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Guerres, tensions et sujétions.

vendredi 30 mars 2018 par Badia Benjelloun

Retour à l’économie tributaire, illustration par les Séoud ?

Depuis des décennies désormais, la presse annonce des traités d’achat d’armements aux Usa par la famille séoudienne au pouvoir en Arabie centrale. La comptabilité est difficile à suivre d’autant que la nature de ces armes est souvent évasive. On croit juste comprendre que l’arme de prédilection est aérienne et qu’une part serait réservée à la formation et l’entraînement d’unités de l’armée. L’Arabie aux mains des Séoud est le premier client des Usa, devant l’Inde.

En 2010, un deal fabuleux a été conclu avec l’administration Obama pour la plus grosse vente d’armes de l’histoire étasunienne. Une facture de quelques 60 milliards de dollars, qualifiée de colossale, pour délivrer au royaume wahhabite avions de chasse, hélicoptères et rénover le système de missiles Patriot [1]. Un président US plus loin, peu de mois après l’investiture de D. Trump, un nouveau contrat de 110 milliards, les superlatifs ont manqué pour appréhender son importance, a été signé en mai 2017 [2].

En 2014, l’Arabie serait devenue le premier importateur mondial d’équipements militaires [3], doublant ses dépenses en l’espace de 15 ans. Pour 2015, l’Arabie contribue pour un dollar sur 7 dans le marché mondial de l’armement. D’après l’étude de IHS [4], chaque année, les importations séoudiennes s’accroissent de plus de 50% depuis 2013.

Cette coûteuse frénésie d’achats ne garantit en aucun cas une quelconque supériorité militaire à la pétromonarchie au Proche-Orient, le Congrès étasunien veille à ce que l’entité sioniste dispose toujours d’une ou deux longueurs d’avance technologique sur les Bédouins du Nadjd. Elle ne lui confère pas non plus la suprématie sur moins doté que lui en armements, l’échec du déploiement au Yémen était patent avant le ‘cadeau’ de bienvenue et d’intronisation (?) fait à Trump en mai 2017.

De plus, toute cette quincaillerie ne met pas la péninsule à l’abri des S400 délivrés à l’Iran, devenu ennemi seulement depuis la révolution islamique et socialiste° de 1979.

Cette conduite semble d’autant plus irrationnelle que la dynastie a terriblement souffert de l’affaissement de sa rente pétrolière, baisse du prix du baril en raison d’une suroffre, obligeant à une relative austérité des dépenses budgétaires accompagnée d’un endettement public sur les marchés financiers.

Deux questions restent pendantes entre les Usa et les Séoud.

Celle des 28 pages soustraites dans un premier temps du rapport de la commission bipartisane sur le 11 septembre 2001 publié en juillet 2003. Leur contenu révélant l’implication de princes et de riches donateurs privés dans le financement d’Al Qaïda désormais public constitue une menace implicite sur les avoirs séoudiens libellés en dollars voire déposés aux Usa mêmes.

Le rapport final de la Commission du 9/11 (Juillet 2004) affirme que l’Arabie des Séoud a été le lieu jusqu’en 2001, où la Qaïda a levé des fonds pour le ‘jihad’ à grande échelle. Depuis, le pays a accepté qu’une mission de la Financial Action Task Force, émanation du G7, vienne contrôler les flux financiers illicites par ailleurs difficilement traçables s’ils ont lieu par transfert au porteur de petites sommes.

La fondation caritative Al Haramein a été inscrite en juin 2004 sur la liste des organisations liées à la Qaïda par l’Arabie et les Usa, ses onze bureaux à l’étranger sont alors fermés. Cette bonne volonté manifestée par les Bédouins du Nadjd témoigne plus d’une compliance à un formalisme ‘démocratique’ qu’à un réel renoncement des deux parties au financement occulte d’opérations spéciales. La matrice de ce type de coopération est dans la réalisation de l’opération conjointe ‘moudjahidins afghans’ sur le scénario proposé par Brzezinski. Les armes qui leur ont été livrées par le Pakistan ont été payées par les Séoud non pas à l’insu de la CIA, mais avec la complicité de celle-ci.

Celle du désintérêt relatif des Usa pour la région du Proche et Moyen Orient au profit de l’Extrême Orient et du Pacifique dont le contrôle est jugé prioritaire. Tel était le sens de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran, concocté par les stratèges de l’équipe démocrate qui a accompagné les huit années d’Obama. Cet apaisement de surface, les conditionnalités de levée des sanctions étasuniennes n’ont jamais été remplies, devait permettre de plus d’arracher la république islamiste de l’orbite sino-russe et pousser davantage les Arabes de la Coopération du Golfe à renforcer leur arsenal militaire.

Un troisième différend s’entrelace avec le précédent, celui de l’indépendance énergétique proclamée mais sans modification réelle [5] sur les importations américaines. L’annonce que le gaz de schiste concurrence les énergies fossiles traditionnelles impacte des prix qui ont chuté de près de 50% depuis la récession (occidentale) de 2007-2008. La surproduction des hydrocarbures que n’arrive pas à absorber la consommation toujours ascendante de la Chine a conduit à une entente des Séoud avec la Russie pour réduire leur production et relever les cours.

Ainsi, l’acquisition de matériel surabondant, inutile et parfois démodé ou obsolète, par un État entré dans une situation de contraction de ses rentrées financières ne répond à aucune rationalité économique ni même stratégique au premier abord. Sauf à considérer qu’elle est en adéquation avec la rationalité qui n’appartient pas au registre de l’impérialisme comme stade ultime du capitalisme. Les Usa ont ré-initié là un mode de production tributaire qui tend à effacer les traits revêtus par le capitalisme à sa phase ascendante. Quand le roi Salmane accueille Trump pour lui offrir 380 milliards de contrats à honorer sur la décennie à venir, cela s’apparente au versement d’un tribut d’un pays vassal vis-à-vis de son suzerain ou au paiement d’un racket au parrain venu ramasser le prix non pas d’une protection, mais d’une non agression.

La guerre permanente.

Les Usa ne sont sortis pleinement de leur récession majeure de 1930 que grâce à l’opportunité que leur a fournie la seconde guerre mondiale. Loin du territoire des opérations qui ont rendu exsangues les deux grandes puissances impériales européennes, ils ont développé une industrie de l’armement qui allait constituer l’un des axes, avec le dollar, de leur hégémonie. La plupart des innovations technologiques dont ils ont envahi la planète étaient assurées par cette industrie florissante dédiée à la destruction.

Après 1945, la guerre, abusivement et sans doute volontairement appelée froide pour mieux tromper les esprits, s’est poursuivie afin de pérenniser le complexe militaro-industriel en expansion constante. La CIA, avec ses opérations secrètes et ses psy-ops, s‘était configurée dès la fin de la deuxième guerre mondialisée pour assurer cette mutation. Inventer ou au moins exagérer les dangers d’une invasion rouge du ‘monde libre’ et créer des foyers d’écoulement de la production des cartels de l’industrie militaire.

La guerre du Vietnam est emblématique à cet égard. Alors que la France était prête à négocier avec les communistes et à accorder à ses colonies asiatiques leur indépendance, les Usa lui ont enjoint un affrontement sans merci moyennant l’octroi d’un financement considérable. Pour deux milliards de dollars, la France s’est faite humilier à Diên Biên Phu et a dû renoncer à être le partenaire dominant dans le couple franco-allemand au sein de la Communauté européenne [6].

Truman, puis Eisenhower ont refusé d’entendre l’appel qu’avait lancé Ho Chi Minh le 14 octobre 1946 [7] par lequel il demandait l’aide des Usa pour obtenir l’indépendance et la création d’un Vietnam sous la protection d’un plan Marshall. Cette partie du Sud Est asiatique allait recevoir pléthore de bombes depuis les forteresses volantes de Boeing (B29 et modèles ultérieurs). Les usines devaient tourner à plein régime. Il y a loin de là à la lutte idéologique anticommuniste et de la théorie des dominos mise au point pour faire croire à une possible contamination de la Thaïlande, la Malaisie (et caetera…) par le communisme.

La même question peut se poser à propos du refus de financer le barrage d’Assouan au moment où Nasser accepte les conditions des Usa. [8] Le retrait des Américains allait jeter inéluctablement l’Égypte dans le giron de l’URSS et d’une certaine manière conduire à l’échec la politique de la troisième voie, neutraliste, telle que définie à Bandung (mouvement des pays non alignés).

Toutes les interventions étasuniennes peuvent être lues selon la nécessité vitale de création de tensions génératrices d’un marché d’armements de plus en plus étendu, voire de conflits où ceux-ci seront consommés.

L’impérialisme britannique, français et allemand visait à conquérir par les armes des marchés et des ressources, l’étasunien s’avère d’une qualité différente, sa substance s’identifie à la guerre. Le pacte (non écrit) passé entre le roi Abdelaziz et Roosevelt en 1945 assurait un approvisionnement en hydrocarbures suffisant aux besoins des Usa. Les interventions militaires sur les autres zones pétrolières devaient en permettre le contrôle pour entraver l’approvisionnement des rivaux potentiels.

Gorbatchev puis Poutine ont vainement espéré une coopération internationale apaisée. Saddam Hussein était prêt à céder à toutes les conditions des majors américaines pour exploiter le sous-sol irakien. Kadhafi avait ouvert son économie à l’Occident et avait pour cela payé un ticket d’entrée onéreux, financement de campagnes présidentielles françaises, placement des capitaux des fonds souverains libyens dans des firmes occidentales et partenariat avantageux avec les majors pétrolières.
Jusqu’à Bachar al Assad venu aux Champs Élysées un 14 juillet attester de sa volonté d’intégration au marché mondialisé des marchandises et de la principale d’entre elles, celle de l’argent.

L’Afrique française, prototype de l’économie de rente.

Les systèmes politiques issus des indépendances en Afrique fonctionnent selon ce même principe de la rente. La matrice de la relation tributaire est bâtie sur une monnaie, le franc CFA, imposée par l’ancien colon (qui a entre-temps renoncé à sa propre monnaie nationale en faveur de l’euro) à huit États de l’Afrique de l’Ouest [9] et six pour la zone d’Afrique Centrale [10]. Les lettres de l’acronyme ont évolué mais le sens et la nature de ce franc sont restés attachés à son origine, Colonies Françaises d’Afrique en 1945, Communauté française d’Afrique en 1958 puis pudiquement Communauté financière africaine en 1960.

Elle a une parité fixe avec l’euro, ce qui défavorise des économies faibles qui auraient besoin de plus de souplesse. Sous prétexte que le franc CFA est convertible, la contrepartie est très onéreuse, elle oblige les Banques Centrales africaines à déposer 50% de leurs réserves de change auprès du Trésor français. Le dispositif dans son ensemble favorise les entreprises françaises et soumet des gouvernements africains à une dépendance politique et économique vis-à-vis de la France.

L’arrimage à l’euro, monnaie forte, constitue une taxe à l’exportation et une subvention à l’importation. Le système du crédit, très encadré dans une situation oligopolistique, conditionne un rationnement du crédit bancaire dans un contexte de rationnement monétaire. Les Banques Centrales des zones CFA ont un taux de couverture de l’émission monétaire supérieur à 85%, témoin de la réserve de change excessive déposées auprès du Trésor français [11].

C’est au cours de réunions biannuelles des ministres de l’économie à Paris que se décident les politiques des provinces africaines. La France ne dispose que de deux bases militaires importantes officielles, l’une à Djibouti, l’autre en Côte d ‘Ivoire, les effectifs au Gabon et au Sénégal ont été beaucoup réduits. Mais certaines opérations extérieures permettent une présence permanente.

L’opération Epervier au Tchad durait depuis 1986, elle a été remplacée par l’Opex Barkhane en juillet 2013 qui prenait le relai de l’Opex Serval au Mali. L’opération Serval avait été longuement préparée avec l’aide des services secrets qui étaient en relation avec le mouvement séparatiste Touareg du MNLA et nullement motivée par la lutte antiterroriste. Pillage des ressources minières et agricoles et servitude monétaire sont assurés par l’armée française qui franchit allégrement les frontières sans en rendre compte aux gouvernements concernés comme le leur concèdent les nouveaux traités de lutte contre le terrorisme.

L’intervention en Côte d’Ivoire a permis l’éviction manu militari d’un Laurent Gbagbo enclin à ouvrir son pays à la Chine pour des traités bien plus avantageux pour le pays [12]. Ahmed Sekou Touré, premier Président de la Guinée indépendante en 1958, de formation à la fois coranique et ayant fréquenté les écoles françaises, a été puni pour la politique ‘marxiste’ menée au cours de ses premiers mandats, nationalisations et planification. Les services secrets vont déstabiliser le pays en déversant de faux billets au moment où la Banque Centrale guinéenne s’apprêtait à faire circuler sa monnaie en Sylis [13].

L’armement

Les flux de dollars qui entretiennent la machinerie étasunienne, celle de la guerre, armements, renseignements, contre-espionnage, propagande directe et indirecte, médias de toute sorte, cinéma et littérature y compris, représentent bien plus que le budget du Pentagone, lui-même hypertrophié au point que sa comptabilité soit devenue aussi mystérieuse que le devenir de la matière attirée dans un trou noir [14]. Deux chercheurs d’un institut privé ont prouvé qu’entre 1998 et 2015, 21 000 milliards ont été dépensés par le Département de la Défense sans aucune justification comptable venant les valider [15].

Trois fois plus que le budget annoncé pour la période déjà fort considérable, 8700 milliards, soit l ‘équivalent de la dette fédérale.

L’effondrement de l’URSS va contraindre à un changement dans la spectacularisation de l’entreprise de destruction concrétisée dans l’appareil d’État étasunien fusionné avec sa machinerie de guerre. Pour l’anecdote, le spectacle affectera l’aspect une guerre contre le terrorisme islamiste. Guerre déclarée d’emblée sans fin et même préventive. Tant pis si elle se solde par une tragédie pour les pays et les sociétés arabes, d’une ampleur génocidaire du moins sociocidaire.

L’autre pôle communiste a été neutralisé depuis l’enrôlement dès 1978 de la Chine dans le circuit capitaliste international qui aura pour résultat la transformation d’un pays agraire en usine du monde, la disparition de la classe des paysans et la constitution d’une immense classe ouvrière. Ces dernières années, elle délègue la fonction d’atelier de produits non sophistiqués à des pays d’Asie du Sud, elle évolue en devenant un centre produisant des biens et des équipements requérant une haute technologie.

Une fois éliminée l’Union des Républiques socialistes soviétiques avec la destruction de son tissu industriel d’un ordre supérieur à une guerre totale (chute du PIB russe de près de 50%), les Usa semblaient assurés d’être devenus hégémoniques sans rival sérieux sur la planète. Le contrôle des médias est quasi-total. Les allégations qui habilleront les agressions, guerres conventionnelles menées au sein de l’OTAN et pesant de plus en plus sur les pays vassaux, ou sanctions économiques, se font de plus en plus grossières.

Une fiole inoffensive agitée à la tribune de l’ONU devient la figure métonymique d’armes de destruction massive inexistantes et en même temps alimente doutes et interrogations sur les menées bellicistes des Usa. Folie ? Hubris ? [16]Chaos ? L’industrie du divertissement, complément indispensable de la tension et de l’agression, conditionne, offre des simulacres, de moins en moins de rêves et attise la convoitise pour l’inutile.

La poursuite sur la lancée de 1945, la guerre comme moteur et combustible d’un capitalisme de moins en moins industriel, semble avoir perdu toute rationalité par l’élimination de toute concurrence. Le comportement apparaît aberrant si on ne prend pas garde aux faits que la guerre d’Irak a été récusée par les majors pétrolières étasuniennes et que les premiers bénéficiaires ont été des firmes comme Halliburton et toute une série de fournisseurs allant jusqu’à privatiser les fonctions du renseignement et de la sécurité.

Plus de 17 ans après l’invasion de l’Afghanistan, l’argument de poids dans la persistance d’unités américaines au sol semble lié au commerce de l’héroïne détenu par la CIA, autre secteur de destruction dans lequel brillent les Usa.

La puissance hégémonique est par nécessité structurelle belliciste. Elle l’est d’autant qu’elle a comme impératif de maintenir la fiction du dollar alors que toute sa classe ouvrière est chinoise, en Chine mais aussi thaïlandaise, birmane, laotienne, bangalaise ou sri lankaise. Le dollar n’est adossé ni à l’or ni à une production industrielle mais dans un contexte d’interdépendance économique mondiale étroite instituée par l’OMC, autre nom de l’exécutif américain, il prend appui sur des guerres, conventionnelles ou exécutées par procuration, changements de régimes ou « révolutions » colorées.

La spéculation, activité très (la plus) profitable.

Le capitalisme ne donne plus lieu à des crises de surproduction aigües, en fait de phénomène cyclique, il butte sur lui-même et se consume partiellement lors d’effondrements boursiers.

Le 5 décembre 1996, Alan Greenspan dans un discours télévisé parlait d’exubérance irrationnelle pour commenter la bulle des dot.com des années 1990 [17]. Greenspan, Bernanke, Yellen et maintenant Powell administrent la Federal Reserve, première institution financière qui régule la vitesse de circulation monétaire et son volume et président à une surévaluation chronique des titres boursiers. A partir des années 90, les taux d’intérêts réels (une fois déduits les effets de l’inflation) et nominaux sont en baisse constante. Ils deviennent proches de zéro et même négatifs à partir du début des années 2000. Plus que l’augmentation de l’épargne mondiale, intégration de la Chine aux excédents d’épargne élevés à l’économie mondiale et accroissement de la population occidentale capable d’épargner, c’est la politique monétaire expansionniste de la Fed qui articule cette tendance au soutien du mouvement irrationnel qui porte les gestionnaires des fonds vers le marché boursier.

Les revenus des fonds dépendent non des performances de l’activité réelle sous-tendue par les actions mais du mouvement incessant des achats-ventes démultiplié par les capacités des supercalculateurs aux commandes des HFT, Hight Frequency Trading, Sans rentrer dans les considérations du rapport du PIB mondial sur les transactions financières de l’ordre de 1/70 pour l’année 2007, qui opposerait une économie réelle à une économie financière purement spéculative, critiquable dans son interprétation, le volume des échanges d’actions est 100 fois plus important que celui des investissements. [18].

La disponibilité monétaire ne va donc pas à l’investissement, elle va bien à la spéculation. Le sous-jacent n’est qu’un prétexte à faire du profit, la détermination des prix à l’échange ne repose pas sur la vitalité et la viabilité de l’unité de production, elle semble en être détachée et fluctue selon les rumeurs, les manipulations des marchés et les annonces calibrées d’hommes politiques et de Présidents d’institutions financières.

La spéculation débridée n’expose qu’à un risque limité. Une très grande assurance lui a été accordée depuis que les États occidentaux ont racheté les ‘actifs toxiques’ aux banques privées, trop grosses pour les laisser s’effondrer. Les petites mesures censées freiner leurs prises de risque excessives ont vite été abandonnées sous la pression efficace de leur lobbies. Les réglementations émises dans les 2300 pages de la loi Dodd-Franck de 2010 ont été progressivement abrogées. [19]

L’assouplissement quantitatif appliqué par la Fed depuis 2008 est une véritable opération miraculeuse de création de monnaie ex nihilo. Les actifs douteux (c’est-à-dire qui valent pas loin de zéro) qui risquaient de plonger dans la faillite les principales entités financières occidentales et les faire disparaître ont été mis dans le bilan de la Banque centrale fédérale qui s’est étendu à la taille astronomique de 4500 milliards de dollars.

Aucun État périphérique ne peut faire tourner la planche à billets sans perdre de son crédit d’autant que cette monnaie, contrairement à celle du Zimbabwe, est celle de l‘échange international qui emprunte, jusqu’aux encore timides tentatives russo-chinoises, des circuits contrôlés par les Usa.

Vampiriser l’épargne et l’économie mondiales.

Parmi les étiologies récentes de l’accès à l’argent facile pour les spéculateurs, l’ouverture de la Chine à l’économie mondialisée est un facteur de poids. Les dollars accumulés par l’usine du monde ont été longtemps réinjectés dans un placement ‘sans risque’ celui de la Dette étasunienne. Progressivement, la dépendance de la Chine pour l’accès aux marchés occidentaux s’est accompagnée d’une subordination de ceux-ci par la réinjection continue de l’excédent de la balance commerciale dans les Dettes souveraines, singulièrement par l’achat des bons du Trésor américain.

Tout se passait comme si le travail de l’ouvrier chinois finançait les guerres impériales étasuniennes. Le rôle de la Chine dans l’aide aux Usa tant dans le renseignement que dans le transport d’armes aux moudjahidines afghans, alors « combattants pour la Liberté », dès 1979, a été d’un appoint dont l’importance doit être éclaircie. Il s’agissait alors pour Pékin de combattre l’impérialisme expansionniste du frère révisionniste soviétique qui menaçait très près de ses frontières. [20]

Depuis l’invasion de l’Irak par les Usa en 2003, la politique de placements de l’énorme réserve de changes chinoise (1900 milliards de dollars) dans la Dette publique américaine (actuellement près de 20 000 milliards) a été tortueuse et difficile à lire car l’utilisation d’intermédiaires l’opacifie. Actuellement, à la date de fin janvier 2018, pour 1170 milliards de bons du Trésor, la Chine en est le plus gros détenteur étranger.

L’agence de notation chinoise Dagong ne cesse de dégrader la note souveraine étasunienne ces dernières années. En janvier 2018, en raison de la hausse de la dette publique des Usa, elle la passe de A- à BBB+ avec perspective négative. Toutes les réformes fiscales pratiquées par les trois dernières administrations américaines réduisent les capacités de remboursement des Usa [21]. Cette appréciation objective de leur solvabilité douteuse a induit un moindre appétit pour les bons du Trésor Us sans créer d’à coups pour maintenir à niveau les capacités d’absorption des produits made in China par le consommateur étasunien.

Tout en manipulant avec précaution l’arme de la vente massive des bons du Trésor Us, la Chine a étendu de plus en plus son périmètre d’intervention économique. En 2016, la Chine est devenue le premier investisseur en Afrique [22] devançant les Émirats Arabes Unis et se plaçant très loin devant les Usa. Les capitaux investis ont été de 92 milliards de dollars, moins de 10% des fonds alloués à la Dette étasunienne, mais à mettre en rapport avec le déficit commercial de 217 milliards de dollars accusé par les Usa vis-à-vis de la Chine. Les investissements directs en Asie du Sud Est ont dépassé en volume ceux des Usa [23]. En plus de la Malaisie, de l’Indonésie, des Philippines, la Chine est très active en Australie sur le marché des fusions acquisitions malgré les obstacles réglementaires opposés aux investisseurs chinois.

Destruction versus production ?

Pendant que le monde occidental, celui dans lequel a vu le jour le mode de production capitaliste, se voue essentiellement à ne développer que des forces destructrices concrétisées selon un large éventail de formes, armes, drogues, intoxications par des médias altérant cultures et modes de vie, les ‘émergeants’, tard venus à l’industrie, construisent des infrastructures dans les zones qui en sont encore largement dépourvues.

Est-ce de l’impérialisme ? Et si c’est le cas, est-il apparenté avec celui des deux siècles derniers ? Les GAFA (Google, Facebook, Apple et Amazon) se prévalent de figurer aux sommets de la capitalisation boursière, plus de 2000 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB de la sixième économie du monde, la France. Sauf pour le dernier des quatre qui ne produit rien mais distribue seulement, ils sont (devenus) des instruments de surveillance et de contrôle mental des populations et à ce titre peuvent être rangés dans l’arsenal guerrier.

Peut-on opposer le pillage des ressources par les vieilles puissances, garanties par des forces armées, à la diplomatie économique de la Chine ? Est-ce que l’achat du port du Pirée par la Chine peut se définir comme un accaparement impérialiste de biens nationaux ? Ou n’est-ce pas plutôt dans ce cas l’oppression destructrice des banques européennes créancières de la Grèce qui organise la vente à l’encan des biens publics ?

N’y aurait-il pas un gain pour l’ensemble des forces productives mondiales que les ressources financières et technologiques de la Chine soient allouées à la construction de routes et de ponts en Afrique et en Asie plutôt que d’être recyclés dans les bons du Trésor étasuniens où ils permettent à cet État de continuer à emprunter à moindre coût et à absorber l’épargne mondiale dès lors destinée à fomenter les guerres civiles en Ukraine, en Irak, en Syrie et en Libye ?

Jusqu’à la seconde guerre mondiale, les affrontements militaires qui ont culminé dans leurs objectifs jusqu’à la notion récente de guerre totale avaient lieu pour étendre les marchés, s’approvisionner en matières premières et abaisser les coûts de la main d’œuvre. Après 1945, la stratégie de la guerre froide et plus tard, une fois effondré le bloc soviétique, la guerre contre le terrorisme assortie de guerres « humanitaires », a fait de la tension un élément devenu le corps et la substance même de l’économie.

C’est dans ce cadre de la guerre et l’insécurité devenues modes de production qu’il faut lire l’apparente énigme des liens entre le sionisme et l’impérialisme des Usa. Israël est né de la guerre et pour la guerre. Cette entité ne peut survivre qu’en entretenant une psychologie paranoïaque de ses citoyens. Le virage de l’après-guerre froide a été abordé en offrant le « terrorisme islamiste » venu fort à propos pour nourrir Hollywood et les journaux télévisés.

Des scenario sont conçus et propagés pour l’alimenter sans plus s’embarrasser de vraisemblances dans les récits. Le thème de l’insécurité permanente est venu alimenter celui du choc des civilisations. Un répit à l’obsolescente Amérique de quelques décennies qui ne sait plus renouveler le roman de son exceptionnalité et de son hégémonie. Loin de la généralisation de la machine à laver et de la voiture Ford, elle ne propose plus que l’échappement dans les paradis de l’Oxycontin® [24] qu’accompagnent chichement et de moins en moins les tickets alimentaires.

D’énormes ressources s’engouffrent dans des programmes militaires qui n’aboutissent pas [25] pendant que les ponts s’effondrent et que les canalisations d’adduction d’eau [26] et de pétrole fuient [27].

Un travail archéologique récent a prouvé que le système d’adduction d’eau n’était plus entretenu dans l’Empire romain deux ou trois siècles avant l’effondrement de celui-ci.

Le mouvement rationnel du point de vue de l’extorsion de la plus-value qui a conduit à externaliser en Asie la fabrication des biens de consommation est en train de se retourner. Il a conduit à transformer la Chine en première puissance industrielle du monde. Épaulée par la Fédération de Russie, sa puissance militaire n’est plus à démontrer. Les Usa contreviennent au libre-échange qu’ils ont imposé par le truchement de l’OMC en voulant restreindre leurs importations. Ils s’exposent au risque de mesures réciproques ainsi qu’au contrecoup d’une chute vertigineuse des bons du Trésor accompagnée d’une montée insoutenable des taux d’intérêts pour la Dette étasunienne.

La bulle créée par la Fed depuis 2008 éclatera dans un contexte où le mécanisme de son amortissement par la planche à billets n’est plus fonctionnel.

Les deux guerres de Syrie et d’Ukraine pourront être prises arbitrairement comme le point d’origine de l’inversion de la domination, même si les prémisses en étaient largement présentes dans les guerres d’Irak. Elles n’avaient pas de raison d’avoir lieu pour des intérêts de ressources mais pour créer des tensions et un effet collatéral bienvenu, la destruction d’une menace bien théorique à l’encontre d’Israël.

Nous assistons à un changement de phase et il importe de prévoir la nature de celle qui va succéder à l’actuelle. Les pays européens, économiquement et politiquement subordonnés aux Usa, acquiescent aux impératifs et aux mots d’ordre dictés par leur suzerain. La contribution française à la destruction syrienne et la britannique à celle de l’Irak illustrent cette obéissance.

Les sanctions décidées par les Usa à l’encontre de la Russie sont appliquées parfois avec grognements et grommellements alors qu’elles sont défavorables aux pays de l’Union européenne. Dans le même temps, la Chine pénètre de plus en plus l’Union européenne dans des domaines clés. EDF ne peut construire la centrale nucléaire d’Hinkley Point au Royaume Uni qu’avec l’aide financière de la Chine contre un transfert de technologie. L‘Allemagne a dû adopter un décret en 2017 pour limiter les investissements étrangers (chinois) dans des secteurs jugés stratégiques après l’acquisition en 2016 du fabricant de machines-outils KUKA par le géant de l’électroménager chinois Midea [28].

Mais comment interdire durablement des transactions dans un marché réputé ouvert avec le plus offrant ?

La notion de multilatéralisme serait-elle efficiente dans le monde qui se prépare ? Selon quelles modalités, quels modes de productions ?


[16C’était une alternative possible. À partir de 1980, la menace soviétique devenant de moins en moins crédible, le capitalisme s’est senti libéré de toute menace, d’où ce passage à l’hubris, à la démesure. L’islam, aujourd’hui, ne met pas en cause le destin capitaliste. C’est un adversaire moins menaçant.

[20La Chine va hériter de cette époque un renforcement des mouvements indépendantistes ouïghours, près de 2000 à 3000 Chinois musulmans du Xinjiang sont revenus formés aux techniques de la guérilla de la campagne d’Afghanistan.

[24stupéfiant

   

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