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À propos du communautarisme catholique d’extrême droite

jeudi 8 avril 2021 par Philippe Arnaud

Hier, au journal télévisé de 13 h de France 2 (également repris à 20 h et sur France 3), la présentatrice Anne-Sophie Lapix traitait du sujet suivant, qu’elle présentait ainsi :

  • - "Pour ce troisième confinement, les lieux de culte n’ont pas été fermés, mais les fidèles étaient appelés à la responsabilité. Certains n’ont pas entendu cet appel et ont participé à une messe dans le 9e arrondissement de Paris sans masque, sans respecter les gestes barrière. Le parquet de Paris a ouvert une enquête pour mise en danger de la vie d’autrui. Camille Guttin" :
  • - "L’église est bondée, sans aucun respect des règles sanitaires. Dans cette vidéo, tournée la veille de Pâques et postée sur les réseaux sociaux par la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile à Paris, une foule de fidèles, serrés les uns aux autres [sic]. Alors que les lieux de culte sont soumis à un protocole strict, distance sanitaire et port du masque. Les prêtres eux aussi officient sans masque, l’hostie est même directement déposée sur les lèvres. Le baptême semble aussi se faire dans la même eau, encore une fois sans respect des gestes barrière. La vidéo a depuis été retirée par la paroisse. Cette femme a participé samedi à la messe. Pour elle, chacun est libre de respecter les consignes ou non." : "On ne se masque pas devant le Seigneur. Le Seigneur a besoin de voir mon visage. Ce n’est pas une question de désobéissance, c’est une question de notre foi".
  • - "Même son de cloche chez cette autre fidèle, qui portait selon elle son masque, samedi : "L’État n’a pas non plus à nous imposer des règles aussi strictes".
  • - "L’abbé (Marc Guelfucci) qui officiait, lui, dénonce des images trompeuses et se défend de ne pas avoir suivi les gestes barrière : "Moi, j’utilisais des lingettes hygiéniques, à chaque coulement d’eau, à chaque onction, le doigt était nouveau, l’eau était désinfectée...".
  • - Question : "Vous n’aviez pas de masque ?". Réponse : "Ah, pas lorsqu’on baptise..."
  • - "Le diocèse de Paris, lui, condamne ces actes. (Mgr Denis Jachiet, évêque auxiliaire du diocèse de Paris) : "Quand j’ai découvert hier soir cette vidéo, j’ai été stupéfait parce que ce qu’on y voit ne correspond pas du tout aux consignes que nous avons données à toutes les paroisses de Paris, déjà depuis longtemps".

- "Une enquête est ouverte, pour mise en danger de la vie d’autrui".

Remarque 1. Lors de mes remarques du 14 au 16 novembre 2020, j’avais pris pour sujet des manifestations de fidèles qui réclamaient le droit de participer à la messe sans entraves et sans règles. J’avais, à l’époque, souligné que la présentation de ces fidèles comme catholiques était trompeuse : catholiques, certes, ils l’étaient, mais comme le célèbre pâté d’alouette est d’alouette : une alouette de catholicisme, un cheval d’extrême-droite...

Remarque 2. En l’occurrence, c’est bien de cela qu’il s’agit : la paroisse Saint-Eugène-Sainte-Cécile du diocèse de Paris est bi-ritualiste. C’est-à-dire que la messe y est célébrée non seulement selon le rite fixé par le concile Vatican II et le pape Paul VI (en français et face au peuple) mais aussi selon le rite d’avant 1962, voire d’avant la réforme de 1954 du pape Pie XII (en latin et fesses au peuple). Ce mélange de rites donne une fausse impression d’équilibre et de symétrie : du fait qu’en France le rite ancien est très minoritaire, son acceptation à parité avec le rite post-conciliaire lui confère de facto une importance disproportionnée... et indue.

Ce mélange, à fallacieuse parité, ressemble à ce qui advient lorsqu’on confectionne un gâteau avec une livre de chocolat et une livre de mort-aux-rats : on ne fait pas un gâteau au chocolat ET à la mort-aux-rats, on fait, carrément, un gâteau à la mort-aux-rats...

Remarque 3. On le voit en allant sur Internet consulter le C.V. de l’abbé Marc Guelfucci, curé de la paroisse, qui est interviewé. Ce prêtre, outre ses études religieuses, a suivi des études civiles de droit, à l’université de Panthéon-Assas (à la réputation bien marquée à droite). De surcroît, cet ecclésiastique est doctorant en droit canonial sur le sujet de l’objection de conscience et la jurisprudence des cours suprêmes en matière de droits fondamentaux. [Je recopie le texte du site].

[Cet énoncé de forme neutre dissimule en fait plusieurs obsessions des catholiques traditionalistes : l’objection de conscience est l’expression codée servant d’excuse aux médecins qui refusent de pratiquer des IVG ou aux infirmières de lycée qui dissimulent aux élèves les moyens de contraception modernes. Comme elle sert de prétexte aux prêtres qui refusent de donner la communion aux divorcés remariés ou traitent comme des pestiférés leurs paroissiens gays, lesbiennes, bi et trans.]

Remarque 4. On s’aperçoit de l’idéologie de ces paroissiens à un détail : ils reçoivent l’hostie sur la langue et non entre les mains. Or, depuis le concile Vatican II, cet aspect marginal du rituel a pris une importance démesurée aux yeux des traditionalistes. [Comme d’ailleurs un grand nombre de schismes, déchirements, divisions, scissions du christianisme depuis ses débuts : les tenants de rites opposés se sont battus au couteau pour un mot, voire pour un article.] Pour les traditionalistes, recevoir l’hostie entre les mains est un sacrilège, une abomination : il s’agit là, véritablement, d’un marqueur du refus du concile.
Et donc de celui d’une Église de réaction : l’Église de Trente, l’Église du procès de Giordano Bruno et de Galilée, celle de Vatican I, celle du Syllabus, celle de la condamnation du modernisme et des prêtres ouvriers, celle des affaires Mortara et Finaly.

Remarque 5. La paroissienne qui refuse de porter un masque formule cette remarque révélatrice : "On ne se masque pas devant le Seigneur." De quoi ce refus est-il le nom ?
Ce refus est le nom d’une anthropomorphisation, d’une sécularisation de Dieu, d’une réduction de Dieu à un être humain, mais à un être humain haut placé dans la hiérarchie sociale. On sent que la paroissienne démarque inconsciemment une remarque (ô combien séculière !) : on ne se masque pas devant son patron, on ne se masque pas devant son directeur, on ne se masque pas devant son propriétaire, on ne se masque pas devant son proviseur, devant son général, devant son évêque, on ne se masque pas devant son roi, bref, on ne se masque pas devant son... maître.

Tout se passe comme si la paroissienne cherchait à justifier, en instrumentalisant la religion, le goût de l’inégalité sociale qui constitue le fond de son idéologie et qu’elle traîne avec elle comme un prurit.

Remarque 5 bis. En effet, comment un chrétien conséquent, qui, en principe, doit penser son Dieu comme "quelque chose tel que rien de plus grand ne peut être pensé" (aliquid quo nihil majus cogitari possit), comme Celui qui existe de toute éternité, comme Celui qui est Tout-Puissant, Celui qui est Omniscient, Celui qui connaît chacune de ses créatures des millions d’années avant qu’elles ne naissent, Celui "qui sonde leurs reins et leurs coeurs" celui qui anticipe leurs pensées les plus intimes avant même qu’elles aient affleuré à leur conscience, comment un tel Être serait-il incapable de voir à travers un masque de tissu industriel ?

Remarque 6. L’autre paroissienne qui refuse les gestes barrière a ce mot : ""L’État n’a pas non plus à nous imposer des règles aussi strictes". Les termes intéressants sont "aussi strictes". Ils ne sont là, en effet, que pour atténuer la véritable pensée de la locutrice, pensée, sans cela serait trop brutale :
"" L’État n’a pas non plus à nous imposer des règles" ... quelles qu’elles soient (notamment sociétales) !

Cette nuance, cette précision, sont du même ordre que celle de l’adjectif" illégale" lorsque l’extrême-droite dit : "Nous sommes contre l’immigration illégale" (ou clandestine). En réalité, cet adjectif n’est là (comme souvent) que pour dissimuler, pour atténuer l’idée de fond : les locuteurs ne sont pas contre l’immigration illégale, ils sont contre l’immigration... "tout court".

Remarque 6 bis. La paroissienne n’a pas l’air de se rappeler que, jadis, sous l’Ancien Régime, c’était le pouvoir royal (ou seigneurial, ou ducal ou comtal) qui, en tant que bras séculier de l’Église, imposait des règles strictes aux régnicoles, en matière de croyance, certes, mais aussi en matière de comportement.
Et que, dans des époques plus récentes, à l’échelle de quelques décennies, des entreprises conservatrices et paternalistes (Michelin, par exemple, pour ne pas la nommer...) laissaient entendre à leurs salariés qu’il valait mieux qu’ils vivent mariés qu’en concubinage, qu’ils ne divorcent pas, qu’ils fréquentent la messe dominicale, qu’ils aient une activité syndicale homéopathique, etc. Ce qui déplaît à la paroissienne conservatrice, ce ne sont pas "les règles de l’État", ce sont les règles de l’État social, ce sont les règles de l’État laïc...

Remarque 7. Lorsque l’abbé Guelfucci se récrie à l’idée d’être masqué lors d’un baptême, se rend-il compte de l’énormité qu’il profère ?
Dans quel passage du Nouveau Testament, des épitres pauliniennes, des canons conciliaires, des écrits des Pères ou des Docteurs de l’Eglise est-il stipulé : "Tu ne baptiseras pas avec un masque FFP2 ?".

L’abbé Guelfucci semble oublier qu’en matière de rituel, la parole du célébrant a valeur performative (c’est-à-dire réalise l’action par le fait même que celle-ci est énoncée) : "Je te baptise au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit", de même que son geste (un signe de croix, une imposition de main) a une valeur sacramentelle à laquelle le port d’un masque n’ôte rien. Ou sinon il faudrait admettre la nullité du sacrement lorsque le célébrant a une extinction de voix...

Remarque 8. Pour pasticher une formule célèbre, les paroissiens de Saint-Eugène-Sainte Cécile ont été "plus papistes que le pape" puisque, lors de la messe de Pâques, célébrée en la basilique Saint-Pierre de Rome, le pape s’est scrupuleusement conformé aux règles sanitaires édictées par l’État italien.
Mais peut-être ces paroissiens (et leur curé avec eux) sont-ils sédévacantistes ? [C’est-à-dire qu’ils considèrent que le siège de saint Pierre est vacant depuis Jean XXIII, voire depuis Pie XII, tout ce qui s’est déroulé depuis le concile Vatican II étant, à leurs yeux, considéré comme hérétique, donc illégitime...].

Remarque 9. En en prenant à leur aise avec les consignes sanitaires, les paroissiens de Saint-Eugène-Sainte-Cécile, de façon aussi sournoise que subreptice, nient la prééminence des lois civiles sur les préceptes religieux (et postulent corrélativement le contraire). Ils semblent considérer que, comme au Moyen Age, l’église est un lieu inviolable où les lois humaines n’ont plus cours (et où, sans doute, le Saint-Esprit a une action prophylactique sur la Covid 19).

Ils rejoignent ainsi ce que certains (parfois issus de leurs rangs...) reprochent aux musulmans : à savoir que ceux-ci professent que les préceptes de l’Islam doivent l’emporter sur les lois de la République.

Remarque 10. J’ai été frappé, en regardant le sujet, d’apprendre que ces scènes avaient été mises sur Internet non par un quelconque paroissien mais par les responsables mêmes de la paroisse.
S’agit-il d’une incitation délibérée à l’imitation ?
D’une provocation, pour se placer dans une position victimaire et mettre le diocèse de Paris en porte-à-faux ?
D’une vulgaire bêtise ?

Peut-être les trois, mon (vicaire) général...

   

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