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Stratégie et tactique du gouvernement et des gilets jaunes : propos d’étape

lundi 17 décembre 2018 par ingirumimus

Partons tout d’abord de ce fait : le mouvement des gilets jaunes est semaine après semaine soutenu par une très large majorité des Français. C’est ce que nous voyons sur le graphique ci-dessous, tous les sondages vont dans le même sens [1]. Et il l’est encore après plus d’un mois de lutte. En même temps que les Français s’engagent dans une forme de lutte sociale inédite dans ses formes comme dans ses objectifs, ils démontrent que le gouvernement est très faible, qu’il peut être emporté d’un coup de boutoir ultime, et pire encore qu’il n’a aucune capacité à anticiper quoi que ce soit.


Cette très large approbation des Français est assez inédite. Mais comme on le sait le mouvement est maintenant admiré et reproduit dans le monde entier, en Europe, en Israël et jusqu’aux États-Unis. Il sert de modèle aux Britanniques qui veulent appuyer une sortie rapide et dans l’honneur, ce qui n’est pas facile [2]. Une nouvelle internationale est en train de se mettre en place en dehors de toute structure bureaucratique habituelle. C’est donc un phénomène historique que nous venons de vivre.

Si les revendications des gilets jaunes sont maintenant bien connues, ils auront ébranlé les institutions : non seulement l’État, mais aussi les médias complices de l’oligarchie et aussi ce qu’on appelle les corps intermédiaires, les partis et les syndicats qui après les avoir insultés et moqués se sont placés à sa remorque. Les gilets ont d’abord fait preuve de beaucoup d’inventivité et, dans un contexte difficile, ayant l’ensemble des institutions contre eux, ils ont imposé leur calendrier et réussi une percée décisive du mouvement social, là où un an et demi de défilés Bastille-Nation n’avaient rien obtenu.

Fresque murale à Miami rendant hommage à la lutte des gilets jaunes

De la stratégie

Le succès des gilets jaunes est à la fois stratégique et tactique. La stratégie des gilets jaunes s’est d’abord appuyée sur une lutte classique contre la hausse du carburant, faisant la démonstration que le gouvernement ne cherchait pas par là à lutter contre le réchauffement climatique, mais plutôt à faire encore un peu plus les poches des plus pauvres pour boucler son budget et satisfaire ainsi la bureaucratie européiste.

Rapidement on est passé à la phase 2, dès qu’on s’est senti un peu plus nombreux sur les ronds-points. L’élargissement des revendications s’est généralisé un peu partout en France, et malgré la multitude des propositions, se sont dégagées des lignes de force communes [3]. Deux types d’exigences se sont fait jour : hausse du SMIC et des retraites, rétablissement de l’ISF et abolition du CICE, ceci pour l’aspect économique immédiat, et aussi la mise en place d’un référendum d’initiative populaire, popularisé sous l’acronyme de RIC, Référendum d’Initiative Citoyenne – à partir de 700 000 signatures – et une diminution des salaires des députés.

Cette phase deux a fait émerger la volonté populaire de prendre la parole : en effet, en démocratie, le peuple devrait avoir toujours le dernier mot, or par les temps qui courent, et plus encore depuis que le pouvoir de l’Union européenne s’est renforcé, le peuple est privé de la parole. L’exemple le plus significatif est le référendum de 2005 sur le TCE qui a vu le peuple volé tout simplement du résultat de son vote par une classe qui ne respecte même pas ses propres règles qui pourtant lui sont très favorables.

En Grèce on a l’exemple du misérable Tsipras qui a organisé un référendum pour faire ensuite l’exact inverse de ce que ce référendum indiquait. Comme on le voit le but ultime du mouvement des gilets jaunes et de rendre la parole au peuple. Il y a cependant une troisième phase qui s’est développée, c’est l’objectif de faire partir Macron. « Macron démission » est le slogan le plus populaire sur les ronds-points et aux péages. Il est vrai que le président est comme le dit Franz Olivier-Giesbert une vraie tête à claques et focalise facilement sur lui la haine populaire.

Les revendications des gilets jaunes n’ayant ni de près ni de loin satisfaites, le mouvement continue. Notez sur le graphique publié ci-dessus que le 12 décembre, soit après les annonces de Macron, le soutien populaire aux gilets jaunes est toujours aussi élevé. Cette constance montre à tout le moins que les Français ont compris que Macron cherchait à gagner du temps et non à satisfaire la colère légitime.

Face à cette stratégie évolutive des gilets jaunes, Macron et son gouvernement ont joué la carte habituelle du pourrissement, tactique aussi vieille que le capitalisme. D’abord ils ont cherché à dire que jamais ils ne reculeraient, que non seulement la taxe était bonne pour lutter contre le réchauffement climatique, mais qu’ensuite il n’était pas question d’augmenter le SMIC parce que cela tuerait l’emploi. Pénicaud et Philippe ont sorti cette blague, qui a fait ressortir que pour le gouvernement les seules bonnes hausses étaient celles accordées aux très riches via l’abolition de l’ISF et le CICE.

Devant l’extension et le durcissement du conflit, le gouvernement a commencé à reculer : d’abord en annulant les taxes et les hausses sur l’énergie qui devaient avoir lieu en janvier, ensuite en faisant intervenir le président à la télévision qui a annoncé toute honte bue qu’il allait augmenter le SMIC de 100 euros par mois, un chiffre rond qui était censée marquer les esprits, sauf qu’au même moment le gouvernement espagnol annonçait lui, une vraie hausse du SMIC de 22,3% [4].

Dans une allocution larmoyante et confuse, on a vu un homme fébrile, sans stratégie, décomposé à l’écran, amaigri, faire un acte de contrition, avouant qu’il avait été nul et médiocre en tout et sur tout, et que finalement il allait se résoudre contraint et forcé de faire un geste, une aumône. Dans un premier temps cela a semblé marcher, mais ensuite on a compris que Macron et son équipe d’incompétents avaient monté une sorte d’usine à gaz qui faisait que la hausse du SMIC n’en était pas une, à peine une extension de la prime d’activité qui serait financée sur fonds publics, et qu’en plus cette hausse ne serait pas pour tout le monde et qu’elle serait effective au mieux pour le mois de juin [5] !

A cela on a ajouté qu’on demanderait aux entreprises qui le veulent bien de donner une prime de Noël, manière de dire qu’au fond ce sont encore les patrons qui font la loi puisque cette prime n’est pas un droit, mais dépend de la bonne humeur du patronat [6]. Le résultat de cette stratégie erronée est que le 15 décembre, on a eu droit à un acte V à Paris ! Peu importe s’il y a moins de monde dans la capitale, car dans le même temps les gilets jaunes ont décidé d’étendre les manifestations dans toutes les villes de France. Il est d’ailleurs possible que si Macron avait été moins borné, et qu’il ait fait des concessions plus rapidement, le mouvement ne se serait pas développé comme il l’a fait par la suite.

Confondant entêtement imbécile et volonté politique, il a démontré qu’il n’avait aucun sens tactique.

La tactique des gilets jaunes et supérieure à celle du gouvernement

Si stratégiquement le gouvernement est complètement dépassé, il l’est aussi tactiquement. L’idée de génie des gilets jaunes est de s’être emparé des ronds-points, ralentissant la circulation sans la paralyser, s’attaquant plus spécifiquement aux grandes surfaces et aux péages autoroutiers pour offrir la gratuité, et occuper l’espace pour en faire de fait un lieu de débats et de prise de parole. S’emparer des carrefours signifie clairement que nous sommes arrivés à un endroit particulier de l’histoire du quinquennat de Macron. Soit celui-ci écoute le peuple, soit il finira dans les poubelles de l’histoire s’il ne prend pas le chemin indiqué par cette croisée des chemins.

Mais le symbole de ces carrefours c’est aussi l’union du peuple par-dessus les partis et les bureaucraties syndicales, une convergence des oppositions qui viennent de tous les côtés. Le gilet jaune est comme la blouse de l’école primaire dans l’ancien temps : il masque les divisions idéologiques pour aller à l’essentiel. Il n’y a pas eu de drapeaux rouges, ni des drapeaux de la CGT, seulement des drapeaux français et quelques drapeaux bretons. Et pourtant sur les barrages et aux péages il y a des cégétistes, des communistes, comme il y a sans doute des électeurs de Marine Le Pen. Le gilet jaune permet donc de réunir l’opposition à Macron par-delà les querelles de chapelles partisanes, c’est un succès considérable, et le succès que ce mouvement rencontre auprès des personnes qui votent pour Marine Le Pen, montre qu’il y a parmi celles-ci tout autre chose que des fascistes.

C’est peut-être ça qui a perturbé le plus le gouvernement. Les gilets jaunes n’ayant pas de chefs, le gouvernement ne peut pas corrompre ses représentants. Jacline Mouraud s’est exercé dans ce rôle en appelant les gilets jaunes à cessé leurs actions, mais sans succès, si ce n’est celui de s’être dévoilée pour ce qu’elle était et que les gilets jaunes l’ont rejetée. Benoit Cauchy, plus malin, après avoir tenté de se donner le rôle de médiateur, est vite rentré dans le rang, de peur de perdre tout crédit.

Les manifestations de rue ont aussi été excellemment bien menées par les gilets jaunes. D’abord en se saisissant, mètre carré par mètre carré, des endroits stratégiques, l’Arc de triomphe à Paris, ou les Champs Elysées, bref les symboles de la puissance et de l’argent, en contournant les dispositifs policiers. Et c’était aussi très bien de prétendre se rendre à l’Elysée. Le petit président n’avait-il pas demandé dans un accès de bouffonnerie fréquent chez lui qu’on vienne le chercher [7] ?

Évidemment ils n’ont pas pu arriver jusqu’à Macron. Et celui-ci avait un hélicoptère à sa disposition pour l’évacuer en cas de malheur [8]. On suppose que s’il avait dû s’enfuir, on l’aurait retrouvé du côté de Vichy ou de Varennes !

Ce qui est intéressant également c’est que tactiquement le fait de disposer de petits groupes extrêmement mobiles a perturbé les forces de l’ordre qui s’attendaient plutôt à des affrontements frontaux et à une défense pied à pied des barricades. Donc on voyait s’ériger des barricades, qui étaient évacuées aussitôt que les forces de l’ordre arrivaient : on se repliait alors dans les rues adjacentes pour revenir ensuite recommencer le même mouvement plus loin. Cela prouve que le peuple est toujours ingénieux dès qu’il s’agit de sa survie, et il se trouve capable de prendre au piège des forces de l’ordre qui ont pourtant étudier théoriquement la tactique des guerres de rues et qui disposent d’un suréquipement.

Voici ci-dessus la carte des lieux dans Paris où la manifestation du 24 novembre était autorisée, et où elle était interdite. On voit tout de suite que la multiplication des points d’attaques a permis justement de tourner cette interdiction, et que le lieu où celle-ci était autorisé n’a pas été occupé. Ce fut le premier échec des forces de l’ordre qui croyaient sans doute avoir à faire à des syndicats bien encadrés et bien raisonnables, habitués à faire où on leur dit de faire et à ne pas trop contrarier le gouvernement.

Évidemment il y a eu des violences, des dégâts, vitrines brisées, magasins pillés, voitures brûlées, ce genre d’évènement attire forcément la racaille, et une partie de cette violence était clairement le fait de policiers camouflés en casseurs. Mais curieusement la population française a relativement bien admis cette violence, non seulement parce que celle-ci pointait l’intransigeance du gouvernement, mais aussi parce qu’elle a le sentiment qu’une révolution ne peut pas se faire sans violence.

C’est ce qu’on entendait sur les barrages et aux péages : la référence était d’ailleurs non pas Mai 68, mais la prise de la Bastille et 1789, et il revenait souvent que sans violence celle-ci ne serait jamais tombée. L’exaspération est telle que les gilets jaunes parlent souvent entre eux de la nécessité de faire tomber des têtes pour apprendre la vie à ceux d’en haut. En tous les cas les gilets jaunes ont démontré l’incompétence manifeste de Castaner et de Nunez dans la gestion de cette délicate affaire qui a épuisé les forces de l’ordre, débordées en permanence.

Tactiquement le gouvernement et Macron ont fait la preuve de leur amateurisme, bien au-delà de la question de la répression du mouvement. Ils ont commencé par faire circuler un tract pour démobiliser les gens de gauche, avançant que les gilets jaunes étaient manipulés par les fachos, Marine Le Pen et Nicolas Dupont-Aignan. Le PCF, la CGT et Bruno Hamon qui n’avaient pas l’envie d’en découdre avec Macron, se sont empressés de répercuter cette imbécillité, espérant une démobilisation rapide, se disqualifiant du même coup aux yeux des gilets jaunes : depuis la gauche cours derrière les gilets jaunes, mais leurs bureaucrates ont toujours un temps de retard.

Cette tactique a rapidement fait son temps, et les « organisations syndicales » ont dû rejoindre le mouvement. Disons-le clairement : si le gouvernement s’est couvert de ridicule, les bureaucraties syndicales l’ont bien rejoint dans cette posture. Je ne parle même pas de l’ignoble Laurent Berger, le dirigeant du syndicat jaune, la CFDT, qui n’est plus que la courroie de transmission des volontés du MEDEF, et qui signe tout ce qu’on lui demande de signer, et avec le sourire [9].

Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, s’est déconsidéré complètement : d’abord en tentant d’organiser des manifestations séparées où il n’y avait quasiment personne le 1er décembre à Paris, ensuite en se proposant pour aller dialoguer avec le gouvernement, et enfin en annulant de conserve avec FO la grève des routiers, à la grande satisfaction du patronat et de Macron qui n’en demandait pas tant [10].

Cette attitude a été clairement dénoncée par la base de la CGT où les échanges en interne sont très vifs, et sans doute les jours de Martinez à la tête de la centrale de Montreuil sont-ils comptés, car la CGT non seulement a échoué dans la conduite de la grève à la SNCF, mais elle a encore plus échoué à analyser et à participer au mouvement des gilets jaunes. Là encore nous voyons que les syndicalistes en ont un peu marre d’écouter leurs dirigeants qui les convoquent de temps en temps pour un défilé et puis qui ensuite rentrent à la maison sans rien obtenir du tout.

Les syndicats sont ainsi apparus de même qu’en 1968 comme les supplétifs du gouvernement, des instruments qu’on sollicite pour faire rentrer les récalcitrants dans les rangs. Mais c’est un fusil à un coup, si Martinez et les autres bureaucrates syndicaux ont bien aidé Macron et son équipe, ils ne pourront plus agir ainsi une seconde fois. Macron a traité les syndicats et les corps intermédiaires comme quantité négligeable, il est probable que ceux-ci se vengeront de la honte qu’ils ont due subir par sa faute. Opposition en carton, ils ont fait la preuve de leur inutilité. En quelques semaines les gilets jaunes ont fait beaucoup plus que les syndicats et les partis de gauche désabusés pour déstabiliser l’arrogant Macron et sa clique d’incapables.
Rien que cela, c’est une grande victoire.

Le deuxième angle d’attaque de Macron, c’est de faire des concessions. Philippe a d’abord échoué à réunir autour d’une table quelques gilets jaunes pour faire semblant de dialoguer. A mon avis la presse n’a pas assez insisté sur ce point : en un mois d’agitation forte, ce gouvernement d’amateurs a été dans l’incapacité d’ouvrir une discussion, ne serait-ce que pour calmer un peu la tension dans le pays, au bout d’un mois, ils n’ont pas été capable de faire une table ronde, c’est à peine s’ils se sont rabattus le 10 décembre sur des syndicats dévalués pour faire un tour d’horizon, sans que cette messe ne débouche sur quoi que ce soit de concret [11].

Aucun gouvernement de la Vème République ne s’est trouvé dans cette situation. En 68, Pompidou avait tout de suite rouvert la Sorbonne, et le 27 mai les accords de Grenelle avec des avancées très substantielles pour les travailleurs étaient signés. Cette simple évolution de Pompidou à Macron montre à quel point la classe politique d’aujourd’hui est dégénérée. Macron apparaît maintenant comme le pire président de la Vème République, sans doute est-il mal entouré, sans doute était-il mal préparé, mais son comportement reflète d’abord la faiblesse et l’irrésolution tactique, ce qui sans doute l’empêche de faire de manière très sérieuse la part du feu pour sauver l’essentiel.

Macron, ne voyant toujours pas les gilets jaunes rentrer dans le rang, s’est trouvé ensuite dans l’obligation de bricoler à la hâte, d’abord en renonçant à la hausse de la taxe maudite, ensuite en annonçant une hausse du SMIC, une prime de Noël, et d’autres mesures comme l’abrogation de la CSG pour les faibles retraites. Tactiquement c’est très mauvais parce que cela incite à continuer la lutte, à la fois en se disant que s’il a commencé à reculer, il va reculer encore si la pression augmente. Mais aussi parce qu’il n’a rien négocié du tout, et que ses vagues promesses de dialogue, large débat national, ressemblent à de l’enfumage.

Mais tactiquement les forces de l’ordre n’ont jamais été à la hauteur, elles ont toujours eu un temps de retard. Castaner a menti en permanence sur les chiffres, et chaque samedi il a promis que les forces de l’ordre allaient s’adapter. La seule chose qu’il a faite, c’est de renforcer la répression, arrêtant arbitrairement des centaines de personnes sur une vague idée des mauvaises intentions qu’elles auraient de faire des dégâts. Castaner a atteint le comble du ridicule en annonçant que le 24 novembre 2018, le nombre de manifestants était de 106 301. On sait bien qu’un décompte des manifestants est impossible à la dizaine ou à la centaine près, sans doute même pas à la dizaine de mille près, mais à l’unité près, le mensonge devient pitoyable et grotesque.

Grotesque ou pas, les médias, en tous les cas, du Monde et Libération à BFM et LCI, ont repris sans rire ces chiffres s’associant à Castaner dans le déshonneur, et après ils pleurnichent parce que les manifestants ne les aiment pas. Comme les politiques, on se rend compte qu’entre 1968 et aujourd’hui, les journalistes ont eux aussi complètement dégénéré. Apôtre du politiquement correct en tout, ils défendent avec naturel et enthousiasme le gouvernement contre ces pauvres qu’ils ne peuvent pas encadrer.

En Mai 68, ils avaient fait preuve de bien plus d’objectivité, même si leur nature les amenait aussi à faire de la propagande, d’ailleurs de nombreux journalistes de la télévision furent démissionnés à cette époque pour avoir été un peu trop complaisants avec les rebelles. Ça ne risque pas d’arriver à nos journalistes d’aujourd’hui, les journalistes sont bien cadrés dans leur camp, celui du bloc bourgeois. Les journalistes et les éditorialistes ont fait la preuve non seulement de leur engagement du côté de l’oligarchie, mais aussi de leur sidération devant l’évènement. Ils ont illustré du même coup ce que disait Todd il y a quelques mois : la crétinisation des mieux éduqués [12].

A force de jouer leur rôle de chiens de garde, ils en sont venus à vivre en complet décalage avec ce qui se passe dans le pays, détestant les pauvres pour ce qu’ils sont, et plus encore quand ils se rebiffent, eux qui n’osent jamais relever la tête. Les gilets jaunes les ont dénoncés, parfois en les secouant un peu, manière de montrer combien ils en avaient assez d’être traités avec condescendance par des ignorants sans morale et sans honneur. Ils ont mis clairement en lumière leur rôle de soutien du système. Certes, sans doute y a-t-il des journalistes honnêtes qui ont traité de la question des gilets jaunes, mais c’est tardivement, ou alors pas dans les grands médias.

Il aura fallu attendre le 15 décembre pour que Le monde daigne aller à la rencontre des gilets avec un article de Florence Aubenas [13]. Ce qui veut dire qu’en s’organisant comme ils le peuvent, sans chef et sans programme, les gilets jaunes se sont aussi réapproprié le discours qu’on peut tenir sur ce qu’ils veulent et ce qu’ils sont : ils ont construit au fil des jours un discours cohérent et compréhensible par tous. C’est le rôle des réseaux sociaux : sur Facebook, de nombreuses pages de groupes de gilets jaunes ont développé leur propre système d’information, une contre-information si on peut dire.

Je rappelle qu’en Mai 68 de nombreuses feuilles avaient été publiées pour contrer la propagande gouvernementale et de la bourgeoisie, sans pour autant empêcher les groupuscules et les partis de faire de la publicité pour leur propre boutique. Sur la page qu’on peut voir ci-dessous, une des pages les plus suivies sur Facebook, il est proposé un acte VIII, réveillonner sur les Champs Élysées !! Ce qui veut dire que de nombreux acteurs du mouvement n’ont aucunement l’intention de s’arrêter en si bon chemin, même s’il y aura une pose pendant la période des fêtes de fin d’année.


Même si le samedi 15 décembre le mouvement a paru s’essouffler parce qu’il y avait moins de monde sur Paris, les gilets jaunes ont déjà gagner la bataille stratégique et tactique de cette guerre sociale. Si parmi les raisons d’une moindre mobilisation il y a le froid et la lassitude, il faut aussi tenir compte que la nouveauté c’est de faire maintenant systématiquement des manifestations dans toutes les grandes villes. Beaucoup également ont invoqué le fait que la police bloquait les manifestants qui se rendaient sur Paris et les empêchait de se regrouper.

En tous les cas, ils sont toujours là sur les ronds-points, aux péages, et en matière de manifestation de rue la province prend le relais de la capitale. Le prochain objectif des gilets jaunes, c’est le mois de janvier qui va s’annoncer encore difficile pour le gouvernement : il va y avoir la retenue à la source, mais aussi les hausses sur les péages autoroutiers et d’autres joyeusetés. Et puis surtout cette prime de Noël qui aura été distribuée que par quelques grandes entreprises, et aussi la hausse du SMIC qui ne viendra pas. S’il y a une trêve, entre la Noël et le Jour de l’An, il n’est guère probable qu’elle dure bien longtemps.

D’autant qu’entre temps le monde entier s’est mis à nous envier nos gilets jaunes : on en voit de partout en Europe, et jusqu’en Israël !! Quand la France donne l’exemple en matière de révolution, c’est toujours le signe que des changements profonds vont advenir.

On pourrait résumer cela d’un mot : le peuple reprend la parole qu’on lui avait confisquée, que le peuple ait tort ou raison, c’est le peuple qui décide, et non ses représentants plus ou moins légitimes. Je peux évidemment me tromper, mais je crois bien que nous sommes au commencement d’une époque nouvelle. Les raisons de nouvelles agitations ne manqueront pas en 2019 : la réforme des retraites et de l’allocation chômage, la hausse du tarif des mutuelles – pour compenser le zéro reste à charge – la hausse des péages autoroutiers, sans compter que beaucoup vont s’apercevoir que la hausse du SMIC n’a pas eu lieu !


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[9Ce n’est pas un hasard si en plein mouvement des gilets jaunes on a annoncé que la CFDT était maintenant le premier syndicat devant la CGT.

   

Messages

  • 1. Stratégie et tactique du gouvernement et des gilets jaunes : propos d’étape
    19 décembre 2018, 16:53 - par MALCLES Sarah


    Bonjour,
    Sur le rond point de mon village depuis plusieurs semaines, je trouve cet article excellent, précis et totalement dans la vérité de la situation. Je tiens à remercier son auteur pour ce très bon travail.
    De plus, je vous informe que j’ai partagé cet article avant hier ( lundi 17 décembre) sur ma page Facebook et sur celle des Gilets Jaunes que je modère. Il a été supprimé … je dirais plutôt censuré.
    je viens de le re publier, on verra combien de temps il restera.

    Sarah Malclès

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