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Pourquoi les États-Unis cherchent à cerner la Russie, la Chine et l’Iran.

jeudi 4 octobre 2018 par Patrick Lawrence pour Consortium News

Les trois principaux adversaires de l’Amérique représentent la forme du monde à venir : un monde post-occidental de coexistence. Mais l’idéologie néolibérale et néoconservatrice est incapable d’accepter le pluralisme mondial et la multi-polarité, affirme Patrick Lawrence.

L’administration Trump a conduit la politique étrangère américaine au bord de la crise, si ce n’est dedans. Il n’y a guère de raison d’affirmer le contraire. En Asie, en Europe et au Moyen-Orient, ainsi que dans les relations de Washington avec la Russie, la stratégie américaine, telle que je l’ai examinée dans ma chronique précédente, ne fait que contrarier les initiatives des autres pour négocier des issues pacifiques à la guerre et à des impasses dangereuses dans l’intérêt d’un monde harmonieux.

L’amère réalité est que la politique étrangère américaine n’a pas d’autre objectif définissable que de bloquer les initiatives des autres parce qu’elles font obstacle à l’expansion des intérêts mondiaux des États-Unis. Cette stratégie indigente reflète le refus par Washington de reconnaître la fin de son statut, relativement bref, d’hégémonie post-guerre froide.

Il y a une erreur trop fréquente dans l’opinion publique américaine : c’est de reporter sur un seul homme – maintenant Trump – la responsabilité du déclin de Washington, désormais ravalé au rang de semeur de troubles. Cela empêche les gens d’accéder à une meilleure compréhension. Cette erreur a été commise lors de l’attaque constante contre les libertés civiles après les tragédies du 11 septembre, puis lors de l’invasion de l’Irak en 2003, c’est à dire que tout était de la faute de George W. Bush.

Ce n’était pas si simple à l’époque et ça ne l’est pas non plus maintenant. La crise de la politique étrangère américaine – une série de faux pas majeurs – est systémique. Ayant peu à voir avec les personnalités, ils passent d’une administration à l’autre avec de petites différences qui ne sont que marginales.

Apportons un peu d’histoire à cette question de l’Amérique en tant que semeur de troubles. Quelle est l’origine de cette approche indigne et isolée des affaires mondiales ?

Tout a commencé avec ce triomphalisme arrogant si évident dans la décennie qui a suivi la fin de la Guerre froide. Ce qui a suivi a eu plusieurs noms.

Il y a eu la thèse de la « fin de l’histoire ». Le libéralisme américain était la plus haute réalisation de l’humanité, et rien ne le supplanterait.

Il y a aussi eu le « consensus de Washington ». Le monde était d’accord sur le fait que le capitalisme de marché libre et les marchés financiers sans entraves mèneraient la planète entière à la prospérité. Le consensus ne s’est jamais étendu bien au-delà du Potomac, mais ce genre de détail importait peu à l’époque.

La croisade économique néolibérale accompagnée d’une politique néoconservatrice a eu son poids intellectuel, et ses guerriers convaincus ont parcouru le monde.

Des jours plus heureux avec la Russie. (Eric Draper)

Il s’en est suivi des échecs. L’Irak après 2003 est l’un des plus évidents. Personne n’a jamais implanté la démocratie ou construit de marchés libres à Bagdad. Viennent ensuite les « révolutions de couleur », qui entraînent la déstabilisation d’une grande partie des régions frontalières de l’ex-Union soviétique. Le krach financier de 2008 a suivi.

A l’époque j’étais à Hong Kong et je me souviens avoir pensé : « Ce n’est pas seulement Lehman Brothers. Un modèle économique se dirige vers le chapitre 11 »  [1]. On aurait pu penser qu’une réflexion approfondie à Washington suivrait ces événements. Il n’y en a jamais eu.

L’orthodoxie d’aujourd’hui demeure ce qu’elle était lorsqu’elle s’est développée dans les années 1990 : La croisade néolibérale doit se poursuivre. Notre ordre axé sur le marché et « fondé sur des règles » est encore avancé comme la seule façon de sortir de l’impasse dans laquelle se trouve notre planète.

Un tournant stratégique et militaire

A mi-mandat de la première administration Obama, un tournant décisif s’est amorcé. Ce qui avait été une affirmation du pouvoir financier et économique, bien que coercitif dans de nombreux cas, en particulier avec les invasions de l’Irak et de l’Afghanistan, a pris des dimensions stratégiques et militaires supplémentaires. La campagne de bombardement de l’OTAN en Libye, apparemment une mission humanitaire, est devenue une opération de changement de régime, malgré les promesses de Washington.

Le « pivot vers l’Asie » d’Obama s’est avéré être une politique de néo-confinement à l’égard de la Chine. La « réinitialisation » avec la Russie, déclarée après la nomination d’Hillary Clinton comme secrétaire d’État par Obama, a échoué et s’est transformée en une animosité virulente avec laquelle nous vivons maintenant quotidiennement.

Le coup d’État cultivé par les États-Unis à Kiev en 2014 a été une déclaration majeure d’un tournant radical dans la politique envers Moscou. Il en a été de même concernant la décision, prise pas plus tard qu’en 2012, de soutenir les djihadistes radicaux qui transformaient les troubles civils en Syrie en une campagne pour renverser le gouvernement Assad en faveur d’un autre régime islamiste.

Le changement comme mauvaise excuse pour une politique étrangère avait alors fait ses premières apparitions.

Je considère la période 2013-2015 comme des années clés. Au début de cette période, la Chine a commencé à développer ce qu’elle appelle aujourd’hui son Initiative la Ceinture et la Route [2] – plan extrêmement ambitieux pour relier la masse continentale eurasienne, de Shanghai à Lisbonne. Moscou s’est prononcé en faveur de cette entreprise, notamment en raison du rôle clé que la Russie devait jouer et parce qu’elle cadrait bien avec l’Union économique eurasienne (EAEU) du président Vladimir Poutine, lancée en 2014.

Nouvelle route de la soie. (Lommes / CC BY-SA 4.0)

En 2015, la dernière des trois années que je viens de mentionner, la Russie est intervenue militairement et diplomatiquement dans le conflit syrien, en partie pour protéger son sud-ouest de l’extrémisme islamiste et en partie pour sauver le Moyen-Orient de la quasi-anarchie qui le menaçait alors, tout comme la Russie et l’Occident.

Pendant ce temps, Washington avait fait de la Chine un adversaire et s’était engagé – comme il semble que c’est toujours le cas – à opérer un changement de régime en Syrie. Trois mois avant le traité qui a établi l’EAEU, les Américains ont contribué à transformer un autre cas de troubles civils en un changement de régime – cette fois en soutenant non pas les djihadistes en Syrie mais les milices crypto-nazies en Ukraine, dont dépend toujours le gouvernement au pouvoir.

C’est ainsi qu’est née la politique étrangère américaine que nous avons maintenant.

S’il y a un président à blâmer – et encore une fois, je ne vois pas l’intérêt d’une telle argumentation –, ce devrait être Barack Obama. Dans une certaine mesure, Obama était une créature de son entourage, comme il l’a reconnu dans son entrevue avec Jeffrey Goldberg dans The Atlantic vers la fin de son second mandat. D’après l’article d’opinion « Anonymous » publié dans le New York Times du 5 septembre, nous savons que Trump l’est aussi, dans une plus large mesure qu’Obama ne l’a peut-être craint dans ses pires moments.

La question cruciale est pourquoi. Pourquoi les cliques politiques américaines se trouvent-elles privées d’imagination face à l’évolution de l’ordre mondial ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu une seule initiative politique originale depuis les années que j’ai soulignées, à l’exception de l’accord maintenant abandonné de 2015 régissant les programmes nucléaires de l’Iran ? « Pour l’instant, notre travail consiste à créer des bourbiers jusqu’à ce que nous obtenions ce que nous voulons », a déclaré un fonctionnaire de l’administration à David Ignatius du Washington Post en août.

Pouvez-vous penser à un aveu plus direct de faillite intellectuelle ? Je ne le peux pas.

Un monde « d’égaux » à nous-mêmes ?

Il y a une explication de longue date à cette paralysie. Sept décennies d’hégémonie mondiale, malgré la Guerre froide, n’ont laissé à penser au département d’État qu’à la simplicité des tensions entre l’Est et l’Ouest. Ceux qui planifiaient et exécutaient la diplomatie américaine ont perdu toute capacité d’imagination parce qu’ils n’en avaient pas besoin. C’est vrai, à mon avis, mais en ce moment précis il y a plus qu’une simple sclérose au sein des cliques politiques.

Comme je l’ai dit à maintes reprises ailleurs, la parité entre l’Est et l’Ouest est un impératif du XXIe siècle. De Woodrow Wilson au règlement de l’après-guerre (seconde guerre mondiale), l’égalité entre toutes les nations était en théorie ce que les États-Unis considéraient comme essentiel à l’ordre mondial.

Maintenant que cela s’amorce en face de nous, Washington ne peut l’accepter. Il ne prévoyait pas que les pays non occidentaux parviendraient à un certain degré de prospérité et d’influence jusqu’à ce qu’ils soient « juste comme nous », comme l’expression autrefois célèbre l’a dit. Et c’est ce qui s’est passé.

Ne pouvons-nous pas tous nous entendre ? (Carlos3653 / Wikimedia)

Pensez à la Russie, à la Chine et à l’Iran, les trois nations qui sont maintenant désignées comme les principaux adversaires de l’Amérique. Chacun d’entre eux est voué à devenir (s’il ne l’est pas déjà) une puissance mondiale ou régionale et une clé de la stabilité – la Russie et la Chine à l’échelle mondiale, l’Iran au Moyen-Orient. Mais chacun d’entre eux se maintient résolument – et cela ne veut pas dire avec une intention hostile – en dehors de l’ordre dirigé par l’Occident. Ils ont des histoires, des traditions, des cultures et des cultures politiques différentes. Et ils sont déterminés à les préserver.

Ils représentent la forme du monde à venir – un monde post-occidental dans lequel l’alliance atlantique doit coexister avec des puissances montantes hors de son orbite. Ensemble, ils symbolisent donc précisément ce que les États-Unis ne peuvent tolérer. Et s’il est un attribut de l’idéologie néolibérale et néoconservatrice qui se distingue de toutes les autres, c’est sa totale incapacité à accepter la différence ou la divergence si elle menace ses intérêts.

C’est la logique de la dégradation en tant que substitut de la politique étrangère. Parmi ses nombreuses conséquences, il y a d’innombrables occasions manquées de parvenir à la stabilité mondiale.


Patrick Lawrence, correspondant à l’étranger depuis de nombreuses années, principalement pour l’International Herald Tribune, est chroniqueur, essayiste, auteur et conférencier. Son livre le plus récent est Time No Longer (Yale) [Il n’y a plus de temps à perdre : Les Américains après le siècle américain, NdT]. Suivez-le sur @thefloutist. Son site Web est www.patricklawrence.us. Soutenez son travail via www.patreon.com/thefloutist..

Traduit par les lecteurs du sitewww.les-crises.fr.


Voir en ligne : https://www.les-crises.fr/pourquoi-...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.


[1allusion au chapitre 11 de la loi sur les faillites des États-Unis qui permet aux entreprises de se réorganiser sous la protection de cette même loi. Le débiteur garde, dans la plupart des cas, le contrôle de ses opérations, mais est soumis à la surveillance du tribunal

[2ou nouvelle route de la soie, NdT

   

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