Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > Voir aussi > Nicaragua, les causes d’une révolte

Nicaragua, les causes d’une révolte

vendredi 4 mai 2018 par Aurore Lartigue, Bernard Duterme pour le CETRI

En amont de l’épisode tragique de contestations et de répression – 34 morts en trois ou quatre jours – que traverse le Nicaragua, Bernard Duterme, directeur du CETRI et auteur de Toujours sandiniste, le Nicaragua ? (Bruxelles, 2017), a répondu aux questions d’Aurore Lartigue pour le magazine Géo.

Si l’actuel gouvernement nicaraguayen s’affiche socialiste, progressiste et démocratique, l’analyse des politiques menées cette dernière décennie met au jour son caractère profondément néolibéral sur le plan économique, confusément (ultra-)conservateur en matières familiale, morale et religieuse et absolument autocratique sur le plan politique. D’où la forte légitimité des contestations en cours, mais aussi leur difficulté à s’affirmer dans une configuration sociopolitique aussi particulière, sur fond d’un basculement de conjoncture internationale défavorable à l’économie nicaraguayenne.

Peut-on parler de dérives autoritaires pour qualifier le régime du président Ortega ?

Avant même son retour à la tête du pays en 2006, Daniel Ortega et son instrument politique – le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) dont il a gardé la direction – ont œuvré assidûment à la reconstruction de l’influence perdue sur les différentes sphères de pouvoir (suite à la défaite électorale de 1990). L’autocratisme régnant actuellement, plus qu’une dérive, est à considérer comme l’aboutissement d’un long processus de reconquête et de concentration du pouvoir, par des voies et moyens qui ont régulièrement franchi les limites de la légitimité et de la légalité, et qui ont bradé « l’institutionnalité démocratique » que les sandinistes eux-mêmes avaient édifiée dans la Constitution nationale de 1987.

Aujourd’hui, le couple présidentiel (Rosario Murillo, l’épouse du président Ortega, a été élue vice-présidente de la République en novembre 2016) a la mainmise sur l’ensemble des pouvoirs de l’État (exécutif, législatif, judiciaire et électoral), mais également sur une bonne moitié des médias et sur plusieurs grands groupes entrepreneuriaux. Leur domicile privé est à la fois le siège central du FSLN et l’endroit d’où Ortega et Murillo gouvernent le pays, ajoutant ainsi la patrimonialisation du parti et de l’État, ainsi qu’un certain népotisme – les enfants du couple régnant occupent des postes clés de l’économie nationale –, à l’inféodation des institutions, de la police et de l’armée. Depuis les dernières élections locales de novembre 2017, quelque 90% des municipalités sont aux mains du FSLN.

Bref, la concentration du pouvoir est manifeste, et sa personnalisation dans un régime hyperprésidentialiste, patente. Les formes de la démocratie politique, plus ornementales qu’effectives, sont détournées à l’envi ou instrumentalisées pour assurer la reconduction. Mais de là à qualifier le pouvoir ortéguiste de dictature, il y a encore une marge. Certes, l’hégémonie, le consensus… imposé, peut reposer sur la contrainte et l’intimidation des opposants. Mais celles-ci ne sont pas omniprésentes, ni assorties de tortures et de violations systématiques des droits de l’homme. Le climat au Nicaragua n’est ni à la peur généralisée, ni à l’oppression d’un peuple sous la férule d’un pouvoir tyrannique.

La liberté de la presse (bien que concentrée dans les mains de deux grands groupes) est tangible, tout comme la liberté d’opinion, de se déplacer, de se réunir, voire de s’organiser…, pas trop toutefois, les manifestations contestataires pouvant être vigoureusement découragées, étouffées ou réprimées, comme cela a été le cas ces tout derniers jours. Parlons dès lors, au choix, d’« autoritarisme soft », de « caudillisme du 21e siècle », de « démocrature présidentielle » ou d’« autocratie populiste ».

Avant les secousses de la semaine dernière, y avait-il des mouvements de protestation contre le gouvernement ? Les anciens sandinistes devenus critiques du régime ont-ils la capacité de mobiliser ? Y a-t-il des figures dans l’opposition ou parmi les ex-sandinistes qui pourraient constituer une menace pour Daniel Ortega ? En gros, qu’est-ce qui pourrait l’arrêter ?

A court terme, aucune figure forte d’opposition politique ne semble pouvoir émerger et rivaliser avec l’importante notoriété et la popularité, même minoritaire, d’Ortega. L’opposition partisane a été neutralisée, laminée, empêchée, achetée, lorsqu’elle ne s’est pas elle-même fragmentée, déchirée ou reniée. « Comment ces partis – droite y compris – pourraient-ils encore gagner si la majorité de leurs dirigeants sont désormais assis au parlement en tant que députés sandinistes ou apparentés ?! » s’est félicité Orlando Núñez, proche conseiller d’Ortega, dans un entretien qu’il m’a donné en février 2017, reconnaissant par-là l’emprise du FSLN ortéguiste sur l’essentiel de la scène politique nationale.

Quant aux dissidents sandinistes – la majorité des commandants, ministres, députés et intellectuels révolutionnaires des années 1980 qui ont rompu avec Daniel Ortega, déçus ou déchus –, force est de reconnaître qu’ils n’ont pas réussi à s’unir et à mobiliser une base sociale suffisante pour affaiblir l’hégémonie ortéguiste.

Du côté des contestations sociales en revanche, plusieurs foyers de lutte – paysanne, féminine, jeunes, pensionnés… – sont apparus ces dernières années, hors des mouvements sociaux « officialistes » et « clientélistes », alignés sur les politiques gouvernementales. Encore fragiles certes, mais autonomes, souvent dissuadés d’une façon ou d’une autre par l’appareil ortéguiste, ils ont contesté tantôt la vente du pays à l’extraction minière, les menaces d’expropriation pour la réalisation annoncée de « mégaprojets de développement », les pressions sur leurs terres…, tantôt le conservatisme des politiques familiales, les manquements en matière de sécurité sociale, etc. Pour autant, ces dynamiques sociales ne représentaient pas jusqu’il y a peu une réelle menace pour le couple présidentiel.

Le danger pour ce dernier vient plutôt de la santé même du président – que l’on dit malade et, de fait, particulièrement peu visible publiquement –, mais surtout du retournement de conjoncture internationale à l’œuvre depuis 2015-2016 – chute de l’aide vénézuélienne chaviste, cycle déflationniste des matières premières exportées, dégradation du climat des affaires avec les États-Unis… –, après quasi une décennie de conditions extrêmement favorables.

Les alliances « contre-nature » du président Ortega relèvent-elles seulement de la stratégie politique ou procèdent-elles d’une réelle volonté de réconciliation ?

Même si elles dénotent encore quelque peu avec le passé révolutionnaire du sandinisme – pour ceux qui se souviennent des années 1980 (!) –, les alliances du couple présidentiel n’apparaissent plus « contre-nature », tant elles collent avec les politiques menées. Sa proximité ces dernières années avec le COSEP (la principale fédération patronale nicaraguayenne) trouve écho dans les orientations clairement néolibérales de ses choix économiques, qui ont offert aux investisseurs extérieurs des conditions fiscales, sociales et environnementales au plancher, plus minimalistes encore que dans les pays voisins.

Sa proximité avec le vieux cardinal Obando y Bravo, prélat catholique « faiseur de présidents » ces dernières décennies, coïncide elle aussi avec la foi en Dieu constamment affichée par la tête de l’État, ainsi qu’avec le profil conservateur des politiques éducatives, sanitaires, etc.

La suite de l’article Ici.


Voir en ligne : https://www.cetri.be/Nicaragua-les-...

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?