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La bataille du rail !

jeudi 14 décembre 2017

Par Jean Pénichon, Francis Arzalier et Pierre Lenormand - ANC

En 2019, les trains de voyageurs seront libéralisés. Mais dans certains secteurs de la SNCF la libéralisation a été effectuée depuis très longtemps : chez SNCF réseau (le secteur des travaux et maintenance qui engendrent les pagailles monstrueuses comme celle de la Gare Montparnasse) les monopoles comme Bouygues ou Vinci sont déjà très prolifiques ! De là cette dérive de notre service public, une dérive qui ne sera pas résorbée...au contraire...

Comment cette dérive de nos chemins de fer se matérialise-t-elle sur le terrain ? (Lire ci-dessous le témoignage de Pierre Lenormand)

Les directives de l’UE obéissent à des ordres très durement imposés aux États et il s’ensuit que les salariés subissent les conséquences de ce processus destructeur. Ce processus de libéralisation est en réalité un processus de marchandisation de notre service public : ils souhaitent que la SNCF sorte du cadre public et devienne une entreprise capitaliste.

Prenons un exemple concret avec les travaux d’un changement de rail : lorsqu’un monopole, donc une multinationale (ETF, Bouygues, Vinci, etc....) intervient pour changer un rail, ce même rail devient inévitablement une marchandise comme toutes les autres : sa perspective est conditionnée par le profit et rien d’autre. Mais une marchandise est dotée d’une valeur, c’est-à-dire qu’une marchandise est la cristallisation d’une quantité de travail humaine incorporée en elle-même.

Ce qui mesure la quantité de valeur d’une marchandise n’est rien d’autre que le temps de travail socialement nécessaire et réalisé lors de la production de la marchandise (dixit Karl Marx dans Le Capital). Il s’ensuit donc que le rail devenu marchandise ne peut pas échapper à cette règle inhérente au mode de production capitaliste.

Les monopoles exploitent des ouvriers qui travaillent dans des conditions atroces (contrats précaires ou pas de contrats, pas de pauses, ordres très durement émis et heures de travail dépassant le cadre légal).

Cela engendre des problèmes techniques lors des différents chantiers et il n’est pas rare que les voyageurs subissent le retard de leurs trains du fait que ces chantiers sont très mal gérés.
Alors que les monopoles, actuellement, mettent en pratique un seul mot d’ordre : faites vite car le profit nous attend !

Le processus de destruction de notre service public SNCF trouve donc deux points nodaux :

  • 1- L’aspect anti-démocratique de l’Union Européenne et sa volonté de transformer cette entreprise publique SNCF en une entreprise capitaliste intégrée dans des spéculations financières et accords de marchés, etc.
  • 2- Le processus de libéralisation qui permet le passage aux monopoles.

JP

LA SNCF SORT DES RAILS !

Cet examen critique de l’état des lieux du transport ferroviaire de voyageurs dans la France d’aujourd’hui s’efforce d’échapper au simple mouvement d’humeur, mais ne saurait passer sous silence l’incompréhension, voire parfois la colère que soulève l’évolution actuelle de l’offre de transport par fer, sous tous ses aspects.

Cet examen critique est personnel, mais il est nourri depuis des années par de nombreux contacts et discussions avec des usagers, réguliers ou occasionnels, avec des cheminots, ainsi que par une mobilisation de l’information disponible.

Cet examen ne prétend pas être exhaustif, et comporte sans aucun doute erreurs et approximations. Il est demandé aux lecteurs de bien vouloir y apporter les compléments et les corrections qu’ils jugeront utiles.

S’il se concentre sur l’évolution de l’offre de transport, cet état des lieux ne saurait se réduire à son aspect technique, et ignorer le contexte politique et sociétal qui le détermine. Et sur ce plan il n’est pas possible de rester neutre : on ne peut par exemple que s’indigner du chantage récemment proposé aux cheminots, qui conditionnerait l’indispensable apurement de la dette de la SNCF à l’abandon de leurs régimes de retraite...

L’objectif essentiel de cet état des lieux critique est de contribuer, dans le cadre notamment des Assises de la Mobilité, à ouvrir un débat large et sans tabou, entre les citoyens (usagers ou non), les cheminots, les associations, les régions, les élus (nationaux et territoriaux) et la SNCF, pour sortir d’une situation très mal vécue et largement contestée. Il revient aux pouvoirs publics de le permettre, et de l’organiser.

FA

L’égalité d’accès des citoyens au transport ferroviaire n’existe plus

Fréquentant la SNCF depuis l’âge de 11 ans, abonné SNCF entre Mer (Loir et Cher) et Paris durant 22 ans (de 1978 à 2000) et depuis usager régulier de la ligne Paris-Orléans-Tours, j’avais en décembre 2014 adressé au CLAD [1] et au Vice-Président chargé des transports à la Région Centre une lettre dénonçant la profonde dégradation des services offerts aux voyageurs. Aucune de ces lettres n’a reçu de réponse.

Près de trois ans plus tard, je reprends le dossier. On aurait aimé que le constat dressé il y a près de trois ans ne soit plus valable en 2017. Usagers et cheminots ont multiplié les alertes, les protestations, et même des grèves, pour la défense d’un service ferroviaire au service des populations. Des travaux d’infrastructures absolument urgents ont enfin été entrepris, avec les désagréments qu’ils supposent. On pouvait alors espérer une amélioration des services proposés. En fait, c’est pire ! Conséquence d’une logique de libéralisation/privatisation qui s’accélère, d’une recherche de rentabilité à courte vue et contre-productive, les services se sont encore dégradés, et les récents propos de Madame Élisabeth Borne, ministre déléguée aux transports annoncent de nouvelles aggravations...

J’examinerai successivement, du point de vue de l’usager, six points concernant la région Centre Val de Loire mais aussi, plus généralement, une offre nationale de transport ferroviaire des voyageurs fortement dégradée.

1. Rançon de la régionalisation et du cadencement, une rupture s’est opérée entre la région Centre et l’Ile de France.

Les nouveaux horaires mis en place depuis 2012 ont supprimé les navettes Les Aubrais-Orléans et Saint Pierre des Corps - Tours, ainsi que les trains directs Aqualys qui, entre Tours et Paris-Austerlitz, desservaient les gares intermédiaires comme le faisaient les trains « semi-directs » de jadis. Pour rejoindre Paris il y a désormais obligation de changer de train en gare d’Orléans, dégradation incontestable des dessertes assurées jusque là. Les lourds investissements (en nouveaux matériels notamment) effectués par les régions ont eu leur contrepartie, celle de leur rentabilisation, désormais assurée régionalement, au détriment des relations entre régions. C’est dans le cas d’espèce la rupture des continuités entre Ile de France et Centre Val de Loire, retour à une situation qui prévalait avant la construction de la gare des Aubrais, qui dès 1855 accueillait les express de Paris à Blois, Tours et Bordeaux...

Depuis 2012, les liaisons de début de matinée au départ de Mer et les retours de fin d’après midi à partir d’Austerlitz offrent, au prix du changement de train obligatoire dans les deux sens à Orléans, un éventail satisfaisant de possibilités. Mais hors de ces heures de pointe l’offre de transport est indigente [2]. Celle-ci a été également affectée par le cadencement, qui aboutit à un système ossifié, sans aucune souplesse [3] .

Quelques exemples sont donnés dans cette note [4].

Cinq ans plus tard, la suppression de trains directs (hormis deux trains quotidiens dans chaque sens au bénéfice des seuls Blésois) continue de peser sur les liaisons Tours-Paris. Au retour, des trains ’corail’ très longs, souvent en retard, compromettent les correspondances en gare d’Orléans, les 10 minutes prévues pour le changement de train se révélant à l’usage très/trop courtes, notamment pour des personnes âgées et/ou chargées de bagages, que vous voyez courir sur les quais. Au delà de quelques minutes de retard (les causes en sont innombrables...) les TER n’attendent pas, entraînant une arrivée à destination avec une heure voire deux heures après l’horaire prévu. Et si vous avez le mauvais esprit de vous en plaindre, vous aurez droit à une réponse parfaitement technocratique et auto-justificatrice, qui vous permet de mesurer le peu de cas que le ’Service relation client’, depuis Arras (!) fait de vous...

Toutes ces incohérences font que j’ai déjà dû, et devrai sans doute encore renoncer à me rendre à Paris parce que les liaisons n’existent pas ou sont fort incommodes. Des trains directs de Paris à Tours et de Tours à Paris ont existé jusqu’en 2012. Rendez-nous nos Aqualys ! Irréaliste me dit-on. Que l’on m’explique alors pourquoi ce qui était possible et commode il y a cinq ans ne le serait plus aujourd’hui ? Question d’autant plus légitime que suivant l’accord signé en décembre 2016, les trains d’équilibre du territoire (TET) - dont la ligne Paris-Orléans-Tours - jusque là en charge de l’état, reviendront au 1er janvier 2018 aux régions [5]

2. Un plein tarif dissuasif, des tarifs réduits non garantis...

L’expérience montre qu’à demi-tarif, le transport ferroviaire est ’compétitif’. Mais pas le plein tarif, absolument dissuasif, dès que vous le comparez au coût d’un voyage en automobile, péages inclus ! Les choses se compliquent encore si vous avez acheté une carte senior, car les trains en période blanche - aux horaires les plus intéressants naturellement – ne vous sont accessibles que moyennant pénalité de 50 % (je dis bien 50 %, car une réduction de 25% sur le plein tarif correspond bien à une augmentation de moitié du demi-tarif). Vouloir rentrer de Paris à Mer le dimanche soir à demi-tarif vous oblige à quitter Paris au plus tard à 13h 27, le dernier train de 20h 27, comme indiqué dans la note (3), n’existant pas le week-end.

La logique de ces pénalisations est malheureusement transparente, et repose sur le refus de renforcer ’l’offre’ en mettant en place plus de dessertes aux jours et heures de pointe : n’est-ce pas pourtant la loi du marché ? Dans les années cinquante et soixante (ce qui prouve que je suis un indécrottable passéiste) les dessertes étaient doublées au moins le dimanche soir et le lundi matin vers Paris, les vendredi soir et samedi vers la province, par une rame « supplémentaire » qui circulait trois minutes après l’horaire principal. Alors je sais, y a plus de train, y a plus de motrice, y a plus de personnel… L’usager n’y est pour rien, mais c’est l’usager qui est perdant. Il fut un temps où les cartes de réduction (senior, carte jeune et autres) vous donnaient effectivement droit à la réduction de 50 % contractuellement prévue. Peu à peu, l’application rigide des restrictions en période blanche s’est imposée, système mal vécu par les usagers. Au point qu’une note interne de la SNCF suggérait en janvier 2015 l’abandon des périodes bleues et blanches : ce qui serait le cas (?) pour les intercités - les billets pour les trajets correspondant aux périodes blanches étant surtaxés - le système étant semble-t-il maintenu pour les seuls TER... A quand sa suppression totale ?

3. Entre heures de pointe et low cost : une tarification qui défie le bon sens

Tout a commencé par la tarification variable des TGV, devenue une jungle inextricable, en contradiction avec une logique de service public, et le respect de l’usager, quel qu’il soit. Le système a gagné récemment les trains grandes lignes ’intercités’, où quelques places ’électroniques’ à prix cassés ne sauraient compenser un système opaque de sur-tarifications pour les jours et heures de pointe. Les usagers s’y trouvent souvent piégés, car ils n’ont pas toujours, même s’ils sont retraités, le choix du jour et de l’heure de leur trajet.

La SNCF propose par contre, en effet, des offres commerciales destinées au client « avisé », pour peu qu’il soit complètement libre de son temps, et dispose d’assez de loisirs pour bidouiller sur internet. Il y a aussi les aubaines que des affichettes promettent pour certaines destinations, un Paris-Brive, un Paris-Toulouse à 20 euros par exemple, soit un Paris-Orléans à plein tarif...

Comment comprendre que la distance kilométrique ne soit plus le principe de base [6] ou n’entre plus qu’accessoirement dans le calcul du prix ?

A l’heure où l’on déplore le déficit d’exploitation de la SNCF, les offres low cost se sont paradoxalement multipliées : « billets prems », « Intercités 100% éco », « billets premiers prix » de la filiale IDTGV. Des Paris-Marseille à 10€ sur Ouigo n’ont plus aucun rapport avec la réalité des coûts. En matière commerciale, les ventes à perte sont pourtant interdites...

Comment voulez-vous que les ’petits’ clients réguliers ou occasionnels, sur des trajets plus courts, ne se sentent pas méprisés, voire floués par cet étalage d’offres alléchantes, mais on le sait très contingentées... Elles ne peuvent que les convaincre que décidément, le train pourrait être beaucoup moins cher....
Mais il y a plus grave : avec l’allemand Flixbus ou la plate-forme GoEuro, la SNCF a signé des accords de partenariat organisant sa propre concurrence par la route, et sa filiale OUIbus dessert villes moyennes et grandes à des tarifs imbattables : plusieurs liaisons quotidiennes Paris-Orléans, à l’aller comme au retour, pour 5 € ! La guerre des prix bas dans le dos du train s’étend en 2015 avec les autocars de la ’marque’ Isilines de la filiale Eurolines de la multinationale Transdev, contrôlée par la Caisse des Dépôts et Véolia... Merci au Ministre Macron. Question subsidiaire : qui paye les infrastrutures routières utilisées ?

4. Entre incertitudes, obligations et interdits, un monde livré au tout internet ?

Depuis des années, la validité des billets était d’un mois (c’était commode, on pouvait prendre plusieurs billets à l’avance) elle a été réduite à huit jours. Après les ’TEOZ’, les trains ’RESA’ accessibles aux seuls « e-billets » sont une des trouvailles de ces dernières années. Si vous avez entre les mains pour votre trajet un billet cartonné obtenu au guichet ou à la borne de votre gare de départ, (et a fortiori un billet ’ouvert’ dit « open ») l’accès au train peut vous être refusé ! Mais désormais la SNCF a pris les devants, en surtaxant les billets « ouverts » et en vous obligeant à préciser les trains empruntés à l’aller comme au retour, sachant que tout changement sera facturé...

La volonté d’obliger l’usager à prendre tous ses billets par internet s’affirme chaque jour davantage, en négation du principe de l’égalité d’accès aux services ferroviaires, et qui bien sûr peut faire redouter la liquidation des derniers guichets encore ouverts ou leur transformation en vitrines commerciales. [7] les réservations internet que l’on cherche à nous imposer par tous les moyens ne sont pas toujours la solution commode et rapide que l’on prétend. Le système s’est encore compliqué avec des billets pris par internet qui « ne sont pas des billets » (j’ai vu des gens de bonne foi se faire appliquer de lourdes pénalités). Je ne dirai rien des billets ’virtuels’ sur smartphone, j’ai un téléphone portable qui est vraiment un téléphone, n’est pas connectable à internet et ne prend pas même de photo...

Ajoutons, quand vous avez la chance d’avoir accès à un guichet, la nouvelle obligation qui vous est faite de décliner votre identité et votre date de naissance pour obtenir un billet. Ajoutons encore qu’une place précise dans une voiture spécifiée vous est même imposée maintenant, contrainte qui n’existait pas dans des trains où le placement était libre. Déjà des titulaires pointilleux d’une telle réservation peuvent vous déloger d’une place où vous étiez commodément installé pour lire, voire pour travailler sur votre portable... La SNCF contribue ainsi au glissement général vers un univers quasi orwellien.

5. Dessertes et trains de nuit supprimés ou livrés à la concurrence

Durant les années 60 et 70, de nombreuses lignes ou dessertes déclarées déficitaires ont été passées à la tronçonneuse. Devant les protestations des cheminots et des usagers, certaines ont échappé à la suppression et quelques autres mêmes ont pu être rétablies depuis. La politique de suppression des lignes ’non rentables’ a repris, une liste étant proposée aux régions, charge à elles de mettre la main à la pâte...

Sur le terrain les résistances s’organisent, mais depuis la pernicieuse Loi NOTRe, qui en 2015 a donné aux régions la compétence transport, la lutte est inégale, la plupart des élus régionaux étant acquis à la nécessité de ces suppressions. Avec les horaires d’été 2017, plusieurs liaisons ont à nouveau été supprimées en Région Centre. Un rapport de la Cour des Comptes avait dénoncé le trop grand nombre de gares desservies par le TGV, des associations « localistes » comme ’Blois Paris Illico’ combattent la desserte des gares intermédiaires par les intercités. Le vieil adage suivant lequel les petits ruisseaux font les grandes rivières aurait-il perdu toute pertinence ?

La plupart des trains de nuit (ex-lunéa) ont disparu ou réduits aux week-end, comme annoncé et dénoncé par les syndicats de cheminots dès 2015. La liaison Nice-Paris Austerlitz y échappe pour l’instant, mais la ministre continue à nous resservir l’argument du surcoût dont le principe même est absurde dans un système complexe où la péréquation devrait être la règle. Chaque voyageur de nuit, nous a-t-on dit, coûterait « 100 € au contribuable » (!) je n’invente rien. Argument totalement fabriqué car les trains de nuit Nice-Paris - que je fréquente régulièrement depuis des années - sont généralement pleins, car extrêmement commodes, y compris pour de jeunes actifs. La volonté de les supprimer reste entière, la ministre en appelant à la concurrence, aux régions ou aux compagnies privées qui voudraient bien reprendre ce créneau. Il y a eu les cars Macron, à quand des Bornibus de nuit ? La défense de notre réseau ferré est entre de bien mauvaises mains...

6. De la sérénité au stress et à la défiance....

Il fut un temps où prendre le train était la garantie d’un trajet sûr, d’une arrivée à l’heure, de tarifs sans doute trop élevés mais fonction des distances parcourues... Je passe sur les aspects triviaux qui gâche la vie au quotidien comme la disparition des consignes dans la quasi totalité des gares, toilettes condamnées, fermées ou au mieux (!) payantes...

Je passe sur la persistance des retards, aux causes multiples, les raisons affichées allant du « retard à la mise en place » aux « ralentissements du trafic » notamment en période de fortes chaleurs car comme dans la chanson ’y a les rails qui se dilatent’. Suppressions, retards, correspondances non assurées, les sources d’inquiétude, de stress se multiplient, avant même l’arrivée en gare.

Pour finir, je rappellerai que nous disposions jusqu’à maintenant en Région Centre, comme ailleurs, de fiches horaires, valables six mois (horaires d’été et d’hiver) bien utiles pour préparer à l’avance nos déplacements : elles ont été supprimées. Désormais les horaires ne seraient donc valables et connus qu’au jour le jour, et consultables seulement par internet... Nos téléphones portables sont désormais encombrés par des annonces confirmant que le train pour lequel vous avez acheté un billet circule bien... Confirmation jadis inutile, ça allait de soi ! Il faut donc se faire à l’idée que l’offre de transport est devenue ’volatile’...

On pouvait aussi invoquer ces fiches horaires dans les gares de départ en cas de suppression ou de modification imprévue. Les agents SNCF voués aux renseignements et aux plaintes des voyageurs trouveront peut-être leur compte dans la suppression de ces fiches, mais c’est bien entendu au détriment du service rendu aux usagers. L’impression des fiches horaires par le voyageur tend à devenir aussi la règle pour les lignes intercités. Il serait bien toutefois que pour le justifier, on nous épargne l’argument des économies de papier ’au nom de la COP 21’, je n’invente rien : c’est se moquer du monde, car en fait la responsabilité du gaspillage est reportée sur l’usager : il faut savoir que pour une liaison Mer-Paris et retour une telle fiche consomme environ six feuilles, car toutes les possibilités imaginables vous sont proposées : outre le trajet normal (161 km et 33 € à plein tarif) vous sont proposés des Paris-Mer par Blois (210 km et 49 €) ou par TGV de Montparnasse à Tours puis correspondance TER, soit 280 km et 88 € ou davantage : ce qui n’est pas précisé, la seule indication étant le temps de parcours...

Quelques happy few y trouvent sans doute leur compte, (certains même l’auraient réclamé !) mais beaucoup de gogos ou d’inattentifs se sont fait et se feront piéger... C’est ainsi que la confiance s’effrite ou disparaît.

Jusqu’à quand le groupe SNCF continuera-t-il à marcher sur la tête ?

Ce qui parait donc désormais établi, c’est que dans notre pays l’égalité d’accès des citoyens au transport ferroviaire n’existe plus. Aux abords des villes moyennes ou sur les ’étoiles ferroviaires’ abandonnées - les ’haltes’ jadis vivantes sont désormais murées et desservies au compte gouttes par de très rares omnibus, renvoyant par défaut les usagers sur les routes, ce qui est un comble. Mais c’est aussi vrai pour les usagers des petites villes qui n’appartiennent pas au réseau des 354 gares « intercités » : ainsi Meung sur Loire, Beaugency et Mer souffrent, on l’a vu plus haut, de dessertes médiocres du fait de leur moindre taille, alors qu’en dépit de tout leur fréquentation augmente, la taille des parkings associés - parfois encore gratuits, mais pour combien de temps ? - le montre.

On se prend donc à rêver à ce que pourrait être un vrai service public ferroviaire, combinant dessertes de proximités, liaisons inter-villes et lignes à grande vitesse [8]. Le statut d’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial) donné à la SNCF par la LOTI en 1982 avait amorcé la fin de ce service public.

L’éclatement en 2010 du groupe SNCF en 3 EPIC, 6 « métiers » et une foule de marques, d’activités et de filiales distinctes, allant du transport routier (voyageurs et fret) à l’immobilier et à l’agence de voyages [9] n’a rien arrangé : ces entités distinctes multiples, aux dénominations éphémères, entre lesquelles le public a bien du mal à se reconnaître, ont comme de juste, logique de concurrence oblige, tendance à affirmer la qualité de leur propres services, au détriment de la qualité de l’ensemble.

Il faudrait aussi, en effet, sortir de la logique de compétition entre réseaux, entre gares [10] entre modes de transport, portée par l’obligation européenne de mise en concurrence généralisée, qui pénalise au final les hommes et les territoires, mais qu’élus territoriaux et dirigeants de la SNCF ne combattent pas mais anticipent. Encore faudrait-il en finir avec ce petit jeu mortifère où les régions et l’état se renvoient les responsabilités, petit jeu qui ne peut que nourrir de l’inquiétude pour l’avenir.

PL


[1Les Comités Locaux d’Animation et de Développement étaient le cadre où des échanges étaient possibles entre la SNCF, RFF, la Région Centre et les usagers. Le comité local du « barreau » Tours-Blois-Orléans, très strictement délimité et très encadré entre la Région et la SNCF, n’a guère fait la preuve de son utilité. Le dernier « relevé de décisions » de 2014 était particulièrement creux... Mais c’était sans doute encore trop. Le CLAD n’a plus été réuni depuis.

[2Il faut savoir qu’on est là devant une politique parfaitement délibérée. « ... En février 2015 la Cour des Comptes considère que la réforme de 2010/2011 a conduit à une ’gestion sans ambition’, où la société de transport souhaite réduire l’offre pour réduire les déficits. Cette situation ne permet pas à l’Etat, aux régions et à SNCF Mobilités de sortir de leurs négociations stériles ». (Article Intercités de Wikipedia).

[3Dans la région voisine des Pays de Loire, la FNAUT notait en avril 2017 : « sur de nombreux axes, l’absence d’offres supplémentaires maintient d’immenses plages horaires, toujours aussi vides de train (...) Le cadencement généralisé ne fait pas que des heureux... »

[4Ainsi dans le sens Mer-Paris, aucune liaison en semaine entre 10 h 51 et 14 h 51, ce qui interdit à quiconque d’arriver à Paris en début d’après-midi, sauf à prévoir d’y déjeuner, ce qui grève singulièrement le prix du voyage. Le TER de 12 h 51 permettant de prendre la correspondance pour Paris à Orléans à 13 h 28 n’existe que le samedi ! En semaine donc, un gros retard ou une suppression de train Tours-Orléans peut retarder votre arrivée prévue à Paris de 4 heures ! Dans le sens Paris-Mer, aucune desserte en semaine après celle de 6 h 27 (arrivée à Mer 8 h 09) la suivante est cinq heures plus tard, à 11 h 27, avec arrivée à Mer après 13 h ! Le seul train de matinée commode dans ce sens (Austerlitz 9 h 27, Orléans 10 h 32) qui roule tous les jours, n’a de correspondance pour Tours que les samedis-dimanche-et-fêtes ! Le voyageur doit donc, comme les contrôleurs en service jusqu’à Tours, attendre 2 heures à Orléans ! C’est n’importe quoi ! Peu de trains le soir, la dernière liaison avec correspon-dance (20 h 27 à Austerlitz) ne roule qu’en semaine !

[5Le petit quatre pages distribué en avril 2015 par les syndicats de cheminots CGT de la région de Tours « Vos trains d’équilibre du territoire (TET) sont en danger » annonçait très précisément ce qui allait se passer, et appelait les usagers à intervenir à leurs côtés... La régionalisation s’est révélée à l’usage une étape vers la mise en concurrence et la privatisation pure et simple du réseau ferré, en même temps qu’un cadeau empoisonné : le budget transport est devenu, après l’éducation, le deuxième poste de dépense des régions. Suivant le contrat signé par l’ancien Ministre Alain Vidalies, l’Etat participera encore deux ans au déficit d’exploitation affiché des lignes TET passées aux régions, puis de manière dégressive jusqu’en 2023, ces lignes pouvant/devant être ouvertes à la concurrence en 2024, voire dès 2020... si la région en fait la demande. CQFD, et que du coup le retour des Aqualys ou de leur équivalent pourrait être envisagé. La Région et la SNCF prendront-elles en compte l’intérêt des usagers ?

[6L’abolition virtuelle des distances-temps permise par la grande vitesse comme celle des distances-kilomètres par une tarification déconnectée du réel participe d’un véritable programme - multiforme - de déterritorialisation, qui au nom de la modernité technique brouille de diverses manières le rapport de chacun à l’espace. Pertes de repère dont on n’a sans doute pas encore mesuré tous les effets pervers.

[7Comme j’ai pu le vérifier récemment Une tentative d’obtenir par internet (le 1er juillet pour le lendemain) un billet pour un aller Cahors-Cannes via Toulouse s’est révélée pleine d’imprévus et d’enseignements : trains supprimés, voire qui s’évaporent au cours de votre recherche, paiements (ô combien sécurisés) qui ne peuvent aboutir, Big Brother exigeant soudain de vous une identification à partir de la ligne fixe de votre domicile, à 400 km de là... Près de deux heures d’efforts n’ont tout simplement pas pu aboutir. Le lendemain matin, sur une borne de la gare de Cahors, il m’a fallu moins de deux minutes pour obtenir un billet Toulouse-Cannes sur le Bordeaux-Nice. Il y avait bien deux heures d’attente à Toulouse mais le trajet était ensuite direct. Avec un bon livre...

[8Si le jugement que je porte sur la SNCF est sévère, j’en reste un usager très régulier, mais de plus en plus stressé. Je crois savoir qu’il peut y avoir beaucoup mieux (le système de transport suisse mériterait d’être examiné) et je sais qu’il y a pire chez nos voisins. De l’autre côté de l’Atlantique, le numéro d’aout du Monde Diplomatique décrit la dégradation de l’éventail ferroviaire argentin : c’est une caricature, mais les parallèles sont malgré tout saisissants

[9Voyages Sncf.com m’envoie quasi quotidiennement des messages électroniques me proposant billets d’avion et nuits d’hôtel dans le monde entier, jusqu’à des « ventes privées » réservées au « client privilégié » que je suis censé devenir... Du « décollage immédiat pour des petits prix » au « jouez les explorateurs avec intercités 100% petits prix », ce marketing infantilisant est affligeant. De la même façon, à l’instar des ’cartes de fidélité’ des grandes surfaces, et pour des avantages insignifiants, la carte ’voyageur’ vous suit désormais à la trace, pour mieux vous proposer, chaque jour ou presque, toute une série de services et d’offres commerciales parfaitement accessoires.

[10Les nouvelles hiérarchies entre gares, parfaitement arbitraires, permettent des bizarreries où, dans le Loir et Cher comme ailleurs, la ’com’, le ’marketing’, peut l’emporter sur le bon sens. Sur l’autoroute A10, Monsieur Vinci ne se/vous trompe pas, en indiquant que pour le château de Chambord il convient de sortir à l’échangeur de Mer. De Mer, on peut en effet facilement aller à Chambord (même à pied !) parce que c’est juste de l’autre côté de la Loire. Mais sans doute pour augmenter ’l’attractivité’, la ’notoriété’ de la ville de Blois, la dernière trouvaille a été de rebaptiser sa gare « Blois-Chambord ». Ce qui revient à dévaloriser le très beau château royal du lieu, en l’associant à un château sans doute encore plus prestigieux mais éloigné d’une vingtaine de km vers l’est, pour lequel il n’y a bien entendu peu ou pas de transport collectif... On n’est pas loin de la publicité mensongère... Blois n’a pourtant pas osé annexer, à une vingtaine de km à l’ouest, le château de Chaumont sur Loire, justement associé à Onzain, avec sa gare désormais dénommée Onzain-Chaumont comme Chambord aurait pu et dû l’être à Mer : inégalité de traitement que certains attribuent à des réglements de compte politiciens, mais conforme en somme au fait qu’Onzain, à la différence de Mer, est une des 354 gares du réseau intercités...

   

Messages

  • 1. La bataille du rail !
    15 décembre 2017, 17:33 - par RICHARD PALAO


    habitant de la région CENTRE VAL DE LOIRE et usager de la SNCF je suis en accord total avec cette contribution qui décrit parfaitement le massacre de l’un de nos meilleurs service public , massacre programmé par l’ UE avec comme objectif final : la privatisation de la SNCF comme celle de tous les autres services publics .
    Seule une lutte unie et de longue durée des personnels et des usagers permettra de faire obstacle à cette privatisation , assurera la pérennisation de l’entreprise et son développement .
    C’est plus facile à dire qu’à réaliser , car à ce jour la propagande au service de cette politique ultra-libérale a réussi à dresser les usagers contre le personnel " preneur d’otage" lorsqu’il fait grève , et a exonérer la responsabilité des gouvernements successifs en accusant le service public d’être incapable d’assurer un service de qualité , sous entendu des entreprises privées seraient plus performantes ...
    Il convient donc continuer comme le font les auteurs de ce texte à apporter le "contrepoison" , argumenter , débattre , pour convaincre que les luttes et actions du personnel vont dans le sens des intérêts des usagers , pour un bon service , respectueux de la ponctualité , du confort , de la sécurité souvent négligée comme hélas cela vient d’être démontré avec le tragique accident de MILLAS , le tout avec des tarifs abordables , soit le contraire du tout TGV imposé par les pouvoirs publics à la SNCF ...

    RICHARD PALAO

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