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« Deuxième lettre sur Algérie : Alexis de Tocqueville »

mardi 7 juin 2022 par Alexis de Tocqueville

De retour de son voyage en Amérique en 1831, Alexis de Tocqueville (1805-1859) est séduit par l’aventure colonialiste dans laquelle la France vient de se lancer en Algérie... Mais, selon l’auteur du fameux De la démocratie en Amérique, la conquête est menée au mépris des spécificités du pays - dont les Français ignorent tout : saccage par l’armée, destruction des structures administratives, anarchie politique... " Il ne suffit pas pour pouvoir gouverner une nation de l’avoir vaincue ". Lucide quant aux erreurs commises et aux difficultés de la " pacification ", Tocqueville plaide cependant pour l’entreprise civilisatrice que constitue le colonialisme. Avec sa Seconde Lettre sur l’Algérie (1837), il livre une précieuse analyse de la société algérienne face à la colonisation. Son Rapport parlementaire (1847) revient sur la réalité des travaux menés sur place par l’administration française.

Je suppose, Monsieur, pour un moment que l’Empereur de la Chine, débarquant en France à la tête d’une puissance armée, se rende maître de nos plus grandes villes et de notre capitale. Et qu’après avoir anéanti tous les registres publics avant même de s’être donné la peine de les lire, détruit ou dispersé toutes les administrations sans s’être enquis de leurs attributions diverses, il s’empare enfin de tous les fonctionnaires depuis le chef du gouvernement jusqu’aux gardes-champêtres, des pairs, des députés et en général de toute la classe dirigeante ; et qu’il les déporte tous à la fois dans quelque contrée lointaine.

Ne pensez-vous pas que ce grand prince, malgré sa puis­sante armée, ses forteresses et ses trésors, se trouvera bientôt fort embarrassé Pour admi­nis­trer le pays conquis ; que ses nouveaux sujets, privés de tous ceux qui me­naient ou pouvaient mener les affaires, seront incapables de se gouverner eux-mêmes, tandis que lui, qui, venant des antipodes, ne connaît ni la religion, ni la langue, ni les lois, ni les habitudes, ni les usages administratifs du pays, et qui a pris soin d’éloigner tous ceux qui auraient pu l’en instruire, sera hors d’état de les diriger.

Vous n’aurez donc pas de peine à prévoir, Monsieur, que si les parties de la France qui sont matériellement occupées par le vainqueur lui obéiront, le reste du pays sera bientôt livré à une immense anarchie.

Vous allez voir, Monsieur, que nous avons fait en Algérie précisément ce que je supposais que l’Empereur de la Chine ferait en France.

Quoique la côte d’Afrique ne soit séparée de la Provence que par 160 lieues de mer environ, qu’il se publie chaque année en Europe la relation de plusieurs milliers de voyages dans toutes les parties du monde, qu’on y étudie assidûment toutes les langues de l’Antiquité qu’on ne parle plus et plusieurs des langues vivantes qu’on n’a jamais l’occasion de parler, on ne saurait cependant se figurer l’ignorance profonde dans laquelle on était, il n’y a pas plus de sept ans en France, sur tout ce qui pouvait concerner l’Algérie : on n’avait aucune idée claire des différentes races qui l’habitent ni de leurs mœurs, on ne savait pas un mot des langues que ces peuples parlent ; le pays même, ses ressources, ses rivières, ses villes, son climat étaient ignorés ; on eût dit que toute l’épaisseur du globe se trouvait entre lui et nous. On savait même si peu ce qui se rapporte à la guerre, qui cependant était la grande affaire du moment, que nos généraux se figuraient devoir être attaqués par une cavalerie analogue à celle des mameluks d’Égypte, tandis que nos principaux adversaires, les Turcs d’Alger, n’ont jamais combattu qu’à pied. C’est dans cette ignorance de toutes choses que nous mîmes à la voile, ce qui ne nous empêcha pas de vaincre, car sur un champ de bataille la victoire est au plus brave et au plus fort et non au plus savant.

Mais, après le combat, nous ne tardâmes pas a voir qu’il ne suffit pas pour pouvoir gouverner une nation de l’avoir vaincue.

Lire la suite Ici : http://ancommunistes.org/spip.php?article3962

   

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