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Et puis, la paix s’est éloignée…

samedi 26 mai 2018 par Hélène Richard pour le Monde Diplomatique

La chute du mur de Berlin devait ouvrir une « nouvelle ère de démocratie, de paix et d’unité ». Ainsi parlait la Charte pour une nouvelle Europe signée à Paris en 1990 par trente-quatre pays, Union soviétique incluse. Dans l’esprit de nombreux dirigeants d’alors, bloc socialiste et camp occidental allaient tempérer leurs défauts respectifs, convergeant vers une social-démocratie à l’européenne.

La peur d’une guerre atomique sur le sol européen s’apaiserait, et avec elle, le besoin impérieux du parapluie nucléaire américain pour l’Allemagne fédérale ; Moscou, de son côté, rendrait leur liberté à ses anciens satellites. Enfin, grâce aux « dividendes de la fin de la guerre froide », des sommes importantes seraient disponibles pour autre chose que l’éclat des chars.

Que reste-t-il de cet espoir ?

Les deux anciens systèmes ont convergé, mais dans le sens du néolibéralisme et de l’épanouissement de leurs oligarchies respectives. Pis, les chars américains sont de retour en Pologne, et la Lituanie, fébrile depuis l’annexion de la Crimée par Moscou, a doublé ses dépenses militaires. La Russie, quant à elle, déploie ses missiles Iskander dans l’enclave de Kaliningrad. Qui dit mieux ? Le Pentagone ! Déjà doté d’un budget supérieur à la somme des huit puissances militaires qui suivent, il recevra l’année prochaine une enveloppe supplémentaire de 54 milliards de dollars, du jamais-vu depuis le 11 septembre 2001 et la « guerre contre la terreur ».

Comment en est-on arrivé là ?

Le rapport Wolfowitz de 1992 suggère une piste. Alors que l’ancien adversaire soviétique est à genoux, ce document officiel de l’armée américaine alerte déjà contre « le regain de nationalisme en Russie ». Comme bouclier, Washington dispose alors de l’Alliance atlantique. Il décide de la conserver et de lui ajouter de nouveaux membres malgré la disparition du pacte de Varsovie. En dépit des promesses faites à M. Gorbatchev, l’OTAN se rapproche des frontières russes, balayant au passage le projet d’un espace de sécurité incluant la Russie. Que ce rejet de la Russie aux marges de l’Europe risque d’alimenter le revanchisme qu’il prétend prévenir, l’idée n’a-t-elle jamais traversé l’esprit des experts militaires du Pentagone ?

Car le réveil russe doit moins à l’amertume d’une défaite qu’à la brûlure d’une trahison. « L’Union soviétique est certes morte, mais elle n’a pas été vaincue », analyse aujourd’hui M. Gorbatchev. En échange de sa bonne volonté, l’ancien dirigeant soviétique espérait voir la Russie reconnue comme partenaire digne de confiance par les Occidentaux. Mais, quand ses réformes précipitèrent la disparition de l’Union soviétique, Washington en profita pour verrouiller sa position dominante. Et Moscou dut observer, impuissante, les interventions militaires américaines, y compris dans sa zone d’influence historique en ex-Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan.

Même si elle s’est un peu rétablie depuis son effondrement des années 1990, la Russie n’est toujours pas de taille à rivaliser avec les États-Unis. L’humiliation qu’il estime avoir subie pousse néanmoins Moscou, bien qu’affaibli, à fustiger l’arrogance américaine. Le premier coup de menton se manifeste en 2007, lorsqu’à la conférence de Munich M. Vladimir Poutine condamne les « tentatives d’implantation d’une conception du monde unipolaire ». L’année suivante, l’armée russe intervient en Géorgie, à qui Washington avait laissé espérer une intégration dans l’OTAN. Quatre ans plus tard, c’est la Crimée que la Russie annexe, histoire de s’assurer que la base de Sébastopol ne passera pas dans le camp adverse. Enfin, en Syrie, Moscou entend ne plus lâcher un pouce de terrain tant que son allié, Bachar Al-Assad, figure lui aussi sur la liste américaine des despotes à abattre.

Moscou s’est également engagé dans la bataille idéologique, refusant que les seuls médias occidentaux déterminent le grand récit géopolitique. Sa chaîne publique extérieure, RT, prétend qu’une révolte en Géorgie ou une révolution dans un pays arabe cache souvent un complot américain, que l’Europe, submergée par la crise migratoire, se trouve au bord de la guerre civile, et elle accorde une large place aux thèses xénophobes et antimusulmanes de la droite identitaire.

Ce positionnement de la Russie n’est donc plus fondé sur une rivalité entre systèmes économiques opposés. L’Occident ne l’accepte pas pour autant : depuis l’annexion de la Crimée, Moscou subit sa quatrième vague de sanctions.

Peu avant de quitter le pouvoir, le président Barack Obama rappelait pourtant le caractère relatif de la menace : « Les Russes ne peuvent pas nous affaiblir réellement. Ils sont plus petits, plus faibles que nous. Leur économie ne produit rien que les autres veuillent acheter, à part du pétrole, du gaz et des armes. » Néanmoins, l’establishment américain ne cesse de presser M. Donald Trump de montrer les muscles. Moscou n’est pas en reste : dans sa « forteresse assiégée », le peuple fait bloc autour de son leader et de son armée.

Un proche conseiller de M. Poutine exhorte son pays à assumer sa « solitude géopolitique », pressentant que le rejet européen risque de pousser Moscou dans les bras de la Chine, dont le dynamisme économique et démographique inquiète pourtant les dirigeants russes.

Acculant un ennemi imaginaire, l’Occident provoque ce qu’il a toujours voulu éviter : un rapprochement entre deux puissances que beaucoup sépare, mais qui n’acceptent plus un monde unipolaire devenu caduc à leurs yeux. Dans la vaste recomposition des alliances géopolitiques qui s’opère, un seul absent : le parti de la paix.

   

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