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Corée(s) ou la diplomatie du kimchi

mercredi 7 mars 2018 par Guillaume Berlat pour Proche et Moyen Orient

« Soyez réalistes, demandez l’impossible » déclarait le révolutionnaire Ernesto Che Guevara. Tel est bien ce qui semble se passer aujourd’hui, et peut-être demain, entre deux pays en guerre depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, à savoir les deux Corée avec ce que l’on qualifie déjà de « détente ».

Le lancement des Jeux Olympiques d’hiver le 9 février 2018 en Corée du sud à Pyeongchang est éclipsé par l’offensive diplomatique de charme de la Corée du nord avec la présence de la sœur de Kim Jong-un sur le site olympique. Hier encore, on nous parlait de guerre. Aujourd’hui, on pense paix. Quel changement sémantique intervenu sur un aussi court laps de temps ?

Débouchera-t-il sur un changement géopolitique et stratégique dans la région ?

Les meilleurs experts de Washington semblent avoir été surpris par la tournure subitement prise par la crise, saisis qu’ils étaient par l’idéologie, cette maladie qui consiste à préférer les idées au réel. Chinois et Russes restent discrets. L’Union européenne et son pléthorique et inefficace service européen d’action extérieure sont aux abonnés absents. La France parle pour ne rien dire, une fois de plus. Que ne ferait-on pas pour exister ?

Même si à ce stade, il est prématuré de tirer des conclusions définitives (« les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir » nous rappelle fort à propos l’humoriste Pierre Dac), nous pouvons essayer de rechercher quelques grandes lignes de force caractérisant l’évolution de la situation diplomatique.

Comment est-on passé d’une situation de crise à une atmosphère apaisée, du moins sur le court terme ? Qui semblent être les gagnants et les perdants de cette redistribution des cartes dans la région et au-delà ? Quelques remarques s’imposent sur les réactions stupides du Quai d’Orsay dont le train est resté en gare.

LA DIVINE SURPRISE : DE LA GUERRE À LA PAIX ?

Depuis des mois, nous prenions l’habitude d’entendre des bruits de bottes sur les grandes places de Pyongyang et d’assister à des manœuvres américaines au large de la péninsule coréenne. Désormais, les militaires coréens laissent le champ libre aux diplomates des deux pays.

Bruits de bottes et boutons nucléaires

Il y a quelques semaines encore, nos experts les plus distingués (les « toutologues » chers à Régis Debray) nous annonçaient, sur les plateaux des chaines d’information en continue, l’imminence d’une guerre nucléaire entre les États-Unis et la Corée du nord. Pour cela, ils décryptaient les échanges de tweets – nouvelle arme de communication massive de la diplomatie du XXIe siècle – entre les deux joueurs de poker menteur (« twitterman » et rocketman »).

Le ton montait, chacun prédisant la destruction de l’autre. Les deux protagonistes en arrivaient même à comparer la grosseur de leur bouton nucléaire. Horresco referens ! Chaque tir de missile du dictateur nord-coréen était suivi d’un avertissement de l’ancien magnat de l’immobilier américain. Chacun fourbissait ses injures avant de fourbir ses armes.

La guerre des tweets faisait rage. Les deux lutteurs pratiquaient à merveille la diplomatie du bord du gouffre. Le monde retenait son souffle avant le grand chambardement, « la danse des neutrons, l’atome en goguette, le ping-pong des planètes, le quadrille des fusées et des torpilles, se crêpant le chignon à coups de champignons … » pour reprendre quelques expressions de la délicieuse chanson de Guy Béart.

La question n’était plus de savoir si mais quand la guerre interviendrait dans cette région du monde. L’arme nucléaire, qui était restée une arme de dissuasion, une arme de non-emploi pendant toute la Guerre froide était en passe de changer de nature. Elle était en passe de se transformer en arme d’emploi comme un vulgaire obus conventionnel (Cf. la nouvelle doctrine nucléaire américaine sur les « Mini Nukes »).

Une révolution copernicienne, de l’avis des stratèges, était en préparation. Le monde incrédule se préparait au grand soir, ne sachant pas par quel bout prendre le problème nord-coréen, ce monde qui avait mis treize ans à désamorcer l’arme nucléaire iranienne. Que penser de la pérennité du régime de non-prolifération nucléaire mis à mal par les foucades du dirigeant de la Corée du nord ? Ne fournissait-il pas un excellent argument aux proliférateurs de tout poil ?

Place à la diplomatie et aux palabres asiatiques

Ô surprise, divine surprise, la diplomatie du sport intervient pour calmer le jeu, pour apaiser les tensions, pour accroître la confiance. Il y trois semaines, le très jovial dirigeant Kim Jong-un annonce qu’il enverra une équipe de sportifs nord-coréens participer aux Jeux Olympiques d’hiver organisés par la Corée du sud à Pyeongchang à compter du 9 février 2018. Foucade ou réalité ? Aussitôt dit, aussitôt fait.

Les sportifs des deux Corées défilent sous la même bannière, celle de la Corée réunifiée, lors de la cérémonie d’ouverture. Les « pom-pom girls » venus de Pyongyang encouragent bruyamment les Corées lors de toutes les compétitions. C’est du jamais vu depuis la partition du pays dont les cicatrices sont encore à vif des deux côtés de la ligne de démarcation matérialisée par les 38ème parallèle.

Une première depuis plus d’un demi-siècle. Qui plus est, la sœur du dirigeant nord-coréen fait le déplacement, rencontre le président sud-coréen et lui transmet une invitation officielle à se rendre « dès que possible » en visite en Corée du nord. De la diplomatie belliqueuse, on passe à la diplomatie de la main tendue. Des échanges d’invectives, on passe aux échanges d’amabilités. Qui l’aurait cru, il y a quelques semaines encore. Incroyable mais vrai.

Le monde est imprévisible, souvent au plus mauvais sens du terme, parfois dans son meilleur sens. De la difficulté de la prévision ! Nous ne saurions bouder notre plaisir. L’horizon bouché semble se dégager comme un ciel chargé après un orage retrouve sa couleur bleue grâce à un soleil complice. Metternich ne disait-il pas que « le rôle du diplomate est d’accourir avec un seau partout où le feu menace » ? Le diplomate est un soldat dans le civil, prétend-on dans les boutades entre l’épée et le bicorne. Cela bien être le cas aujourd’hui en Corée !

Cette volte-face nord-coréenne, encouragée par une présidence sud-coréenne peu attirée par le langage guerrier de Donald Trump s’accompagne de son traditionnel lot de gagnants et de perdants, du moins sur le court terme tant il est encore trop tôt pour dresser un bilan définitif de cette éclaircie dans le ciel coréen9.

GAGNANTS/PERDANTS : LA NOUVELLE ÉQUATION CORÉENNE

Une question se pose à tous les amateurs de relations internationales et les férus de diplomatie. Qui est à l’origine de ce dégel, de cette baisse de la tension entre les deux Corée ? Nul ne le sait encore. Les voies de la diplomatie sont aussi impénétrables que celles du Seigneur.

Les bénéficiaires de l’éclaircie olympique

Toujours est-il que nous percevons les bénéficiaires de cette subite éclaircie dans un ciel plombé depuis plusieurs mois. Les Coréens qui aspirent à la paix sont les premiers touchés par cette soudaine accalmie rendue possible par le miracle des Jeux Olympiques d’hiver. La détente s’engage entre les deux pays.

La Corée du nord se voit reconnaître comme un interlocuteur incontournable, alors dont on ne sait pas grand-chose sur le plan économique. La Corée du sud qui s’émancipe de la tutelle pesante du grand frère américain et dont le président Moon Jae-in privilégie l’approche coopérative patiente à la voie coercitive aléatoire.

Le chef de l’État apparait comme le vainqueur des JO. Il est toujours mieux de laver son linge sale en famille. Les Chinois, qui ne veulent pas voir la péninsule s’embraser, se félicitent de voir ce mauvais coup porté aux Américains qui dénoncent à longueur de colonnes l’espionnage à grande échelle de Pékin et le dumping commercial de l’Empire du milieu qui nuit à l’emploi de l’Oncle Sam.

Ils abordent l’année du chien (celle des conflits) en position de force. Les Russes, qui prônent le dialogue depuis le début de la crise et qui ne doivent pas être mécontent de moins faire la une des journaux d’Outre-Atlantique en termes d’ingérence dans la campagne pour les élections présidentielles remportées par Donald Trump, doivent rire sous cape. Le lobby militaro-industriel américain, qui profite in extremis du paroxysme de la crise, pour obtenir l’engagement de coûteux programmes d’armes nucléaires tactiques. Cela se chiffre en milliards de dollars. C’est du sérieux et du lourd.

Au passage, qu’aurait-on dit si Vladimir Poutine avait pris une telle décision ? Les accusations auraient succédé aux admonestations… sans parler des sacro-saintes sanctions. Au contraire, c’est la Russie qui est accusé d’être une menace justifiant une adaptation de la stratégie de l’OTAN. Surtout depuis l’adresse du président russe du 1er mars 2018 au cours duquel il a annoncé l’existence de nouvelles armes balistiques nucléaires.

En dernière analyse, tous ceux qui sont attachés à la paix et la sécurité internationales (formule reprise de la charte de l’ONU) applaudissent des deux mains cette initiative, se réjouissant du mauvais coup porté au pyromane américain (Cf. ses exploits en Afghanistan, Irak, Somalie…) et ses prétendues « guerres humanitaires ».

Comme le souligne justement Alain Joxe : « la dominance stratégique des États-Unis produit des guerres sans fin ». Le monde commence à se désintoxiquer de la drogue atlantiste et du bellicisme de Washington. Ce qui est un bien pour le renforcement de la paix et de la sécurité internationale. Après les gagnants, quels sont les perdants de l’opération séduction nord-coréenne ?

Les dindons de la farce sportive

Nous entrevoyons également les dindons de cette farce sportive. Une fois encore, les cartes sont rebattues dans cette partie de l’Asie.« Il n’y a que deux puissances au monde : le sabre et l’esprit. À la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit » nous rappelle fort opportunément Napoléon Bonaparte.

Donald Trump voit la solution d’un conflit potentiel lui échapper et, par là-même, l’Amérique perdre son statut de « nation indispensable » en Asie après le Proche et le Moyen-Orient. Le maniement de la ligne dure, choisie par Donald Trump et son administration, semble avoir été soudain contourné et montre les limites de l’intransigeance.

L’Amérique est de moins en moins incontournable dans le monde comme elle l’était encore il y a quelques années encore au moment de ce bref « moment unipolaire » qui succède au duopole américano-soviétique. Sur le plan international, le leadership et le soft power américain ont été ruinés.

Pire encore, les États-Unis, qui incarnaient la garantie or de la stabilité occidentale, sont démonétisés. Mike Pence, le vice-président américain, qui a fait le déplacement en Corée du sud, déclare que Washington est disposé à discuter avec la Corée du nord tout en refusant de serrer la main de la sœur du dirigeant nord-coréen !

Avec l’effacement stratégique américain (Washington est contraint à broder sur la fourniture d’armes chimiques de Pyongyang au régime de Damas), les comparses chinois et russes apparaissent de plus en plus impliqués, présents et actifs dans la conduite des relations internationales. Avec les « routes de la soie » pour les premiers et avec la Syrie pour les seconds. Les idiots utiles, qualifiés d’alliés à l’OTAN en perdent leur latin.

Le dogme de l’église atlantique est remis en cause, en question par quelques pouilleux et autres gueux de bas étage. Les hérétiques sont encore présents et font entendre leur voix. Le régime de non-prolifération nucléaire, dont la clé de voûte est le TNP (traité de non-prolifération nucléaire), est écorné, lui qui ne prévoit que l’existence de cinq puissances nucléaires légitimes : États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France. L’illusion est parfaite, mais la réalité est triviale.

Le club s’est progressivement élargi aux pays qualifiés pudiquement de « pays du seuil » : Israël, Inde, Pakistan (non signataires du TNP) et, désormais, à la Corée du nord (ayant quitté fort à propos le TNP au milieu du gué). Au moment où Washington veut asphyxier l’ancienne perse, Téhéran doit en pâlir d’envie alors que l’Iran est récompensé de son respect de l’accord avec les cinq par de nouveaux trains de sanctions américaines justifiées par son programme balistique et son ingérence dans le conflit syrien.

Quand on pense que l’ICAN (la campagne internationale pour l’élimination des armes nucléaires) a été récompensé par les Nobel de la paix pour son pseudo-traité sur l’interdiction des armes nucléaires, signé par aucune des puissances nucléaires mais par quelques États membres de l’OTAN dont la stratégie de dissuasion nucléaire est toujours en vigueur. Vive la diplomatie des rêves et des chimères !

Le seul principe de gestion des affaires internationales, c’est le rapport de force. « Nous sommes bien parvenus à une révision des rapports de puissance et à l’heure d’une réévaluation stratégique globale » comme le souligne si justement Hélène Carrère d’Encausse.

Charité bien ordonnée commence par soi-même a-t-on coutume de dire. Qu’en est-il de la position de notre douce France telle qu’exprimée publiquement par son excellent chef de la diplomatie ?

Suite de l’article ici.


Voir en ligne : http://prochetmoyen-orient.ch/coree...

   

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