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Violence armée : la seconde Guerre civile américaine est-elle lancée ?

samedi 30 juillet 2022 par Blake Fleetwood

Je me souviens d’une chanson de Jacques Higelin où il chantait "Dans 20 ans, ici comme là-bas !" L’histoire s’est sans doute accélérée et le passage à la barbarie n’est plus du tout improbable, même chez nous où l’alliance objective du macronisme avec le RN est en train d’en ouvrir la porte. Ci-dessous un texte d’un auteur américain qui, s’il ne dénonce pas le capitalisme en tant que tel, n’en décrit pas moins les misères qu’il engendre, comme chez-nous. La violence armée n’est qu’un symptôme de la maladie en phase terminale de la démocratie américaine nous dit l’auteur, moi je pense que c’est le capitalisme mondialisé qui est en crise. (JP-ANC)
« Une guerre civile aujourd’hui ne ressemblera pas à l’Amérique des années 1860, à l’Espagne des années 1930 ou à la Russie des années 1920. Elle commencera par des actes sporadiques de violence et de terreur, accélérés par les médias sociaux. Elle nous prendra par surprise et nous amènera à nous demander comment nous avons pu être aussi aveugles. »

L’effrayante épidémie de violence par armes aux États-Unis est devenue une réalité banale. L’accès facile aux armes à feu est une menace que les politiciens nationaux n’ont pas été capables de vaincre autrement que par de simples paroles. Mais la violence armée n’est qu’un des symptômes inquiétants d’un effondrement social croissant qui menace directement notre système de capitalisme démocratique vieux de près de 250 ans.

Commençons par ceci : Il y a eu 260 fusillades de masse depuis le début de l’année, et l’année 2022 devrait atteindre un record historique. Les fusillades de masse — quatre victimes ou plus abattues en un seul incident — deviennent si fréquentes que nous y sommes devenus insensibles. Depuis les années 1980, leur nombre a été multiplié par 90, passant de 6 à 9 par an pour atteindre plus de 900 prévus en 2022. Et si les fusillades de masse se produisent partout dans le monde, les États-Unis sont tristement exceptionnels : avec seulement 5 % de la population mondiale, les États-Unis dénombrent 31 % des des auteurs de fusillades de masse. .

L’augmentation de la criminalité dans les grandes villes a conduit à la révocation du procureur de San Francisco, Chesa Boudin, lors des élections de juin, et d’autres révocations sont imminentes concernant une douzaine d’autres procureurs progressistes quant à la question des crimes violents. Les juges de la Cour suprême reçoivent des menaces de mort. Des milliers de partisans de Trump ont violemment pris d’assaut le Capitole le 6 janvier pour invalider les résultats de l’élection présidentielle, une première dans l’histoire des États-Unis.

Il est facile de faire le lien : la cupidité des oligarques américains au pouvoir a produit des inégalités massives au cours des dernières décennies. Cette élite dirigeante refuse que le gouvernement partage ne serait-ce qu’une petite partie des vastes richesses nouvellement créées avec la majorité des Américains – des gens qui se retrouvent exclus du rêve américain et plongés dans le cauchemar américain.

Ce n’est pas un hasard si cette multiplication par dix des fusillades de masse et autres désordres coïncident avec une stagnation salariale record pour la majorité des Américains sans diplôme universitaire. Ce groupe a perdu 13% de son pouvoir d’achat entre 1979 et 2017. Pourtant, le revenu national moyen par tête a augmenté de 85 %.

Salvador Ramos, le tueur d’Uvalde, travaillait pour 7,25 dollars au Wendy’s local. Il avait récemment abandonné le lycée. Il n’avait aucune chance d’aller à l’université. Il n’avait pas d’assurance maladie. Il n’avait ni espoir ni avenir. Le dernier tireur en date dans une école était tout à fait incapable de subvenir à ses besoins, sans parler de ceux de sa femme et de ses enfants. Il était pris au piège de la pauvreté, sans aucune échappatoire possible.

Selon les psychiatres, Ramos n’était pas psychotique. « Cela me rend fou quand j’entends des politiciens parler de santé mentale », a déclaré un ami, professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de Columbia. « Se focaliser sur la santé mentale est un leurre. Cela ne résoudra rien. Les psychotiques souffrent d’hallucinations et sont délirants. Ils ne sont pas en colère. Ramos ne faisait pas partie de ceux-là. C’était un solitaire, et de toute évidence un adolescent très en colère et désorienté, comme il y en a environ un million dans ce pays. »

Selon une étude portant sur 200 tireurs de masse, l’un de leurs traits communs est bien souvent constitué par une pulsion suicidaire qui se manifeste ouvertement, les amenant à blâmer les autres. Pensez au suicide par flic interposé.
Archives sur la violence par arme. Prévisions pour 2022

Le revenu médian des ménages à Uvalde, au Texas, est de 41 683 dollars (le revenu médian américain est de 64 997 dollars). Uvalde a un taux de pauvreté de 21%, alors que le taux de pauvreté américain est de moitié moins : 11%. Le coût médian de location d’un appartement est de 633 dollars par mois, et la valeur médiane des maisons est de 77 700 dollars.

On compte à Uvalde deux fois plus de gens qui n’ont pas d’assurance maladie – 21,9% – contre 10,2% dans le reste du pays, et seulement 17% ont un diplôme universitaire contre 40% en moyenne nationale.

L’année dernière, deux économistes de Princeton, Ann Case et son mari Angus Denton (lauréat du prix Nobel d’économie en 2020), ont publié un livre très remarqué « Morts de désespoir. L’avenir du capitalisme ». Ils ont fouillé les statistiques du CDC (Centre de contrôle des maladies et des épidémies) du service national de santé — pré-pandémie — et ont découvert que les hommes et les femmes blancs en âge de travailler, sans diplôme universitaire, mouraient de suicide, d’overdoses et de maladies du foie liées à l’alcool à un rythme tel, que pendant trois années consécutives, l’espérance de vie avait diminué pour la première fois en 100 ans. Les deux professeurs ont recensé 600 000 décès supplémentaires par rapport aux prévisions. Ils les ont appelés « les morts de désespoir ».

À partir de ces données économiques et sanitaires, les deux économistes de Princeton en ont conclu que quelque chose avait profondément mal tourné en ce qui concerne le capitalisme et le rêve américain.

Au cours des quatre dernières décennies, des hommes blancs de la classe moyenne se sont mis à perdre leurs emplois pérennes bien rémunérés et sont morts prématurément. Et la cause, selon Case et Denton, est directement liée à la perte de bien-être de la classe moyenne et à une inégalité croissante qui est en train de décimer les Américains.

Au cours des décennies comprises entre 1940 et 1980, l’Amérique a engendré la plus grande classe moyenne et la plus grande prospérité pour tous que le monde ait jamais connues. Le capitalisme et la démocratie ont prospéré sous l’influence de cette classe en pleine expansion. Le rêve américain était né. On était dans un temps où les enfants pouvaient s’attendre à grandir en meilleure santé, plus instruits, plus heureux, pouvant gagner plus et vivre une meilleure vie que leurs parents.

Mais après 1980, ce rêve a commencé à se déliter pour une majorité croissante d’Américains qui ont commencé à perdre l’espoir d’acheter un jour une maison, de faire des études supérieures, de bénéficier de soins de santé décents ou d’occuper un emploi pérenne. Les auteurs de fusillades de masse font partie de cette majorité. Environ 93 % de ces meurtriers n’ont pas de diplôme universitaire, selon une étude portant sur 200 meurtriers réalisée par The Violence Project. Un autre trait commun à ces tueurs est un passé de problèmes d’emploi.

La part de revenu de la moitié des Américains les plus pauvres a diminué tandis que les plus riches accaparaient davantage de richesses. Selon la base de données sur les inégalités dans le monde, ce phénomène ne s’est pas produit en Europe.

Voir les graphiques ci-dessous
Les inégalités qui en résultent ont donné lieu à une épidémie de comportements antisociaux qui s’est rapidement développée au cours des 40 dernières années :

  • Les décès par arme à feu atteignent des niveaux records, en hausse de 45 % par rapport à la décennie précédente. En 2020, il y a eu un total de 45 222 décès par arme à feu aux États-Unis.
  • Les taux de suicide ont augmenté de plus de 30% au cours des 20 dernières années. Plus de 1,4 million d’adultes font une tentative de suicide chaque année en Amérique. Et 45 979 ont réussi leur suicide en 2020. Le taux de suicide le plus élevé concerne les hommes blancs de la classe moyenne. C’est dans la partie centrale du pays que le nombre de suicides a atteint des sommets. En 2020, on n’avait pas diagnostiqué de problème de santé mentale chez 54% des personnes mortes par suicide.
  • Les risques pour la santé des adolescents sont passés de la grossesse, de la consommation d’alcool et de drogues à la dépression, au suicide et à l’automutilation.
  • Les données sur les overdoses de médicaments du CDC indiquent qu’il y a eu environ 100 306 décès par overdose de médicaments aux États-Unis au cours de la période de 12 mois se terminant en avril 2021, soit une augmentation de 28,5 % par rapport aux 78 056 décès survenus au cours de la même période l’année précédente.

Alors, à quoi est dû cet environnement propice à la mort ?

Les bouleversements économiques sismiques — des avancées technologiques exponentielles, les innovations de l’industrie manufacturière sans main d’œuvre et la mondialisation — ont produit des richesses abyssales pour une minuscule élite.

Mais ces nouvelles richesses n’ont pas été transmises à la majorité des Américains de la classe moyenne. C’est le contraire qui s’est passé. Au lieu d’une marée montante qui entraîne tous les bateaux, cette nouvelle richesse n’a soulevé que quelques bateaux, tandis que la plupart restent encore enlisés dans la vase.

La classe moyenne américaine a été « privée de la promesse de l’Amérique », comme l’a dit le président Biden. Au cours des 40 dernières années, elle a vu le rêve américain lui échapper. Et ces gens là ne voient aucune issue. Ils n’ont pas les moyens d’acheter une maison, de faire des études supérieures ou de se soigner. Ils ne peuvent pas trouver un emploi décent qui leur permette de gagner leur vie. Les éléments de base d’une vie correcte font partie du luxe, sauf pour les quelques plus riches. Ceci est particulièrement vrai après la pandémie et notre inflation croissante. La plupart des Américains n’ont pas d’argent. Ils vivent sur le fil du rasoir.

La majorité d’entre eux vivent au jour le jour et n’ont aucun moyen d’accumuler le capital nécessaire pour se sortir de ce piège désespéré.

Ce n’était pas le cas auparavant. La stagnation actuelle de la classe moyenne contraste fortement avec la période de 40 ans allant de 1933 à 1973, au cours de laquelle les revenus moyens de la classe moyenne ont quadruplé. Stimulé par les investissements du gouvernement et une volonté politique, le produit intérieur brut a augmenté de 5 % par an, créant ainsi une large classe moyenne américaine. Mais au cours de cette même période, le pourcentage de la richesse détenue par les 1% les plus riches a connu une forte baisse, passant de 48% à 22% de la richesse totale du pays.

Depuis le début du XXe siècle, notre démocratie et notre prospérité ont été intrinsèquement liées à l’attente d’une classe moyenne prospère et croissante, mais elle n’existe plus. Il n’y a qu’une sous-classe géante et de plus en plus désespérée, face à une élite soudée qui ne cesse de s’enrichir.

UNE « TERRIBLE NOUVELLE » GUERRE CIVILE

On a beaucoup écrit ces derniers temps sur la démocratie et le capitalisme américains et sur la façon dont notre système politique de marché libre est en danger. L’investisseur milliardaire Ray Dalio, fondateur du fonds spéculatif géant Bridgewater Associates, a déclenché une tempête de tweets en avertissant que l’Amérique est « au bord d’une terrible guerre civile » en raison de l’accroissement des inégalités.

Barbara F. Walter, une politologue de l’université de San Diego, approuve. Au cours des deux dernières décennies, elle a, pour le compte de la CIA, étudié et prédit des guerres civiles dans le monde entier.

Son nouveau livre, How Civil Wars Start, (Comment démarrent les guerres civiles et comment les arrêter) tire la sonnette d’alarme quant la probabilité grandissante d’une seconde guerre civile aux États-Unis.

Les élites économiques ont créé une polarisation pernicieuse qui a servi à diviser et à banaliser cette majorité en colère, la rendant moins apte à exprimer efficacement ses besoins.

Si cet état de fait et cette fracture politique se poursuivent au même rythme, soutient Walter, cela pourrait certainement se transformer en une seconde guerre civile.

  • « Une guerre civile aujourd’hui ne ressemblera pas à l’Amérique des années 1860, à l’Espagne des années 1930 ou à la Russie des années 1920. Elle commencera par des actes sporadiques de violence et de terreur, accélérés par les médias sociaux. Elle nous prendra par surprise et nous amènera à nous demander comment nous avons pu être aussi aveugles. »

Walter n’est pas la seule à penser ainsi. Stephen Marche, dans The Guardian, écrit : « La prochaine guerre civile américaine est déjà là – nous refusons simplement de la voir. »

Une étude très préoccupante conduite par le très prudent American Enterprise Institute a révélé que 39 % des Républicains sont favorables au recours à la violence pour atteindre leurs objectifs politiques. Beaucoup parlent ouvertement de guerre civile. Un récent sondage a révélé que pratiquement la majorité des Américains (46 %) pensaient qu’une future guerre civile était probable, 43 % la jugeaient improbable et 11 % étaient indécis. Les populations plus jeunes, les Républicains et les habitants du Sud, du Centre et des Grands Lacs étaient plus convaincus de l’imminence d’un conflit que ceux de l’Est. Les Noirs et les Hispaniques étaient également plus convaincus de l’imminence d’une guerre civile que les Blancs.

Alors qui —et quoi — peut être tenu pour responsable de ce cocktail toxique ?

Pour les Démocrates, c’est Donald Trump qu’il faut rendre responsable des menaces insurrectionnelles sauvages contre la démocratie, tandis que pour les Républicains ce sont bien les Démocrates qui sont responsables des émeutes violentes dans les rues et de l’accroissement de l’anarchie.

Mais ce qui en réalité porte la responsabilité sous-jacente de l’état périlleux de l’Amérique – une guerre civile larvée – c’est clairement l’inégalité galopante qui s’est développée au cours des 40 dernières années. Voyez :

Depuis 1978, les revenus réels des gens ordinaires, la majorité des 68 % sans diplôme universitaire, ont diminué.
46 millions d’Américains disent ne pas pouvoir se payer de soins de santé. Même après la loi sur les soins abordables, 28 millions d’Américains ne sont toujours pas assurés.
Le taux de pauvreté est aujourd’hui d’environ 11 %, ce qui n’est guère mieux que le taux de 1973.
Aujourd’hui, 61 % des Américains ne peuvent pas se permettre de trouver les 1 000 dollars permettant de faire face à une urgence mineure : une dépense médicale imprévue ou une transmission cassée.
75% des Américains pensent que le pays est sur une mauvaise pente.
Si on compare à ce qu’il se passe pour les autres nations industrialisées, les dépenses américaines en matière de soins de santé, de logement et d’éducation ont été faméliques. Pour atteindre le niveau de vie de base du Canada ou de l’Europe, l’Amérique doit plus que doubler son niveau de dépenses publiques. Il en résulte que les Américains sont beaucoup plus malades, moins éduqués, plus pauvres et plus malheureux que les citoyens de tous les autres pays industrialisés.
Les 1% les plus riches possèdent plus de richesses que les 92% les plus pauvres.

Ce sentiment d’avoir été trahis — fureur et marginalisation — au sein de la classe moyenne majoritaire en Amérique —à gauche comme à droite — couvait depuis des décennies, bien avant que Donald Trump ne soit même arrivé sur la scène politique.

Les manifestants d’Occupy Wall Street d’il y a quelques années et les cols bleus de la classe moyenne qui ont offert la présidence de 2016 à Donald Trump, sont étonnamment semblables dans leur détresse. Dans les deux cas ils estiment que ce n’est pas pour eux que le gouvernement travaille et qu’ils se font rouler. Dans les deux cas, ils veulent leur juste part. Mais en raison de la structure politique américaine bipartite dépassée, les deux groupes n’ont jamais été en mesure de transformer leurs griefs communs en demandes unitaires.

Diviser pour régner triomphe encore.

Tant la gauche que la droite pensent que le système tout entier est faussé à leur détriment : les tribunaux, les élections, l’économie, Big Pharma, les médias, tout. Ils croient que le système en place est contrôlé par une corpocratie contrôlée par des élites avides, corrompues, malveillantes et riches, ainsi que par les médias qui les manipulent. Le résultat en est une distorsion de nos institutions démocratiques en faveur des riches.

La majorité des Américains – noirs, blancs et hispaniques – qui n’ont pas fait d’études supérieures, font désormais partie d’une classe subalterne, quasiment sans pouvoir ni influence.

Ils ne comptent pas.

Ce n’est pas un secret. L’ancien président Jimmy Carter a déclaré que les États-Unis n’étaient plus « qu’une oligarchie avec un système de corruption politique illimitée ».

Ces grandes inégalités ne sont la faute de personne. On a accepté qu’elles se creusent pendant les présidences démocrates de Clinton, Obama et Biden et pendant les présidences républicaines de Reagan, Bush père, Bush Junior et Trump.

La seule façon de préserver notre démocratie et le capitalisme démocratique est de faire face aux préoccupations de « la grande majorité des Américains » pour qui il existe un fossé entre les réalités de leur vie et ce qui se passe à Washington.

Il faut donc se demander : que veulent les Américains ? Plus de contrôle des armes à feu, des soins médicaux accessibles pour tous, le droit des femmes à la liberté en matière de procréation, l’exclusion de l’argent et des lobbyistes du terrain de la politique, la fin des niches fiscales qui favorisent les milliardaires, de meilleures écoles, des lois électorales équitables et un budget de la défense en baisse ?

Eh bien, en bref, oui.

Tous les sondages le montrent (avec des taux de 70 %), mais aucun de ces souhaits, aussi populaires soient-ils, n’a beaucoup de poids au sein de l’establishment économique de Washington. C’est ce que conclut une étude récente du professeur Martin Gilens de l’université de Princeton et du professeur Benjamin Ingrim Page de l’université de Northwestern.

Ce n’est pas le capitalisme qui est le méchant. C’est le capitalisme rendu fou en raison du pouvoir politique. Les hommes d’affaires et les politiciens font ce qu’ils ont toujours fait. C’est juste que les règles du jeu ont changé rapidement. Les 10 % les plus riches sont devenus très riches, très rapidement, et la classe moyenne s’est retrouvée en fort déclin : de plus en plus ignorée, insignifiante et oubliée.

Mais tout gouvernement qui ne peut assurer la sécurité de sa majorité – en d’autres termes, « veiller à ce que les trains arrivent à l’heure » – perdra inévitablement sa légitimité.

Bien sûr, nous n’avons jamais eu de véritable démocratie au sens strict du terme, même si l’Amérique a eu de nombreux éléments démocratiques tout au long de son histoire. L’Amérique se classe soit au 25e soit au 36e rang (classement de l’Université de Wurzburg) de tous les pays en ce qui concerne le respect des idéaux démocratiques. The Economist qualifie les États-Unis de « démocratie viciée » tandis que les universitaires allemands qualifient l’Amérique de « démocratie défaillante. »

Les démocraties en haut du tableau sont, dans l’ordre, la Norvège, l’Islande, la Suède, la Nouvelle-Zélande, le Canada, la Finlande et le Danemark. Il n’est pas surprenant que ces pays se classent parmi les pays du monde où on est le plus heureux. Les États-Unis se classent au 16e rang.

Mais même notre démocratie « viciée ou défaillante », qui existe depuis près de 250 ans, n’est qu’une anomalie dans l’histoire de l’humanité. Elle ne survivra pas si elle ne répond pas aux attentes de la majorité et aux besoins fondamentaux de ses citoyens. La plupart des gens ne se soucient pas vraiment d’idéologie politique comme la liberté d’expression ou un système judiciaire indépendant. Ils se soucient de ce qui leur convient le mieux.

Les citoyens ordinaires sont en colère et laissés pour compte, de plus en plus disposés à faire exploser le système pour voir ce qui arrive. Les Américains insatisfaits ont voté à gauche en faveur du changement en 2008 (Obama), puis ont fait un virage à 180 degrés, et se sont déplacés à droite en faveur du changement en 2016 (Trump). Puis ils ont à nouveau fait marche arrière en rejetant Trump en 2020. À trois reprises, les Américains de la classe moyenne ont été amèrement déçus par le peu qu’ils ont obtenu : davantage de politiques fondées sur des lieux communs, tandis que les inégalités se sont amplifiées.

Les récentes manifestations et grèves de masse — enseignants, employés de General Motors, salariés d’Amazon et travailleurs du secteur de la santé chez Kaiser — incarnent toutes le malheur d’une classe moyenne frustrée. Depuis 2010, chez les jeunes adultes, âgés de 18 à 39 ans, l’opinion globale sur le capitalisme s’est détériorée au point que le capitalisme et le socialisme sont à égalité en termes de popularité parmi les millénials et les jeunes de la génération Z.

Pas étonnant que 50 millions de personnes soient convaincus que l’élection de 2020 a été « volée ». Et dans un sens, ils ont raison. Les élections sont truquées depuis longtemps par des quantités massives d’argent investies et le lobbying d’entreprise. Des rivières de dark money, collecté par les deux partis de l’establishment, soutiennent un système qui récompense les riches et décime les pauvres et la classe moyenne. Il y a sûrement quelque chose qui ne va pas quand les Comités d’action politique anonymes des entreprises ont dépensé 400 millions de dollars l’année dernière pour acheter – pardon influencer – nos élections. Et cette corruption – l’achat et la vente de lois – est parfaitement légale depuis la décision Citizens United de la Cour suprême en 2010.

Le collège électoral, depuis longtemps désuet, est un scandale majeur. Deux présidents récents, George W. Bush (2000) et Donald Trump (2016), n’ont pas été élus par le suffrage de la population. Le Sénat ne reflète certainement pas les opinions de la plupart des Américains. Comment le pourrait-il ? Un sénateur du Wyoming, dont la population est de 291 116 habitants, dispose du même vote qu’un sénateur de Californie qui parle au nom de 18 832 065 personnes. Le pouvoir politique du Wyoming est donc multiplié par 65 au Sénat.

Qu’en est-il du principe fondamental un homme, une voix ?

C’est la raison pour laquelle les tribunaux, le Sénat, la Chambre des Représentants et même la présidence n’ont pas été en mesure de fonctionner d’une manière qui reflète les besoins et les souhaits de la majorité.

La politique américaine est dominée par une élite de type oligarchie économique depuis un certain temps, et cela a conduit à la privation des droits politiques d’un grand nombre de personnes ordinaires, tant de gauche que de droite. Il s’agit véritablement d’un système où la majorité peut faire valoir valablement la thèse de la « fiscalité sans représentativité ».

Et où va cet argent ? Cette année, les bénéfices des grandes entreprises ont atteint leur plus haut niveau depuis 70 ans. Le rapport entre la rémunération des PDG et celle des travailleurs moyens est passé de 21 pour 1 dans les années 1960 à 351 pour 1 aujourd’hui. Pendant la pandémie, les inégalités se sont accélérées – 130 nouveaux milliardaires ont été enregistrés et la fortune des 745 milliardaires américains est passée à 5 000 milliards de dollars, – tandis que la vie continuait de se montrer brutale vis à vis d’une grande partie du reste de la population. Dans leur ensemble, les travailleurs américains ont perdu

3 700 milliards de dollars de salaire au cours de la même période.

Cette toute dernière réingénierie de l’Amérique – la « troisième révolution industrielle » – et cette nouvelle richesse considérable ont donné lieu à un cauchemar dystopique pour la majorité. Elle n’a donné lieu à aucun ruissellement et elle a même déclenché une dangereuse bombe à retardement qui a brisé la promesse de l’âge d’or du progrès universel et les rêves de mobilité de la classe moyenne vers le haut de l’échelle sociale.

La démocratie et le capitalisme de type libre marché ne peuvent survivre à de telles inégalités. Dans une manifestation de l’hubris, toute civilisation dominante croit dur comme fer qu’elle est la dernière et la meilleure des évolutions du développement humain et qu’elle durera toujours. C’est un fantasme. Les sociétés avancées s’effondrent à une vitesse déconcertante : les Mongols, les Grecs, les Romains, les Britanniques, les Chinois, les Mayas, les Incas et les communistes soviétiques.

Le populisme de type homme fort remplace trop souvent les démocraties et les marchés libres lors de période de déséquilibre. Les dirigeants autoritaires justifient de manière convaincante leur mépris des subtilités libérales en affirmant qu’ils représentent le peuple contre des élites économiques et politiques corrompues et déconnectées de la réalité.

Si l’Amérique, avec ses richesses illimitées, ne parvient pas à dénouer ce nœud gordien, une réaction populiste due aux inégalités tuera lentement la démocratie et le capitalisme démocratique tels que nous les connaissons. Et ce sera irréversible.

Blake Fleetwood était auparavant reporter au sein de l’équipe du New York Times. Il a écrit sur de nombreux sujets pour le New York Times Magazine, le New York Magazine, le New York Daily News, le Wall Street Journal, USA Today, le Village Voice, Atlantic et le Washington Monthly. Il est né à Santiago du Chili et a déménagé à New York à l’âge de trois ans. Il est diplômé du Bard College et a fait des études supérieures en sciences politiques et en politique comparée à l’université de Columbia. Il a également enseigné la politique à l’université de New York. Vous pouvez le joindre à l’adresse suivante : jfleetwood@aol.com/

Source : ScheerPost, Blake Fleetwood, 22-06-2022

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises


Voir en ligne : https://www.les-crises.fr/violence-...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir votre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.

   

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