Accueil > Voir aussi > Guerre contre le Venezuela : comprendre la nouvelle doctrine Trump
Guerre contre le Venezuela : comprendre la nouvelle doctrine Trump
jeudi 16 octobre 2025 par Carmen Navas Reyes
c’est en prétextant l’existence de cartels de la drogue que, le 15 octobre 2025, Donald Trump a redonné officiellement feu vert à la CIA pour renverser le gouvernement de gauche du Venezuela. Certains élus démocrates ont tenté en vain de freiner les exécutions extra-judiciaires ordonnées par le mandataire états-unien dans les eaux internationales contre de soi-disant « trafiquants de drogue ».
Le président colombien Petro a demandé l’ouverture d’une enquête pénale contre Trump pour ces assassinats et a exigé que « les forces militaires étrangères qui menacent non seulement le Venezuela, mais aussi l’ensemble des Caraïbes, y compris la Colombie, se retirent ».
Comme les rapporteurs de l’ONU, Petro a rappelé une vérité simple, connue de tous : ces cartels n’opèrent pas au Venezuela mais dans la zone du Pacifique, entre Equateur, Colombie, Mexique et USA. C’est d’ailleurs parce que ces cartels n’ont jamais réussi à contrôler le Venezuela que le paramilitarisme colombien a toujours chercher à déstabiliser la révolution bolivarienne. En finançant les coups d’État co-organisés par la nouvelle « prix Nobel de la paix » – l’oligarque d’extrême droite, pro-Netanyahu, Maria Corina Machado. Ou en appuyant les violences d’extrême droite relookées par les médias en « révoltes populaires contre Maduro ».
C’est le moment de comprendre avec Carmen Navas la nouvelle doctrine que Donald Trump a mise en place face à la doctrine de défense bolivarienne.
Le trumpisme et la « paix par la force ».
De Monroe à Trump, l’unilatéralisme
La célèbre doctrine Monroe (MD) de 1823, que les peuples du Sud connaissent bien, est la première grande déclaration unilatérale des États-Unis : « L’Amérique pour les Américains ». Sous son hégémonie, la sphère d’influence et le droit d’intervention dans cette vaste région s’étendant du Mexique à l’Argentine ont été établis. C’est l’ancêtre de la doctrine Trump dans son intention de placer la souveraineté de ce pays au-dessus de celle de la région.
Le corollaire Roosevelt de 1904 : le président Theodore Roosevelt (1901-1909) a étendu la doctrine Monroe, justifiant une intervention militaire préventive dans la région afin d’éviter toute instabilité. Il s’agit de l’expression la plus claire de l’interventionnisme états-unien. Fort de cette thèse, il a envahi le Panama et Haïti, ainsi que les Philippines en Asie.
On pourrait dire qu’il s’agit là de la lignée la plus directe de la « paix par la force » avant Trump.
La Doctrine Truman, 1947, et l’endiguement : ici, pour la première fois, l’unilatéralisme cède la place au multilatéralisme mené par les États-Unis. Un système d’alliances (OTAN) est mis en place et des mesures sont prises sous l’égide d’institutions internationales (ONU) pour contenir un rival. C’est l’opposé de l’approche de Trump.
La doctrine Bush (après le 11 septembre) : Guerre préventive et promotion de la démocratie par la force, en particulier après les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles. Similaire à Trump dans l’utilisation de la force, mais différente dans son objectif ; Bush cherchait à transformer les régions en installant des nations plus à son goût (« reconstruction de nations ») ; Trump n’a aucun intérêt à prétendre se soucier des autres pays.
« La paix par la force » contre les mécanismes multilatéraux de consolidation de la paix
Selon ce qui était idéalement le modèle multilatéral des Nations unies, qui fête ses 80 ans cette année, la paix se construit par la diplomatie, le droit international, la coopération et l’aide au développement ; le recours à la force est toujours un dernier recours et s’exerce sous le mandat du Conseil de sécurité. La Charte des Nations unies repose sur l’égalité souveraine des États et l’interdiction du recours à la force, sauf en cas de légitime défense ou avec autorisation expresse.
Le modèle Trump (« La paix par la force ») veut mettre définitivement fin à l’ONU. Le 29 janvier 2014, à La Havane, à Cuba, lors du deuxième sommet de la CELAC, l’engagement en faveur de la paix et de la stabilité a été réaffirmé en déclarant l’Amérique latine et les Caraïbes zone de paix, afin de consolider une région exempte de conflits et de tensions, en promouvant le dialogue et la coopération comme outils clés pour résoudre tout différend.
La dernière tournée de Marco Rubio dans les Caraïbes et d’autres pays d’Amérique latine visait à briser ce consensus. Le 15 septembre 2025, le président Nicolas Maduro a convoqué une réunion extraordinaire de la CELAC afin de tenter de rétablir cet esprit.
Au cours des premiers mois de son second mandat, Trump nous a donné des indications selon lesquelles, pour lui, la paix est un sous-produit d’une puissance militaire écrasante (« la paix par la force »), faisant ainsi référence à l’administration Ronald Reagan. La dissuasion par la menace de la force militaire remplace la diplomatie et constitue un outil de premier choix – et non un dernier recours – qui est exercé de manière unilatérale si une menace pour les intérêts nationaux est perçue.
La « guerre contre la drogue » dans les Caraïbes comme expression de la doctrine Trump
Les Caraïbes comme « troisième frontière » et zone de transit pour les stupéfiants. Traditionnellement, l’approche de cette région a été mixte (coopération en matière de sécurité + aide au développement). Dans le cadre de la nouvelle doctrine Trump, les opérations militaires sont intensifiées à un niveau sans précédent ; l’interdiction est privilégiée par rapport aux programmes de coopération visant à lutter contre la toxicomanie ou à la traiter, et les pays sont soumis à des pressions sous la menace de sanctions s’ils ne coopèrent pas pleinement avec les programmes de sécurité des États-Unis (ce qui rappelle la politique du « grand bâton »).
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les opérations actuellement menées dans le bassin des Caraïbes sous commandement purement militaire et sécuritaire, qui accordent moins d’importance à la coordination avec les agences civiles ou les gouvernements locaux en termes de coopération et qui ont pour objectif de faire avancer la stratégie de changement de régime en identifiant le Venezuela comme l’ennemi principal dans cette région.
La région est traitée comme une scène sur laquelle exercer la force pour protéger la frontière sud, l’arrière-cour ou la zone vitale des États-Unis, et non comme une communauté de nations partenaires avec lesquelles construire une paix et une stabilité à long terme. Il s’agit d’une « paix » imposée par la force.
La symbolique du pouvoir : le nouveau département de la « guerre » (DOW) et la fusion entre sécurité et diplomatie
L’idée de renommer le département de la Défense (DOD) en département de la Guerre (DOW), une appellation historique, n’est pas seulement anecdotique ; l’administration Trump tente de créer un symbole de son pouvoir : le DOW implique une position ouvertement offensive, agressive et active, qui exprime sans ambiguïté le désir de faire revivre l’esprit des États-Unis, la plus grande puissance militaire du monde, et de mettre une fois de plus fin au modèle de l’après-guerre, y compris l’ONU et le droit international.
C’est dans ce contexte que s’inscrivent les opérations actuellement menées dans le bassin des Caraïbes sous commandement purement militaire et sécuritaire, qui accordent moins d’importance à la coordination avec les agences civiles ou les gouvernements locaux en termes de coopération et qui ont pour objectif de faire avancer la stratégie de changement de régime en identifiant le Venezuela comme l’ennemi principal dans cette région.
La région est considérée comme un terrain d’action où la force peut être utilisée pour protéger le sud.
Marco Rubio symbolise sans aucun doute l’affaiblissement délibéré de la diplomatie des États-Unis ; son double rôle de secrétaire d’État et de principal conseiller à la sécurité nationale le place dans la même position sinistre qu’Henry Kissinger dans les années 1970, ce qui n’augure rien de bon, comme l’a montré le passé pour des pays tels que Cuba, le Venezuela et le Nicaragua, mais aussi pour les mouvements populaires du Sud qui ont déjà entrevu ce que ces décisions impliquent.
La politique étrangère états-unienne est de plus en plus fondée sur des critères de sécurité (migration, trafic de drogue, terrorisme, communications), et la diplomatie se limite à défendre des intérêts et à agréger des pays satellites.
Enfin, ces changements suggèrent une transformation profonde et durable dans la mentalité de la politique étrangère étatsunienne, qui continuera probablement à influencer l’avenir, quelle que soit l’administration, de sorte que nous pourrions être confrontés à une nouvelle doctrine : le trumpisme.
Donald Trump tente de laisser cet héritage au monde comme principe directeur, caractérisé par une tentative de repositionner les États-Unis comme détenteur d’une puissance militaire absolue, d’une souveraineté nationale et d’un mépris pour le multilatéralisme. En effet, nous n’avons plus affaire à la première puissance économique mondiale, ce qui affecte proportionnellement ses capacités militaires et autres. C’est pourquoi Trump se retrouve également dans une course de vitesse, qu’il semble être le seul à vouloir mener, en combattant sur plusieurs fronts à la fois.
La doctrine Trump naissante, esquissée dans son discours à la 80e Assemblée générale des Nations unies, serait alors un hybride qui, d’une part, ravive l’unilatéralisme isolationniste de Monroe et le « big stick » de Roosevelt, s’éloigne de la responsabilité de Bush dans la « reconstruction de nations », tout en enterrant le cadre multilatéral de Truman pour contenir les rivaux ou les adversaires.
Photo : L’USS Iwo Jima, navire d’assaut amphibie, un des navires états-uniens déployés dans les Caraïbes
Source : https://portal.globetrotter.media/2025/10/13/trumpism-and-peace-through-strength/
Traduction : Thierry Deronne
Voir en ligne : https://venezuelainfos.wordpress.co...
L’autrice : Carmen Navas Reyes est une politologue vénézuélienne (UBV), titulaire d’une maîtrise en écologie pour le développement humain (UNESR). Elle prépare actuellement un doctorat en études latino-américaines à la Fundación Centro de Estudios Latinoamericanos Rómulo Gallegos (CELARG) au Venezuela. Ex-Directrice exécutive de l’Institut Simon Bolivar pour la Solidarité et la Paix entre les Peuples (ISB), elle est membre du Conseil consultatif international de l’Institut Tricontinental de Recherche Sociale.

