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La France, une histoire de langues

lundi 13 mars 2023 par Francis Arzalier (ANC)

L’histoire à l’école

Longtemps, la dose d’histoire de France infligée aux enfants de l’école républicaine, se restreignait à la chronologie des « élites », la succession des Rois, Empereurs et Ministres, de leurs combats glorieux ou désastreux : Louis XIV et Colbert, Napoléon d’Austerlitz en Waterloo.

Sans trop de fidélité à la vérité historique, les Hussards Noirs de l’École de Jules Ferry enseignait. Le nationalisme français s’y transmettait grâce à une galerie de héros, républicains avant 1939 et Pétainistes de 40 à 44, qui commençait à Du Guesclin, le baroudeur anti-anglais en Guerre de Cent ans, Jeanne d’Arc, la bergère-soldat d’un Roi, brûlée par les vilains Anglais, encore eux, travestis en symboles d’une nation qui n’existait pas encore.

Après 1945, ce défilé des héros fut encore à la base de l’enseignement de l’histoire, enrichie de Brazza libérant les esclaves en colonisant l’Afrique, des enfants martyrs Bara et Viala pour la Révolution assassinés par les réactionnaires, et de Jean Moulin et Môquet, archanges de la Nation insurgée.

Une histoire héroïque et pédagogique, plus révélatrice des valeurs consensuelles à un moment donné que de la vérité des faits.

Il fallut parvenir aux années 1980, pour voir poindre dans les lycées quelques nouveautés didactiques en histoire, l’abandon d’une chronologie apprise par cœur, au profit d’une réflexion sur les faits avérés, leurs causes profondes, économiques et sociales, et surtout une histoire des peuples, pas seulement de leurs dirigeants et élites privilégiées.

Il est vrai que, dans les Universités, des historiens professionnels, influencés par le marxisme et d’autres philosophies critiques, avaient dépoussiéré l’approche historiographique de ses présupposés xénophobes ou racistes, et découvert que la vie quotidienne des prolétaires anonymes, des soumis-révoltés comme ouvriers, femmes ou esclaves noirs, de leurs maladies ou leur alimentation, était historiquement plus importantes que les traités franco-prussiens ou les victoires militaires.

Mais il y a toujours un décalage dans le temps entre les avancées de la réflexion scientifique, et sa traduction par l’école, ce média sur lequel pèsent les même contraintes idéologiques et politiques que sur la presse.

L’enseignement de l’histoire actuel ne transmet plus les mythes d’autrefois, mais diffuse sans trop d’états d’âmes le libéralisme ambiant, voire l’anticommunisme et la haine anti-russe aujourd’hui triomphants.

N’espérons pas trop des institutions d’État, elles confortent l’observation vérifiée par les marxistes : l’idéologie dominante en un pays donné, à une date donnée, est celle des classes dominantes.

Pour une histoire des peuples

Cela n’interdit pas, bien au contraire, l’approche scientifique de l’évolution historique, aux militants et aux chercheurs, qui ne s’en tiennent pas à la pensée prédigérée, consensuelle.

Ces récentes années, nous avons pu lire nombre de publications historiques d’inspiration progressiste et de grande qualité scientifique, y compris d’auteurs étrangers comme le marxiste états-unien Howard Zinn dans son « Histoire populaire des États Unis », dont le titre exprimé les objectifs de recherche (trad. française Agone 2000 ).

Sur les mêmes objectifs, ont paru des histoires explorant tel ou tel aspect de la vie quotidienne, ou de catégories sociales, Ainsi, les mutations successives de la condition féminine sont un miroir pertinent si l’on tient compte des clivages de classes. Les caricatures actuelles de féminisme « me too » feraient bien de s’en inspirer plutôt que de propager un phantasme historique où toute femme est victime porteuse de vérité et tout homme un violeur potentiel.

Une histoire de langues

Toute l’histoire du (ou des ?) peuple de France peut ainsi être analysée au travers de celle des langues successivement parlées dans notre territoire depuis des millénaires. Les langues sont en effet un vecteur essentiel des conflits et des mutations de l’idéologie, un support de l’identité d’un peuple, toujours culturelle plus que génétique, de ses classes sociales antagonistes et de ses réalités politiques mouvantes.

On ne sait à peu près rien sur les langues parlées par les populations préhistoriques européennes, qui, de Lascaux à la grotte Chauvet, n’ont laissé en guise de témoignages que dessins et outils. Pour le territoire actuel de la France, les seules certitudes nous viennent des auteurs grecs qui, dès le VIème siècle avant l’ère chrétienne décrivent les « Celtes », peuples envahisseurs venus de l’Est, qui se sont installés dans toute l’Europe Occidentale, et qui, chez nous sont appelés Gaulois.

Divisés politiquement en États, ils pratiquent des langues celtes, qui ont recouvert les dialectes autochtones, réalisant en cela une victoire culturelle alors que l’apport démographique était minime : un phénomène que l’on retrouve souvent dans l’histoire.

Le Breton, le Gaélique d’Irlande et du pays de Galles en sont les résidus contemporains. Mais cette uniformité culturelle celtique ou gauloise, de Méditerranée à la Belgique actuelle, a conservé quelques survivances linguistiques, comme l’isolat basque protégé par les Pyrénées occidentales.

On va retrouver le même phénomène de recouvrement culturel quand, peu avant l’ère chrétienne, la conquête « romaine » unifie peu à peu toute l’Europe occidentale dans l’Empire Romain. Là encore, l’apport démographique des Latins en Gaule est minime, mais en quelques siècles, la submersion culturelle est totale, implantant partout une langue officielle sanctifiée par la religion chrétienne, et surtout, la diffusion progressive en milieux populaires de dialectes issus du latin en place des parlers gaulois, dialectes occitans et Catalan au Sud, italiques du pays niçois à la Corse et le pays niçois, Français en Val de Loire et Parisis, jusqu’au Picard qu’on dit aujourd’hui Chti de la Somme à la Wallonie actuelle. Ce n’est que près et au-delà du Rhin que cette filiation latine est absente, au profit de dialectes germaniques comme l’Alsacien, et dans la presqu’île occidentale de Bretagne, où le parler celtique se perpétue.

Mais dans le Royaume Capétien médiéval, les monarques d’origine germanique (Clovis était Franc !) adoptent le latin et ses dérivés pour assurer leur pouvoir, appuyé sur l’Église. Plus généralement, l’usage d’une langue fut peu ou prou imposée par les classes dirigeantes et possédantes de la région considérée, en général les féodalités terriennes, leurs suzerains monarques, avec parfois l’assentiment des bourgeoisies marchandes urbaines, notamment dans les Flandres au nord, et l’Occitanie au sud-Ouest.

Toutes provinces qui avaient vocation à devenir une nation consensuelle autour de leur langue, mais en étaient encore loin, et que les contingences historiques ont souvent avortées. Ce fut le cas de l’Occitanie-Comté de Toulouse, sous l’effet de la Croisade des seigneurs du Nord contre les Cathares au 13éme siècle, mais aussi de l’embryon d’État bourguignon, qui allait du Val de Saône en Flandre, sous les coups du Roi Capétien Louis XI (15éme siècle) et peu après de la Bretagne, absorbée par les Capétiens à l’issue de longs démêlés guerriers et diplomatiques.

À l’issue de ces multiples processus initiés et conclus en faveur de « l’élites » possédantes et dirigeantes, sans l’accord souvent des populations concernées, le Pouvoir politique unificateur est dès la fin du Moyen Âge le Royaume héréditaire de France, dont le Centre initial, du Val de Loire et Val de Seine, s’est agrandi au fil du temps, par conquête et héritages princiers : ce qui ne fait pas une nation, même si le monarque ne se prive pas d’imposer la langue française aux notaires et aux curés qui tiennent les registres de baptême (édit de Villers-Cotteret ( 1539).

Nation et langue française

Avant 1789, il n’y a pas de nation française achevée, c’est à dire un ensemble politique reposant sur la volonté populaire, seulement un royaume dont les provinces (et les peuples) ont pour seul point commun l’attachement au Monarque, qui peut recouvrir bien des motivations contradictoires. Ainsi, dans le Gévaudan de mes ancêtres, légué par l’Évêque-Comte au Royaume de France (paréage de 1307), la paysannerie libérée du servage a trouvée auprès des représentants du Roi et de l’Église protection contre les exactions seigneuriales, ce qui explique aisément sa fidélité au Roi et aux prêtres, jusques et y compris contre la République en 17. Cela ne l’empêchait pas de pratiquer quotidiennement son parler occitan, jusqu’au 19éme siècle…

La Nation, entité politique de la masse des citoyens autour du consensus réformateur antiseigneurial, s’est constituée de 1789 à 1804, durant la Révolution et l’Empire, qui assuraient aux paysans français la propriété de leurs terres, parfois arrondies de celles prises aux nobles émigrés.

Cette nouvelle Nation, née d’un accord politique des masses villageoises et urbaines, s’accommodait au reste fort bien de la diversité linguistique du pays : les Jacobins s’exprimaient parfois en occitan à Toulouse, et si La Marseillaise, exprimant le sursaut national contre les envahisseurs contre-révolutionnaires de 1792 a été rédigée en français par Rouget de Lisle, les fédérés marseillais qui lui ont légué le nom de leur région en la chantant s’exprimaient quotidiennement en provençal.

En fait, on ne peut faire une histoire rationnelle des langues sans la lire en termes de nation, mais aussi de classes, et de façon dialectique. Les Empires et Républiques de France au Dix-neuvième siècle, héritières de la Révolution et réalisant par à coups ce qu’elle avait inventé (le système parlementaire, le droit de vote citoyen, etc…), ont aussi assuré progressivement le pouvoir économique et politique de la Bourgeoisie industrielle et commerçante.

Et c’est cette bourgeoisie qui a fait de la langue française un vecteur exclusif de l’unité nationale à son profit. Dès 1792, l’abbé Grégoire, un grand Révolutionnaire, prônait l’usage du seul français contre « les patois dénoncés » comme vecteurs de la Contre-révolution ». Et, presque un siècle plus tard, Jules Ferry et la Troisième République lui étaient fidèles en installant l’école obligatoire, laïque, et gratuite, dans la moindre communauté villageoise, dont la base était l’apprentissage du Français.

Ce qui fut, certes, un progrès social et politique fulgurent, mais en même temps la mise en marche d’un processus d’éradication des cultures populaires, quand les « hussards noirs » (instituteurs laïques) de 1900 punissaient sévèrement les élèves surpris à parler « patois », corse, basque, occitan ou breton, dans la cour de récréation. Ce qui n’empêcha pas ces langues maternelles de rester quotidiennes dans les villages tant que l’évolution économique et les guerres mondiales n’eurent pas détruit les sociétés agricoles.

Et il fallut arriver aux dernières décennies du Vingtième siècle pour voir certaines régions de la Nation française (Bretagne, Corse, etc…) revendiquer la réhabilitation de ces langues et cultures effacées, parfois avec d’hypocrites motivations réactionnaires, notamment en soutien des projets ultra-libéraux de l’Union Européenne.

Les questions linguistiques ont aussi joué un grand rôle quand la France était à la tête d’un immense Empire colonial, qui englobait une Afrique subsaharienne aux multiples langues et cultures, et un Maghreb islamisé de langue arabe. Car à l’image de ce qu’avait été la conquête romaine en France, les « conquérants » arabes de l’Afrique du Nord au VIIéme siècle, n’y ont constitué qu’un apport démographique minime, mais une mutation culturelle essentielle par la conversion à l’Islam, et à la langue du Coran.

Dans ces deux espaces, la colonisation par la France s’est traduite par une sujétion économique et politique, mais aussi par la diffusion de la langue et la culture françaises, notamment en scolarisant une partie des « indigènes », de façon à fabriquer une population « d’évolués », voués à devenir les supplétifs de la colonisation. C’est ce phénomène pernicieux qu’avaient condamné Césaire et d’autres intellectuels dès la décennie 1930 en affirmant leur « négritude », et que le théoricien anticolonial Frantz Fanon a dénoncé sous le nom « d’acculturation coloniale ».

Après les indépendances africaines des années 1960, les États d’Afrique noire, sous-industrialisés, endettés, sont restés de longues décennies soumis à l’ancienne métropole, économiquement, politiquement, militairement et culturellement. Le « Pré-carré »de la France était aussi » l’Afrique francophone ». Et le gouvernement français ne se privait pas d’en jouer.

Jusqu’aux débuts du XXIème siècle, qui virent l’affaiblissement progressif de la France au sein de l’alliance impérialiste occidentale. En 2023, même les pays « francophones » dont les dirigeants sont les plus libéraux, comme la Côte d’Ivoire, s’inspirent plus volontiers de Washington que du Quai d’Orsay, et le réseau des Centres Culturels Français en Afrique est souvent en déshérence.
Un phénomène parallèle aux déboires militaires de la France dans toute l’Afrique, notamment Mali, Burkina et Centrafrique, mais plus important encore sur la durée, notamment au profit de la Chine, active culturellement autant qu’économiquement en Afrique.

Plus révélateur encore de l’ébranlement des anciens rapports de force mondiaux est l’effritement de la langue française en France même au vingt et unième siècle, au profit d’un franglais-globish, c’est à dire de vocables issus d’une sous-culture anglo-saxonne de type commercial et financier, la langue de l’Impérialisme occidental dominant culturellement autant qu’économiquement et militairement.

Cette invasion de la langue parlée en France est massive dans la technologie de communication, mais aussi dans la moindre enseigne publicitaire, accentuée jusqu’au ridicule par les médias audiovisuels, et cautionnée par les dirigeants politiques de la génération Macron. Cette érosion du sentiment national a contaminé jusqu’aux milieux militants, syndicaux, associatifs ou politiques. Qui n’a remarqué que le tract du Vingtième siècle, base même de l’action militante, est souvent qualifié aujourd’hui de « flyier » ?

Une véritable acculturation linguistique de nature néocoloniale, qui rejoint celle infligée autrefois par l’État français aux peuples africains de son Empire.

L’importance des questions linguistiques dans l’histoire des nations et leurs conflits avec les Impérialismes ne se limite pas à notre pays.
Elle est par exemple essentielle dans la genèse de la guerre actuelle en Ukraine : ce conflit a démarré en 2014 quand les putschistes nationalistes qui s’étaient installés au pouvoir à Kiev ont voulu imposer la langue ukrainienne aux russophones de Donets, provoquant ainsi leur insurrection, réprimée férocement à coups de canon, et le dérapage dans la guerre antirusse en 2022, avec l’aide de l’OTAN et des USA.

Notre combat anti-impérialiste est aussi d’ordre linguistique et de classe, contre une idéologie de la bourgeoisie de notre pays, de plus en plus servile à l’égard du leader US.

mars 2023

   

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