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André Gorz, vers l’émancipation

jeudi 15 février 2018

Dans l’ordre intellectuel, André Gorz (1923-2007) n’a jamais guigné les premières places, ni cherché la pleine lumière. Le philosophe, qui se décrivait lui-même comme un « bricoleur », un « maverick » (un franc-tireur), ne s’exposait pas volontiers.

Dans Le Traître [1], autoanalyse impitoyable publiée en 1958, il se dépeignait déjà comme un bloody intellectual (un « satané intellectuel ») qui cherchait à « exister le moins possible » et tentait de « se protéger du monde » en dressant autour de lui un rideau de mots et de concepts. Le contentieux avec le monde s’apaisa. Mais, de cette tendance précoce au retrait, Gorz ne se débarrassa jamais tout à fait. Il s’entoura de pseudonymes ; se plaça souvent dans l’ombre de penseurs plus fameux ; privilégia toujours résolument l’écrit à l’oral [2] ; et abandonna sans regret l’agitation parisienne pour le calme austère d’un village de l’Aube.

Pourtant, ce n’est pas la vie d’un ermite que Willy Gianinazzi retrace dans son livre [3]. Ni solitaire ni renonçant, André Gorz a su tisser dès 1969, à partir de sa vigie des Temps modernes, des liens avec des militants, des théoriciens, des syndicalistes de tous pays — de Herbert Marcuse à Bruno Trentin et Ivan Illich, du Parti socialiste unifié (PSU) à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), des révolutionnaires cubains aux opéraïstes italiens. Suivre Gorz dans ces échanges intellectuels, c’est notamment voir reparaître toute une « deuxième gauche » européenne qui, dans les années 1960 et 1970, voulait révolutionner le travail, approfondir la démocratie, défendre l’environnement. Cette gauche alternative, inventive et revendicative, est ressortie des années 1980 anémiée, assagie, convertie. Mais Gorz, lui, a continué sans rien abdiquer.

En lisant sa biographie, on mesure à quel point cet intellectuel de haut vol — à qui Jean-Paul Sartre, lors de leur première rencontre, avait reproché de « mépriser un peu le concret » — a su rester attentif au réel. Comme journaliste à L’Express, puis au Nouvel Observateur (1964-1982), il prit longtemps en charge, sous le nom de Michel Bosquet, les questions économiques et écologiques, défrichant des dossiers que la plupart de ses collègues jugeaient rébarbatifs. Comme théoricien, il s’efforça de suivre au plus près les métamorphoses du travail, les changements de la structure sociale, les mutations de la technique.

Le livre de Gianinazzi permet de suivre les étapes de ce parcours, qui reste habité par quelques références fondatrices (Edmund Husserl, Karl Marx, Sartre) et par une question lancinante : comment dépasser l’aliénation, comment défendre et conquérir l’autonomie ? Gorz n’a cependant cessé d’évoluer, procédant par ajouts, ruptures et mises à jour. Cette liberté d’allure a pu désorienter certains lecteurs ; mais elle lui a permis d’explorer des voies peu fréquentées et d’ouvrir des chemins nouveaux. Critique de la société de consommation et de croissance, Gorz prôna l’autolimitation des besoins et tenta de définir les contours d’une écologie politique émancipatrice, ni capitalisme vert ni réconciliation New Age avec la nature.

Après avoir exploré les formes que pourrait prendre l’autogestion ouvrière, il fit ses « adieux au prolétariat [4] » d’usine, qui, dans une société industrielle en plein délitement, ne pouvait plus selon lui tenir lieu de « sujet historique » unique. Il prêta attention aux précaires, intérimaires, chômeurs et autres « prolétaires postindustriels » qui commençaient à proliférer. À son projet initial de « libération dans le travail » il substitua l’idée d’une « libération du travail » qui ferait la part belle au « temps libéré » et aux « activités autodéterminées » [5]. Prenant acte de la fin du modèle fordiste, il envisagea le dépassement du salariat et finit par se rallier à l’idée d’une allocation universelle. Prévenu de bonne heure contre le « système technique » et les « technologies-verrous », il n’en tenta pas moins de dégager ce qui, dans les nouvelles technologies, pourrait être utilisé à des fins libératrices. Autant de « sentiers d’émancipation » qu’il arpenta en éclaireur. C’est dire que ce pionnier discret mérite encore qu’on le lise — et qu’on le discute.

Antony Burlaud décembre 2016

Transmis par Linsay


[1André Gorz, Le Traître, suivi de Le Vieillissement, Gallimard, coll. « Folio Essais », Paris, 2005 (1re éd. : 1958).

[2Jusque dans sa pratique de l’entretien, comme on peut le voir dans André Gorz, Le Fil rouge de l’écologie, Éditions de l’EHESS, Paris, 2015, 109 pages, 9 euros.

[3Willy Gianinazzi, André Gorz. Une vie, La Découverte, Paris, 2016, 384 pages, 23 euros.

[4André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Galilée, Paris, 1980.

[5André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2004 (1re éd. : 1988).

   

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