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Décès d’Adolfo Kaminsky, un combattant antiraciste et anticolonialiste, soutien actif du FLN durant la guerre d’Algérie

vendredi 20 janvier 2023 par Gilles Manceron.

Adolfo Kaminsky est mort à Paris le 9 janvier 2023, à l’âge de 97 ans. Son engagement dans la résistance au nazisme dans la France occupée fut pour lui fondateur. Il l’a prolongé dans le combat anticolonialiste, le soutien au FLN algérien de 1957 à 1962, puis l’aide aux mouvements anticolonialistes africains jusqu’aux années 1970. Il a ensuite vécu en Algérie jusqu’en 1982, où il a épousé Leila, Algérienne, et où sont nés ses deux enfants. Et ne pas oublier son refus du projet sioniste dont il percevait les écueils.

Certes, pour Kaminsky, ce jeune homme juif, âgé de 15 ans en 1940, victime comme sa famille de persécutions antisémites, la période de 1940 à 1944 fut une période intense, éminemment fondatrice de son engagement. Celle où il a rêvé de se rendre utile dans la Résistance et où, passionné de chimie, il est vite devenu un expert dans la fabrication de faux papiers.
Des papiers qui pouvaient, à cette époque, sauver la vie d’enfants ou d’adultes juifs pourchassés, mais étaient aussi nécessaires à l’action clandestine de tous les mouvements de résistance, quels que soit leur sigle ou leur obédience, pour lesquels Adolfo Kaminsky a travaillé indistinctement.

Du « service de l’armée française » à la question de la Palestine

D’abord, qu’en est-il exactement de son rapport, en 1944-1945, avec les services secrets de l’armée française, puis, en 1946-1947, de son aide aux migrants juifs fuyant l’antisémitisme persistant dans une partie de l’Europe et qui cherchaient refuge en Palestine ?

Dès la libération de Paris, la réputation d’Adolfo Kaminsky connue de tous les mouvements de la Résistance et de la France libre lui a valu d’être recruté quelques mois par un service secret de l’armée française, la DGER, pour fabriquer de faux papiers pour des agents qu’on envisageait d’envoyer derrière le front en Allemagne.

Adolfo Kaminsky en 1944.

Mais la capitulation allemande, le 8 mai 1945, a interrompu ce plan, et, quand on lui a demandé de travailler sur la cartographie de l’Indochine, il a refusé tout net et argué de sa nationalité argentine pour quitter ce service secret français : « Je ne me sentais plus à ma place […] la perspective de participer à une guerre coloniale qui s’annonçait me prenait au cœur et me terrifiait […] Si l’insurrection des Indochinois devait avoir lieu, ne devrais-je pas la comparer à ce qu’avait été la Résistance pour les Français ?  [1] ».

Ensuite, en octobre 1947, pour aider des migrants à trouver un refuge en Palestine, il a travaillé pour une organisation juive, l’Aliah Beth. « Ils voulaient être maîtres de leur destin. Ils voulaient émigrer en Palestine. Personnellement, je n’étais pas sioniste. Mais je défendais fermement l’idée que chaque individu, particulièrement s’il est traqué et que sa vie est en danger, puisse jouir du droit de circuler librement, de traverser les frontières, de choisir la destination de son exil [2] ». « Nous avions tous nos motivations pour participer à cette immigration clandestine. Elles différaient selon chacun ».

Certains « étaient guidés par l’idée de la création d’un foyer national juif en Palestine, comme déjà la déclaration Balfour le stipulait, rêve auquel s’accrochaient tout les sionistes. […] En ce qui me concerne, c’était par dessus tout la libre circulation des peuples qui était en jeu  [3] ». L’un des ses amis, Avner, lui avait donné envie d’aller vivre dans ce qui était en passe de devenir l’Etat d’Israël : « Avner m’avait raconté que dans la région où se trouvait son kibboutz, les kibboutzim vivaient en parfaite harmonie avec les villages de Bédouins alentour, et que les conflits éventuels se réglaient entre délégués des villages et délégués de kibboutz, chacun se vouant un très grand respect. J’aimais cette image. elle confirmait mon envie de partir pour ce pays lointain, plein de promesses. Quand je revis Avner beaucoup plus tard, il me confia, non sans tristesse, que la guerre d’indépendance d’Israël avait définitivement chassé les Bédouins de cette région  ».

En ce qui le concerne, Adolfo Kaminsky était partisan d’un « État mixte », pour lequel la laïcité serait un « ciment du vivre ensemble » : « J’avais imaginé un pays solidaire, collectiviste, et surtout laïc. Je n’ai pas supporté que le nouvel Etat choisisse le religieux et l’individualisme, parce que c’était tout ce que je détestais. Une religion d’Etat, cela revenait à créer, encore une fois, deux catégories de population : les Juifs et les autres ».

Quant au groupe Stern ? Il en désapprouvait les actions. Quand il a été sollicité par des anciens compagnons de résistance qui en étaient membres pour les aider à préparer un attentat, il leur a livré un engin qui ne pouvait pas exploser.

Lorsqu’a été proclamé en 1948 l’État d’Israël, Il a décidé, contrairement à plusieurs d’entre eux, de ne pas y aller : « Je préférais le pays qui avait choisi la laïcité et promulgué la Déclaration des droits de l’homme, même s’ils n’étaient pas toujours respectés, même si j’y étais toujours clandestin. » Quelques années plus tard, le stock d’armes du groupe Stern qu’un ancien compagnon de résistance lui avait confié, il l’a transmis au FLN, « pour servir la cause de l’indépendance de l’Algérie ».

Son engagement au sein du réseau Jeanson de soutien au FLN algérien

Dans la période de neuf années qui a suivi, Adolfo Kaminsky a abandonné toute activité militante ou de faussaire et s’est consacré à la photographie. C’est aussi celle où il a eu ses premiers contacts avec l’Algérie.

A l’automne 1957, à la suite de conversations avec des personnes engagées contre la guerre d’Algérie, comme l’écrivain Georges Arnaud, l’auteur de théâtre Arthur Adamov, et surtout Marcelline Loridan et la jeune médecin Annette Roger, Adolfo Kaminsky a rencontré Francis Jeanson, qui lui a proposé de rejoindre le réseau de soutien au FLN algérien qu’il avait créé, et de lui faire bénéficier de ses compétences en matière de faux papiers.

Immédiatement d’accord, il a été mis en contact avec son bras droit, Jacques Vignes, qui lui a commandé durant les cinq années suivantes un grand nombre de faux papiers espagnols, italiens, suisses, allemands, belges et français pour les militants du FLN recherchés et pour les membres du réseau affectés au franchissement des frontières.
Ils étaient fabriqués dans un vaste atelier clandestin, installé rue des Jeûneurs, dans le IIe arrondissement, non loin du Café du croissant où Jaurès avait été assassiné. Plusieurs photos de l’atelier figurent dans l’exposition, mais sans qu’il soit précisé que, pendant les cinq années où il a été en activité, de 1957 à 1961, il fonctionnait exclusivement au profit de ce réseau de soutien au FLN.

Quand Francis Jeanson a dû quitter la France en 1960 et quand Henri Curiel, Juif égyptien, à la fois communiste et engagé dans la France libre, et réfugié en France, a pris la tête du mouvement de soutien au FLN, Adolfo Kaminsky a eu désormais comme interlocuteur le bras droit d’Henri Curiel, Georges Mattéi, un ancien appelé en Algérie, avec qui il a vite sympathisé.

En plus de la fabrication de faux papiers, il s’est impliqué dans l’hébergement de militants du FLN recherchés, en liaison, notamment, avec le comédien Jacques Charby et le responsable syndical CGT d’Air France, Claude Ravard, membre du parti communiste mais qui agissait en cachette de son parti pour ne pas risquer d’en être exclu.
En juin 1961, plusieurs indices de surveillance policière ont obligé Adolfo Kaminsky à déménager son laboratoire parisien à Bruxelles. Ce qui fut pour lui l’occasion de rencontrer les responsables de la Fédération de France du FLN, à commencer par Omar Boudaoud, chef du Comité fédéral.

Sa participation au réseau Solidarité d’Henri Curiel

Revenu en France un an après l’indépendance de l’Algérie, dans le courant de l’été 1963, Adolfo Kaminsky a travaillé pour le mouvement Solidarité qu’Henri Curiel a organisé pour soutenir les mouvements anticolonialistes des colonies portugaises (Guinée-Bissau, Angola, Mozambique) et l’ANC sud-africaine luttant contre l’apartheid, et qui a rapidement étendu son action à d’autres mouvements d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.

Son interlocuteur restait Georges Mattéi, fortement impliqué aussi, après la Conférence tricontinentale de La Havane de janvier 1966, dans un autre réseau, l’Organisation latino-américaine de solidarité (OLAS). L’ANC avait été interdite, ses dirigeants, dont Nelson Mandela, condamnés à la prison à vie en 1963 au procès dit de Rivonia et les services secrets de l’Afrique du sud de l’apartheid étaient d’une redoutable efficacité dans le crime.

C’est une demande de fabriquer des faux passeports sud-africains, qu’il avait reçue à trois reprises de la part de trois personnes différentes qui lui présentaient chaque fois le même exemplaire comme modèle, demande qui lui est apparue comme un piège, qui l’a conduit, en 1971, à décider de cesser de toute urgence ses activités militantes de faussaire et de se « mettre au vert ».

L’enlèvement, en plein Paris, puis l’assassinat, en octobre 1965, du principal organisateur de la Conférence tricontinentale de La Havane, Mehdi Ben Barka, suivi, après le départ du général de Gaulle en 1969, de l’arrivée au pouvoir d’hommes politiques qui, comme Valéry Giscard d’Estaing, avaient été des jusqu’au-boutistes de la colonisation et maintenaient des liens étroits avec l’Afrique du sud, lui donnaient le sentiment de ne plus être en sécurité en France.

Ses onze années de repli en Algérie, 1971-1982

C’est dans ce contexte qu’il a été vivre en Algérie. Il y a exercé différents métiers, à commencer par un poste à la SNS, la Société algérienne de sidérurgie. Il a vécu dans ce pays une dizaine d’années, durant lesquelles il s’est beaucoup consacré à la photographie. C’est là qu’il a rencontré Leïla, une jeune algérienne, étudiante en droit, qui militait bénévolement pour le Mouvement pour la libération de l’Angola (MPLA), qui est devenue sa femme, avec laquelle il aurait trois enfants, Atahualpa, José et Sarah.

Ils reviendront en France en 1983, dans un contexte politique différent. Bien qu’ils restent silencieux sur l’Algérie et son régime de ces années-là, on devine que Leïla comme Adolfo ont gardé un jugement sévère à son sujet. Ils obtiendront tous les cinq en 1992 la nationalité française. Entre temps, en plein Paris, le 4 mai 1978, Henri Curiel aura été assassiné, avec le feu vert, selon toute vraisemblance, du président de la République de l’époque qui affichait ses bonnes relations avec l’Afrique du sud de l’apartheid.

« Au service de la Haganah et du groupe Stern » ?

À lire l’ouvrage de Sarah Kaminsky, on mesure l’importance des périodes de la vie d’Adolfo Kaminsky que l’exposition du MahJ [4] comme le livre/catalogue qui l’accompagne ont tendance à éluder. De ses nombreuses photos prises pendant les onze années passées en Algérie de 1971 à 1982, quelques rares figurent dans l’exposition, et un plus petit nombre encore — presque toutes sans aucun personnage — dans le livre/catalogue.
Adolfo Kaminsky a pris alors des milliers de clichés, dans la suite de ses photographies de 1953 et 1954 de « très beaux visages d’enfants qui nous regardaient derrière les grilles ».
Une œuvre de photographe qui reste à découvrir.[...]

Dans la préface de cet ouvrage, écrire, comme le fait Paul Salmona, qu’Adolfo Kaminsky a été « au service de la Haganah et du groupe Stern » sans rien dire de ses réflexions sur la question de la Palestine n’est-il pas un raccourci qui témoigne d’une volonté de ne pas contrarier les idéologues qui, au mépris de l’histoire du judaïsme français et européen, voudraient faire croire que judaïsme et sionisme iraient forcément de pair ?

Comme son père, Juif né en Russie et qui avait choisi de vivre en France, malgré la part sombre de ce pays, et qui croyait, non à l’idéologie sioniste mais aux idées socialistes et laïques du Bund [5], Adolfo Kaminsky n’était pas favorable à « un pays pour les Juifs ». Il pensait que « la religion ne devait surtout pas coïncider avec une nation [6] ». Le rôle du MahJ n’est-il pas de dire l’histoire, toute l’histoire, même si ça ne plait pas à certains.

Sachons gré à l’une des autrices du livre/catalogue, l’historienne Sophie Cœuré, d’avoir rappelé dans son article qu’Adolfo Kaminsky avait refusé « de rallier Israël : trop de religion, trop de nationalisme  [7] ». Les visiteurs de l’exposition ont du acheter ce livre et lire son article pour l’apprendre. Souhaitons que le MahJ sache, encore mieux que dans cette belle exposition, faire pleinement leur place aux nombreux itinéraires de Juifs universalistes et non sionistes de notre histoire, comme Adolfo Kaminsky, dont l’ensemble du parcours et des réflexions sur la question de la Palestine, méritent d’être restitués.


Voir en ligne : https://histoirecoloniale.net/Deces...


[1Sarah Kaminsky, Adolfo Kaminsky. Une vie de faussaire, p. 105.

[2idem

[3idem

[4Au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, une belle exposition sur Adolfo Kaminsky s’est tenue en 2019

[5Union générale des travailleurs juifs de Russie, de Lituanie et de Pologne, parti politique juif, socialiste et laïque.

[6Op. cit., p. 62.

[7Sophie Cœuré, « Kaminsky, vos papiers ! Archives d’une résistance invisible », in Adolfo Kaminsky. Changer la donne, Éditions Cent Mille Milliards, 2019, p. 67.

   

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