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Catherine Le Gall et Denis Robert, Les prédateurs, des milliardaires contre les Etats

jeudi 11 octobre 2018

La lecture de ce livre formidable vous conduit directement à la conclusion suivante : si vous voulez comprendre le fonctionnement du capitalisme financier qui brasse et qui accumule les milliards, il faut deux choses, d’abord bien connaître les arcanes des montages financiers et fiscaux qui permettent toutes les arnaques possibles et imaginables, ensuite il faut fréquenter assidument la rubrique des faits divers.

Car il y a une conclusion unique à laquelle on arrive à lisant cet ouvrage, c’est que ce capitalisme hors-sol, qu’on appelle aussi le capitalisme financier, n’est qu’une forme très sophistiquée de banditisme.

Les maîtres mots sont la corruption des fonctionnaires, l’achat de complicités, la dissimulation et la ruse. Ces gens-là ne créent rien du tout, aucune valeur supplémentaire, aucun emploi nouveau, leur utilité sociale est complètement négative. Mais ils savent se servir de l’argent pour corrompre ceux qui leur résistent. Ils travaillent en équipe des deux côtés de l’Atlantique, ils mettent en place des réseaux dans lesquels on retrouve toujours les mêmes personnes, d’autres milliardaires, des hommes politiques de haut niveau, on retrouvera plusieurs fois le nom de Nicolas Sarkozy qui avait d’ailleurs invité Albert Frère au Fouquet’s pour fêter son élection en 2007, des banques d’affaire, la banque Rothschild notamment dont est issue le dernier président français, et des hauts fonctionnaires. Ces gens-là non seulement appauvrissent tout le monde, l’État, les salariés, mais en outre, ils sont très probablement à l’origine de la stagnation de l’économie mondiale qu’on connait depuis une quarantaine d’années. Leur moteur dans tous les sens du terme, ce sont les inégalités qu’ils s’appliquent à creuser.

Ce qui caractérise d’abord les milliardaires, les premiers de cordée si chers au cœur de Macron, c’est leur écœurante cupidité. Leur but est de démontrer qu’ils sont capables de gagner encore plus et toujours plus. Et ils sont tellement stupides qu’ils ne comprennent pas que cela n’intéresse pas forcément les gens normaux. Les sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot ont écrit sur ce sujet des ouvrages passionnants. D’ailleurs Le Gall et Robert reprennent en partie un titre de Pinçon et Pinçon-Charlot qui en 2017 avaient signé Les prédateurs au pouvoir, aux éditions Textuel.

Également, c’est presque le titre d’un autre ouvrage de James Galbraith, L’État prédateur publié au Seuil en 2009. L’ensemble de cette littérature met en avant la façon dont sous couvert de libéralisme les milliardaires se servent de l’État pour le piller. Certes ce n’est pas vraiment nouveau que les capitalistes se servent de l’État pour faire leurs propres affaires.

Marx dénonçait cela en son temps, en 1842 et 1843, c’est même par là qu’il avait commencé à affuter sa critique de Hegel [1], et dans Le capital il parlera de l’État comme une béquille du capital. Mais même si à cette époque on voyait à la fois que l’État était l’expression de la société bourgeoise, et que celle-ci s’en servait pour affermir et étendre son pouvoir, le pillage des biens publics n’était pas une industrie. Or c’est cette extravagance récente qui est devenue un véritable scandale permanent : d’une manière directe ou indirecte, les grands capitalistes se sont appropriés l’État qui devient leur jouet et leur vache à lait.

L’usine à hamburgers

Par ailleurs Denis Robert est très connu pour avoir par le passé dévoilé et décortiqué les magouilles de Clearstream cette grande lessiveuse d’argent sale qui dût ensuite changer de nom pour se faire plus discrète [2]. Donc ici Denis Robert et Catherine Le Gall vont se pencher sur un cas très singulier, celui d’Albert Frère, un milliardaire belge particulièrement prédateur et dont le nom s’est très souvent retrouvé dans des affaires sulfureuses.

Tout part d’une vente particulièrement juteuse de la chaîne Quick – un fast-food pourri-dégueulasse qui se flatte aujourd’hui que toutes ses boutiques vendent des hamburgers hallal. Bon très bien, Frère à l’aide d’un montage très compliqué va vendre cette chaîne. Mais ce qui nous intéresse ici ce n’est pas tant le bénéfice que cet homme cupide a réalisé que la façon dont il l’a réalisé. Parce qu’en effet, il est arrivé à vendre cette chaîne de fast-food 800 millions d’euros alors qu’au mieux elle en valait 250 ou 300. Mais pire encore, il l’a vendu à la Caisse des dépôts, une banque publique française dont la vocation n’est pas d’investir dans ce genre d’entreprises.

Cette vente a donné lieu à une autre vente qui a permis aux actionnaires – dont la liste est secrète ! – de se faire donner 200 millions de dividendes en moins d’un an, ce qui veut dire qu’en réalité au bout d’une année, les investisseurs secrets étaient remboursés de leurs investissements !

On n’arrive pas très bien à savoir si ce type de montage est légal ou non. En tous les cas il n’a pu se faire qu’avec la complicité de hauts fonctionnaires et d’hommes politiques, sans parler de la batterie d’avocats qui accompagnent ces curieuses affaires. Les contrats léonins que l’équipe de Frère fait avaler à ses interlocuteurs, sont là encore non seulement pour minimiser les risques – c’est quelque chose que Frère ne connait pas du tout – mais encore pour en maximiser les bénéfices futurs.

Bien que la technique employée par Frère soit maintenant très connue, elle continue à fonctionner, mais si elle fonctionne c’est bien parce qu’il y a en face des interlocuteurs qui ont un intérêt – pécunier évidemment – à ce qu’elle fonctionne ! D’autant que chaque fois des rapports d’expert alertent les directions des dangers qu’il y a passer un deal avec cette canaille.

La privatisation enrichit la canaille

Comment peut ont payer de tels dividendes ? Et bien c’est assez facile : on dépouille et on endette l’entreprise qu’on a achetée ! En bout de course, il y a d’un côté la canaille traficoteuse qui s’enrichit sans limites, et de l’autre l’État qui s’appauvrit et les salariés qui sont obligés d’accroître leur productivité pour des salaires stagnants et de misère, afin de maintenir la boîte à flot.

Mais derrière tout cela on retrouve d’autres affaires, dont la sulfureuse privatisation de Gaz de France au profit de Suez qui est le groupe sur lequel la paire Frère-Desmarais a mis la main. Cette privatisation s’est faite après l’élection de Sarkozy, le candidat de Frère et Desmarais. Or celui-ci avait juré que jamais au grand jamais il ne privatiserait GDF. Mais voilà qu’ils sortent du chapeau l’idée que grâce à la privatisation de GDF la France va se doter d’un groupe stratégique dans le secteur de l’énergie – Frère est belge, et Desmarais, canadien – d’une dimension compétitive !

On se demande pourquoi on l’a détaché d’EDF, car EDF et GDF formaient ensemble un groupe cohérent de belles dimensions. Évidemment les tarifs du gaz vont exploser pour les consommateurs comme on le voit ci-dessous. Car les privatisations de monopoles naturels, même si elles se font au nom du sain principe de la concurrence pure et non faussée mène tout droit à la hausse des tarifs pour la grande satisfaction des actionnaires et d’Albert Frère bien sûr qui dans l’affaire est devenu extrêmement riche comme le dévoile le livre de Le Gall et Robert.

Le prix du gaz en France

Du gaz on va passer au pétrole, mais on est toujours dans le secteur de l’énergie, parce que pour Frère et sa bande, c’est un peu le secteur clé de l’économie mondiale. Petrobras la firme publique brésilienne qui exploite le pétrole, en voulant se diversifier pour se développer à l’étranger va tomber dans un piège grossier, tellement grossier qu’on a du mal à y croire.

Il s’agit d’acheter une vieille raffinerie américaine qui part en brioche pour une somme qui finira par atteindre 1,5 milliards de dollars. Albert Frère et son équipe l’avait acquise pour une quarantaine de millions ! Comment cela se peut-il ? En vérité c’est parce que l’escroc belge a un homme à lui infiltré chez Petrobras et que c’est celui-ci qui va diriger les négociations. Je passe sur les détails. Ce scandale qui secouera le Brésil sera aussi à l’origine de la destitution de Dilma Rousseff.

Du pétrole on passera à l’uranium : c’est le scandale Areva ou Uranim, encore une firme qui ne vaut rien qui a été montée par Frère et ses petits copains pour une poignée de queues de cerises et qui coûtera à l’État français plus de 2 milliards d’euros ! Dans ce scandale sur lequel la justice s’est penchée enfin et qui n’est pas terminé, on retrouve les noms de la sulfureuse Anne de Lauvergeon, de son mari au nom prédestiné, Olivier Fric, mais aussi d’hommes politiques comme Edouard Philippe qui est devenu Premier ministre après avoir été le lobbyiste attitré d’Areva [3].

Il ne faudra pas compter sur lui pour mettre des bâtons dans les roues du prédateur Frère.

L’européiste Guy Verhofstadt, ami de Macron, mais aussi d’Albert Frère

Et ces milliardaires que font-ils de cet argent salement gagné ? Ils le réinvestissent encore pour faire encore de l’argent. Les techniques du capitalisme financier sont bien connues pour faire cracher des plus-values rapidement, même si cela se fait au détriment de la bonne santé des entreprises comme on l’a vu avec Quick. Cela devrait d’ailleurs suffire à montrer que l’économie de marché, ou l’idée de maximiser les utilités individuelles ne conduit pas du tout à l’optimum.

En vérité on se rend compte que tout ce trafic assez sordide se réalise parce qu’il y a bien trop d’argent en circulation. Dans La tribune du 3 octobre 2018, le journal économique faisait le constat suivant : les prédations continuent, la baisse relative des salaires à l’échelle mondiale, faisaient que les fonds d’investissement avaient tellement d’argent qu’ils ne savaient quoi en faire [4].

Ce constat signifie en clair que la théorie de l’offre ne fonctionne pas : en tuant la demande, l’investissement productif n’a plus de sens et laisse la place à l’investissement spéculatif : « Trop de profit, tue le profit ». Et comme l’on sait, l’investissement spéculatif produit la bulle et l’éclatement de la bulle engendre la crise. C’est un air bien connu maintenant : la crise est pour demain.

Dans un article récent, Le monde s’inquiétait des excès du capitalisme financier sur la croissance, il prenait l’exemple de la City, mais il aurait pu tout aussi bien choisir celui de Wall Street [5]. Graphique à l’appui, il montrait que la recherche des profits spéculatifs – ce qui est l’essence même du capitalisme financier – abaissait le sentier de croissance.

Sarkozy décorant le complice d’Albert Frère

Mais ça ne se fait pas comme ça. L’enquête de Le Gall et Robert montre que les ingénieurs de la finance ont une inventivité infinie pour brouiller les pistes et faire en sorte que plus personne ne s’y retrouve : c’est la meilleure manière évidemment de cacher la merde au chat. Noyer les meilleures intentions sous des tonnes et des tonnes de documents dans lesquels le faux se mêle au vrai.

Reconnaissons à Albert Frère, le fils d’un vague marchand de clous de Charleroi, de la constance dans sa volonté de piller les États et le bien public. Avec son ami Desmarais, milliardaire canadien, aujourd’hui décédé, Frère a acheté presque tous les hommes politiques canadiens, jusqu’à cette buse de Justin Trudeau, et avant lui son père, et bien sûr Sarkozy qui s’est fait un plaisir de décorer cette paire d’escrocs de la Légion d’honneur.

Cette oligarchie a intérêt à la mondialisation d’abord parce que cela lui permet de dissimuler les preuves de ses forfaits en passant d’une frontière à l’autre, ensuite parce que cela permet de multiplier les opportunités de piller le bien public. On voit donc clairement à quoi ont servi les lois qui ont permis la déréglementation des marchés financiers : les banques de second rang peuvent créer autant de monnaie qu’elles veulent pour agrandir leur pouvoir et celui de leurs mandants.

Comment tout cela est-il possible ? Essentiellement parce que les milliardaires ont fait en sorte que les règles changent, que les hommes politiques et les hauts fonctionnaires comprennent où se trouve leur intérêt.

L’ouvrage, bien construit, bien écrit – ça se lit comme un roman policier un peu compliqué – est extrêmement convaincant dans la mesure où il démontre que le capitalisme financier ce n’est pas tellement la culture du risque, en l’adossant aux États, c’est même l’inverse. On y trouvera aussi des notations très savoureuses comme celle-là : Albert Frère paie moins d’impôt sur le revenu que sa femme de ménage ! Tu l’envoies au plafond il reste accroché !

Ce livre est bien plus utile que les ouvrages lénifiants de Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, pour comprendre la réalité du capitalisme aujourd’hui, et à l’inverse il fait apparaître la production académique en la matière pour ce qu’elle est : une façon de dissimuler la vérité d’un système social qui se délité complètement et qui est plus proche du grand banditisme que d’autre chose.

On ne peut pas le lire sans une saine colère à une époque où les hommes politiques acoquinés avec l’oligarchie financière passent leur temps à nous faire la morale.


Voir en ligne : http://in-girum-imus.blogg.org/cath...

   

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