Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Voir aussi > Livre : Le mythe de la théorie du ruissellement

Livre : Le mythe de la théorie du ruissellement

jeudi 1er novembre 2018 par in girum imus nocte (Nous tournoyons dans la nuit)

La théorie du ruissellement c’est ce que nous vendent tous les jours sous un nom plus ou moins différent les hommes politiques de Macron à Trump. L’idée générale est que plus les riches sont riches et plus les pauvres en profitent ! On n’y avait pas pensé avant, mais c’est au fond très simple : pour éradiquer la pauvreté il suffit d’enrichir les riches ! Le petit livre d’Arnaud Parienty fait le point sur cette « théorie » qui n’en est pas une. Il en rappelle les racines lointaines, notamment en citant Smith, il aurait pu également citer Turgot que les libéraux aiment tant. La théorie du ruissellement qui consiste à défendre les « premiers de cordée » selon ce cuistre de Macron qui dans la foulée expliquait que les patrons souffraient bien plus que les salariés, et qui se présente lui-même comme le défenseur des plus martyrisés.

La théorie du ruissellement est une forme régressive de la théorie de l’offre. Si dans sa forme ancienne elle était là pour expliquer que finalement les consommations des riches, notamment en produits de luxe, créaient finalement des emplois, dans sa forme moderne elle insiste sur l’épargne. Les riches épargnants par nature plus que les pauvres, en les favorisant on favorise l’investissement productif. Mais cette thèse comporte deux biais importants.

D’abord si on oriente les investissements pour améliorer la productivité, et non les capacités de production, on éliminera du travail, sans gain en emplois, avec seulement des surprofits importants. Ensuite, il y a le fait que des profits élevés n’assurent pas forcément des investissements importants : c’est ce qu’on voit dans le graphique suivant, depuis le début des années quatre-vingts en France les profits se sont envolés mais l’investissement productif n’a pas suivi, essentiellement parce que la stagnation des salaires a contraint la demande.

C’est probablement dans cet excès de profits qu’on a généré par les réformes dites de structures qu’il faut aussi chercher une des origines de la crise de 2008. Les superprofits vont se tourner naturellement vers la spéculation, avec les conséquences qu’on sait en ce qui concerne la formation d’une bulle qui tôt ou tard éclatera.

Cette idée de ruissellement conduit Macron à prendre des mesures complètement erronées- du moins si on regarde du point de vue de l’intérêt général. Par exemple, il va détaxer les revenus des actions et compenser cette baisse en créant un impôt sur l’immobilier. Il suppose que les actions sont des investissements productifs. Il ne pense pas que la valeur des actions peut être artificielle si par exemple il y a pénurie d’occasion d’investir dans le capital productif, les surprofits vont se porter sur les actions, surtout si les impôts sont attractifs.

Parienty fait litière de cette idée bancale. Il suppose fort justement que ce modèle du ruissellement n’a de sens que dans le cas d’une pénurie d’offre ou d’un excès de demande. L’efficacité d’une théorie de l’offre ou de la demande dépend avant tout de la répartition des revenus entre salaires et profits. Or la mondialisation ayant clairement écrasé les salaires, nous nous trouvons depuis dix ans au moins – depuis la crise – dans une situation clairement d’excès d’offre au niveau mondial.

Regardons le graphique ci-dessus, il représente l’évolution de la productivité et celle des salaires pour les États-Unis. Le schéma est à peu près le même dans les autres pays développés. Comme on le voit, durant les Trente glorieuse, les salaires progressent au même rythme – ou à peu près – que la productivité. Donc le partage de la valeur entre le capital et le travail reste le même.

Après 1975, les salaires stagnent par rapport à l’évolution de cette même productivité. Cela veut dire que la demande ne peut plus suivre… sauf à crédit, sur la base d’un endettement croissant. Ce nouveau partage de la valeur explique bien des choses, notamment l’avènement d’une crise de surproduction en 2008, crise dont nous ne sommes pas encore sortis, et de manière concomitante l’explosion de l’endettement de l’État, des ménages et des entreprises.

Il y a une autre erreur dans cette théorie de l’offre, peut-être encore plus grave, c’est que dans les sociétés modernes une grande partie de l’investissement productif, surtout dans les entreprises jeunes et innovante se fait sur la base du crédit et non sur la base de l’épargne accumulée des plus riches.

Il peut y avoir trop d’argent en circulation, surtout pour les grandes entreprises du numériques qui sont pratiquement des monopoles. Voici ce qu’écrit Parienty :
« Il est également possible que l’épargne supplémentaire des entreprises soit utilisée de manière improductive. Actuellement, de nombreuses grandes entreprises américaines, notamment les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), dégagent des profits considérables qui sont maintenus sous forme liquide faute de perspectives d’investissement suffisantes. À elles quatre, ces entreprises détenaient en 2017 450 milliards de dollars de liquidités, ce qui représente le quart du PIB de la France. »

C’est de l’épargne oisive, clairement, mais elle veut être rémunérée sur la base de placements très liquides et spéculatifs. La masse de ces sommes laisse entendre aussi que ça n’est pas en augmentant les cadeaux aux riches que celle-ci se dirigera naturellement vers des investissements productifs créateurs de richesse et d’emplois.

Un des points intéressants est justement de savoir si cette idée d’alléger les impôts des plus riches entraîne de la croissance supplémentaire. Parienty reprend les données américaines, qui sont résumées dans le tableau suivant, non seulement la baisse des impôts sur les plus hauts revenus n’accélère pas la croissance, mais elle la fait chuter !

On peut toujours arguer qu’il y a d’autres raisons à l’affaiblissement de la croissance, mais il semble bien que le fondement du ralentissement tienne d’abord et principale à la montée en puissance des inégalités, ces fameuses inégalités qui bloquent l’ascenseur social et plombe les classes moyennes. Il est en effet courant aujourd’hui de considérer que les inégalités enrayent complètement la croissance [1]. Des organismes internationaux pourtant très conservateurs comme le FMI [2] ou l’OCDE [3] ont fait le même constat, à l’opposé de la politique ultra-conservatrice de Macron et de son gouvernement.

Parienty s’attaquera aussi à un dérivé de la théorie du ruissellement, la fameuse courbe de Laffer qui se base sur l’idée sommaire autant que stupide : « trop d’impôt tue l’impôt ». Cette courbe était destinée à justifier les baisses d’impôt pour les plus riches. Cela à l’apparence du bon sens. Mais ce ne l’est pas. En effet outre que cette fameuse courbe de Laffer que celui-ci avait dessinée sur une nappe de restaurant, servit à la propagande reaganienne pour l’élection d’un mauvais acteur de série B, en confondant volontairement taux moyen et taux marginal, elle oubliait deux choses fondamentales :

  • – la première est qu’il est impossible de fixer le seuil maximum au-delà duquel l’impôt devient dissuasif. Est-ce 75% ? 80% ? Le maximum pour le taux marginal d’imposition a été atteint au début des années soixante : 91% aux États-Unis et 93% au Royaume Uni. Et l’économie ne s’en portait pas plus mal pour autant.
  • – la seconde c’est que l’impôt sur le revenu n’est qu’une faible partie de l’impôt global. De partout ce sont les impôts indirects qui sont forcément régressifs avec le revenu qui ont augmenté pour compenser les baisses de recettes de la fiscalité directe.

Généralement on regarde la progressivité de l’impôt sur le revenu comme une manière de lutter contre les inégalités. C’est une justification valable du point de vue moral et politique. Mais il y a un autre effet qu’on oublie un peu les autres raisons : parmi celles-ci il y a que le marché sans l’État n’existe pas, et donc que pour fonctionner les entreprises ont besoin d’infrastructures, d’administrations et que cela peut s’apparenter à un facteur de production parce que ces effets externes positifs des services de l’État absorbent des coûts que l’entreprise ne paie.

Il vient donc que forcément, plus on est riche et plus on a l’usage des services de l’État, mais aussi que vouloir réduire le poids dans l’économie risque de conduire à la récession économique, parce que les dépenses publiques, d’une manière ou d’une autre, augmentent la productivité globale des facteurs.

Dans le fil de son écriture Parienty cependant se laisse un peu aller, voulant faire preuve d’ouverture d’esprit il suppose que dans certains cas la baisse des impôts – ou plutôt de la pression fiscale – est une bonne chose. Voilà ce qu’il écrit :

« En effet, il y a un fond de vérité dans cette idée, car des taux d’imposition très élevés finissent forcément par nuire à l’activité économique en décourageant l’investissement, en poussant à la fraude et au travail clandestin, en détournant les capitaux du pays. Dans ce cas, une baisse des impôts et d’abord des taux les plus élevés a un effet positif. »

C’est faux pour deux raisons la première c’est que si les recettes fiscales baissent, l’État va devoir baisser ses investissements. Et c’est justement ce que remarquait Piketty, dans les pays développés où se sont réalisées des baisses d’impôt, les investissements publics ne se font plus, or ils sont nécessaires non seulement aux plus pauvres, mais aussi à l’ensemble de l’économie [4]

Mais il y a aussi la fameuse loi de Wagner : les investissements publics ayant des rendements marginaux rapidement décroissants, il faut pour soutenir la croissance qu’ils progressent plus vite que le PIB ! Ce qui veut dire que la pression fiscale ne peut pas chuter, sauf à en finir avec l’idée de croissance elle-même.

Cette fameuse loi de Wagner sur laquelle peu d’économistes ont réfléchi suffisamment, veut dire que la fiscalité ne s’analyse pas en soit, mais en regard des besoins de la société qui évoluent constamment. A mon sens la réflexion sur la fiscalité et sur la théorie de l’offre amène forcément à envisager la transformation d’un système social particulièrement injuste et instable et donc à se poser la question de la fin du capitalisme.

Dernier point le livre d’Arnaud Parienty pose fort justement la question suivante : à quoi servent de telles théories qui sont non seulement démontées sur le plan analytique, mais qui sont aussi invalidées par les faits ? Poser la question, c’est y répondre, les économistes, pour la plupart, travaillent à l’idéologie parce qu’ils se sont rangés du côté de la bourgeoisie.

C’était déjà le constat que faisait en son temps Walras qui voyait sa théorie de l’équilibre général récupérée par le blog bourgeois qui s’y abritait derrière pour faire ses petites affaires au détriment de l’intérêt commun.


Voir en ligne : http://in-girum-imus.blogg.org/arna...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1Joseph Stiglitz, Le prix de l’inégalité, LLL, 2012.

[2Francesco GRIGOLI, « A new twist in the link between inequality and economic development », IMF Blog, 11 mai 2017.

[3Tous concernés, pourquoi moins d’inégalité profite à tous, OCDE, 2015

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?