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Le football, c’est la guerre...

mercredi 18 juillet 2018 par le billet de Philippe Arnaud

Je rédige ces deuxièmes remarques dans une tout autre perspective que les précédentes, la perspective qui avait été ouverte par le Manière de voir n° 139 de mai-juin 1998, intitulé "Football et passions politiques", et, notamment, par l’article d’Ignacio Ramonet intitulé "Le football, c’est la guerre", qui datait d’ailleurs de septembre 1988.

Je ne veux pas (et n’en ai d’ailleurs pas les moyens) commenter tous les matchs sous cet angle-là, mais seulement quelques-uns, en tant qu’ils reflètent des antagonismes ou des hostilités entre pays ou groupes de pays.

1. Entre groupes de pays : les deux grands ensembles footballistiques du monde sont l’Europe et l’Amérique latine. Ce n’est pas à dire qu’il n’y ait pas un énorme engouement (et même beaucoup de talents) dans d’autres régions du monde, notamment en Afrique sub-saharienne et dans les pays musulmans (par exemple dans les pays arabes), mais, jusqu’à présent, ce ne sont que les Européens (12 titres) et les Latino-Américains (9 titres) qui ont "raflé" toutes les Coupes du monde.

Certes, il n’existe pas d’antagonisme entre l’Europe et l’Amérique latine comme il a pu en exister entre d’autres grands ensembles mondiaux, mais il m’a semblé percevoir comme une discrète satisfaction des commentateurs lorsqu’ils soulignaient que les Latino-Américains avaient été éliminés du "carré de tête" et qu’ils ne pourraient même pas disputer les quatre derniers matchs (les deux demi-finales, la petite finale et la finale), contrairement à la Coupe de 2014 où on avait eu une finale Allemagne-Argentine et où, parmi les quatre finalistes, figurait aussi le Brésil (qui battit d’ailleurs les Pays-Bas dans la petite finale).

2. Entre pays. Un des affrontements symboliques a été, lors des matchs de poule, celui qui a opposé l’Égypte à l’Arabie saoudite et a vu gagner ce dernier pays. [Sans conséquence pour l’un et pour l’autre, d’ailleurs, puisque les deux ont été éliminés lors de ce tour et n’ont pu accéder aux huitièmes de finale]. Or ces deux pays, à des titres divers, prétendent au leadership du monde arabe, l’Arabie saoudite parce qu’elle détient deux des Lieux saints de l’Islam et de grandes réserves de pétrole et beaucoup d’argent, l’Égypte parce que c’est le pays le plus peuplé, non seulement du monde arabe mais aussi de l’Afrique.

C’est l’Égypte qui possède la plus forte armée du monde arabe, c’est elle qui abrite la prestigieuse université al-Azhar, qui fait autorité dans le monde musulman sunnite. Enfin, c’est elle qui, avec les présidents Nasser et Sadate, peut se targuer d’avoir tenu tête aux Occidentaux et aux Israéliens et d’avoir temporairement mis en échec l’armée israélienne durant la guerre du Kippour. Le fait qu’aujourd’hui l’Égypte et l’Arabie saoudite soient officieusement alliées à Israël contre l’Iran ne gomme nullement leur rivalité.

3. L’autre affrontement symbolique a été, durant les matchs de poule, celui de l’Espagne et du Portugal, pays qui, en football, ont remporté chacun des titres prestigieux : l’Espagne trois fois la Coupe d’Europe (en 1964, 2008 et 2012) et une fois la Coupe du monde (en 2010) ; le Portugal (vainqueur de la Coupe d’Europe en 2016 et finaliste en 2004). Et qui possèdent des clubs également prestigieux, au plus haut des palmarès européens, à Porto, à Lisbonne, à Madrid et à Barcelone.

Cette rivalité sportive double la rivalité politique (bien plus ancienne et bien plus existentielle) entre les deux pays : sur le partage des empires coloniaux, réglé par le traité de Tordesillas, sous l’égide du pape Alexandre VI Borgia, en 1494 (à l’époque, c’étaient les seuls à en avoir un), sur l’absorption du Portugal par l’Espagne, entre 1580 et 1640, et une indépendance définitive du Portugal en 1668. Or, par un hasard heureux (pour la fierté des deux équipes), le match de poule s’est conclu par un 3-3 entre le Portugal et l’Espagne. Et les deux équipes n’ont pas passé les huitièmes de finale. Donc pas de froissement d’amour-propre entre les deux pays.

4. Cette rivalité s’est quelque peu transportée dans le Nouveau Monde, où les "grands" pays hispaniques (Argentine, Mexique, sans préjudice des autres) ont contesté les tendances hégémoniques du Brésil (qui l’emporte largement, en population et en superficie) sur les pays qui le suivent. On a eu la transposition du match Espagne-Portugal dans le match Brésil-Mexique, gagné par le Brésil.

Mais, à cet affrontement luso-hispanophone, s’ajoute, en deuxième degré, un affrontement entre pays hispanophones au sein de l’Amérique latine, soit pour savoir qui détient le leadership politique, économique, idéologique, culturel ou militaire entre des pays comme le Mexique, l’Argentine ou le Chili, soit, pour déterminer qui est le plus fort au football, entre des pays comme l’Argentine et l’Uruguay. Mais il n’y a pas eu de duels entre pays hispano-américains, ni en matchs de poule, ni à partir des huitièmes de finale.

5. Dans les derniers matchs, je n’ai pas vu se manifester la transposition de rivalités du même ordre (dans le dernier carré se trouvaient quatre pays voisins - Angleterre, France, Belgique - qui ne connaissent plus de rivalité ou d’hostilité grave depuis au moins la première guerre mondiale). Je souhaite juste m’arrêter, pour finir, sur un affrontement des quarts de finale : celui qui a opposé la Russie à la Croatie. En effet, même si les deux pays appartiennent tous les deux au groupe des langues slaves, ils sont, par ailleurs, opposés sur la plupart des points :

  • - La Croatie est un petit pays, par sa superficie et sa population, la Russie un grand pays sous les mêmes rapports.
  • - La Croatie s’exprime dans un alphabet latin (avec adjonction de signes diacritiques), la Russie dans un alphabet cyrillique. Cette distinction recoupe par ailleurs le partage entre catholiques (en Croatie) et orthodoxes (en Serbie... et en Russie), et qui oppose d’ailleurs, depuis 1054, non seulement les Serbes aux Croates, mais aussi les Russes aux Polonais et les uniates aux orthodoxes.
  • - La Croatie a fait partie du royaume de Hongrie (qui, depuis 1526, appartenait aux Habsbourg) et les Croates ont fourni nombre de cadres ou militaires de l’empire d’Autriche, puis d’Autriche-Hongrie : le ban Jelačić qui, en 1848, sauva l’empereur d’Autriche des Hongrois. Puis, au cours de la Première Guerre mondiale, toute une série de généraux fidèles au régime austro-hongrois : les généraux Borojević von Bojna, Křitek, Puhallo von Brlog, Sarkotić von Lovćen, Czapp von Birkstätten, Lukachich von Somorja, Njegovan... [Ces noms sont extraits de l’ouvrage de Manfried Rauchensteiner, Der Tod des Doppleladlers, Österreich-Ungarn und der Erste Weltkrieg, Verlag Styria 1994]. Et ces généraux se sont battus contre les Russes ou contre leurs alliés serbes.
  • - La Croatie, durant la Seconde Guerre mondiale, a constitué non seulement l’État oustachi (allié et collaborateur de l’Axe), mais aussi, dans l’autre camp, la Résistance croate, sous la direction du Croate Josip Broz, dit Tito, qui s’est libérée des Allemands sans l’aide de l’Armée rouge.
  • - La Croatie, enfin, pendant les guerres de Yougoslavie, de 1991 à 1995 pour ce qui la concernait, a été opposée à la Serbie (et a été soutenue par les Occidentaux) et l’a finalement emporté sur la Serbie, que soutenait la Russie. La Croatie, à la suite, est devenue membre de l’OTAN à partir de 2009.
  • - Ces divers éléments ont sans doute contribué à ce que, durant la finale de la Coupe du monde, les supporters russes ont (à ce qu’on rapporte) davantage soutenu l’équipe de France que l’équipe de Croatie. Et se sont ajoutés au fait que la Croatie, en demi-finale, avait battu la Russie, de surcroît aux tirs aux buts.
   

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