soudzha pour alimenter l’UE n’est pas de la même importance pour tous les pays desservis. Certains bénéficient du gaz algérien, d’autres peuvent acheminer du gaz états-unien liquéfié par bateaux, d’autres enfin bénéficient du gaz russe via le pipeline “Turkish Stream”, comme la Bulgarie. Les plus en difficultés sont des pays les plus centraux, comme la Hongrie ou la Slovaquie, qui précisément, sont les pays de l’OTAN les plus opposés à l’escalade guerrière. Une pierre, deux coups.
6. La question qui se pose n’est donc pas “quel est l’objectif de l’Ukraine dans cette offensive”, mais “quel est l’objectif des va-t-en-guerre de l’OTAN et d’Ukraine dans cette offensive ?”.
Je pense qu’en posant la question ainsi, l’objectif devient clair : il s’agit d’abord de saboter toute perspective de négociation, de forcer à la poursuite de la guerre et à alimenter celle-ci. De ce point de vue, cette offensive est tout à fait comparable à l’assassinat d’Ismael Hanyeh par Israël en Iran, assassinat du négociateur pour détruire la négociation, élargissement de la guerre pour détruire les négociations.
7. Ce n’est pas non plus par hasard si cette offensive intervient après le retrait de Biden et le retour en force du Parti Démocrate en vue des élections de novembre. C’est une manière de dire “nous pouvons désormais gagner les élections et donc, nous allons pouvoir prolonger longtemps cette guerre, donc, nous choisissons de refuser les négociations et nous faisons monter les enchères”.
8. Attaquer le territoire russe signifie dans ces conditions que la Russie est attaquée par l’OTAN qui se cache encore (mais de moins en moins) derrière l’Ukraine. L’ensemble du territoire russe est donc directement menacé, ainsi que la Biélorussie, considérée – à tort à mon avis – comme un appendice de la Russie. L’Ukraine a pris pour mener cette attaque des troupes qui était jusque là chargée de la défense de la frontière entre l’Ukraine et la Biélorussie. Elle le fait après avoir signé des accords de défense avec la quasi-totalité des pays de l’OTAN, dont la Pologne.
Le message est donc : aujourd’hui, via l’Ukraine, nous pouvons attaquer la Russie à Soudzha, demain, si cela s’avère nécessaire, nous serons prêts à attaquer la Biélorussie, Kaliningrad ou n’importe quelle partie de la Russie via la Pologne, via la Lituanie … En attaquant Soudzha, l’Ukraine et l’OTAN ont fait monter les enchères de plusieurs crans. C’est une menace très sérieuse et une escalade très dangereuse vers une guerre totale, vers une guerre nucléaire.
9. La réponse de la Russie est frappante par son sang-froid. Elle est de circonscrire l’événement, d’en nier même la portée, de tenter de ne pas se détourner de sa stratégie fondamentale et de poursuivre son opération militaire spéciale dans le Donbass. On ne cède pas à la menace, on ne s’affole pas.
L’offensive est abordée sous l’angle de la technique et de l’organisation de l’armée : Poutine a nommé un responsable unique de l’opération dans l’oblast pour coordonner l’ensemble des actions en shuntant l’état-major. Les offensives en cours se poursuivent notamment en direction de Pokrovsk, d’Ougledar, de Konstantinovka.
Un large ensemble de mesures ont été prises, au titre d’une opération anti-terroriste, pour protéger les populations civiles des zones concernées. La réponse du joueur d’échecs au joueur de poker est donc “vous bluffez, si vous voulez faire monter les enchères, il faudra mettre davantage sur la table”. Et face au déchaînement de la propagande médiatique sur les réseaux sociaux, qui claironnent les victoires ukrainiennes par des selfies dans des villages peu défendus, la Russie a pris à nouveau une posture plutôt humble, faisant le point sur ses difficultés et alimentant quotidiennement le décompte des véhicules et matériels blindés ukrainiens détruits.
Cela ne doit pas nous tromper. Le danger d’une escalade majeure et d’une guerre générale est réel et ceux qui poussent à une telle issue sont aujourd’hui en position dirigeante dans l’OTAN.
L’opposition à la guerre reste bien faible dans nos pays et le camp de la paix ne parvient pas à s’organiser et à agir à une échelle visible.
Voir en ligne : https://histoireetsociete.com/2024/...