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Staline et la Révolution

mercredi 21 décembre 2022 par GQ

Vacances scolaires, trêve des confiseurs, fêtes de fin d’année, que des moments propices à la lecture pour dépoussiérer les à priori qui encombre souvent nos cerveaux surmenés. Et je pense que se replonger dans la réalité vraie de l’expérience soviétique peut nous permettre de remettre à sa juste place, celui qui, bien que mort et enterré par Poutine entre autre, fait encore peur à la bourgeoisie mondiale : Staline !

Un texte de notre camarade Gilles Questiaux. (JP-ANC)

Les révolutionnaires du XXIème siècle auraient tout intérêt à se libérer du discours bourgeois sur Staline, discours sur un élément essentiel de leur histoire, qu’ils le veuillent ou non, discours faux mais hégémonique, y compris dans leurs rangs. Et de se rendre compte que Staline eût-il été un ange, le discours bourgeois à son sujet aurait été exactement le même. En fait, il serait bon qu’ils se rendent compte qu’il leur faudrait eux-même mériter un peu de la mauvaise réputation de Staline auprès de la bourgeoisie mondiale.

Dans le monde entier les exploiteurs et les hypocrites qui travaillent pour eux prononcent le nom de Staline, mort le 5 mars 1953, avec haine, terreur et horreur. A titre conservatoire, c’est plutôt bon signe. C’est peut être le signe qu’il ne devait pas être si mauvais, s’ils ont encore peur de lui, après si longtemps.

Staline comme monstre maléfique dénoncé par l’idéologie libérale-démocratique hante le monde de la fin de l’histoire. Il est abusivement assimilé à Hitler par l’usage de la théorie de guerre froide du « totalitarisme ». Le dirigeant criminel raciste contre-révolutionnaire allemand est rejeté en paroles par la même bourgeoisie qui l’a utilisé, comme si elle n’avait rien à voir avec lui.
Staline, dirigeant victorieux de l’Union Soviétique et de la révolution mondiale qui a combattu et vaincu le nazisme hitlérien lui est assimilé, au défi de la réalité historique, pour « exorciser le communisme » comme l’a écrit un jour le journal « Le Monde » sans mettre de guillemets, pour rendre à jamais impossible une nouvelle révolution comme celle d’octobre 1917 en Russie.

Il apparaît de plus en plus clairement que le Staline historique n’était pas le personnage monstrueux que ses ennemis de l’extérieur et de l’intérieur ont cherché à accréditer.

L’histoire objective de son pouvoir sur l’URSS et le mouvement communiste commence à être écrite avec le recul scientifique nécessaire à la manifestation de la vérité. C’est une histoire terrible pleine d’excès et de brutalité. Mais la terreur stalinienne qu’on dénonce n’a pas été introduite dans l’histoire par la malveillance d’un homme ou d’un petit groupe dirigeant.
Elle résulte d’un contexte et de circonstances précises. Lorsque ces circonstances se sont apaisées, les groupes dirigeants embourgeoisés en URSS et dans les partis communistes des autres pays, en quête de respectabilité, n’ont plus osé assumer leur histoire, et ont cru s’en tirer en faisant de Staline le bouc émissaire de tous leurs excès et toutes leurs erreurs.
Et le bouc émissaire était particulièrement mal choisi.

C’était un homme politique d’origine populaire, très intelligent, habile, convaincu, incorruptible, et plutôt prudent, qui fut sans doute, comme Mao après lui, victime des illusions que produit un pouvoir politique trop étendu.

On ne peut pas si facilement le dissocier de la tradition politique qu’il applique et qu’il prolonge. Staline incarne la dictature du prolétariat.
S’il y a quelque chose qui ne va pas chez Staline, c’est dans la théorie de la dictature du prolétariat qu’il faut le chercher, théorie appliquée fidèlement telle que Karl Marx et Lénine l’avaient envisagée.

Et certes, ce n’est pas pour rien que Gramsci (qui a toujours soutenu Staline contrairement à ce que l’on laisse croire souvent) l’a reprise de fond en comble à la même époque, non pour la supprimer, mais pour l’actualiser.

La tentative stalinienne de mettre en pratique le marxisme a finalement été vaincue. Mais il y a quelque chose d’étonnant à voir toute l’intelligentsia mondiale élevée dans le culte de Nietzsche s’épouvanter de voir ce que ça donne, d’agir « par de là bien et mal ». De voir ce qu’elle interprète comme un surhomme en chair et en os mettre en œuvre la dictature du prolétariat à ses dépens.

Le fait est que Staline, dont le nom qu’il s’était choisi signifiait "Homme d’Acier", fut le dirigeant rationnel à la barre de la Révolution dans les circonstances de fer où elle se produisit, dans le monde de violence sans limite ouvert par la boucherie de la Grande Guerre impérialiste de 1914-1918 qui avait déprécié totalement la valeur de l’existence humaine, et face à la contre-révolution également sans limite du fascisme et du nazisme qui en avait au concept même d’être humain.

L’analyse qui veut proposer un « communisme sans Staline » qu’il fût celui de Trotski, des anarchistes, ou de « Socialisme ou Barbarie », n’a pas de sens. Leur analyse est d’ailleurs à contresens des faits : Staline n’a pas exercé la terreur au nom de la bureaucratie contre le prolétariat, il a exercé la terreur sur la bureaucratie, au nom du prolétariat.

Lui, et le groupe dirigeant qui l’entourait, étaient persuadés qu’une partie importante de la bureaucratie soviétique était prête à trahir la Révolution, "l’œuvre de Lénine" à laquelle ils accordaient tant de valeur, et à baisser pavillon face à l’Allemagne nazie, puis face aux États-Unis impérialistes.
Ce qui s’est effectivement produit, deux générations plus tard.

Le recours à la Terreur eut pour but de faire face à la situation d’urgence créée par la menace extérieure nazie et/ou impérialiste. Le groupe dirigeant produisit une façade légale à la Terreur, assez inconsistante, pendant les grands procès de Moscou, de 1936 à 1938.
Cette Terreur, en elle même, est infiniment tragique et démoralisante. Mais personne ne saura jamais si sans elle, l’URSS ne se serait pas écroulée au premier choc, comme la France de 1940, rongée de l’intérieur par la trahison des élites militaires, intellectuelles, politiques et économiques.

Moins les révolutionnaires seront tentés de répudier le Staline historique, moins ils seront tentés de rejeter Staline dans les poubelles de l’histoire, moins ils seront staliniens, au sens trivial du mot qui caractérise bien le bureaucrate opportuniste ou postcommuniste : autoritaire, menteur, dissimulé, corrompu, brutal, inculte, veule, opposé à la spontanéité révolutionnaire et à la démocratie.
Car ceux que l’on qualifie spontanément ainsi avec ce que cela comporte d’opprobre justifiée ne sont pas staliniens, mais khrouchtcheviens, gorbatchéviens, yeltsiniens. Ou pour traduire dans les termes de la Révolution française, ce sont ceux de Thermidor et du Directoire, pourris et cyniques, qui ne peuvent pas juger la Terreur, à laquelle ils ont participé sans vertu.

Restent les mérites du personnage historique Staline auquel il faut rendre justice : Il a su rendre concrète l’expérience du socialisme dans un seul pays (l’alternative étant, non pas la « révolution permanente » prônée par Trotsky, mais « le socialisme dans aucun pays »), expérience que l’humanité du XXème siècle devait faire.
Il a su diriger le peuple soviétique pour vaincre le nazisme. Sans Staline, le Parti communiste soviétique, et le peuple russe, le Troisième Reich aurait triomphé. Il a accéléré la décomposition du monde colonial et du racisme, et rendu dans le monde entier l’exploitation et la misère illégitime.

Le seul moyen de vaincre le socialisme a été de faire provisoirement mieux que lui sur son terrain, le terrain social, et on voit bien ce que ça donne aujourd’hui que ce puissant stimulant a disparu.

Il est vrai que Staline assume avec tous les autres dirigeants soviétiques (y compris ceux qui en ont été victime à leur tour) le bilan terrible de la Terreur, atteignant peut-être (selon une estimation très élevée) un million de condamnés exécutés ou morts en déportation, en trente ans, une fois écartés les bilans délirants diffusés par les historiens anticommunistes professionnels.

Comme le montrait Domenico Losurdo, récemment disparu (hommage video) l’État révolutionnaire fondé par les bolcheviks n’a jamais pu bénéficier de la paix et se sortir de l’état d’exception, il n’a pas réussi à fonder une nouvelle légalité, de manière à entrer dans un développement pacifié et prosaïque, et le philosophe italien pensait même, paradoxalement, que la composante anarchisante du projet communiste, qui comporte l’objectif du dépérissement rapide de l’État, a empêché la stabilisation du socialisme et son retour au respect de la légalité.

Et en effet, les premiers bénéficiaires d’une telle pacification devaient être les cadres, les "bureaucrates", et leurs cousins à la face souriante, les intellectuels et les artistes plus ou moins dissidents. Staline, comme promoteur de la constitution démocratique de 1936, représente justement la recherche du point d’équilibre jamais trouvé entre légalité et révolution, entre "experts" et "rouges".

Mais tout ça ne s’est pas produit dans une époque et dans des pays tranquilles, où comme on dit dans le Chant des partisans : "les gens aux creux des lits font des rêves", et en condamnant sans nuance Staline et son groupe dirigeant on fait comme s’il n’y avait jamais eu de guerre menée au socialisme, comme si l’Union Soviétique et la révolution prolétarienne n’avaient eu aucun ennemi, et surtout comme si cet ennemi n’avait pas pris dès avant octobre 1917 l’initiative de la violence et de la Terreur.
Au fond, ce que l’on reproche véritablement à l’URSS dirigée par Lénine et Staline, c’est de ne pas avoir été vaincue comme le sera la République espagnole sur qui on a versé tant de larmes de crocodile.

Dans quel sens devons nous utiliser cette histoire dans notre siècle ?

Marx nous indique en tout cas la marche à ne pas suivre : faire comme les révolutionnaires de 1848 fascinés par la Montagne de 1793 qui cherchaient à rejouer la grande révolution, et qui souvent se déguisaient en révolutionnaires plutôt qu’ils n’agissaient.
Réévaluer le rôle révolutionnaire de Staline ne signifie pas préconiser l’emploi ici et maintenant de son langage ni de ses méthodes d’action, et encore moins de l’utiliser comme un symbole creux destiné à choquer le bourgeois.
Mais cela signifie qu’il faudra pour renverser le capitalisme une détermination de fer, comme la sienne.

Il faut reconnaître le fait incontestable que dans le monde entier presque tous les révolutionnaires prolétariens déterminés se sont rangés du coté de Staline quand il gouvernait l’URSS. Et une grande partie des mouvements de libération nationale dans les colonies et le Tiers Monde aussi.

Le mouvement révolutionnaire du prolétariat a mal géré son repli idéologique depuis la mort de Staline (1953), et il faut en reprendre l’autocritique au début.

La critique anticommuniste a raison sur trois postulats :

1) Staline est un communiste authentique, ceux qui s’intitulent encore communistes doivent assumer cet héritage et expliquer pourquoi ils le font.

Ce défi est très facile à relever, et sans provocation ni extrémisme ! Il suffit de savoir ce qu’on veut, la respectabilité ou la révolution. Car ce qui est perdu en obstruction, calomnies et conspiration du silence peut être regagné et largement au-delà par la publicité involontaire que produit l’indignation de la bourgeoise scandalisée et de ses intellectuels et journalistes.

2) L’URSS a été une tentative de réaliser une utopie économico-politique qui a échoué dans la confrontation avec l’impérialisme.

Sauf que pour nous, ce n’est pas l’utopie en elle qui la condamne, au contraire ! Et de plus en plus clairement, c’est le projet économique capitaliste dans son ensemble qui semble une utopie mortifère. Elle a échoué, certes, mais pas dans une sorte de compétition sportive équitable, ou de sélection du plus apte, type darwinien. Elle a engagé, soutenu puis perdu une grande et longue bataille.

Mais la guerre n’est pas finie.

3) Et le phénomène historique nazi-fasciste s’explique par une réaction à la menace communiste.

Le tableau effarant des effets meurtriers de ce phénomène nullement mystérieux n’exige de la postérité aucun mutisme craintif, aucune sidération. Les Blancs de la Guerre Civile en Russie et en Ukraine préfigurent l’action des nazis jusqu’aux crimes les plus répugnants. Il est donc parfaitement possible, et nécessaire, de continuer à penser "après Auschwitz", contrairement aux admonestations des marxistes repentis de l’École de Francfort.

L’horreur nazie n’est rien autre chose que le fruit démesuré d’une réaction de panique de la bourgeoisie, face à ce qu’elle nomma le « bolchevisme », signifiant émotionnel dont le sens était alors à peu près le même que celui de « Staline » aujourd’hui, et le plaidoyer pour une réhabilitation implicite du nazisme qui a été présentée avec cohérence par Ernst Nolte en Allemagne, est en fait un aveu de la bourgeoisie, qui replace le génocide sans mystère au terme de l’escalade criminelle de la contre-révolution des années 1920/30.

4) Par contre, la quasi-totalité des allégations de l’historiographie anti-stalinienne est fantasmatique, fausse ou exagérée.

Soljenitsyne, Conquest, Trotsky, Chalamov, les frères Medvedev etc. ne sont pas des sources fiables, mais des auteurs partisans, le plus souvent directement liés à des forces organisées contre-révolutionnaires, des auteurs souvent lourds et grossiers qui ne seraient pas pris au sérieux s’ils écrivaient sur n’importe quelle autre question.

5) Dans l’affrontement entre la révolution mondiale et la contre-révolution mondiale, depuis 1914, le camp capitaliste est responsable de crimes innombrables et n’a pas de leçon de morale à donner. 

6) Nous éviterons à l’avenir les dérives antidémocratiques, les erreurs et les excès violents en étudiant l’histoire réelle de notre mouvement et non en reproduisant les critiques de l’adversaire et sa version des faits. 

7) Les critiques émanant de mouvements ou d’hommes se prétendant révolutionnaires et qui n’ont pas fait de révolution n’ont pas de valeur. Comme celles de Georges Orwell par exemple, prototype de tous les conservateurs déguisés en gauchiste. Non plus que celles émanant d’acteurs de l’histoire du communisme qui tentaient de couvrir leurs responsabilités, comme Trotski et Khrouchtchev.

L’application de ces principes, en s’inspirant notamment des concepts critiques développés dans les Cahiers de prison de Gramsci, devrait aboutir à une critique nuancée, comme le fait la critique du maoïsme en Chine, et non à la diabolisation de l’histoire de la révolution.

 

GQ, 24 avril 2020 (texte élaboré depuis 2010, publié en versions successives, ceci est une version raccourcie).

Voir également :

Dossier contre l’antistalinisme

   

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