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Comment l’attaque d’Israël sur l’Iran peut-elle favoriser l’expansionnisme azerbaïdjanais ?

lundi 16 juin 2025 par causeusedulundi

Les récentes attaques d’Israël sur l’Iran visent à démolir le dernier grand rempart à l’impérialisme occidental au Moyen-Orient. Tous les regards se tournent vers les pays arabes : quelles vont être les conséquences de cette guerre embryonnaire ?

C’est bien normal, les premières cibles de l’État d’Israël à sa naissance ont été les pays arabes. Cependant, le Caucase récoltera également les effets par ricochet de ces affrontements et c’est une région qui pèse aussi gravement dans les rapports de forces internationaux. L’Iran partage en effet une frontière avec l’Azerbaïdjan et une autre avec l’Arménie. Dans un contexte post-guerre où l’Azerbaïdjan est gagnant, l’état de sa puissance aura des conséquences pour la sécurité de la région, et de la sienne propre.

Histoire et étymologie

La République d’Azerbaïdjan est un pays qui est frontalier du nord de l’Iran. Créée à l’occasion de la chute de l’Empire russe, en 1918, elle tire son nom d’ « Atrpatakana » en vieux perse, devenue ensuite « Azerbaïdjan » et qui désigne la région au nord de l’Iran où vit une très importante communauté turcique nommée « azérie [1].

En 1918, la population de la jeune république était composée de Tatars, d’Arméniens et d’autres minorités. Mais son nom révèle une des principales motivations de son existence : annexer à long terme l’Azerbaïdjan iranien. L’argument est de dire qu’il s’agit du même peuple d’une part et d’autre de l’Iran qui doit être réuni en un seul et même Etat. Une conception trouve sa pleine explication dans l’idéologie panturque : les peuples de langue turcique constituent un seul et même peuple devant s’unir dans un État s’étendant des Balkans à l’ouest de la Chine.

Contexte de guerre dans le Sud Caucase

En 2020 l’Azerbaïdjan attaque le Haut-Karabagh. Éclate une seconde guerre, à laquelle la petite république autoproclamée ne résiste pas. Le Haut-Karabagh et l’Arménie, son alliée militaire et diplomatique, en viennent donc à négocier avec l’Azerbaïdjan des traités en leur défaveur. Les deux États sont à ce point affaiblis qu’en 2023 l’Azerbaïdjan réussit à chasser tous les Arméniens du Haut-Karabagh et à imposer la dissolution de ses institutions.

Mais ce n’est pas tout. Depuis 2021, l’armée azerbaïdjanaise viole la souveraineté de la République d’Arménie [2] en s’introduisant dans son territoire à intervalles irréguliers pour prendre le contrôle de plusieurs villages.
Parmi les régions touchées, une d’elles est la plus stratégique : le Syunik. Elle s’étend du sud à la frontière nord de l’Iran. Cette région est prise en étau entre le Haut-Karabagh désormais azerbaïdjanais et le Nakhitchevan, une république autonome de l’Azerbaïdjan…à l’ouest de l’Arménie. [3]
Le Nakhitchevan étant lui-même frontalier de la Turquie, le Syunik constitue cet étroit bout de terre qui, conquis, permettrait enfin aux panturcs de voir leur rêve de continuité territoriale se réaliser.

C’est pourquoi dans les négociations qui ont suivi la défaite arménienne de 2020, l’Azerbaïdjan développe le projet d’un corridor appelé « corridor du Zanguezour » (le nom turc donné au Syunik) – en vert sur la carte du Courrier International- . Ce corridor désigne la route qui relie l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan, fermée jusqu’alors pour des raisons de sécurité. Le projet n’apparaît pas dans les accords de cessez-le-feu, mais le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev menace de le réaliser par la force [4] si l’Arménie ne l’accepte pas.

En octobre 2023, Guillaume Perrier analyse :

  • « L’ambition affichée d’Aliev et Erdogan est d’ouvrir « dès que possible » un nouveau couloir commercial et énergétique entre l’Asie centrale et l’Ouest. Le « corridor de Zanguezour » envisagé par Bakou prévoit de relier le Karabakh et l’enclave du Nakhitchevan en réhabilitant une ancienne route soviétique le long de la frontière avec l’Iran. Ce « corridor turc » connectera la Turquie à l’Asie centrale et à la Chine, réalisant ainsi le rêve d’une union géographique des peuples turcs. » [5]

Le rôle de l’Iran

Or, si malgré les avancées de l’Azerbaïdjan dans la région, le Syunik ne tombe pas, c’est qu’il n’y a pas qu’aux puissances panturques qu’elle importe. L’Iran lui porte une attention toute particulière. Tout d’abord parce que c’est la route du commerce qui lie l’Arménie à l’Iran et permet également pour l’Iran de se connecter à la Russie. Quant à l’Arménie, l’Iran est la seule puissance de la région ayant une frontière avec elle et sur laquelle l’Arménie peut s’appuyer pour assurer sa survie, dans un contexte d’asphyxie économique et diplomatique.

Ensuite, parce que la route qui relie l’Azerbaïdjan au Nakhitchevan à l’extrême-sud du Syunik est à la frontière du nord de l’Iran. Si l’Azerbaïdjan s’empare de cette route, son projet d’intrusion dans le nord de l’Iran (Azerbaïdjan iranien) deviendra concrétisable. L’Iran a donc plusieurs fois laissé entendre qu’elle ne laisserait pas l’Azerbaïdjan prendre militairement contrôle de cette frontière, qu’elle riposterait si ce dernier en faisait la [6]

Aujourd’hui

Affaiblie par le contexte international, l’Iran se trouve seule face aux attaques d’Israël :. les rares pays qui pouvaient la soutenir ont eux aussi été mis hors d’état de nuire. C’est le cas du Liban dont la résistance contre Israël dépendait notamment du Hezbollah, financé par l’Iran . Israël a touché la Résistance en plein cœur en éliminant son chef Hassan Nasrallah en 2024.

C’est aussi le cas de la Syrie : la chute de Bachar Al-Assad a été favorisée par l’affaiblissement de ses alliés tel que le Hezbollah, mais aussi la guerre en Ukraine qui occupe son allié russe. La Syrie est aujourd’hui menacée de décomposition : la dictature d’Al-Assad a laissé place à un paysage chaotique qui n’annonce rien de bon en termes de sécurité.

Or, c’est précisément ce type de scénario qui peut toucher l’Iran. L’exemple de la Syrie peut nous permettre de l’illustrer. La Syrie est pour l’instant sous le contrôle d’au moins quatre forces : le parti islamiste Hayat Tahrir al-Cham qui a formé son gouvernement il y a peu, allié d’Israël [7], la Turquie au Nord-Ouest et les Etats-Unis qui ont leurs positions militaires notamment dans le Nord-Est du pays et Israël qui détient le plateau du Golan.

C’est donc un pays qui n’est pas souverain, dont la gestion se fait en fonction des intérêts étrangers, différents mais qui ne se contredisent pas suffisamment pour les considérer comme opposés.

Bien sûr, la puissance de la Syrie et celle de l’Iran ne sont pas comparables et il est difficile de s’imaginer pouvoir démembrer un Etat aussi vieux et puissant que celui d’Iran , mais ce genre de plan est celui auquel espèrent arriver les ennemis jurés de l’Iran que sont les USA et Israël, si son système de défense nationale est vaincu.
Un des éléments perturbateurs peut être l’irrédentisme azerbaïdjanais concernant l’Azerbaïdjan iranien et les diplomates iraniens en sont conscients.

Ainsi M. Ardavan Amir Aslani, géopolitologue déclare-t-il en 2023 :

  • « La menace azérie et plus largement panturquiste dans le Caucase fait depuis longtemps partie des principales préoccupations stratégiques de l’état-major iranien, qui craint les tentatives d’encerclement du monde turc. Aujourd’hui, l’évolution du contexte géopolitique régional semble confirmer ces inquiétudes. » [8]

Les Iraniens savent que les projets panturcs concordent bien avec la volonté de l’Occident d’affaiblir l’Iran pour en maîtriser les ressources. Les puissances occidentales alliées d’une part à la Turquie par l’OTAN, mais aussi alliées commerciales historiques de l’Azerbaïdjan (gaz et pétrole) n’ont aucune raison d’aller contre les projets de ces deux États.
Une vérité qui ne semble pas intéresser Erevan.
Depuis 2020, le Premier Ministre Nikol Pachinian a non seulement largement cédé aux revendications territoriales azerbaïdjanaises, mais il a fait entrer son pays dans la voie de la normalisation avec la Turquie depuis voilà maintenant un an et cherche à s’approcher de l’Union Européenne pour ce qui concerne la Défense.

Des décisions qui vont contre la raison d’Etat arménienne, mais aussi, indirectement contre les intérêts d’Etat iraniens. C’est dire l’importance du positionnement de l’Arménie dans le jeu international opposant les puissances de l’Ouest contre celles qui lui résistent (Iran, Russie, Chine pour l’Asie).

Dans cette situation nous pouvons nous demander combien de temps encore l’Iran pourra être un rempart diplomatique et militaire contre le projet expansionniste panturc dans la région du Sud Caucase.


Voir en ligne : https://causedulundi.wordpress.com/...


[1Le terme azéri désigne à l’origine une langue iranienne existant avec l’arrivée des peuples turcs.

[2Que le nationalisme azerbaïdjanais appelle aussi « Azerbaïdjan occidental ».

[3Peuplée à moitié d’Arméniens en 1918, elle en est depuis vidée et il ne reste majoritairement que des Azéris. Avec l’accord du pouvoir bolchévique, le Nakhitchevan, canton historique de l’Arménie historique, devient république azerbaïdjanaise, avec cet adjectif « autonome » qui l’accompagne pour faire mine de croire qu’un risque de nettoyage ethnique n’existe pas et que les peuples de cette contrée trouveront par le dialogue le moyen de vivre côte à côte.

[4« The creation of the Zangezur corridor fully meets our national, historical and future interests. We are implementing the Zangezur Corridor, whether Armenia wants it or not. If Armenia wants it, then the issue will be resolved easier, if it does not want it, we will decide it by force » https://jam-news.net/what-will-become-of-the-zangezur-corridor-comments-from-azerbaijan-and-armenia/

[5L’Arménie dans la broyeuse panturque

[6Le corridor de Zanguezour constitue la ligne rouge de l’Iran (Président de la Commission de sécurité nationale du Parlement)

[7Al-Joulani, ex chef des « rebelles » HTC , aujourd’hui président déclarait « Nous sommes ouverts à l’amitié avec tous les pays de la région, y compris Israël. Nos ennemis sont le régime Assad, le Hezbollah et l’Iran. Les actions d’Israël contre le Hezbollah au Liban nous ont beaucoup aidés. Nous nous occupons maintenant du reste. »

Un chef rebelle syrien exhorte Israël à soutenir le soulèvement et à frapper les forces pro-Iran – The Times of Israël

[8« La menace azérie et plus largement panturquiste dans le Caucase fait depuis longtemps partie des principales préoccupations stratégiques de l’état-major iranien, qui craint les tentatives d’encerclement du monde turc. Aujourd’hui, l’évolution du contexte géopolitique régional semble confirmer ces inquiétudes. » déclare le géopolitologue iranien Ardavan Amir Aslani https://www.amir-aslani.com/lindispensable-intervention-militaire-iranienne-en-faveur-de-lintegrite-territoriale-de-larmenie/

   

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