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Liban : Le président Aoun est attaqué de toutes parts...

mardi 2 octobre 2018 par Richard Labévière pour Proche & Moyen-Orient.

Les dernières évolutions de la guerre civilo-globale de Syrie donne pleinement raison au général Michel Aoun, président du Liban depuis le 31 octobre 2016. Adopté en février 2006 par son parti – le Courant patriotique libre (CPL) – et le Hezbollah, le Document d’entente a permis de conforter la résistance face aux agressions israéliennes qui se poursuivent quotidiennement malgré la cinglante défaite de Tel-Aviv en août 2006. Durant l’été 2013, le Hezbollah a officialisé son engagement militaire en Syrie, permettant ainsi d’empêcher des incursions et la formation de sanctuaires jihadistes sur le territoire libanais.

« En effet, sans l’action défensive du Hezbollah, les terroristes de Jabhat al-Nosra et de Dae’ch étaient, à l’époque, en position de prendre le port de Tripoli et de s’y implanter durablement », rappellent plusieurs responsables politiques de la ville portuaire, deuxième agglomération du Liban en ajoutant ; « c’est pour cette raison géopolitique essentielle que le camp du 14 mars, ses alliés – dont le leader druze Walid Joumblatt – et toutes leurs clientèles liées à l’Arabie saoudite et à Israël s’en prennent aujourd’hui si violemment au président Michel Aoun attaqué de toutes parts ».

Une page d’histoire

Avant d’arriver aux responsabilités de la présidence de la République, le général Michel Aoun a été le chef des Forces armées du pays de 1984 à 1989, puis chef du gouvernement intérimaire de 1988 à 1990, jusqu’à la signature des Accords de Taëf. Mettant fin à quinze années d’une guerre civile particulièrement meurtrière, ces accords ont passablement affaibli le camp chrétien, instaurant une paix supervisée par la Syrie, redéployant son armée dans le pays du Cèdre. Le 14 mars 1989, le général Aoun refuse cette solution et lance la « guerre de libération » en critiquant vertement le soutien américain à la Pax Syriana, se rapprochant de l’Irak de Saddam Hussein pour recevoir des armes.

Le 19 août 1989, depuis le palais présidentiel de Baabda, le général Aoun demande à la France d’intervenir militairement. Depuis juillet 1989, l’armée syrienne et plusieurs milices – dont celle du leader chrétien d’extrême-droite Samir Geagea – bombardent les zones chrétiennes qui abritent plus d’un million de personnes.

Paris fait appareiller le porte-avions Foch, deux frégates et un bâtiment de projection amphibie. La situation du général se détériore lorsque Saddam Hussein envahit le Koweït le 2 août 1990. Washington veut s’assurer du soutien des pays arabes pour légitimer son intervention. Le président syrien Hafez el-Assad se range alors aux côtés des Américains, des Britanniques et des Français dans le conflit du Golfe. En retour, Washington accepte tacitement que Damas prenne le contrôle du Liban.

Le 13 octobre 1990, l’armée syrienne prend d’assaut les régions restées sous le contrôle du général Aoun, dont le palais présidentiel de Baabda. Contraint de négocier son retrait par l’ambassade de France, Michel Aoun déclare sa reddition par radio. Rejoint par sa famille, il est exfiltré par le général Philippe Rondot et les services français avant de partir pour l’exil en France. Devant renoncer à toute activité politique, il fonde néanmoins en 1992 le Courant patriotique libre (CPL), militant pour le retrait de l’armée syrienne du Liban et l’instauration d’un État de droit.

A partir du G-8 d’Évian en juin 2003, Paris et Washington initient la résolution 1559, qui sera adoptée par le Conseil de sécurité des Nations unies en septembre 2004. Celle-ci recommande notamment le retrait des troupes syriennes du Liban, mais précipite une dynamique qui aboutit à l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri dans un attentat à la voiture piégée. Les chancelleries occidentales, les pays du Golfe et Israël accusent immédiatement la Syrie. La messe n’est pas dite et d’autres sources militaires et diplomatiques mettent en cause l’implication des plusieurs services de renseignement occidentaux et israéliens.

Instrumentalisé tous azimuts, cet assassinat génère ce que d’aucuns appellent « la révolution du Cèdre » qui a trois conséquences : le retrait de la totalité des troupes syriennes du Liban en juin 2005 ; le retour du général Aoun et la sortie de prison de Samir Geagea, condamné à trois peines de mort commuées en prison à vie pour son implication dans une série d’assassinats politiques dont ceux du ministre Tony Frangieh et sa famille (1978), ainsi que du Premier ministre Rachid Karamé (1987).

Une certaine idée du Liban

De retour à Beyrouth le 7 mai 2005 après quinze ans d’exil, Michel Aoun déclare vouloir travailler pour l’instauration « d’une société nouvelle, débarrassée de la corruption, du féodalisme politique et des fanatismes religieux ». Il rencontre Samir Geagea à sa sortie de prison. Il est élu député du Mont-Liban le 14 juin 2005, son bloc parlementaire comporte 21 députés. Après la formation du gouvernement Siniora auquel il s’oppose, Michel Aoun opère un rapprochement avec le Hezbollah et signe avec lui le Document d’entente, le 6 février 2006.

Aux élections législatives de juin 2009, son Bloc du changement et de la réforme s’élargit à 27 députés, dont 19 appartenant au CPL. À partir du 25 mai 2014, date de la fin du mandat présidentiel de Michel Sleiman, le Liban se trouve sans président. Deux visions s’opposent : l’une pour l’élection d’un président consensuel dépourvu de soutien populaire et parlementaire, l’autre pour l’élection d’un président fort doté d’un bloc parlementaire conséquent et capable de peser sur les décisions importantes pour l’avenir du pays. Le 18 janvier 2016 à la surprise générale, Samir Geagea annonce son soutien à la candidature de Michel Aoun. Ce dernier est élu le 31 octobre 2016 par 83 voix sur 128, lors de la 46ème consultation parlementaire.

L’élection de Michel Aoun met un terme à une crise institutionnelle de deux ans et demi et marque une réelle avancée pour le Hezbollah qui a soutenu sa candidature. Le Hezbollah concrétise ainsi sa suprématie tant politique que militaire. Michel Aoun rappelle alors que « le Hezbollah représente un tiers des Libanais. Va-t-on exclure un tiers des Libanais de la vie nationale ? », ajoutant que le Document d’entente prévoit que le Hezbollah « n’utilise ses armes que pour défendre le Liban contre des agresseurs, et jamais de façon offensive ou agressive ».

Le 24 mai dernier, le président Aoun charge Saad Hariri (le fils de l’ancien Premier ministre Rafic) de former un nouveau cabinet dans la foulée des dernières élections législatives alors que celui-ci est son adversaire politique historique depuis la deuxième moitié des années 2000. En effet, Saad Hariri représente le camp sunnite, soutenu par l’Arabie saoudite aujourd’hui allié d’Israël. Plus de quatre mois après, le Liban n’a toujours pas de gouvernement.

L’auteur de ces lignes se souvient, non sans une certaine fierté, d’avoir convaincu le regretté Claude Durand (alors directeur des éditions Fayard) de publier son livre-entretien [1], réalisé avec le grand journaliste Frédéric Domont, par ailleurs co-auteur avec le politologue Walid Charara – chez le même éditeur – de l’un des meilleurs ouvrages en français consacré au Hezbollah [2]. C’est en tous cas, cette « certaine idée » et « certaine vision » du Liban, qui valent – aujourd’hui – au président Michel Aoun, une nouvelle attaque en règle de la part des nostalgiques des milices armées et des partisans du vieux projet de partitions confessionnelles du Liban, cher (entre autres) à Béchir Gemayel et au tueur en série Samir Geagea, appuyé par Riyad, Tel-Aviv et quelques autres chancelleries occidentales.

Des difficultés récurrentes

Certes, depuis qu’il s’est installé à Baabda, le président Aoun est loin d’avoir effectué un parcours sans faute. Dans un contexte régional dominé par la guerre civilo-globale de Syrie, l’économie libanaise est à la peine. Malgré la bonne tenue de la livre libanaise et le rôle stabilisateur de la banque centrale du Liban, la dette publique de quelques 77 milliards de dollars pèse lourdement sur les investissements publics et la gestion quotidienne.

La crise des ordures et de leur traitement n’est pas réglée, toujours sujette à un système endémique de corruptions récurrent. Les coupures quotidiennes d’électricité s’aggravent, continuant à faire le bonheur du lobby des marchands de générateurs et groupes électrogènes. Plusieurs offres de centrales thermiques ou nucléaires présentées par l’Allemagne et la France notamment, ont été repoussées. Un système – autant absurde qu’onéreux – de location de bateaux-centrales turcs a été reconduit dans la plus grande opacité au profit d’intérêts tous aussi peu clairs.

En revanche, il est clair qu’en l’absence d’un gouvernement d’union nationale, la présidence n’est pas dans la meilleure posture pour s’attaquer à ces difficultés récurrentes, héritées des présidences antérieures. Toujours est-il que la vie quotidienne des Libanais devient de plus en plus difficile, tant sur les plans de la santé et de l’éducation, que sur ceux des transports et des aides sociales. Comme dans biens d’autres pays, l’écart entre plus riches et plus pauvres se creuse, les classes moyennes sont en voie de paupérisation, tandis que trafics et délinquances connaissent eux-aussi une croissance exponentielle.

Dans ce contexte difficile et tendu, le président Aoun vient d’affirmer à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies que « le Liban refuse la naturalisation de n’importe quel migrant » soulignant que « l’ONU a cessé de recenser le nombre de migrants qui affluaient au Liban en 2014, sachant que la Sureté générale s’est attelée à remplir cette tâche depuis cette date, enregistrant plus d’un million et demi de déplacés à ce jour ».

Et d’ajouter : « le nombre considérable des migrants syriens a eu des répercussions graves sur la société libanaise et ce à plusieurs niveaux : sécuritaire avec l’augmentation du taux de criminalité à plus de 30 %, économique avec l’augmentation du taux de chômage à 21 %, démographique avec l’augmentation de la densité allant de 400 à 600 habitant/km2. Ajoutons à cela, la limite de nos capacités et la rareté des aides internationales nous poussant à être dans l’incapacité de continuer à porter ce fardeau d’autant plus que la majorité des régions d’où sont originaires les migrants sont à présent sécurisées en Syrie ».

Il a réitéré la position du Liban concernant tout réfugié ou migrant dans le pays : « nous insistons sur le droit d’un retour décent, sécurisé et permanent des migrants à leur terre, et à refuser toute tergiversation ou marchandage concernant ce dossier crucial, le liant à une solution politique incertaine ».

Par ailleurs, dénonçant la politique de deux poids deux mesures au Proche-Orient, le président Aoun a rappelé que « la résolution 425 adoptée par le Conseil de Sécurité en 1978, (concernant le retrait des forces israéliennes de tout le territoire libanais et de manière immédiate) ne fut mise en œuvre que 22 ans plus tard sous la pression de la résistance du peuple libanais. En revanche, la résolution 181, approuvée par l’Assemblée Générale en 1947 et qui prévoit la partition de la Palestine, a été immédiatement appliquée alors qu’elle n’avait pas un caractère contraignant. Quant à la résolution 194, également adoptée par l’Assemblée Générale en 1948 et qui appelle au retour des réfugiés palestiniens à leur terre le plus tôt possible, elle est restée lettre morte durant 70 ans ».

Sur le chemin du retour, Michel Aoun a évoqué la possibilité de la formation d’un gouvernement majoritaire au vu des difficultés du Premier ministre désigné, Saad Hariri, de former un cabinet d’union nationale, attendu depuis plus de quatre mois. Il a également dénoncé le fait que l’Occident politise le dossier des réfugiés syriens. « Il y a deux types de gouvernements, un gouvernement d’union nationale et un gouvernement majoritaire. Si nous n’arrivons pas à former un cabinet d’union, alors qu’un gouvernement majoritaire soit formé conformément aux règles qui s’appliquent dans ce cas, et que ceux qui refusent d’intégrer un tel gouvernement en sortent », a déclaré le chef de l’État libanais devant des journalistes dans l’avion le ramenant à Beyrouth. « Ceux qui veulent former un gouvernement peuvent le faire selon leurs convictions et les règles induites par la loi proportionnelle. Je suis président de la République, donc je ne peux pas sortir du gouvernement, mais les formations politiques me soutenant pourraient le faire  », a-t-il conclu.

Neutraliser le frankenstein libanais

La plus grande difficulté récurrente du président Michel Aoun demeure certainement son gendre, actuel ministre des Affaires étrangères et chef de son parti le CPL. Cordialement détesté par une majorité de Libanais et de nombreuses chancelleries étrangères, ce « gendre-fardeau » affiche l’ambition démesurée d’être le prochain président du Liban. S’étant auto-proclamé successeur « naturel » de son beau-père, il incarne un coup de force permanent qui n’est guère cohérent avec la « vision » du président Aoun qui n’a cessé d’appeler de ses vœux la fin du communautarisme et du clientélisme politique.

Plus préoccupant, ce gendre-fardeau a déclaré à plusieurs reprises, qu’il ferait oublier aux Chrétiens libanais le nom de Bachir Gemayel, laissant entendre qu’il serait encore plus intransigeant que le fondateur des Forces libanaises quant à une conception communautariste de la société libanaise. Ce message aussi contredit radicalement la « vision » de Michel Aoun, d’autant que des proches de ce gendre curieux déplorent qu’il se laisse souvent aller à des propos racistes envers les Palestiniens.

Cette épine dans le pied du président Aoun ravit son vieil adversaire Samir Geagea qui, lui aussi rêve obsessionnellement d’un avenir présidentiel. Et c’est l’un des mystères, sinon l’une des contradictions les plus incompréhensibles de la vie politique libanaise : comment des Chrétiens du Liban peuvent-ils encore croire en ce personnage parrainé et financé par l’Arabie saoudite, c’est-à-dire par l’une des dictatures religieuses les plus réactionnaires du monde et les plus méprisantes envers les Chrétiens du monde entier ?

Ne parlons pas de ses soutiens israéliens, en provenance d’un pays qui a envahi le Liban à plusieurs reprises et détruit une grande partie de ses infrastructures durant l’été 2006. Aujourd’hui encore, Tel-Aviv viole, presque quotidiennement, l’espace aérien et les eaux territoriales du Liban, sans émouvoir une communauté internationale tellement soucieuse de la sécurité d’Israël ! La règle du « deux poids/deux mesures » s’impose, plus que jamais, comme constante d’un monde complètement dérégulé.

Dans ce contexte des plus inquiétants, Samir Geagea – le grand ami des Saoudiens et des Israéliens – réapparaît régulièrement comme une espèce de Frankenstein de la vie politique libanaise : « il ne vit, ne survit et se régénère que dans les périodes de crise qui affaiblissent le Liban et les Libanais… », déplore l’un des plus grands politologues du pays. Dans ce climat délétère touchant dernièrement à la liberté d’expression au Liban, notamment après la convocation de plusieurs activistes par le bureau de lutte contre la cyber-criminalité, le député de Baalbeck-Hermel et ancien directeur général de la Sûreté générale, Jamil Sayyed, s’en est pris directement à Samir Geagea. Des propos qui interviennent après l’appel du chef des FL à se débarrasser de l’héritage de la tutelle syrienne en matière de répression de la liberté d’expression.

« Geagea, qui est l’un des résidus d’Israël, a menacé hier d’extirper les résidus du système sécuritaire syro-libanais. Par le passé, vous avez éliminé Tony Frangié, sa femme et leur fille Jihane, ainsi que Dany Chamoun, sa femme et ses deux fils Tarek et Julian », a écrit M. Sayyed sur Twitter, à l’adresse de Geagea. « Vous vous en êtes pris aux églises de Saydet el-Najat à Zahlé et Notre-Dame à Zouk grâce à votre appareil sécuritaire. Vous vous en êtes sorti une fois grâce à l’amnistie, mais détrompez-vous cette fois-ci, vous serez incapable de menacer qui que ce soit ».

Alors que faire pour neutraliser le Frankenstein libanais ? Le responsable chrétien qui succèdera à Michel Aoun ne peut que renvoyer dos-à-dos Monsieur Gendre et Frankenstein, les deux faces d’un même danger confessionnel, sectaire et mortifère. Au contraire, ce responsable devra – encore et encore – appeler les Chrétiens du Liban et, plus largement des Proche et Moyen-Orient, à s’imposer comme autant de liens, de passerelles et de rassembleurs de peuples différents, complémentaires, sinon interdépendants, afin d’œuvrer ensemble à la paix et la prospérité pour l’avenir de leurs pays respectifs.

La purification ethnique – telle que la pratique aujourd’hui Benjamin Netanyahou – ne peut que générer de nouveaux malheurs. Face aux Frankenstein régionaux et internationaux, le « pays message » de Jean-Paul II incarne les valeurs, l’énergie et la meilleure alternative aux tragédies annoncées ! Le prochain président du Pays du Cèdre devra continuer à incarner cet idéal-témoin, défi personnifié à la mondialisation contemporaine, sauvage et meurtrière.

C’était, en tous cas, la « vision » initiale du général Michel Aoun. Selon nos sources, elle le reste ! Espérons que celle-ci prédomine et finisse par s’imposer pour un meilleur avenir de tous les Libanais et Libanaises, ainsi qu’au reste de cet Orient tellement nécessaire au reste de la planète.


Voir en ligne : http://prochetmoyen-orient.ch/liban...


[1Michel Aoun, entretien avec Frédéric Domont : Une certaine vision du Liban. Editions Fayard, 2007.

[2Frédéric Domont et Walid Charara : Le Hezbollah – Un mouvement islamo-nationaliste. Edition Fayard, 2004.

   

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