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Migrations : pour une approche réellement progressiste

samedi 10 novembre 2018 par Francis Arzalier

Notre monde se nourrit de mythes justificateurs, nés des idéologies du Capitalisme mondialisé. Il se donne les moyens de les faire accepter grâce à son pouvoir sur les médias les plus divers, comme des dogmes intangibles, par des milliards d’hommes, en tous pays. Ce corpus idéologique fonctionne en détournant de leur sens initial toute une cohorte de concepts.

L’antique notion de "Démocratie", qui a toujours signifié gouvernement du peuple par lui-même, devient dans la version dite "occidentale", synonyme de capitalisme inégalitaire, agrémenté d’élections opposant plusieurs partis pour les postes, et de parlementarisme ou présidentialisme investis de pouvoirs délégataires incontrôlés.

Même détournement du concept "Politique", dont le sens originel désigne la noble mission de se préoccuper des problèmes des citoyens plutôt que de son ego : nos idéologues "libéraux" ont réussi à persuader des milliards d’hommes qu’elle était une profession, un pouvoir sur le peuple, l’art de le conquérir par des promesses démagogiques, et de le conserver par la communication plus que par l’efficience. Le résultat est le dégoût massif de cette "politique", des millions de citoyens potentiels qui ne votent plus, ou pour le pire démagogue, d’autant plus manipulés qu’ils sont réticents à toute structure organisée.

Un bel exemple parmi tant d’autres de ces sujets trafiqués est celui des déplacements de population, ou migrations, à la surface de la Planète. Phénomène aussi ancien que l’Humanité, qui apparut en Afrique et investit progressivement Asie, Europe, Amérique et Océanie, au gré des changements climatiques et des conquêtes militaires, donnant naissance parfois avec brutalité à des métissages ethniques, culturels et végétaux.

L’histoire des hommes a toujours été une histoire de migrations, pacifique ou brutale, entre régions, pays, ou entre continents : contrairement aux délires de l’extrême droite xénophobe, le monde actuel n’est pas un "monde d’invasions", de "submersion démographique" des peuples d’Occident par les "bronzés" venus du Sud. Les migrations africaines les plus nombreuses se font entre pays d’Afrique, et les départs sont aussi nombreux des pays du Nord vers le Sud tropical que l’inverse.

Migration de l’espèce homo-sapiens depuis le cœur de l’Afrique.

Soyons clairs : l’affirmation cultivée par l’idéologie libérale, selon laquelle toute migration serait un progrès, est une contre-vérité évidente, destinée essentiellement à procurer aux investisseurs la main d’œuvre nécessaire à bas prix. Même quand cette affirmation est reprise naïvement par des humanistes, persuadés a juste titre que la liberté de déplacement est un des Droits de l’Homme, mais oublieux du fait que le premier de ces Droits est de pouvoir vivre de son travail et en paix dans le pays où l’on est né.

En fait, parler des migrations contemporaines avec sérieux exige qu’on analyse toutes les formes qu’elles prennent, aussi essentielles à notre monde l’une que l’autre.
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La seule évoquée habituellement par nos communicants ou politiciens est le transfert vers l’Europe et l’Amérique du Nord de populations africaines ou asiatiques. Et, certes, le sujet mérite débat, mais uniquement sur la base des réalités, non des fantasmes xénophobes répandus par les héritiers actuels de l’idéologie coloniale, du RN Le Pen au Républicain Wauquiez, de l’écrivain Zemmour à certains journalistes avides de sensationnel : car ces affirmations visant à susciter la peur d’une identité "menacée" ne sont pas l’exclusivité de l’extrême droite, et sont même plus dangereuses quand elles n’en proviennent pas.

Rappelons donc que si les migrations qui atteignent l’Europe et la France sont facilitées depuis le XXeme siècle par la multiplication de moyens de transport et leur rapidité, ils ne sont pas un phénomène nouveau. Au gré d’événements multiples (politiques, militaires, économiques), la population de la France par exemple s’est formée par l’apport régulier de nouveaux arrivants (Gaulois, Francs germaniques, Romains, puis Allemands, Polonais, Italiens, enfin Maghrébins africains issus de l’Empire colonial au XXeme siècle, etc... ) qui ont tous contribué à ce qu’est aujourd’hui la Nation française, dans un métissage ethnique et culturel, que les modes anglophiles modernes baptisent volontiers "melting-pot".

" Nos ancêtres les Gaulois", comme on disait à l’école de Jules Ferry, y sont en nombreuse compagnie, tous les Français, tous les Européens sont en fait descendants plus ou moins lointains de migrants, par leur culture sinon par leurs gènes ; la culture chrétienne qui a marqué l’histoire de la France est un héritage de l’Empire Romain plus que de Palestine. D’autres Français, qui sont petits-fils d’Arméniens, d’Italiens, ou d’Algériens, font aussi partie de ce kaléidoscope national.

Les invasions barbares : les francs-gaulois ne sont pas les seul à envahir notre pays.

Au reste, les migrations ont durant toute la Révolution industrielle des XIXeme et XXeme siècles un phénomène interne à la France, donnant naissance aux mêmes fantasmes xénophobes qu’aujourd’hui. Des centaines de milliers de ruraux miséreux de l’Ouest et du Massif Central
sous-développés venaient former la classe ouvrière nécessaire aux nouvelles usines, et peupler villes et banlieues des régions industrialisées, comme l’Ile de France. Dans les beaux quartiers parisiens de 1900, on moquait volontiers le " baragouin " des domestiques bretonnes ou des ouvriers finistériens de Saint Denis, et la ladrerie des " bougnats " auvergnats, vendeurs de vin et de charbon.

Pour en rester à la période plus récente, rappelons que les immigrés en France vers 1930 (notamment juifs d’Europe centrale et maghrébins des colonies), étaient plus nombreux que ceux actuels. D’autant que s’y ajoutèrent des émigrés chassés de leur pays par le fascisme, Italiens, Espagnols, etc.

Apres 1945, ce fut au tour de foules maghrébines de venir peupler les usines et les mines de la France en reconstruction (et ses bidonvilles, puis ses HLM de la décennie 1970). Rien de changé sur le plan quantitatif, la seule nouveauté est d’ordre culturel et historique : les vagues migratoires récentes vers la France sont essentiellement africaines ou Arabes, issues d’anciennes colonies françaises (Algérie, Mali ou Syrie), et de religion ou culture musulmane plutôt que chrétienne. C’est dire que les rancœurs coloniales fréquentes en France ont rendu leur intégration à la Nation française plus difficile que pour les migrants des années "glorieuses " d’après-guerre.

La " ghettoïsation" progressive des descendants de migrants musulmans a entraîné souvent en retour des réactions "identitaires" et communautaristes, dont les causes sont d’ordre social, fleurs vénéneuses nées de l’inégalité de classe renforcée de racisme.

Le jeune XXIeme siècle a connu une flambée des migrations venues d’au-delà la Méditerranée, dues essentiellement à deux événements.

  • a/ la destruction par la France de Sarkozy en 2011 de l’état national de Libye, avec l’assentiment des puissances occidentales et du Golfe Arabique, au profit de groupes armés intégristes ou régionalistes. Cette invasion a déstabilisé toute la région sahélienne, parsemée aujourd’hui de djihadistes armés et trafiquants de drogue ou d’hommes, qui s’y opposent aux soldats français et y justifient leur présence. La Libye est devenue en conséquence le royaume des passeurs, qui y organisent à leur profit le voyage aventureux d’Africains fuyant le chômage et les guerres vers le mirage européen.
  • b/ le conflit interne à la Syrie, transformé dés 2012 en insurrection armée de groupes surtout intégristes, avec le soutien diplomatique, financier et militaire de puissances extérieures comme les USA et leurs alliés : Européens, Turcs, Saoudiens ou Qataris.

Ces deux drames, tous deux causés en grande partie par l’Impérialisme occidental, et surtout l’aggravation de la situation dans les régions syriennes occupées par les djihadistes et leurs alliés, a amené des centaines de milliers de personnes à fuir le pays. En 2015, plus d’un million 500.000 migrants ont traversé la Méditerranée vers l’Europe, dont la majorité venait du Moyen-Orient. Ce flux s’est en grande partie tari depuis : ils n’étaient plus que 170.000 en 2017, et 40.000 durant les 6 premiers mois de 2018. Cela ne représente que quelques milliers d’arrivées pour la France, moins que pour l’Espagne, la Grèce et surtout l’Italie.

Ce qui ne signifie en aucun cas que ces apports sont anodins, ils ont pu même représenter une charge parfois intolérable pour les ports italiens ou grecs d’arrivée des migrants, et pour certains quartiers de Paris, Calais ou Bayonne depuis peu, depuis que le flot qui visait l’Italie s’est détourné vers l’Espagne. Des milliers d’entre eux croupissent en campements précaires, espérant passer en Angleterre ou profiter du droit d’asile en France.

Et la façon dont ces milliers d’hommes, de femmes et d’enfants, sont laissés dans des villes françaises en état de survie misérable, faisant la queue pour de la nourriture auprès d’associations caritatives (voir quai de Jemmapes à Paris) est une honte pour un État français qui se prétend le champion des " Droits de l’Homme", dont le chef a le culot de donner des leçons d’humanisme à ses collègues italiens.

Il faut donc avant tout exiger que ces demandeurs d’asile soient loges et traités dignement, en attendant une décision, et que leur travail éventuel soit rétribué à l’égalité d’un autre salarié, tout en réaffirmant que la France, comme toute autre Nation, a le droit et le devoir de contrôler ses frontières et sa démographie.

Les grands sentiments affiches par la Chancelière allemande Merkel pour accueillir en quelques années un million de réfugiés cachaient surtout le désir du patronat allemand de disposer d’une main d’œuvre malléable, qualifiée, et payée à bas prix. Et elle a payée cette hypocrisie de la poussée d’extrême droite xénophobe en Bavière et Hesse. La dérégulation des flux migratoires n’est pas un symptôme d’humanisme, mais une volonté libérale de faire baisser ce que les capitalistes nomment le " coût du travail ".

La France, pays économiquement développé de 60 millions d’habitants a les moyens et le devoir d’accueillir quelques milliers de réfugiés qui ont dû fuir leur pays, et de leur offrir ensuite la nationalité française, comme elle l’a fait au XXeme siècle avec les Arméniens et les Juifs d’Europe centrale menacés par les pogroms, les Italiens et les Espagnols par le Fascisme. Le fait que les migrants d’aujourd’hui aient la peau sombre ou prient Allah ne diminue en rien leur droit à notre Solidarité.

Les dernières migrations en France

Par ailleurs, nous devons combattre résolument tous les mensonges répandus à leur sujet. Ainsi, une enquête récente fait grand bruit parce que la moitié des prénoms donnés actuellement aux nouveaux nés en Seine Saint Denis serait d’inspiration musulmane. Ce fait nouveau, évidemment, est employé pour accréditer les thèses de l’extrême droite de " submersion de l’identité française".

Il a même été repris par la revue PCF Recherches Internationales dans un éditorial sur " les migrations ". Sauf qu’il est le symptôme de la concentration en ghettos banlieusards, non de migrants, mais des citoyens français les plus pauvres, souvent descendants d’immigrés de troisième ou quatrième génération. Ceux là pratiquent volontiers des réactions identitaires en réponse à la situation qu’ils subissent. Les migrants actuels, eux, vivent plus volontiers dans d’autres quartiers, et beaucoup ne demanderaient qu’à devenir français, quitte à s’assimiler la culture du pays d’accueil.

Les courants migratoires Sud-Nord ne concernent pas que l’Europe.

Le continent américain connaît lui aussi depuis longtemps cette hémorragie démographique, depuis les pays latinos et Caraïbes qui ont hérité de leur passé colonial une économie sous développée, vers les États Unis et le Canada industrialisés. Nos médias semblent avoir découvert cet automne le cortège d’environ 8000 migrants partis d’Amérique centrale, et notamment du Honduras, qui traverse le Mexique avec la volonté "d’envahir les États Unis" : un argument en or pour les électeurs xénophobes de Trump. En fait, selon les estimations de l’ONU, 500.000 personnes transiteraient chaque année par le Mexique pour tenter de rejoindre le " paradis Yankee".

La marche des migrants d’Amérique centrale vers les USA.

On retrouve une attraction similaire des insulaires du Pacifique en quête de travail et de bien-être vers une Australie plus "riche", des miséreux indiens vers les Émirats pétroliers du Golfe Arabique, des provinces rurales de Chine vers les usines de la côte, etc… L’espoir de vivre mieux est un mobile universel, et durera autant que l’inégalité qui gangrène le monde. Comment les jeunes gens diplômés des universités de Dakar où de Bamako, contraints faute d’emplois de survivre de "l’informel", pourraient ne pas rêver de ce mirage occidental que leur montrent les séries télévisées ? Tous les héros y ont des peines de cœur, mais pas leur souci du lendemain, et semblent vivre un luxe quotidien qu’ils ne connaissent pas.
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Mais ce courant des "périphéries" vers les centres vitaux du Capitalisme mondial, ne doit pas occulter quatre autres phénomènes migratoires.
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I / migrations Sud-Sud

Entre pays africains, sud-américains ou asiatiques, elles concernent des dizaines de millions d’hommes, les plus nombreux des migrants actuels.

Les migrations intra-africaines.

Ainsi, 70 millions d’Africains vivraient aujourd’hui dans un autre pays que celui de leur naissance. Et, sur ce nombre, moins de 2 millions sont comptabilisés dans les pays de l’OCDE, soit moins de 4 pour cent !
Ces populations migrantes à l’intérieur de l’Afrique, volontaires ou forcées, ont des motivations très diverses : quête d’emplois dans un continent ou le développement industriel est rare (de Namibie et des pays voisins vers les zones minières d’Afrique du Sud, par exemple), attraction vers les grands centres urbains (Dakar au Sénégal, Kinshasa en RDC, etc) de populations rurales souvent miséreuses, déplacements d’éleveurs ruinés par les mutations climatiques (désertification croissante au Sahel), et, plus drastiques encore, conséquences des guerres civiles mêlées d’ingérences extérieures (ainsi les réfugiés à l’est du Congo, dans la zone des Grands Lacs).

Une planète en mouvement [1]

On pourrait énumérer, dans leur diversité, les mêmes transferts de population en Asie (exode rural, migrations volontaires d’Indiens ou Pakistanais en quête d’emplois, ou forcées : l’exemple le plus récent est la fuite par centaines de milliers vers les camps de réfugiés au Bangladesh des Musulmans Rohingas, persécutés dans leur pays, la Birmanie ).

Les plus massifs de ces transferts contraints sont la conséquence directe des conflits au Moyen Orient, Irak, Syrie, depuis deux décennies, aggravés par les persécutions intégristes, mais bien souvent suscités et nourris par des puissances extérieures, USA et leurs alliés Européens et Saoudiens. Les vagues de migrants provoquées par la guerre en Syrie ont en premier lieu concerné les pays voisins, plus que ceux d’Europe. Ainsi le petit Liban, qui avait 3 millions d’habitants, a reçu près d’un million de réfugiés syriens. A noter d’ailleurs que la reconquête récente d’une grande partie du territoire syrien par l’armée nationale (et ses alliés russes) a déjà permis à une partie d’entre eux de revenir dans leur région d’origine.

Le continent sud-américain a toujours été soumis à des migrations d’un pays à l’autre. La Colombie, où sévissait la guerre entre narco-trafiquants, milices d’extrême droite et guérilleros des FARC, perdait il y a 10 ans de nombreux migrants en faveur du Venezuela de Chavez. Depuis quelques années, la crise économique suscitée au Venezuela par la chute des cours du pétrole brut, ont inversé les flux : cet exode vers la Colombie est monté en épingle par des médias toujours dévoués aux thèses de propagande des USA.
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II / Les migrations entre pays d’Europe

Elles sont pour la plupart des nations gérées par la législation de l’Union Européenne, dont un des fondamentaux libéraux est la volonté de libre circulation des capitaux, des marchandises et des individus. L’une des conséquences de ces axiomes en France est pour le moins paradoxal : certains ouvriers mis au chômage par la délocalisation de leur entreprise vers un pays de l’est européen parce que les salaires y sont bas et les dividendes du capital investi plus élevés, se sont vus proposer d’y émigrer eux-mêmes !

Certains pays de l’UE, comme la Pologne ou la Hongrie, qui font profession de refuser toute entrée de migrants venus de Méditerranée, exportent en Occident une partie importante de leur population. En 2007, le nombre de travailleurs polonais officiellement recensés au Royaume Uni dépassait 400.000, et atteignait 300.000 en Irlande. Encore faut-il noter que bien d’autres n’étaient pas comptabilisés, car ils ne restaient que le temps d’un séjour " touristique "… Cette présence massive dans des villes comme Londres a lourdement pesé lors du référendum favorable au Brexit, qui, évidemment, va changer la donne sur ce point.

Le même phénomène est visible, bien qu’il soit difficile à mesurer parce que souvent clandestin, dans le bâtiment et l’hôtellerie de régions touristiques comme la Corse ou l’Andalousie, et celles d’agriculture fruitière du Sud de la France.

Il est bien connu que l’Allemagne, puissance économique dominante de l’UE, emploie une main-d’œuvre à bas prix venue des pays de l’est, dans ses fermes d’élevage porcin par exemple.
Ce phénomène relève même de l’hypocrisie, quand les dirigeants polonais d’extrême droite, très satisfaits de voir leurs citoyens partir travailler à l’ouest, refusent l’accès à tout migrant " non chrétien ", mais accueillent plus d’un million de travailleurs venus de l’Ukraine nationaliste et anticommuniste, extérieure à l’Union Européenne mais alliée de l’Occident et proche de l’OTAN !

Paradoxe révélateur : Où que ce soit dans le monde, les gouvernements conservateurs savent favoriser l’émigration de leurs citoyens vers l’étranger, qui pourraient devenir pour eux un danger politique et social.
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III / Les départs de citoyens de « pays riches » vers d’autres continents

On l’oublie trop souvent, des foules de jeunes citoyens Européens vont vivre au moins quelques années dans un autre pays, soit aux USA, attirés par l’aura de la richesse et de la technologie Yankee, soit dans un pays lointain où ils espèrent faire fortune rapidement, succédané du rêve colonial.

Ainsi, près de 4 millions d’Allemands vivent aujourd’hui à l’extérieur de leur pays. Entre 2007 et 2013, plus de 700 000 Allemands ont quitté le pays, alors que 580 000 l’ont regagné : un va et vient donc, mais une perte régulière qui aggrave outre-Rhin le déficit démographique, dû au faible taux de natalité.

La France, on l’oublie aussi, connaît une situation similaire, quoique moins grave. En 2017, on dénombre plus de 2 millions « d’expatriés » français vivant à l’étranger. Et les enquêtes constatent que plus de 70 pour cent des jeunes de 18 à 24 ans envisagent de le faire éventuellement.
Car, dans les deux cas, le phénomène touche prioritairement des citoyens plus jeunes et plus diplômés que la moyenne. Certes la motivation de ce prurit du départ peut être la formation professionnelle, mais aussi très souvent le désir d’un meilleur salaire, voire un succédané de la vieille mentalité impériale d’autrefois : faire carrière en apportant aux pays exotiques les compétences d’une "métropole" économiquement développée. En ce sens, les militaires français en " Opérations Extérieures " au Mali et au Sahel sont des " Expats " comme les autres Français à l’étranger

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IV / Le tourisme mondialisé

Ce phénomène est devenu fondamental dans notre monde, avec une croissance exponentielle
(plus de 5 pour cent par an) depuis notamment la fin du XXeme siècle. Selon ses laudateurs-régulateurs de l’OMT (l’équivalent en la matière de l’Organisation Mondiale du Commerce), le tourisme représenterait le dixième du PNB et des emplois au monde, avec environ 1 milliard 400 millions de séjours à l’étranger en 2018 (pour 675 millions en 2000) !

La vision consensuelle qui en est propagée (essentiellement par les multinationales qui régissent ce marché), lui attribue surtout deux conséquences positives, le développement des pays récepteurs, et la démocratisation des échanges entre cultures. Les deux sont des illusions contredites par les faits.

Durant les siècles passés, de rares aventuriers, savants ou simplement curieux, accomplissaient des voyages, avec pour objectif la découverte de peuples inconnus. Les récits qu’ils publiaient à leur retour d’Afrique (Ibn Battuba au XIVeme siecle, Mollien au 19eme), d’Asie (Marco Polo en 1320), ou d’Europe (Stendhal en Italie en 1817) faisaient progresser la civilisation et les échanges culturels.

Le séjour touristique est tout autre, son but est le loisir du visiteur, la " vacance " au sens propre du terme. Les touristes lambda se targuent volontiers de visites lointaines, d’avoir " fait " Cuba, la Thaïlande ou le Maroc ; ils n’en ont vu en général que des plages semblables, et côtoyé des indigènes dévoués à leur service, dans le meilleur des cas des monuments-musées ou des spectacles " culturels " d’un exotisme fabriqué à leur usage.

Les touristes français qui fréquentent les plages du Sénégal ne connaissent souvent du pays que l’équivalent de la Grande Motte en Languedoc, agrémenté de " Noirs " guère plus nombreux qu’en certaines " banlieues "d’Ile de France. Rares sont ceux qui se hasardent à explorer à l’aventure des villes et villages de l’hinterland.

le boum du tourisme mondial [2]

Ne nous méprenons pas d’ailleurs sur la " démocratisation " du tourisme actuel, qui est pour l’essentiel constitué par les déplacements périodiques de citoyens des pays riches vers les périphéries condamnées au sous-développement par leur passé colonial et leur présent néo-colonial. Le milliard 3 de séjours touristiques à l’étranger est en 2017 le fait à 48 pour cent d’européens, et à 15 pour cent de Nord Américains, ce qui fait donc une large majorité. Il est vrai que ces derniers sont maintenant talonnés par les Chinois (10 pour cent en 2017 selon l’OMT), ce qui révèle la croissance en ce pays d’une " classe moyenne " liée au développement industriel (et capitaliste, même s’il est corseté par l’état).

Il est indéniable que le tourisme apporte des ressources en devises fortes aux pays visités, qui en sont d’autant plus demandeurs que leur économie est déficiente. Mais ces ressources sont parfois dilapidées par des dirigeants corrompus, ou consacrées à autre chose qu’au développement économique et social du pays. Et surtout, les contreparties néfastes sont très lourdes : destruction de l’environnement et spéculation immobilière le long des rivages (par exemple sur les îles d’Adriatique depuis l’indépendance de la Croatie), et, plus encore, corruption d’une partie de la population par l’appât de gains illicites.

Ainsi, Cuba a dû développer le tourisme pour résister aux effets destructeurs du blocus états-unien et à la disparition de l’aide soviétique. Et ce qu’il rapporte à l’économie cubaine est très contrôlé par l’État socialiste ; mais il n’a pu empêcher le développement de la prostitution et de divers trafics monétaires : les " petits services " payés en dollars par un touriste fortuné peuvent rapporter en quelques soirées à un jeune délinquant l’équivalant du salaire mensuel d’un universitaire rétribué par l’État cubain !

Pour en rester au territoire national, la Corse est un exemple parfait du drame économique et social que connaissent les régions dont le tourisme est la seule activité économique en expansion. L’île, avec ses 300.000 habitants, voit affluer chaque année près de 2 millions de touristes, un ratio d’autant plus déséquilibré que cette vague est surtout concentrée de juin à septembre et sur une partie du littoral. Ces "zones touristiques" (golfe ajaccien, plaine orientale autour de Porto Vecchio, etc…) voient leurs paysages détruits peu à peu par la spéculation immobilière, qui nourrit règlements de comptes et criminalité, et interdit aux jeunes salariés peu fortunés de l’île de s’y loger correctement tant les prix flambent...

La France a vu sa part du " marché touristique mondial " gonfler en quelques décennies, quand parallèlement elle connaissait une désindustrialisation redoutable : les communiqués de victoire à ce sujet de politiciens et de communicants n’ont pas lieu d’être...Notre pays est en droit d’être fier de son patrimoine historique, culturel, et de le montrer à ses visiteurs venus du reste du monde. Mais sa transformation en parc de loisir touristique au détriment des activités productives serait une régression inacceptable.

L’extension du tourisme de masse est peut-être irréversible. Il doit en tout cas être maîtrise par les états nationaux représentatifs pour en atténuer les effets destructeurs. Aucun pays, aucun peuple, ne doit être condamné au " tout-tourisme " en guise de développement économique.

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Pour conclure, ne pas se tromper de coupable

Face à ces versions contemporaines des migrations, nous avons le devoir d’en expliquer toute la complexité à nos concitoyens, sans démagogie, et avec le souci premier de détruire toutes les manipulations racistes et xénophobes, qui ont toujours été l’arme favorite des exploiteurs capitalistes contre les luttes des salariés de toutes origines.

Et surtout, nous devons dénoncer les responsabilités de ceux qui organisent les migrations pour en tirer profit :

1/ Bien sûr, les passeurs-trafiquants d’hommes, en Méditerranée et ailleurs, qui s’enrichissent en les envoyant parfois à la mort.

2/ Mais au-delà, les pouvoirs économiques et politiques de nos sociétés capitalistes, qui utilisent volontiers les migrants pour peser sur le "coût du travail". Car il en sera ainsi tant que ne leur sera pas imposée la règle égalitaire "à travail égal, salaire égal "…

3/ Les sociétés transnationales capitalistes qui contrôlent l’économie et la politique des pays anciennement colonisés et toujours dominés, y exploitent à moindre frais les ressources énergétiques et minières, en profitant et en perpétuant leur manque d’industries productives.
Ce mécanisme d’exploitation et de domination économique oblige des millions d’Africains, d’Américains, ou d’Asiatiques à émigrer pour aller vivre ailleurs de leur travail, ce qu’on fait rarement par plaisir. Seul le développement industriel et agricole assèchera les migrations africaines, et la fuite à l’étranger des plus jeunes et capables des Africains n’y contribue pas.

4/ Les dirigeants politiques impérialistes, qui assurent la pérennité de cette inégalité mondiale, par la diplomatie et souvent par la guerre. Qu’il s’agisse d’interventions militaires directes comme celles des USA en Irak, de la France en Afrique, ou d’ingérences indirectes qui entraînent et nourrissent des conflits meurtriers comme la guerre contre l’État national de Syrie. Les responsables des pays de l’OTAN, leurs alliés des Émirats du Golfe, sont coupables de ces vagues migratoires, catastrophiques pour les migrants d’abord chassés de leurs foyers, et pour les pays d’accueil déstabilisés par des transferts incontrôlables. Les luttes pour la paix, contre tous les impérialismes, sont le seul moyen de combattre ces drames.

En fait, les mouvements migratoires ne sont en eux-mêmes ni positifs, ni négatifs. Ils sont une réalité incontournable, que le Capitalisme et l’Impérialisme transforment en souvent tragédie.


QUELQUES SOURCES UTILISÉES :
- / Toutes celles réunies par le Docteur Badia Benjelloun (INALCO), dans son étude d’octobre 2018, "migrations et délitement social ", notamment celles venues d’Allemagne et Europe de l’est.
- / celles recensées par Benoit Breville, " immigration,un debat biaisé ", Monde diplomatique, novembre 2018.
- / par Jason Melanovski, " Ukraine ´s dépopulation crisis ", novembre 2018 (blog)
- / par le site " histoire coloniale et post-coloniale ", novembre 2018 (hco-info-request)
- / par, " la reconquête de l’Afrique ", revue Solidaire, Bruxelles novembre 2018
- / par Duterme et les auteurs du dossier " la domination touristique", revue du CETRI, Université de Louvain-la-Neuve, Belgique


[1carte issue d’un Hors-série du Monde Diplomatique : L’Atlas "Un monde à l’envers"

[2carte issue d’un Hors-série du Monde Diplomatique : L’Atlas "Un monde à l’envers"

   

Messages

  • 1. Migrations : pour une approche réellement progressiste
    10 novembre 2018, 14:15 - par RICHARD PALAO


    Merci FRANCIS pour cette très intéressante analyse
    Je me permets d’eux appartés ( quoique ...) :

    Je suis frappé par une contradiction que l on rencontre souvent chez les racistes et ceux qui tiennent des discours anti-immigrants :

    la plupart sont des nostalgiques des colonies et de l ALGERIE française or si ces pays devenus indépendants étaient restés français ce n est pas quelques dizaines de milliers d immigres par an que l on devrait accueillir mais des centaines de milliers puisqu en tant que français ils auraient le droit de circuler librement sur l ensemble du territoire français y compris la métropole , ils ne pourraient pas par exemple être accusés comme hélas on l entend trop souvent de voler le travail des français ou de chercher a bénéficier des droits sociaux français puisque français eux-mêmes

    Secondo je suis surpris que parmi les arguments utilisés pour contrer ces discours anti-immigrés , peu mettent en avant les importants flux migratoires qui se produiront dans les prochaines décennies , je veux parler des flux migratoires forces par les dérèglements climatiques qui verront des pays entiers submergés par les eaux ou transformés en désert , ces flux inexorables chiffres par les spécialistes du climat a environ 250 millions de sinistrés ne pourront être contenus par aucun discours xénophobe ni par aucune politique anti-immigrés
    Cet argument "climatique " me semble imparable et incontestable et devrait être davantage utilisé pour contredire et démonter les arguments de ceux qui voudrait fermer nos frontières car rien ne pourra empêcher ces immigrés de se réfugier dans les pays pour l’instant a l abri des dérèglements climatiques extrêmes .

    Richard PALAO

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