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Industrie de l’armement : Une influence tenace sur la politique étrangère des États producteurs d’armes

vendredi 19 mars 2021 par Nathan J. Robinson

Aucune personne ayant un lien quelconque avec une entreprise d’armement ne devrait être autorisé à occuper un poste au gouvernement.
Reconnaissons franchement que l’existence même des entreprises d’armement à but lucratif est dangereuse pour l’humanité. Si le travail d’une société est de maximiser ses profits, le travail d’une société d’armement est d’augmenter constamment ses ventes d’armes. Cela signifie que l’intérêt financier de la société est directement opposé à l’existence d’une paix permanente. À moins que les gens et leurs gouvernements ne perçoivent une menace, ils n’ont aucune raison d’acheter des armes. Renoncer aux guerres constitue une menace existentielle pour une société d’armement.

Selon la formulation classique de Friedman, une entreprise n’a pas de responsabilités sociales au-delà de la maximisation de la plus-value pour ses actionnaires. Cela signifie que pour être « socialement responsable » au sens de Milton Friedman, une société d’armement doit s’efforcer activement de faire en sorte que la demande d’armes ne diminue pas. Si elle n’essaie pas de s’assurer que plus de gens achètent des armes, elle ne fait pas son travail. Et tout comme l’industrie du tabac a passé des décennies à remplir sa « responsabilité envers les actionnaires » en essayant de manipuler l’opinion publique pour qu’elle pense que les cigarettes sont (1) cool et (2) sûres, une société d’armement devrait toujours essayer d’effrayer les gens.


Quelques exemples parlant des choix budgétaires du gouvernement français Budget 2020 (en euros)

Ministère de la Culture : 2 milliards 961 millions 178 255

Ministère des Solidarités et de la Santé : 1 milliard 128 millions 275 111

Ministère de La Défense (des Armées) : 46 milliards 76 millions 465 679

Le très officiel site « vie publique » présente le bilan des OPEX comme suit :
Irak, Syrie, Centrafrique, Sahel, les opérations militaires extérieures sont devenues une composante structurelle de l’activité opérationnelle des armées, en particulier de l’armée de terre. […] Les opérations récentes ont pour nom Harmattan (Libye, 2011), Serval (Mali, 2013), Sangaris (République centrafricaine, 2013), Barkhane (Sahel, 2014) ou Chammal (Irak, Syrie, 2014). […] Depuis 1995, les armées françaises ont été engagées dans quelque 106 opérations menées à l’extérieur des frontières nationales. À ces opérations, il convient d’ajouter 5 opérations lancées antérieurement à cette date mais toujours en cours. […] La Cour des comptes souligne que les dépenses supplémentaires dues aux OPEX ont représenté, au cours des trois derniers exercices, plus de 1,1 milliard d’euros chaque année. Le coût unitaire, par militaire projeté, d’une opération extérieure a plus que doublé depuis une décennie, pour atteindre plus de 100 000 d’euros par soldat déployé par an.


Une société d’armement à but lucratif est donc l’une des institutions artificielles les plus dangereuses que l’on puisse construire. Et quiconque représente les intérêts d’une telle société devrait être tenu à l’écart de toute position de pouvoir. Malheureusement, l’administration Biden (Comme en France NDLR) semble déterminée à faire le contraire.

Le Center for a New American Security (CNAS) est un groupe de réflexion dont la devise est « Courageux. Créatifs. Bipartisans ». Ses experts sont cités dans tous les médias, notamment dans le New York Times, le Washington Post, le Wall Street Journal, CNN, PBS et MSNBC. C’est une petite structure, avec seulement une trentaine d’employés, mais elle est influente, et de nombreuses personnes qui en viennent rejoignent aujourd’hui l’administration Biden.

Un nouveau rapport intitulé « Le think-tank du complexe militaro-indutriel : Conflits d’intérêts au Centre pour une nouvelle sécurité américaine » par Brett Heinz et Erica Jung du projet « Revolving Door » [pantouflage, NdT] du Centre de recherche économique et politique montre à quel point le CNAS est profondément lié à l’administration Biden et à l’industrie de l’armement. Parmi les principaux donateurs du CNAS figurent Northrop Grumman, Raytheon, Lockheed Martin, Exxon Mobil, BP, BAE Systems et Airbus. (Ils ont également reçu des fonds de plus de 20 autres sociétés de défense.)

Le rapport du projet Revolving Door montre que le CNAS publie des documents apparemment savants qui défendent des positions qui, comme par hasard, profitent aux gouvernements et aux entreprises de défense qui sont ses principaux donateurs. Le rapport montre également que le CNAS « publie des travaux de recherche et des articles de presse qui soutiennent souvent les intérêts de ses commanditaires sans les révéler clairement ; et donne même à ses commanditaires financiers un rôle de surveillance officiel en les aidant à orienter les recherches de l’organisation. »

Exemples choisis :

  • 1) Soutenir le recours par l’armée américaine à des entrepreneurs militaires privés qui ont fait des dons à la CNAS
  • 2) Plaider pour la stratégie privilégiée en Afghanistan par les responsables militaires américains en service actif ayant des liens étroits avec le Centre
  • 3) Conclure un accord avec l’ambassade [des Émirats arabes unis] pour la recherche, en demandant un assouplissement des règles d’exportation de drones militaires vers le pays
  • 4) Plaidoyer pour des achats supplémentaires d’avions produits par l’un des plus grands contributeurs du CNAS
  • 5) Recommander des politiques sur les relations entre les États-Unis et la Chine qui bénéficient aux multiples donateurs du CNAS

En résumé : les entreprises d’armement et les gouvernements font des dons au CNAS. Le CNAS produit des « recherches » montrant que les États-Unis devraient faire les choses qui profitent à ces entreprises d’armement et à ces gouvernements. Ensuite, les « experts » du CNAS sont cités comme des commentateurs neutres dans la presse (le groupe de réflexion est, après tout, « bipartite ») et accèdent à des postes de haut niveau au sein du gouvernement américain, où ils peuvent façonner la politique étrangère américaine.

L’administration Obama a été gavée de personnel du CNAS, le Wall Street Journal l’a qualifiée « d’écurie pour la nouvelle administration Obama ». Le think-tank a longtemps été un pôle d’emploi pour Démocrates centristes. Le CNAS a été fondé en 2007 par d’anciens responsables de la défense de Clinton qui craignaient que la réaction négative à la politique étrangère belliciste de l’administration Bush ne conduise à un « néo-isolationnisme ».

Le néo-isolationnisme, c’est-à-dire le refus de s’engager dans des conflits militaires inutiles à l’étranger, serait bien sûr un désastre pour les profits des donateurs du CNAS, et le tout premier rapport de ce dernier déclarait que les intérêts nationaux des États-Unis signifiaient que nous aurions besoin « d’une présence militaire significative [au Moyen-Orient] dans un avenir prévisible ». (Ce qui, par coïncidence, conduirait à un important flux de revenus garantis pour l’industrie de la défense dans un avenir prévisible).

Le CNAS n’hésite pas à prétendre que ses donateurs de l’industrie de l’armement n’ont aucun effet sur sa « dotation ». Son conseil d’administration, qui « contribue activement au développement des recherches du Centre », comprend le président de l’Association des industries de défense nationale, ainsi que des cadres de l’Association des industries aérospatiales et de Raytheon.

En fait, plus de 70 % des sièges du conseil consultatif « appartiennent à des personnes qui travaillent pour l’un des principaux soutiens financiers du CNAS, qui représentent plusieurs donateurs du CNAS, et/ou qui sont elles-mêmes de grands donateurs individuels ». Le CNAS offre même aux donateurs des rôles directs dans l’élaboration de la recherche, comme « la possibilité de recommander des candidats pour la bourse de sécurité nationale de la prochaine génération du Centre ».

Lorsque le président de la commission sénatoriale des relations étrangères, Jim Webb (Démocrate-Virginie), a interrogé le fondateur du CNAS, Kurt Campbell, sur sa nomination au département d’État d’Obama en 2009, Campbell a rejeté la remarque de Webb selon laquelle « être fortement financé par des entrepreneurs de défense » posait un problème, en déclarant qu’ « aucune de nos publications, aucun de nos plaidoyers publics ne concerne jamais ce sur quoi ces entreprises ont travaillé. »

Comme le montrent Heinz et Jung, c’était des balivernes. En fait, le CNAS a publié des travaux soutenant que les entrepreneurs militaires privés étaient indispensables, en les défendant contre les accusations de malversations, bien qu’ils soient financés par ces mêmes entrepreneurs. D’autres exemples sont faciles à trouver. J’ai moi-même regardé sur le site du CNAS et j’ai rapidement trouvé leur briefing 2017 pour l’administration Trump sur la politique des drones.

Il y est dit que « la politique d’exportation des drones a accordé une priorité excessive à la limitation de la prolifération au détriment d’autres intérêts américains », en faisant valoir que les États-Unis devraient assouplir les restrictions sur la vente de drones armés à l’étranger. Là encore, par pure coïncidence, les donateurs du CNAS sont susceptibles de récolter des profits massifs grâce à une explosion du marché international des drones armés.

Tout cela est grossièrement contraire à l’éthique. Un groupe de réflexion doit être indépendant s’il veut que l’on puisse faire confiance à un seul mot qu’il prononce. Bien sûr, il sera toujours possible de nier que les dons des entreprises ont directement influencé les conclusions favorables aux entreprises d’un think-tank, tout comme les « experts » financés par l’industrie du tabac ont toujours insisté sur le fait que l’argent qu’ils recevaient de l’industrie du tabac n’avait aucune incidence sur leurs conclusions. Mais il est important de se rappeler qu’un groupe de réflexion financé par des entreprises ne peut pas être indépendant.

La maxime de Friedman selon laquelle les entreprises doivent avant tout servir leurs actionnaires signifie qu’aucune entreprise ne doit faire de dons à un groupe de réflexion qui porte atteinte à ses intérêts financiers, ce qui signifie que si le groupe de réflexion devait un jour arriver à des conclusions qui portent atteinte à ses bailleurs de fonds, il serait tenu de retirer ses contributions.

Cela signifie que les emplois du personnel du CNAS dépendent de la non production de recherches qui pourraient compromettre les intérêts financiers des géants de l’armement du pays. Cela ne signifie pas que le président de Raytheon appelle les membres du CNAS et les décourage de dire que le gouvernement américain devrait annuler un contrat avec Raytheon. Cela signifie que le président de Raytheon n’a pas besoin de le faire, parce que les gens du CNAS savent qui signe les chèques et savent que ces gens arrêteront d’en signer s’ils estiment que la recherche n’a pas aidé leur résultat financier.

Comme l’a documenté In These Times, le CNAS n’est pas le seul groupe de réflexion faucon financé par l’industrie de l’armement dont s’est inspirée l’administration Biden. Et le secrétaire à la défense de Biden, Lloyd Austin, vient directement du conseil d’administration de Raytheon, et récolte ainsi un pactole.

Le rapport du projet Pantouflage recommande d’accroître la responsabilité et la transparence, afin que nous sachions exactement qui donne de l’argent au CNAS et que nous ayons une meilleure idée des liens entre les décideurs politiques et l’industrie de l’armement.

Mes propres recommandations seraient un peu différentes, et plus fortes : quiconque ayant été affilié à l’industrie de l’armement, ou ayant travaillé pour un groupe financé par l’industrie de l’armement, ne devrait être autorisé à participer à l’élaboration de la politique étrangère. Point final.
Quiconque ayant eu de près ou de loin des liens avec la fabrication d’armes à but lucratif ne devrait être admis en position gouvernementale. En s’affiliant volontairement à des institutions sociopathes, ils ont fait preuve d’un jugement moral biaisé et ont clairement indiqué qu’on ne pouvait pas leur faire confiance pour établir des politiques de vie et de mort.

Nous sommes au milieu d’une course aux armements mondiale géante, bien qu’on en parle rarement. Des essaims de drones autonomes armés arrivent, et ils sont terrifiants. L’une des difficultés extrêmes de la limitation de cette course aux armements est que même si les nations pouvaient surmonter le grave « dilemme du prisonnier » qui conduit à l’adoption de la « destruction mutuelle assurée » comme moyen de maintenir la paix, les fabricants d’armes privés à but lucratif vont faire tout ce qu’ils peuvent – en fait, ils le font déjà – pour que la course aux armements ne ralentisse pas. Ainsi, au lieu de faire pression pour des accords internationaux limitant la fabrication et l’utilisation de drones armés, le CNAS affirme que « la prolifération des drones est inévitable » et que, parce qu’elle est « inévitable », nous devons l’accepter en augmentant les exportations de drones (et en permettant à nos entreprises nationales d’en récolter les bénéfices).

Nous devons, si nous voulons que l’humanité ait un avenir, maintenir l’industrie de l’armement à but lucratif aussi loin que possible de l’élaboration des politiques. Leurs intérêts sont directement contraires aux nôtres, et il est profondément inquiétant qu’ils aient déjà pénétré si loin dans l’administration Biden.

Source : Current Affairs, Nathan J. Robinson, 12-02-2021

Traduit par les lecteurs du site Les Crises


Voir en ligne : https://www.les-crises.fr/industrie...


Nous vous proposons cet article afin d’élargir notre champ de réflexion. Cela ne signifie pas forcément que nous approuvions la vision développée ici. Dans tous les cas, notre responsabilité s’arrête aux propos que nous reportons ici.

   

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