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Madeleine Riffaud Résistante, journaliste, poétesse

vendredi 8 novembre 2024

Un excellent article du Monde sur une communiste exemplaire, membre d’un PCF alors révolutionnaire, engagé dans le combat contre l’impérialisme y compris celui des dirigeants français (Francis Arzalier)

Elle avait 18 ans en 1942.
Engagée dans la Résistance au sein d’un groupe de Francs-tireurs et partisans (FTP), son nom était Rainer. Madeleine Riffaud est morte le mercredi 6 novembre au matin, dans son appartement parisien, à l’âge de 100 ans, a appris Le Monde auprès de son entourage, confirmant une information de L’Humanité. Avant d’être une journaliste, correspondante de guerre au Vietnam et en Algérie et une poétesse reconnue, elle fut une figure emblématique de la résistance à l’occupant nazi.

Elle était née le 23 août 1924 à Arvillers (Somme). Fille d’enseignants, elle a grandi sur les terres de Picardie, encore marquées par les horreurs de la première guerre mondiale. « Un véritable cimetière », disait-elle. Devenue étudiante à Paris après la débâcle, la jeune fille écrit des poèmes et s’engage dans la Résistance. Membre du groupe de combat des facultés, l’agent de liaison Rainer – alias qu’elle s’était choisi en référence au poète allemand Rainer Maria Rilke – passe au combat armé en 1943. Citée à l’ordre de l’armée par de Gaulle et croix de guerre avec palmes à la Libération, la jeune Madeleine s’est souvent portée volontaire pour les actions les plus radicales et les plus périlleuses.

Quoiqu’elle s’en défende, Madeleine Riffaud était une héroïne. En 1942, lors d’un séjour dans un sanatorium non loin de Grenoble, elle rencontre la Résistance. Elle se remet d’une tuberculose dans cet établissement érigé en plein cœur du massif de la Chartreuse, dirigé par le docteur Daniel Douady. « Un type formidable, affirmait-elle, qui allait chez Pétain pour nourrir ses malades et abritait une imprimerie clandestine au service de la Résistance dans les sous-sols de sa clinique. »

En 1944, dans les semaines qui suivent le massacre d’Oradour-sur-Glane perpétré le 10 juin par la division Das Reich, l’état-major de la Résistance FTP lance le mot d’ordre, « chacun son boche ». Le 23 juillet, un beau dimanche d’été, Madeleine tue sur un pont de la Seine – la passerelle Solférino – et en plein jour un sous-officier allemand. A bout portant. Deux balles dans la tête. « Ne pensez pas que c’était quelque chose de drôle. Ni quelque chose de haineux. Comme aurait dit Paul Eluard, j’avais pris les armes de la douleur (…) Il est tombé comme un sac de blé », écrira-t-elle par la suite.

« L’épreuve la plus dure »

Prise en quasi flagrant délit par un chef de la milice qui se trouvait à proximité, elle est livrée à la Gestapo qui l’enferme rue des Saussaies. Là, pendant trois semaines, soumise à la question pour donner les noms des membres de son groupe, elle est torturée mais elle ne parle pas. Condamnée à mort, elle est incarcérée à la prison de Fresnes (Val-de-Marne), mais au dernier moment elle échappe à son exécution. Les SS veulent la confronter à un policier français qui, quelques semaines auparavant, a été attaqué dans le bois de Vincennes où il s’est fait dérober son arme de service. Celle-là même qui a été utilisée le 23 juillet sur la passerelle Solférino pour tuer le sous-officier allemand. Alors qu’elle croyait partir vers le peloton d’exécution, Rainer se retrouve de nouveau dans une salle de torture. « Ça a été l’épreuve la plus dure. J’avais envie de foutre le camp ailleurs, dans l’autre monde, nous avait-elle confié en avril 2019. J’ai failli devenir folle. »
Attachée, sans dormir, ni boire, ni manger, Madeleine Riffaud voit défiler devant elle des femmes et des hommes auxquels les SS font subir les pires sévices : une jeune femme à laquelle les tortionnaires coupent les seins devant son mari qu’ils vont ensuite émasculer, un jeune homme tabassé à mort à coups de barre de fer… « Ils me disaient, c’est ta faute si ces gens souffrent », se souvenait encore soixante-quinze ans plus tard Madeleine Riffaud. « J’étais sur le point de leur donner un petit quelque chose, mais si tu commences à parler, après tu balances tout », nous avait-elle raconté.

Rainer n’a pas parlé et a été ramenée à Fresnes. Le 14 août en début de soirée, des cars se garent devant la prison. Cette fois, il n’est plus question de peloton d’exécution. C’est vers les camps de la mort en Allemagne que l’occupant veut conduire les détenus. En compagnie de dizaines d’autres femmes, Madeleine est embarquée, direction la gare de Pantin. Le lendemain, 15 août, un convoi – le dernier – doit partir, destination Ravensbrück. Alors qu’elle vient de grimper dans le wagon, Madeleine parvient à sauter du train avec l’aide d’autres femmes qui la poussent sur le ballast. « Elles savaient ce que j’avais fait. N’avaient plus aucun espoir pour elles, mais elles voulaient sauver la môme », dira-t-elle.
Le convoi part sans elle, mais elle est rattrapée par des soldats et reconduite à Fresnes. Dans les jours qui suivent, alors que l’heure de l’insurrection approche, Madeleine Riffaud finit par être libérée à la faveur d’un échange de prisonniers, organisé par la Croix-Rouge et conclu sous la houlette du consul de Suède, Raoul Nordling. Deux jours plus tard, après un court passage à l’hôpital, Rainer reprend le chemin du combat. Nous sommes le 19 août 1944. Les troupes allemandes sont cernées par l’avance des Alliés qui ont débarqué le 6 juin en Normandie, tandis que, de son côté, la résistance intérieure intensifie la pression contre l’occupant.

Ses galons de lieutenant

C’est dans ce contexte de tension extrême, que sitôt relâchée, Madeleine Riffaud retrouve ses camarades FTP du groupe Saint Just affecté dans le 19e arrondissement de la capitale et participe aux combats pour la Libération de Paris. Elle prend part à l’une des opérations les plus audacieuses de ces journées de fièvre et de ferveur.
Le 23 août, le jour de ses 20 ans, elle mène l’assaut contre un train blindé allemand dans le tunnel des Buttes-Chaumont. Ils sont quatre : Guy, alias petit Breton – il mourra quelques mois plus tard au passage du Rhin –, Marcel, un brave homme qui ne savait pas tirer mais avait le permis de conduire, Max, 17 ans, et elle, chef de cette troupe. A eux quatre, armés d’explosifs et de mitraillettes, ils bloquent le convoi et plus de 80 soldats allemands sont faits prisonniers. Madeleine Riffaud y gagne ses galons de lieutenant des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Pendant toute cette période et en dépit des épreuves, la jeune femme écrit un journal en forme de poèmes qu’elle montrera à Paul Eluard à la fin de la guerre et qui sera publié quelques années plus tard.

23 AOÛT 1924 Naissance à Arvillers (Somme)
1942 S’engage dans la Résistance
1944 Tue un sous-officier allemand, participe à l’attaque d’un train blindé allemand aux Buttes Chaumont
1945 Devient journaliste à « Ce soir », « La Vie ouvrière » et « L’Humanité » ANNÉES 1950 Reportages au Nord-Vietnam et en Algérie
1974 « Les Linges de la nuit » (Julliard), récit de son embauche incognito dans un hôpital parisien comme aide-soignante
2001 Décorée chevalière de la Légion d’honneur
2021 Sortie de la bande dessinée « Madeleine, résistante » (Dupuis)
6 NOVEMBRE 2024 Mort à Parisà son domicile parisien, le 18 juin.
JOEL SAGET/ AFP

La Libération venue, Madeleine retrouve la vie civile. Non sans mal, et non sans cicatrices. Traumatisée, elle sombre dans une dépression dont elle guérit grâce à l’attention de Paul et Nusch Eluard, qui l’ont prise sous protection, et aux soins du docteur Serge Lebovici. « J’allais très mal. Je n’arrivais pas à dormir. J’étais sur le point de me suicider », expliquait-elle. Remise, elle devient journaliste à Ce Soir (journal communiste dont la parution sera interrompue en 1953), recommandée à Aragon par Eluard, puis à La Vie ouvrière (hebdomadaire de la CGT) avant d’entrer à L’Humanité.
Outre Aragon, elle rencontre Vercors, qui deviendra son ami, et Picasso, qui dessinera son portrait en 1964. En 1945, elle épouse Pierre Daix, ancien résistant lui aussi, déporté à Mauthausen, qui deviendra rédacteur en chef des Lettres françaises. Elle le quitte deux ans plus tard. « A cette époque, je ne savais que manipuler les armes », racontera-t-elle.
C’est également à cette époque, dans les semaines qui précèdent le déclenchement de la première guerre d’Indochine, qu’elle rencontre Ho Chi Minh à Paris. De cette rencontre, qui sera une première parmi de nombreuses autres, naît une relation privilégiée entre Madeleine et le leader communiste vietnamien. Et, plus encore pour celle-ci, une relation passionnelle avec ce pays et son peuple. Elle tombe alors amoureuse d’un poète vietnamien, Nguyen Dinh Thi, qui deviendra ministre de la culture de la République démocratique du Vietnam (RDV) et avec lequel elle envisage de se marier. Mais l’idylle prendra fin, les unions mixtes étant mal vues en RDV et Ho Chi Minh signifiant à la jeune femme, très engagée aux côtés des Vietnamiens, que sa place était en France, « pour y éclairer [son] peuple, pour y participer aux luttes ».

Au milieu des années 1950, après la victoire des troupes du Vietminh contre la puissance coloniale française, Madeleine se rend au Nord Vietnam, qui vient d’obtenir son indépendance au prix du sang, pour le compte de La Vie ouvrière. De nombreux autres reportages suivront dans ce pays pour L’Humanité lors de la deuxième guerre contre les Américains. Durant cet épisode, elle partage pendant trois mois avec le journaliste australien Wilfred Burchett la vie des maquisards du Viêt-Cong dans les tunnels au Sud Vietnam. Ces soldats de l’ombre qui harcelaient les Américains et que ces derniers avaient baptisés « Charlie ». Elle en ramènera deux ouvrages : Dans les maquis « Viêt-Cong » (Julliard, 1965) et Au Nord Viêt-Nam. Ecrit sous les bombes (Julliard, 1967). En 1972, lors des bombardements américains sur la ville portuaire de Haïphong, elle est l’une des toutes premières journalistes à se rendre sur place.

Le Vietnam, l’Algérie

En 1954, une nouvelle guerre dont les autorités françaises refusent de dire le nom éclate au cœur de l’ex-empire colonial. L’Algérie s’enfonce à son tour dans un conflit qui prendra fin avec son indépendance en 1962. Envoyée spéciale de L’Humanité, Madeleine Riffaud couvre ces « événements ». Résolument aux côtés des partisans de l’indépendance, elle est visée par l’OAS, qui fomente un attentat contre sa personne en 1962 à Oran. Elle en réchappe au prix de mille contusions dont elle gardera des séquelles jusqu’à la fin de sa vie. Les guerres de cette femme journaliste au courage tant de fois éprouvé s’achèvent en 1975 avec la chute de Saïgon, la fin du gouvernement sud-vietnamien de Nguyen Van Thieu installé par les Américains quelques années auparavant, et la réunification du Vietnam sous la férule des communistes et du gouvernement de Hanoï. Rentrée en France, Madeleine Riffaud poursuit son métier sur le terrain. A l’aube des années 1970, entre deux voyages au Vietnam, elle se fait embaucher, incognito, dans un hôpital parisien comme aide-soignante. Elle en tire Les Linges de la nuit (Julliard, 1974), brûlot qui dénonce les carences du système hospitalier français. Jusqu’au début des années 1980, il n’était pas rare d’apercevoir sa silhouette reconnaissable entre toutes, dans les couloirs de L’Humanité, rue du Faubourg-Poissonnière à Paris, coiffée d’une éternelle natte brune, tressée à la manière vietnamienne et tombant sur la poitrine. Madeleine Riffaud a fait en 2010 l’objet d’un documentaire réalisé par Philippe Rostan : Les Trois guerres de Madeleine Riffaud.
En 2001, elle a été décorée chevalier de la Légion d’honneur des mains de Raymond Aubrac (1914-2012).
Dans les toutes dernières années de sa vie, Madeleine Riffaud souffrait de cécité et son corps meurtri la renvoyait à ses douleurs. Clouée dans son canapé, elle recevait ses visiteurs qui ne manquaient pas de lui apporter « ses » cigares Cohiba, qu’elle fumait les uns à la suite des autres, ni de s’arrêter chez le fleuriste de la rue de Turenne, dans le quartier du Marais, auquel on demandait « une rose pour madame Riffaud ».

Yves Bordenave


Voir en ligne : Le Monde 8 novembre 2024

   

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