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Impasse et rupture d’équilibre du mode de production capitaliste

mardi 22 novembre 2022 par Lorenzo Trapani (ANC)

Lorsque nous parlons, dans notre pratique politique quotidienne, de la fin d’un monde unipolaire qui a conduit à une dimension de forte compétitivité entre plusieurs pôles concurrents, et donc à une tendance à la guerre partiellement visible aujourd’hui, nous devons nous rappeler les conditions qui ont conduit à cette situation, sans nous enfermer dans une approche géopolitique. Ainsi, afin de décrire la dynamique qui conduit aujourd’hui à la "formalisation" des contradictions en cours, nous devons décrire le chemin parcouru par celles-ci au cours des dernières décennies.

L’impasse est le produit des contradictions

Après la fin de l’URSS, il y a eu une phase de stabilité due à la possibilité pour le capital de s’auto-valoriser en utilisant à la fois les énormes espaces matériels qui avaient été créés (incluant évidemment la Chine) et le développement des forces productives provoqué par le développement scientifique-technologique et la forte réduction de la lutte des classes au niveau international.

La croissance s’est poursuivie de manière assez régulière jusqu’à la crise financière de 2007/2008, qui a marqué le premier fort renversement de tendance, et dans les années 2010, cette tendance s’est encore accentuée.

Il est important de dire, cependant, que cet "état de crise latent" n’a pas directement remis en cause l’hégémonie américaine et l’équilibre international du pouvoir, mais a plutôt fait croître les concurrents potentiels, conduisant effectivement à une impasse dans les relations de pouvoir internationales.

Bien entendu, par "rapports de force", nous n’entendons pas seulement les rapports militaires, mais aussi économiques, sociaux, idéologiques, etc., c’est-à-dire le développement global des différents acteurs.

L’impasse a été provoquée par des facteurs structurels que nous pouvons énumérer brièvement, tout en prenant soin de considérer le "mode de production capitaliste" (qui définit le système d’organisation sociale et productive) plutôt que le "capitalisme" (qui définit les spécificités des différents pays, leurs relations de concurrence, faisant passer la dynamique d’ensemble au second plan).

1. Si un monde bipolaire existait jusqu’en 1991, cette année-là a déterminé le potentiel de la mondialisation du MPC, qui s’est effectivement concrétisé au cours des trente années suivantes. Les possibilités de croissance extensive sont "saturées" : le potentiel supplémentaire de "rendre capitaliste" d’autres espaces est désormais résiduel par rapport à la taille déjà atteinte du marché mondial.

2. On est passé de la surproduction de biens des années 70 à la surproduction de capital, avec un énorme processus de financiarisation, permettant à d’énormes investissements d’occuper les espaces productifs qui se sont ouverts depuis les années 1990. Face à la limitation de la croissance du marché, qui s’est progressivement manifestée, la masse monétaire disponible tend à se reproduire et à s’accroître uniquement dans la dimension financière et spéculative.
D’où les fréquentes crises financières et les bulles spéculatives.

3. Dans le cadre de la croissance de cette masse financière anormale, la position monopolistique du dollar est mise à mal au fil du temps : d’abord avec la naissance de l’euro, c’est-à-dire une dynamique interne au bloc dominant, puis avec la montée en puissance de la monnaie chinoise et la prolifération des crypto-monnaies.

4. Il y a eu une augmentation énorme de la composition organique du capital  [1] dans la production mondiale, ce qui a produit une série d’effets à une échelle jamais connue auparavant dans l’histoire.
En général, la croissance du capital fixe dans la production s’est accompagnée d’une réduction de la main-d’œuvre nécessaire. Fait important, le processus qui a commencé dans les centres impérialistes atteint maintenant ce qui était autrefois les périphéries productives, à commencer par la Chine.

5. En termes économiques, cela signifie un rétrécissement des marchés réels (ceux où les marchandises sont vendues), même ceux à l’intérieur des pays impérialistes, causé par la détérioration des conditions de travail et de vie des classes subalternes, qui ont eu des pourcentages toujours plus faibles de la richesse produite dans le monde.

6. Une impasse a été atteinte dans le domaine militaire, où le développement technologique global et l’équilibre nucléaire ont jusqu’à présent empêché la destruction généralisée du capital par la guerre. Cela n’a été possible que sous des formes limitées dans les dizaines de conflits plus ou moins importants qui ont été décidés par l’Occident impérialiste, ce que nous savons être des guerres asymétriques.

7. Le dernier aspect structurel, la limite environnementale entre en contradiction directe avec un capital globalisé qui tend vers une croissance infinie, qui est donc obligé de forcer cette limite objective insurmontable que constituent les "limites objectives" de la Terre.

L’évolution et l’aggravation de ces contradictions fondamentales du MPC n’ont jamais cessé, produisant des frictions de plus en plus fortes, mais que les forces sue le terrain (économiques et politiques) ont contenues afin d’éviter un conflit d’où serait sortie une rupture de l’équilibre international, toujours dominé par les USA.
Mais cela ne pouvait pas durer trop longtemps, car les contradictions agissent toujours et produisent un saut qualitatif dans le processus historique.

Rupture de l’équilibre : entrée dans une nouvelle phase

Le premier acte de cette nouvelle condition a été la fuite des États-Unis et de l’OTAN d’Afghanistan. Cette défaite n’était pas tant militaire qu’idéologique et matérielle : l’impossibilité pour les États-Unis de maintenir l’objectif qu’ils s’étaient fixé pour le XXIe siècle, à savoir conserver et accroître leur hégémonie mondiale, est apparue. Clôturant un cycle de défaites politiques en politique étrangère qui a commencé avec la guerre de 1991 en Irak (où, à chaque victoire militaire et occupation ultérieure du pays, l’Occident n’a jamais réussi à "gérer" le nouvel ordre imposé aux vaincus), les États-Unis ont démontré qu’ils n’avaient pas concrètement la force matérielle de maintenir ce rôle.

En bref, l’échec afghan a montré l’impossibilité de poursuivre le projet unipolaire occidental, faisant remonter à la surface toutes les contradictions jusqu’alors cachées.

Le repli stratégique en Asie et la nécessité pour l’OTAN de consolider son contrôle à l’Ouest, avec son extension vers l’Europe de l’Est, ont ainsi produit la rupture formelle de l’impasse : l’intervention russe en Ukraine. C’est la première réaction militaire symétrique aux plans de l’Occident, car on ne peut pas faire aujourd’hui avec la Russie ce qui a été fait dans le passé avec la Yougoslavie, l’Irak ou la Libye...

Les événements en Ukraine ont donc à voir avec le rééquilibrage des rapports de force au niveau mondial. Un rééquilibrage qui ouvre une phase d’affrontement et de chaos international, dans laquelle émerge une confrontation entre la zone euro-atlantique et la zone eurasienne (l’Europe semblant jouer le rôle de pivot et de friction), où, toutefois, les sujets les plus en difficulté sur le plan stratégique sont les impérialismes historiques du monde occidental - car le potentiel de croissance se situe presque entièrement dans le domaine de la zone eurasienne théorisée.

En effet, d’une part, on trouve des tailles de marché et de population énormes, un niveau de technologie assez avancé et en tendance prédominante (cet aspect est dirigé par la Chine), un potentiel militaire respectable (avec la Russie) et de ressources naturelles abondantes à l’intérieur des frontières.

Des éléments tout à l’avantage de cette importante partie du monde qui pourrait aspirer à une croissance autonome par rapport à l’Occident, qui commence d’ailleurs clairement à aller dans ce sens : le cas du RCEP (le plus grand accord de libre-échange du monde, tout au sein de l’Asie) est un premier pas évident. [2]

Dans le domaine euro-atlantique, les marges de croissance sont beaucoup plus étroites, auxquelles il faut ajouter les contradictions internes tant en Amérique latine qu’en Afrique (de la vague progressiste dans l’arrière-cour américaine à la situation au Sahel, qui oblige Macron à retirer les soldats de l’opération Barkhane, pour "réduire l’exposition et la visibilité de nos troupes"), et un effritement de ce qu’étaient les alliances occidentales, des Emirats arabes à la Turquie et autres, tendant à redéfinir leurs propres intérêts au-delà de ce qu’étaient hier encore les alignements internationaux.

En plus, il y a un équilibre à trouver entre les amis-compétiteurs américains et européens, sur le plan monétaire, sur celui de la redéfinition des relations au sein de l’OTAN (on se souvient de Macron qualifiant l’OTAN de mort cérébrale) et sur les liens stratégiques (le fort intérêt de nombreux pays européens pour l’initiative chinoise Belt and Road comme le canal North Stream n’a pas plu aux États-Unis).

Un autre aspect qui pénalise certainement le camp euro-atlantique, et qui est particulièrement important ici en Europe, est le fait que si la tendance est à la multipolarité économique et commerciale, cela aura un effet direct dans la redéfinition des chaînes de valeur mondiales, avec leur raccourcissement qui entraînera une nouvelle transformation des systèmes de production.
Pour nous, cela signifie une augmentation indiscriminée de l’exploitation économique, ainsi que moins de droits pour la société et une démocratie qui, ayant déjà perdu sa substance, aura tendance à perdre également sa forme.

Le dernier aspect à cet égard est l’insuffisance de la classe politique occidentale en termes de vision stratégique : le fait que nous ayons vécu pendant plus de trois décennies dans un monde dont nous étions les seuls maîtres, a produit un glissement des élites occidentales de une classe dirigeante à une classe dominante.

Cela a transformé l’ensemble de la classe politique en un appareil au service des entreprises, qui devaient simplement "gérer la mondialisation" afin de maximiser la liberté du marché. Aujourd’hui, nous sommes dans une phase différente, comme le montre si bien la parabole dévastatrice de la nouvelle Dame de fer Liz Truss, dans laquelle la capacité stratégique occupe une place centrale.

C’est dans ce cadre que nous devons analyser les événements quotidiens.
Cela vaut aussi bien pour les événements loin de nous (un exemple est le quadrant Pacifique, qui n’a jamais été aussi chaud depuis la Seconde Guerre mondiale : les îles Salomon [3], Taiwan, l’alliance AUKUS [4]...) que pour les conflits syndicaux dans lesquels nous sommes engagés.

En vivant dans cette partie du monde, nous devons reconnaître que la dynamique de chaque jour est celle d’un système en crise à tous égards.

L’alternative entre le socialisme et la barbarie n’a jamais été aussi actuelle.


[1Dans la théorie économique marxiste, il s’agit du rapport entre le capital constant et le capital variable. Le capital constant est généralement décrit comme la valeur du capital qui est incorporée dans la valeur des produits finis utilisés dans le processus de production ; le capital variable est la valeur du capital utilisé pour la rémunération de la force de travail. Ce rapport mesure donc la valeur des machines utilisées par rapport au nombre de travailleurs employés dans le processus de production.

[4AUKUS (acronyme de l’anglais Australia, United Kingdom et United States) est une alliance militaire tripartite formée par l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni.

   

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