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Peter Brook est mort. Tiens, j’ignorais qu’il fut encore en vie !

mardi 5 juillet 2022 par Danielle Bleitrach

Petite réflexion avant de se rendre au festival d’Avignon. Merci Danielle, je souscris à tout ce que tu écrit ? À quoi sert le théâtre aujourd’hui ?
“Qu’est-ce qui fait sens et pour qui ?”( JP-ANC)

Oui en entendant cette nouvelle et en lisant les chroniqueurs de nos médias, les pleureuses de grands hommes qui se débrouillent à leur propos de ne rien dire de réellement révolutionnaire, l’ultime enterrement académique, j’ai pensé “j’ignorais qu’il fut encore en vie !”.

Peter Brook appartenait effectivement à un temps où le théâtre, le cinéma, bien d’autres formes d’art nous paraissaient faire sens dans notre vie, venaient renforcer l’urgence de nos engagements. Ce temps est révolu cela fait partie du reflux de la nécessité révolutionnaire, de l’espérance communiste. Le théâtre a un public qui ne cesse de rétrécir et l’épidémie de la covid, l’inflation d’aujourd’hui n’ont rien arrangé, mais le vrai problème qui entraîne sa désertion est : “qu’est-ce qui fait sens et pour qui ?”

Nous enfants des couches populaires en pleine ascension grâce à tout ce qui fut mis en œuvre de progressiste dans le domaine de la santé, de l’éducation et qui accompagna la décentralisation culturelle, le renouveau pédagogique nous avons cru encore que le monde allait changer, que la décolonisation était une réalité et nous étions communistes en reconnaissance et dans l’exigence d’une culture banquet élitaire ouvert à tous.
Qui a survécu à la fin de cette espérance ?

Peter Book était un metteur en scène de théâtre britannique révolutionnaire, il a charrié sa nécessité du théâtre de la Royal Shakespeare Company de Stratford jusqu’au aux Bouffes du Nord, le music-hall parisien délabré qu’il laissa en état pour le transfigurer dans son minimaliste de la rue pendant plus de 30 ans ; de Londres, Paris, Brodway jusque dans les villages africains, où ses acteurs improvisaient des performances ; et sur les scènes grandioses et modestes toujours il mêla textes du répertoire, découvertes, travail d’acteurs au sommet de leur art et exigence du spectateur face à cette sollicitation.

Le conditionnement théâtral était démonté et le spectateur devait de ce fait inventer une nouvelle relation à l’art, une relation faite de culture classique, du quotidien et de celui de divers peuples, cela m’allait tout à fait ce voyage-là où les hommes vivent. Ma vie n’a jamais été rien d’autre.

Faire sens et aller à l’essentiel en dépouillant la scène du superflu, il n’était pas le seul et Brecht nous y avait invités comme il nous avait invités à nous déplacer en Chine dans ses fables, mais Peter Brook a réellement introduit les performances des artistes du cirque dans la narration. Il a accompagné notre refus de la guerre du Vietnam et notre découverte de l’Inde, tout en renouvelant Shakespeare.

Tout cela a été dit et redit, mais bien sûr, comme tant de gens de ma génération la rencontre eut lieu avec ce spectacle Marat / Sade, qui a remporté le Tony Award de la meilleure pièce en 1964. Le concept du spectacle était que le marquis de Sade montait un drame sur le Français révolutionnaire Jean-Paul Marat joué par les détenus d’un asile psychiatrique.
Au même moment alors que j’étais totalement allergique à Sade et incapable de lire la plupart de ses écrits je découvrais la philosophie dans le boudoir et l’étrange “Français encore un effort pour être républicain”.

L’émancipation individuelle bousculait les tabous nous imaginions que jouir sans entrave était politique. En fait c’était plus compliqué que ça, et la plupart de ses acteurs ont noté comment se passaient les répétitions, non seulement on travaillait hors du texte, des jeux d’enfants mais on répétait devant les commerçants du quartier et dans un gymnase devant les écoliers, en fait il s’agissait d’abandonner nos repères et d’aller à la rencontre des spectateurs en abandonnant les repères de la culture académique.

J’ai beaucoup utilisé dans mes voyages cette approche, comme je continue à aborder la théâtralité de la rue avec la même curiosité : il ne s’agissait pas de “jouir sans entrave” mais prendre la liberté de ne pas savoir pour mieux connaitre. Nous n’étions ni acteurs, ni metteurs en scène mais nous étions transportés sur la scène comme dans l’écran, nous nous nourrissions de tous les questionnements du faire… ceux de la classe ouvrière comme ceux des gens de métier du spectacle, tous pris d’une fièvre politique égalitaire, haïssant les guerres et en dénonçant les criminels.

Peter Brook, il n’était pas le seul, faisait partie de ce contenu historique et il remontait en forme, en acte, en redécouverte de classiques.

J’ai découvert grâce à lui le Timon d’Athènes de Shakespeare dans son théâtre sans apparat et même en ruine, un ancien music-hall désaffecté qui avait brûlé et dont il laissa la trace des flammes ronger les plâtres.

TIMON D’Athènes je voudrais dire que ça non plus ce n’était pas un hasard, en ce temps-là le théâtre faisait sens et Marx n’était jamais bien loin.

« Shakespeare dans Timon d’ Athènes repris par Marx :

  • « De l’or ! De l’or jaune, étincelant ; précieux ! Non, dieux du ciel, je ne suis pas un soupirant frivole… Ce peu d’or suffirait à rendre blanc le noir, beau le laid, juste l’injuste, noble l’infâme, jeune le vieux, vaillant le lâche… Cet or écartera de vos autels vos prêtres et vos serviteurs ; il arrachera l’oreiller de dessous la tête des mourants ; cet esclave jaune garantira et rompra les serments, bénira les maudits, fera adorer la lèpre livide, donnera aux voleurs place, titre, hommage et louange sur le banc des sénateurs ; c’est lui qui pousse à se rema­rier la veuve éplorée. Celle qui ferait lever la gorge à un hôpital de plaies hideuses, l’or l’embaume, la parfume, en fait de nouveau un jour d’avril. Allons, métal maudit, putain commune à toute l’huma­nité, toi qui mets la discorde parmi la foule des nations… »

Et plus loin :

  • « O toi, doux régicide, cher agent de divorce entre le fils et le père, brillant profanateur du lit le plus pur d’Hymen, vaillant Mars, séduc­teur toujours jeune, frais, délicat et aimé, toi dont la splendeur fait fondre la neige sacrée qui couvre le giron de Diane, toi dieu visible, et qui soudes ensemble les incompatibles et les fais se baiser, toi qui parles par toutes les bouches et dans tous les sens, pierre de touche des cours, traite en rebelle l’humanité, ton esclave, et par ta vertu jette-la en des querelles qui la détruisent afin que les bêtes aient l’empire du monde. »

Shakespeare décrit parfaitement l’essence de l’argent nous dit Marx.[…]
Ce qui grâce à l’argent est pour moi, ce que je peux payer, c’est-à­-dire ce que l’argent peut acheter, je le suis moi-même, moi le posses­seur de l’argent. Ma force est tout aussi grande qu’est la force de l’argent. Les qualités de l’argent sont mes qualités et mes forces essen­tielles – à moi son possesseur. Ce que je suis et ce que je peux n’est donc nullement déterminé par mon individualité.

Je suis laid, mais je peux m’acheter la plus belle femme. Donc je ne suis pas laid, car l’effet de la laideur, sa force repoussante, est anéanti par l’argent. De par mon individualité, je suis perclus, mais l’argent me procure vingt-quatre pattes ; je ne suis donc pas perclus ; je suis un homme mau­vais, malhonnête, sans conscience, sans esprit, mais l’argent est vénéré, donc aussi son possesseur, l’argent est le bien suprême, donc son possesseur est bon, l’argent m’évite en outre la peine d’être malhonnête ; on me présume donc honnête ; je suis sans esprit, mais l’argent est l’esprit réel de toutes choses, comment son possesseur pourrait-il ne pas avoir d’esprit ?

De plus, il peut acheter les gens spi­rituels et celui qui possède la puissance sur les gens d’esprit n’est-il pas plus spirituel que l’homme d’esprit ?
Moi qui par l’argent peux tout ce à quoi aspire un cœur humain, est-ce que je ne possède pas tous les pouvoirs humains ?
Donc mon argent ne transforme-t-il pas toutes mes impuissances en leur contraire ?

Si l’argent est le lien qui me lie à la vie humaine, qui lie à moi la société et qui me lie à la nature et à l’homme, l’argent n’est-il pas le lien de tous les liens ? Ne peut-il pas dénouer et nouer tous les liens. N’est-il non plus de ce fait le moyen universel de séparation ? Il est la vraie monnaie divisionnaire, comme le vrai moyen d’union, la force chimique universelle de la société.

Shakespeare souligne surtout deux propriétés de l’argent :

1° Il est la divinité visible, la transformation de toutes les qualités humaines et naturelles en leur contraire, la confusion et la perversion universelle des choses ; il fait fraterniser les impossibilités.

2° Il est la courtisane universelle, l’entremetteur universel des hommes et des peuples.

Alors aujourd’hui on peut nous vanter Peter Brook son refus de l’or du théâtre, son choix de l’essentiel, son refus de retaper son théâtre mais tout cela n’est qu’afféterie pour bobo épris d’esthétisme devenu pur décoration d’une vie privée de sens.

C’est pour cela que j’ai pensé : je ne savais pas que Peter Brook était encore vivant, mais la question vaut pour tous, qui est vivant et qui est mort.


Voir en ligne : https://histoireetsociete.com/2022/...

   

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