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En revenant du G7 ou Donald le Justicier
mercredi 20 juin 2018 par Guillaume Berlat pour Prochemoyen-Orient
Manifestement, les dirigeants européens, canadien, japonais participants au G7 de Charlevoix/La Malbaie (8-9 juin 2018) n’ont toujours rien compris au film policier de série B dont ils ont été les piètres figurants à l’insu de leur plein gré [1]. Sidérés, ils le sont. Incrédules, ils le sont. Médusés, ils le sont. Ils ignorent qu’un diplomate surpris est un diplomate désarmé. Ils en sont réduits à ressasser les dernières images d’un film au terme duquel ils pensaient candidement que le Bien l’emporterait sur le Mal, que Six étaient plus forts qu’Un. Ils en sont réduits à disserter sur le choc d’une photo, le poids d’un tweet. Ils n’ont toujours pas saisi que le monde d’hier, c’est fini et que Donald Trump fracture l’Occident [2]. Le multilatéralisme doit être repensé au moment où la doctrine Trump se résumerait, selon Jeffrey Golberg, à un principe : « On est l’Amérique, bordel ! » (« We’re América, Bitch ») [3].
Le choc d’une photo
Le cliché est rapidement devenu viral. Sur cette photo diffusée au G7, Donald Trump semble tenir tête au reste du monde. Une image qui résume à elle seule les nouvelles fractures occidentales mais donne lieu à des interprétations assez diverses.
« L’Occident ébranlé », titre lundi le quotidien allemand Tagesspiegel, à côté de l’image désormais célèbre, prise par un photographe officiel travaillant pour le gouvernement allemand et diffusée sur les réseaux sociaux. Cette photo, dont la composition rappelle celle d’un tableau, paraît résumer, mieux que tous les discours, l’état du monde après le fiasco du G7.
Elle paraît répondre à un objectif de communication précis : mettre en lumière la fermeté d’Angela Merkel, qu’on voit entourée d’autres dirigeants du G7. Appuyée en avant, les mains sur une table, elle semble tenir tête à Donald Trump, voire réprimander le chef d’État américain assis en face d’elle. « En politique, il n’y a pas que les contenus qui sont importants, les images le sont aussi », souligne le quotidien.
À chacun sa version. Beaucoup voient plutôt Donald Trump sortir vainqueur de ce cliché. Il « reste assis pendant que les autres personnes présentes sont debout », souligne une chercheuse américaine, une manière pour lui d’« affirmer sa propre autorité avec une diffusion mondiale ». Pour l’entourage du milliardaire américain, l’image de Donald Trump impassible face aux Européens traduit surtout la fermeté du héraut de « l’Amérique d’abord ».
« Encore un de ces G7 où les autres pays attendent que les États-Unis soient éternellement leur banquier. Le président leur dit clairement que c’est fini », a commenté sur twitter John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de la Maison-Blanche. Le sentiment qui prédomine en Allemagne est celui de la fin d’une époque, d’une césure dans la relation transatlantique, paradigme sur lequel le pays s’était largement reconstruit après 1945. Le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, a estimé que Donald Trump a détruit « très rapidement une quantité incroyable de confiance » mutuelle. Traditionnellement très atlantiste, Angela Merkel a parlé d’« un pas décisif » franchi par le président américain. Elle se rallierait désormais à la vision macronienne d’une Europe puissance et souveraine, acceptant l’idée d’une force d’intervention commune européenne et appelant l’Europe à mieux défendre ses intérêts « au risque sinon de se faire écraser dans un monde où dominent des pôles très forts » [4].
Le poids du tweet
La conclusion chaotique du sommet du G7, à l’issue duquel Donald Trump s’est désolidarisé du communiqué final (notons qu’il n’a jamais signé le moindre document), marque un moment important sur le plan de la diplomatie internationale, fragilisant le bloc occidental et donnant l’occasion à la Russie et à la Chine de mettre en avant leur unité [5]. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau est responsable de l’échec du sommet du G7 car il « nous a poignardés dans le dos », affirme dimanche Larry Kudlow, le principal conseiller économique de Donald Trump. « Il a tenu une conférence de presse et dit que les États-Unis étaient insultants », estimant que les déclarations de Justin Trudeau constituaient « une trahison ».
Quelques heures après les propos du canadien, Donald Trump a retiré son soutien au communiqué final du G7 malgré le compromis qui avait été trouvé sur les questions commerciales. « Nous avons donné notre accord, nous avons fait des compromis sur le communiqué, nous nous sommes associés au communiqué, en toute bonne foi », a expliqué Larry Kudlow. « C’est une trahison, il nous a doublés, pas seulement le président Trump, mais aussi les autres membres du G7 », a-t-il ajouté.
Quant à la réaction de Donald Trump, qui avait également traité Justin Trudeau de personne « malhonnête et faible », elle est destinée à ne pas « montrer de faiblesse » avant son sommet avec Kim Jong-un sur la dénucléarisation de la Corée du Nord. « Nous ne pouvons pas mettre M. Trump en position de faiblesse avant les discussions avec les Nord-Coréens », qui doivent se tenir mardi matin à Singapour, a déclaré Larry Kudlow.
L’attitude du président américain n’a pas tardé à provoquer des réactions de la France et de l’Allemagne. La présidence française a souligné le 10 juin 2018 a dénoncé « incohérence » et « inconsistance » après la volte-face de Donald Trump. « Nous avons passé deux jours à avoir un texte et des engagements. Nous nous y tenons, et quiconque les quitterait le dos tourné montre son incohérence et son inconsistance », a fait valoir l’Élysée, soulignant que « la coopération internationale ne peut dépendre de colères ou de petits mots. Soyons sérieux et dignes de nos peuples. Nous nous engageons et nous tenons. » « La France et l’Europe maintiennent leur soutien à ce communiqué, tout comme, nous l’espérons, l’ensemble des membres signataires », a conclu la présidence. Cela nous fait une belle jambe !
Les présidents russe et chinois, Vladimir Poutine et Xi Jinping, ont affiché le 10 juin 2018 leur unité et loué l’expansion de leur bloc asiatique, l’Organisation de coopération de Shanghai, face à un G7 miné par ses divisions. Lors du sommet de l’OCS qui s’est tenu pendant deux jours dans la ville portuaire de Qingdao, Xi Jinping a souhaité la « bienvenue » à deux nouveaux venus, l’Inde et le Pakistan, au sein du bloc créé en 2001. L’OCS vise à accroître la coopération économique et sécuritaire entre ses membres et comprend également les ex-républiques soviétiques d’Asie centrale du Kazakhstan, du Kirghizstan, du Tadjikistan et d’Ouzbékistan.
Le président iranien Hassan Rohani, dont le pays est observateur à l’OCS, s’y est rendu pour s’assurer du soutien de Pékin et Moscou à l’accord sur le nucléaire iranien après sa dénonciation par Washington. Avec l’accueil de l’Inde et du Pakistan dans ses rangs, l’OCS « devient encore plus forte », a salué le chef du Kremlin. La « coopération » est plus que jamais nécessaire alors que « l’unilatéralisme, le protectionnisme et les réactions opposées à la mondialisation prennent de nouvelles formes », a pour sa part estimé le président chinois. « Nous devons rejeter la mentalité de guerre froide et de confrontation entre les blocs, et nous opposer à la recherche effrénée de sécurité pour soi-même aux dépens des autres, afin d’obtenir la sécurité pour tous », a affirmé Xi Jinping, sans jamais citer nommément les États-Unis.
Les règles de l’Organisation mondiale du commerce et le système commercial multilatéral doivent être respectés, a encore soutenu Xi Jinping, dont le pays est engagé dans des discussions difficiles avec les États-Unis pour éviter une guerre commerciale. « Nous devons rejeter les politiques égocentriques, à court terme et d’isolement », a-t-il ajouté. La démonstration d’unité de l’OCS se veut le miroir inversé des divisions qui ont miné le sommet du G7, sabordé après sa clôture par le président américain qui a retiré son soutien au communiqué final qu’il avait auparavant avalisé. Vladimir Poutine a ironisé en marge de ce sommet sur le « babillage inventif » du G7, qu’il a appelé à engager une « vraie coopération » [6].
Mais, aucun de ses brillants esprits de la cellule diplomatique de l’Élysée ou du Quai d’Orsay n’avait envisagé cette hypothèse de l’échec et ne semble se poser la question essentielle de l’utilité du G7, de son adéquation au monde d’aujourd’hui et de demain ? [7]
Emmanuel Macron s’est, une fois de plus, ridiculisé. [8]
L’heure de vérité a enfin sonné. Les bonnes âmes occidentales, Jupiter en tête, commencent tout juste à comprendre ce qu’est l’Amérique [9] ainsi que son président [10]. C’était un secret de polichinelle pour tout un chacun sauf pour elles.
Le monde est malade de l’Amérique, qu’on le veuille ou le non !
Combien de rebuffades, d’humiliations, de retraits d’accords internationaux, d’organisations internationales, de mépris du multilatéralisme devront-ils subir pour qu’ils se décident enfin à penser le monde du XXIe siècle, à le réinventer sans aller quémander, tels de serviles laquais, un nihil obstat [11] de l’Oncle Sam ? En principe, on est censé apprendre de ses erreurs. Récompensé Jupiter l’a été de toutes ses bassesses : visite grotesque à Washington, bombardement illégal de la Syrie, relai des demandes de Washington sur les programmes balistiques de l’Iran, sur sa présence en Syrie…, participation au Small Group sur la Syrie pour enfourcher les thèses américaines, dédain de la francophonie…
Son grand ami américain, Donald le justicier lui a administré un magistral coup de pied sur la partie la plus charnue de son individu12. À quand les actes forts et indépendants ? Quelle attitude adopteront les Européens lors du prochain sommet de l’OTAN des 11 et 12 juillet prochains à Bruxelles, hormis mettre en avant leur nouveau « Fonds européen pour la défense » [12] ?
Voici le refrain de la nouvelle chanson dans le vent, en revenant de la Malbaie ou Donald le justicier !
Voir en ligne : https://prochetmoyen-orient.ch/en-bref/
Donald le justicier : Walt Disney, Supplément du Journal de Mickey, Donald le justicier, Mickey Parade, 1974.
[1] Guillaume Berlat, G7 de Charlevoix, la fin d’un monde, www.prochetmoyen-orient.ch , 11 juin 2018.
[2] Pascal Lamy (propos recueillis par Frédéric Lemaître), « Trump fracture l’Occident », Le Monde, 13 juin 2018, p. 25.
[3] Sylvie Kaufmann, « On est l’Amérique, bordel ! », Le Monde, 14 juin 2018, p. 21.
[4] G7 : Trump et Merkel : la photo qui fait débat, www.lepoint.fr , 11 juin 2018.
[5] Marc Semo, La volte-face américaine dynamite le G7, Le Monde, 12 juin 2018, p. 4.
[6] G7 : Donald Trump renverse la table de la diplomatie internationale, www.lepoint.fr , 10 juin 2018.
[7] Marc Semo, Quel avenir pour le G7 ?, Le Monde, 15 juin 2018, p. 20.
[8] Lonesome cowboy, Trump : G7 et match, Le Blog : Lonesome Blog, www.mediapart.fr , 15 juin 2018.
[9] Guillaume Berlat, États-Unis ou États voyous, www.prochetmoyen-orient.ch , 19 septembre 2016.
[10] Jean Daspry, Donald Trump veut réformer le machin, www.prochetmoyen-orient.ch , 11 septembre 2017.
[11] Formule par laquelle un censeur ecclésiastique chargé de vérifier la conformité d’un ouvrage aux enseignements de l’Église atteste ne pas s’opposer à sa publication.
[12] Jack Dion, Comment Macron s’est trumpé sur toute la ligne, Marianne, 15-21 juin 2018, p. 54.