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« Le parti communiste (1920-1987) : points de repère »

mercredi 16 juin 2021 par PB

Dans le cadre du centième anniversaire du PCF, ce texte de Gaston Plissonnier, ancien résistant, membre du Bureau politique de 1964 à 1990, m’a semblé important ; il se situe à une période clef et est un témoignage de la façon dont la « nuit » social-démocrate qui était sensée finir à Tours en 1920 (« La nuit finit à Tours » selon Jean Fréville aux éditions Delga), est revenue insidieusement au point de menacer l’existence même du PCF ces 25 dernières années.

A son époque, G. Plissonnier était plutôt considéré comme le "gardien du temple", qualifié de "mémoire vivante" du communisme international par ses amis, ou encore de "secrétaire perpétuel" du parti par ses adversaires. Il était en charge de la montée des cadres au sein du parti et il est dit qu’il avait favorisé l’élection de Georges Marchais au secrétariat général, aux dépens de Roland Leroy.

Il enseignait à l’école centrale du PCF et c’est à cette occasion que j’ai fait sa connaissance. Il faut dire qu’avant la "mutation", le PCF organisait des écoles pour former ses militants et ses cadres. Cela commençait par l’école élémentaire, au niveau d’une cellule ou d’une section, d’une durée d’une journée au cours de laquelle étaient enseignés les données de base pour comprendre et combattre le capitalisme, venaient ensuite les écoles fédérales qui duraient une semaine à dix jours où l’on abordait notamment le marxisme de manière plus poussée, avec par exemple des concepts plus scientifiques comme "la baisse tendancielle du taux de profit", et puis, pour ceux qui étaient appelés à devenir des cadres du parti, il y avait l’école centrale d’un mois ou de trois mois…

Les écoles centrales avaient lieu à Draveil, dans un centre très moderne, entièrement conçu pour cela, avec chambres, réfectoire, amphithéâtre, salles de réunions, parc pour la détente ; depuis, l’ensemble a été vendu… et les écoles n’existent plus. A quoi bon, puisqu’après la mutation, l’important n’était plus d’organiser la lutte des classes pour faire tomber le capitalisme, mais de savoir comment obtenir le maximum d’élus !

Le texte en question est l’introduction au cours que Gaston Plissonnier prodiguait pendant une demi-journée à l’école centrale ; après son exposé, les questions et le débat étaient libres. Le sujet de ce cours est contenu dans son titre, à savoir mettre le doigt là où un maximum de questions se posaient sur la vie du parti, son organisation, son histoire, ses pratiques, son devenir, ce qu’il a appelé « points de repère ».

J’ai retrouvé ce texte dans les « Cahiers du communisme » de septembre 1987. Il se trouve que c’est l’année au cours de laquelle j’ai suivi cette école centrale ; ce texte a donc un goût particulier pour moi. La première partie de son intervention définit les principes et la nature du Parti communiste français, sa continuité historique dans les conditions de la France, sa politique de rassemblement tournée vers le peuple et non les états-majors, sa défense de la souveraineté nationale indispensable pour être un véritable parti internationaliste, son organisation interne autour du centralisme démocratique.

Et c’est lorsqu’il aborde ce dernier sujet, celui de la vie démocratique du parti, que l’on sent qu’il y a un problème fractionnel interne déjà en action :

  • « Aujourd’hui, nous avons affaire à une entreprise qui a pour objectif de remettre en cause les fondements mêmes de la nature et de l’identité du Parti qui aboutirait, si elle était suivie, à la liquidation du parti révolutionnaire. Il faut la repousser. ».

Sa réponse dont je retranscris une partie ci-après, n’est, à postériori, évidemment pas à la hauteur, car nous savons ce qui est advenu depuis :

  • « Mais nous avons, à bon droit, considéré que les débats et les votes étaient suffisamment éclairants, qu’ils donnaient une telle force à la ligne du Parti et représentaient une telle démonstration de son unité qu’il était possible de maintenir ces adhérents dans leurs responsabilités ».

Pour ce qui concerne le dernier paragraphe de son texte, « Une activité créatrice », dans lequel il parle des avancées théoriques et politiques du PCF, chacun jugera selon son expérience de ce que Gaston Plissonnier avance.

Mais ce qu’il dit laisse un arrière-goût amer, sachant ce qu’est devenu aujourd’hui le PCF, bien que la quasi-totalité des sujets abordés, je les partage.

Toutefois, il faut souligner que depuis, beaucoup de ces "acquis" sont passés à la trappe (est-ce là une « activité créatrice » ?), ne serait-ce que l’objectif du socialisme à la française ; quoique, il me semble que Fabien Roussel l’a lui-même récemment évoqué avec conviction…
Peut-être que tout n’est peut-être pas perdu : l’avenir nous le dira.


« Le parti communiste (1920-1987) : points de repère »

Gaston Plissonnier

Cahiers du communisme de septembre 1987

Cette introduction ne constitue nullement un exposé complet de l’histoire du parti communiste. Des cours sur ce thème ont déjà eu lieu, suivis de discussions. Mon propos vise simplement à suggérer quelques enseignements que l’on peut tirer de la vie, de la lutte du PCF depuis sa création. Naturellement, au gré de vos questions, nous aborderons les sujets que vous souhaiteriez voir approfondir.

Le PCF, une nécessité historique

Le Parti communiste français, notre parti, existe depuis maintenant près de soixante-sept ans puisque sa fondation remonte au Congrès de Tours, en décembre 1920. Sa création fut un acte majeur de grande portée nationale et internationale allant dans le sens de l’histoire. Ce fut naturellement l’aboutissement d’une confrontation idéologique très vive entre, d’une part, les porteurs du réformisme et de la collaboration de classe et de la révolution socialiste.

Les militants du parti socialiste d’alors étaient face à un choix qui découlait d’un bilan. Un bilan peu avantageux pour ceux qui souhaitaient sincèrement défendre les intérêts de la classe ouvrière et du peuple, ceux de la nation et de la paix. La SFIO, comme la IIde internationale, avait pratiqué la collaboration de classes jusqu’au bout si l’on peut dire, c’est-à-dire y compris pendant la guerre impérialiste de 1914-1918. On sait comment les propositions de Jaurès et de ses partisans furent combattues, mises en minorité. Mais on sait aussi ce que signifiaient la victoire et le bilan exaltants de la Révolution d’octobre 1917 au cours de laquelle le Parti bolchevique russe dirigé par Lénine, a su diriger un mouvement qui, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, a mis à bas le vieil ordre capitaliste et s’est fixé pour objectif de construire le socialisme et de tout faire pour le triomphe de la paix.

En adhérant à l’internationale communiste, la majorité des délégués du Parti socialiste au Congrès de Tours fit le bon choix : ils ont donné à la classe ouvrière et aux travailleurs, un parti d’avant-garde dont la politique, la pratique et le fonctionnement rompaient définitivement avec elles du réformisme. Désormais, il y aurait en France un parti révolutionnaire pour refuser la collaboration de classe, soutenir et développer les luttes de la classe ouvrière, combattre le colonialisme et s’affirmer solidaire des luttes anticolonialistes ; un parti qui s’organisait et fonctionnait selon le principe du centralisme démocratique et rejetait les tendances, assurait la promotion des cadres ouvriers, etc…

Rappelons que ce choix fut en France celui d’une majorité. C’est la majorité des congressistes de Tours qui s’est prononcée en faveur de la création du Parti communiste. La minorité, elle, avec Léon Blum, fit scission. Mais s’il faut se réjouir de cette lucidité politique de la majorité, cela ne doit pas estomper un fait essentiel : même s’il n’y avait pas eu de majorité, le Parti communiste devait être créé et la rupture s’effectuer avec le réformisme et les hommes qui en étaient porteurs. En fait, la vraie question posée au Congrès de Tours n’était pas majorité ou minorité, mais bien le principe de la création d’un parti révolutionnaire, d’un parti nouveau au service du combat pour la justice sociale, la liberté, le socialisme et la paix. Il reste que la décision de fonder le nouveau parti, prise à la majorité, avait une grande signification politique.

On le voit donc, notre parti naît – comme la plupart des partis communistes – à l’époque où le développement du capitalisme parvient au stade impérialiste. C’est-à-dire à un moment où les propres contradictions du capitalisme sont particulièrement vives, comme en témoignent la première guerre mondiale et la révolution soviétique. A un moment donc où s’ouvre effectivement l’ère de l’avènement du socialisme et où se pose de façon cruciale la nécessité de la création de partis authentiquement révolutionnaires.

Le Parti communiste français n’est donc pas une création artificielle comme tant d’historiens ont essayé, en vain, de l’affirmer, mais bien plutôt le résultat d’une nécessité historique qui se manifestait par une montée du mouvement révolutionnaire dans de nombreux pays. Ainsi, dès son origine, la Parti communiste a des racines de classe et une identité profondément nationale qui vont s’affirmer tout au long de son développement et de son combat politique.

La nature du parti communiste

Certains, plus ou moins bien intentionnés, s’interrogent ou feignent de s’interroger sur la nature de notre parti. La réponse est pourtant simple. Parti de lutte, nous sommes une association volontaire de français dont on n’épuisera jamais l’étude des diversités, mais qui ont comme point commun de vouloir résister de toutes leurs forces au capitalisme, à la crise qu’il engendre aujourd’hui, et de tout faire pour changer le cours des choses qui, nous le savons, n’est pas inexorable. Parti révolutionnaire, le PCF combat pour un monde de justice, de liberté et de paix, pour une société neuve correspondant aux possibilités et aux nécessités de notre époque : le socialisme à la française. Et cela, fort de la certitude qu’il ne s’agit pas d’une utopie.

Depuis Karl Marx, l’aspiration séculaire au socialisme est passée de l’utopie à la science. Naturellement, les communistes n’ont pas une conception dogmatique de son œuvre ni de celle d’Engels. Leur apport irremplaçable s’est enrichi de celui de Lénine et d’autres dirigeants et théoriciens du mouvement ouvrier, de l’avancement du savoir et de la pratique sociale, de l’action de classe des travailleurs en France et dans le monde, des enseignements positifs et négatifs de l’édification du socialisme. Assurément, le choix de classe sur lequel reposent notre action et notre pensée n’a rien d’un postulat invérifiable. Prolongeant Marx qui n’a pas inventé la lutte des classes mais a su en décrypter les origines et offrir des perspectives neuves au combat de la classe ouvrière, des travailleurs, des peuples, dans la continuité de tous les apports à la théorie marxiste, nous décelons les racines de classe de la crise et définissons les moyens de la combattre et de la surmonter. A l’origine de la crise actuelle, il y a le capital, il y a un choix de classe : celui du capital. Le combattre réellement implique nécessairement un autre engagement de classe : celui conforme aux intérêts des travailleurs et du pays ; le choix d’une politique nouvelle, de renouveau social et national ; le choix du rassemblement de toutes celles et tous ceux qui veulent agir ensemble contre la crise.

La continuation des valeurs de progrès

Ces certitudes constituent effectivement la clef de voûte de l’identité révolutionnaire du Parti communiste, mais elles ne se séparent pas des valeurs qui sont au cœur de notre idéal et de notre combat. Notre parti représente, en effet, la continuation des valeurs progressistes et révolutionnaires de notre histoire nationale. Ces valeurs plongent leurs racines au plus profond de notre peuple, de ses traditions et de ses luttes. Faut-il ici rappeler – et on m’excusera de commettre des omissions – les luttes des paysans et des "bourgeois" qui ont mis souvent à mal la féodalité, celles des humanistes, des encyclopédistes du XVIIIème siècle, les idéaux démocratiques de la Révolution de 1789 proclamés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, les aspirations utopiques et libertaires, le combat admirable de la Commune de Paris, les luttes et les expériences du mouvement socialiste français du XIXème siècle et du début de celui-ci, l’attachement à la paix et l’internationalisme incarné par Jean Jaurès ? La participation décisive de la classe ouvrière aux luttes du Front populaire, à la Résistance et à la Libération, la solidarité aux luttes des peuples pour leur indépendance, notamment contre le colonialisme français, ont naturellement prolongé les aspirations séculaires à la disparition de la domination et de l’oppression.

Mais le grand fait nouveau, depuis le congrès de Tours, c’est que la classe ouvrière a assumé son combat en tant que classe dont les perspectives historiques étaient propres et spécifiques. En clair, elle luttait pour se libérer, consciente que dans le même mouvement elle contribuait à la libération d’autres couches sociales non capitalistes.

L’action du Parti vers les entreprises et son organisation parmi les ouvriers et les salariés, conçue comme une priorité, découle de la notion fondamentale estimant que la défense des intérêts immédiats et à venir de la classe ouvrière ne suppose aucun compromis qui tendrait à mettre en cause cette affirmation. Certes, la décision de créer des cellules d’entreprise fut l’objet d’un âpre débat de fond et reste l’objet d’un effort constant et tenace, encore parfois insuffisant. C’est l’entreprise, où les travailleurs sont aux prises avec l’exploitation du patronat, les atteintes aux libertés, qui constitue le lieu primordial du combat de classe. Il est donc normal et nécessaire que les communistes y accomplissent un travail politique de masse permanent, qu’ils soient actifs dans l’organisation syndicale de classe et de masse pour la défense de toutes revendications.

Le rassemblement pour le changement

Cette orientation fondamentale, contrairement à ce qu’affirment certains, n’est aucunement synonyme d’un repliement étroit ou sectaire. Tout au contraire : le maître mot d’ordre de notre parti a toujours été de rassembler avec la classe ouvrière d’autres couches sociales : la paysannerie laborieuse, les intellectuels. Quelles que soient les périodes et sa ligne politique, même quand il a pu commettre des erreurs de stratégie ou de tactique, le Parti communiste a toujours fait le choix du rassemblement.

Dès sa fondation, le Parti communiste comptait dans ses rangs ou parmi ceux qui le soutenaient, des hommes de grande culture. Ce courant s’est amplifié dans les années 30, dans la Résistance et à la Libération. Aujourd’hui, les mutations profondes des fonctions intellectuelles, liées à la révolution scientifique et technique, interdisent de mesurer en termes de « grands noms » l’influence du Parti parmi les intellectuels. Ce qui est hautement appréciable, c’est qu’à côté des femmes et des hommes dont le renom intellectuel, scientifique, artistique, littéraire est à bon droit important, des dizaines de milliers d’intellectuels de toutes disciplines sont membres du PCF. Dans la même période historique, le Parti a su entraîner à la lutte, et souvent dans ses rangs, une partie appréciable des paysans travailleurs.

Le rassemblement, quelle que soit sa dénomination, front unique à la base, unité d’action, rassemblement populaire, etc…, a toujours reposé sur des conceptions de classe visant au rassemblement effectif de toutes les victimes de la politique du capital, pour imposer la satisfaction des aspirations populaires fondamentales.

Aujourd’hui, comme l’a indiqué Georges Marchais dans son rapport au Comité central des 18, 19 et 20 mai : « Chômeurs, ouvriers, employés, techniciens, ingénieurs, cadres, chercheurs, enseignants, créateurs, agriculteurs, artisans, lycéens et étudiants, femmes au foyer, retraités, toutes et tous, à des degré différents, sont frappés par la crise et ont intérêt à faire reculer les difficultés. Comme nous l’avons souligné au 25ème Congrès : "C’est la nature même de la crise et des projets que les forces du capital conçoivent pour la France qui délimitent les frontières du nouveau rassemblement populaire que nous proposons". Plus la politique du capital s’applique, plus les risques d’accentuation de glissement à droite sont importants et plus les bases potentielles du rassemblement s’élargissent. ».

Ainsi, avec l’objectif de construire un nouveau rassemblement populaire majoritaire, nous offrons une ouverture, une alternative, une issue. Sur quoi doit-elle déboucher ? Sur un gouvernement et une majorité de changement auxquels participeront les communistes. En effet, il est bien évident que nous n’envisageons pas d’accéder au pouvoir par la conquête, par le Parti seul, d’une majorité électorale, mais en concluant des accords avec d’autres formations politiques, notamment le Parti socialiste, lorsque de tels accords seront possibles. On mesure, à l’énoncé de cette position de principe, que les conditions sont aujourd’hui loin d’être créées : le Parti socialiste accepte la crise, participe à sa gestion dans le consensus, au mieux des intérêts du grand capital et contre celui des travailleurs et du peuple. Cette situation souligne combien d’efforts immenses il faut fournir pour nous adresser aux millions de français, donc aux électeurs socialistes, à tous ceux qui ont intérêt au changement, pour les entraîner à la lutte avec les communistes, les convaincre de la nécessité de changer de politique et de société ; combien il revient à chaque cellule et au Parti tout entier de prendre de multiples initiatives afin d’élargir notre audience et – au-delà – créer dans le pays un mouvement populaire qui formulera l’exigence de ses changements et sera assez fort pour contraindre ceux qui prétendront les satisfaire à ne pas les trahir comme en 1982. A cet égard, l’élection présidentielle de 1988, la campagne électorale avec notre candidat, André Lajoinie, seront de grandes étapes de cette bataille.

La défense de l’indépendance nationale

La grande bourgeoisie s’est efforcée depuis toujours de priver la classe ouvrière de toute possibilité d’intervenir dans les grandes affaires du pays, de la placer en quelque sorte en marge de la nation. Elle s’y emploie avec d’autant plus d’obstination qu’elle fait litière de toute considération d’idéal national. Le fait que certains de ses représentants se soient retrouvés aux côtés du peuple français dans la résistance à l’envahisseur nazi ne peut faire oublier qu’elle avait, en tant que classe, choisi la collaboration avec le fascisme hitlérien.

Aujourd’hui, elle tolère et même encourage la destruction du patrimoine industriel et culturel pour le profit des grands groupes multinationaux à prédominance étrangère, notamment américaine, japonaise ou ouest-allemande. Parallèlement, la politique d’intégration européenne et de supranationalité, qui conduit à l’abandon d’une partie de notre souveraineté, s’effectue avec le soutien total du Parti socialiste ; cette politique est à l’opposé des intérêts des travailleurs et du pays. Par contre, la prévision de Karl Marx se vérifie : face à cette tendance de la bourgeoisie à la démission nationale, le rôle national de la classe ouvrière s’affirme de plus en plus.

Notre parti a contribué de manière essentielle à l’expression de ce rôle historique de la classe ouvrière. Il s’est affirmé comme le porteur de l’intérêt et de l’indépendance de la nation. Naturellement, le jeune Parti communiste a connu une période de tâtonnements, de recherches et de débats idéologiques, souvent très vifs. Mais, dès le congrès de Lille, en 1926, Maurice Thorez définissait définitivement le parti de la classe ouvrière comme celui de l’intérêt et de l’indépendance de la nation. Depuis lors, cette orientation s’est affirmée et traduite par des actes politiques. Il en fut ainsi – pour ne citer que les moments essentiels – des grandes luttes des années 30, des déclarations et actions contre la capitulation de Munich en 1938 et, surtout, de l’ardent et difficile combat de la Résistance pour la libération de la patrie. Dès après la Libération, le Parti communiste a été le moteur de la renaissance et il n’a cessé de lutter pour une politique de grandeur et d’indépendance française. C’est cette démarche qui reste sans cesse présente dans la définition de sa politique, de ses choix à l’intérieur du pays, comme de ses propositions pour la paix et le désarmement. En toute indépendance, il apporte des réponses nationales, à la française.

La solidarité internationaliste

Cela l’éloigne-t-il de ses responsabilités internationales ? Tout au contraire. Parti de la classe ouvrière et du peuple, parti de l’union et du rassemblement, porteur d’intérêts de classe qui se fondent sur l’intérêt national, la Parti communiste français est profondément attaché à la solidarité internationaliste. Chaque peuple qui lutte pour son indépendance, pour le progrès, pour le socialisme, apporte une contribution à l’avancée progressiste de l’humanité. Il mérite le soutien non seulement en paroles mais aussi en actes des forces progressistes des autres pays qui, à leur tour, profitent du mouvement général en avant. Ainsi, toute l’histoire du Parti communiste français est imprégnée de cette préoccupation constante.

D’abord avec les pays où la révolution socialiste a triomphé et qui, dès leur naissance et depuis lors, ont toujours été agressé par l’impérialisme. Notre appréciation lucide de la réalité de ces pays, dont le développement n’a pas été exempt d’erreurs, les critiques que nous avons formulées, ne nous ont jamais amené à remettre en cause leur apport au mouvement de l’humanité. Ensuite avec la classe ouvrière des pays capitalistes et leurs partis communistes dont nous partageons le but commun : le socialisme. Enfin, avec les mouvements de libération nationale et les Etats qui font tout pour se libérer de la tutelle économique et politique de l’impérialisme.

Beaucoup de camarades se souviennent des grandes luttes que cette solidarité internationaliste a occasionnées. Mais je crois qu’il faut aussi faire effort pour apprendre aux jeunes, sensibles à l’expression de la solidarité, le rôle de notre parti. Du soutien à la révolution soviétique au début des années 20, en passant par la dénonciation de l’occupation de la Ruhr, de la guerre du Rif en 1924 ; du vaste mouvement de solidarité aux antifascistes d’Europe centrale chassés de leurs pays, à la République espagnole étranglée par le fascisme. De même envers les patriotes portugais, grecs, etc… Soulignons également que pendant les guerres héroïques de libération nationale des peuples d’Algérie, du Vietnam, d’Angola, du Mozambique, notre parti a toujours été présent. Il continue aujourd’hui avec la même détermination vis-à-vis des peuples en lutte en Asie, en Afrique, en Amérique latine et au Moyen-Orient, notamment ceux de Corée du Sud, d’Haïti, d’Afrique du Sud, du Nicaragua et de Palestine.

C’est là un grand principe que la direction du parti met en œuvre aujourd’hui avec le même engagement et la même générosité révolutionnaires que lors des décennies précédentes. En retour, notre parti est assuré de l’amitié, de la solidarité politique venant des autres partis communistes et de tout ce qui se situe dans le mouvement révolutionnaire mondial.

La vie démocratique du parti communiste

Aurions-nous pu accomplir toutes les grandes tâches auxquelles j’ai fait référence si, à Tours, l’adhésion à l’internationale communiste n’avait pas aussi signifié que le nouveau parti révolutionnaire qui venait de naître se dotait d’autres principes d’organisation que ceux qui avaient présidé à la vie de la SFIO ? Je ne le crois pas. En fait, ce qui distingue un parti révolutionnaire d’un autre parti, c’est bien sûr sa ligne politique, mais aussi son mode d’organisation, sa vie démocratique.

C’est vrai, nous sommes différents des autres et nous tenons à le rester. Nous tenons, en effet, à ce que nos militants puissent s’exprimer librement, dans la discussion comme dans les votes. Nous refusons que se constituent des groupes et des clans avec leurs chefs et leurs poulains. Nous condamnons les savants dosages, les tractations de coulisse et la recherche des compromis politiciens. En clair, nous sommes pour que se maintienne le principe du centralisme démocratique qui implique que l’on discute en toute liberté, puis que l’on décide, soit à l’unanimité, soit à la majorité. Ensuite tout le monde respecte et met en œuvre la décision majoritaire, chacun étant, bien sûr, libre de conserver son opinion et de la défendre dans l’organisme du Parti auquel il appartient. Au bout du compte, c’est la vie qui tranche.

Naturellement, il est arrivé dans la vie du Parti qu’il faille affronter des déviations opportunistes. Elles se présentent parfois sous des aspects gauchistes, sectaires, mais plus souvent sous l’aspect ouvertement révisionnistes de droite. On peut regretter ces situations. Elles découlent des difficultés du combat de classe, de l’énorme pression idéologique exercée aussi bien par la bourgeoisie que par le Parti socialiste. J’ai vécu ces moments-là. Il y avait obligatoirement une bataille politique vive. Dans le passé, elle s’est presque toujours terminée par la rupture et l’exclusion des porteurs de ces idées qui menaient des activités anti-Parti.

Aujourd’hui, nous avons affaire à une entreprise qui a pour objectif de remettre en cause les fondements mêmes de la nature et de l’identité du Parti qui aboutirait, si elle était suivie, à la liquidation du parti révolutionnaire. Il faut la repousser. Et c’est, je crois, la détermination de l’immense majorité des communistes. La discussion dans le Parti, les votes dans les fédérations et au congrès lui-même ont montré le peu d’audience des animateurs de cette ligne liquidatrice. Il était possible de les écarter immédiatement de leurs postes de responsabilité. Mais nous avons, à bon droit, considéré que les débats et les votes étaient suffisamment éclairants, qu’ils donnaient une telle force à la ligne du Parti et représentaient une telle démonstration de son unité qu’il était possible de maintenir ces adhérents dans leurs responsabilités. Je le dis par expérience : nous ne l’aurions pas fait autrefois. Le 25ème congrès a fait là un acte significatif qui ne signifie pas une sorte de recul ou de compromis idéologique, mais au contraire un témoignage de la force du Parti, de sa direction et de sa volonté de conduire, avant tout, le débat d’idées.

La préparation et la tenue du prochain congrès permettront de faire le bilan et de tirer les conclusions qui s’imposent. Mais on peut déjà dire que cette méthode a été profitable au Parti. Elle a contribué à élever le niveau de conscience des communistes – certains l’ont fait de bonne façon –, à donner à chacun la possibilité de réfléchir et de se ressaisir, à isoler politiquement ceux dont la volonté est de nuire au Parti et de le combattre.

Une activité créatrice

Ce rappel des choix de classe qui définissent la nature et l’identité du Parti communiste – ce qui est l’essentiel de mon propos devant vous – ne doit pas nous faire sous-estimer l’importance des avancées théoriques et politiques auxquelles nous nous sommes livrés tout au long de notre histoire. Pour qu’elles aient lieu, il fallait un parti révolutionnaire, un parti de type nouveau. Mais si une telle condition était nécessaire, elle n’était assurément pas suffisante. Encore fallait-il que tout le Parti et ses directions, en s’appuyant sur les principes primordiaux que j’ai rappelés, sachent faire œuvre créatrice. Cela n’a jamais été simple, tant les conditions de l’époque sont complexes. Certes, le Parti communiste n’a pas été exempt de défauts, mais les erreurs, les retards ont été analysés avec esprit critique et responsable, avec la volonté de corriger. Cela a permis et permettra à l’avenir, c’est ma plus profonde conviction, des succès, et des succès marquants. Toutes les grandes avancées des soixante dernières années ont été réalisées avec les communistes et bien souvent à leur initiative. Jamais rien de ce qu’ils dénonçaient et combattaient, quel que soit le gouvernement en place, ne s’est révélé bon pour les travailleurs et le pays.

Il ne peut être ici question de faire le bilan de cette succession d’efforts créateurs. Retenons simplement les plus significatifs, certains à l’époque de l’internationale communiste :

La mise en œuvre de la stratégie du Front populaire qui mit en échec les tentatives fascistes et permirent à la France d’avancer vers une politique nouvelle.

La politique de la main tendue aux catholiques, à laquelle nous donnons de nos jours une signification plus large et profonde.

La mise en avant, dans les années 1949-1950, de l’idée que la guerre n’était plus fatale, que le rapport des forces dans le monde permettait désormais aux forces de paix de se fixer l’objectif d’imposer la paix

L’ébauche dès 1937, confirmée en 1945, dans une interview de Maurice Thorez au Times, de l’idée de voies nationales de passage au socialisme. Certes, il ne s’agissait pas alors de contester le modèle "classique" affirmé de la voie au socialisme, mais l’idée, même timidement, était avancée. Le Manifeste de Champigny en 1968 devait le confirmer et marquer une nouvelle avancée.
L’actuelle direction, sous l’impulsion de Georges Marchais, est allée encore plus loin et de façon plus fondamentale. En démontrant qu’il ne pouvait exister de modèle, elle a su ainsi proposer au Parti qui les a faits siennes au rythme de ses congrès :

L’abandon de la notion de dictature du prolétariat et de la notion de socialisme et du Parti qui en découlaient [1].

La conception du socialisme à la française, démocratique et autogestionnaire.

La stratégie de la voie démocratique au socialisme, voie de la lutte de classe ardente et du suffrage universel, du rassemblement de plus en plus conscient et déterminé pour le socialisme.

Une nouvelle conception des relations entre les partis communistes fondée sur l’égalité, la nécessité de la solidarité et la reconnaissance naturelle des divergences lorsqu’elles existent. Il faut à cet égard se réjouir que cette démarche tende de plus en plus à devenir celle de tous les partis communistes. Les communistes français sont reconnaissants à leur parti de leur donner des certitudes, certitudes fondées sur la théorie et l’expérience.

Tout en perfectionnant sans cesse son fonctionnement, sa propre démocratie, ses débats et son activité, tout en prenant en compte les réalités de notre époque, le Parti communiste français a été et reste, tel qu’il s’est forgé au cours de l’histoire, le moyen nécessaire et indispensable du combat émancipateur de la classe ouvrière et du peuple de France. Faut-il alors s’étonner que les communistes considèrent comme un devoir premier de le défendre en tant que parti contre toutes les attaques dont il est l’objet ? Qu’ils fassent preuve d’un grand esprit de parti ? Aujourd’hui, l’existence même du Parti est devenue un enjeu essentiel de la lutte des classes. Parce que les enjeux de la lutte des classes sont devenus décisifs : ou bien le grand capital, avec le soutien de la droite et du Parti socialiste, restructure profondément la société française, l’assujettit aux exigences de la course au profit, remet en cause tous les acquis du mouvement ouvrier et démocratique, ou bien les françaises et les français se rassemblent dans la lutte pour s’opposer à ce projet, imposer des solutions anticrise dans la perspective nécessaire du changement de société, de l’avènement du socialisme.

Le Parti communiste a fait un choix : celui de la lutte, du rassemblement pour la justice, la liberté, la paix, pour le socialisme. Il représente l’obstacle unique aux projets des fauteurs de crise, de chômage, d’atteintes aux libertés, de répression sociale et culturelle ; sa stratégie et sa politique répondent aux besoins essentiels du peuple et du pays.

Certes, beaucoup d’efforts doivent être consentis pour développer le mouvement social, renforcer l’audience du Parti. Mais, plus uni, déterminé et combatif, notre parti qui va avec son 26ème congrès confirmer et préciser sa politique, mener une grande bataille pour l’élection présidentielle afin de rassembler le maximum de suffrages sur le nom d’André Lajoinie, est assuré de voir son rôle et sa place se renforcer.


[1Là il fait référence à l’Union soviétique et au PCUS qui ont servi de modèles aux partis communistes du monde entier.

   

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