Salut, Maurice !

Et nous nous retrouvions tous deux à la fin du XXeme siècle, orphelins d’un PCF moribond, englué qu’il était, dans les vapeurs délétères du Pouvoir politicien. Faute de mieux, et lui bien avant moi, nous avions donc rapatrié nos envies militantes dans l’AFASPA, un de ces groupes " d’amitié et solidarité " (avec les peuples d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, ou d’URSS), que le Parti avait essaimé pour entraîner dans ses combats des "sympathisants " disparates, chrétiens dits "progressistes", intellectuels de renom...Et ça marchait !

L’Afaspa compta alors dans ses rangs quelques prêtres catholiques, l’historien Jean Suret Canale ou le géographe Jean Dresch, et les discussions politiques y étaient de haut niveau, notamment grâce à la fréquentation de militants africains que les prébendes du pouvoir n’avaient pas encore corrompus. Maurice y fut d’emblée l’organisateur essentiel, et un peu le théoricien, de notre participation à la lutte en France contre l’apartheid raciste en Afrique du Sud, aux côtés des amis de l’ANC clandestine, comme Dulcie September, exécutée à Paris par les tueurs de Pretoria, sous le regard complaisant des services secrets français.

Je n’oublie pas les manifs avec Maurice à Paris devant le " bunker " où s’enfermaient les diplomates du régime d’apartheid et celle en Picardie dont il est revenu avec un œil gonfle durant des mois par les lacrymogènes...Je n’oublie pas non plus de cette époque où nous usions notre jeunesse ces discussions à deux dans la rue après la réunion. Nous n’étions pas toujours d’accord, notamment sur les vertus du " socialisme réel", et il me souvient de lui avoir dit un jour, exaspéré, que s’il était un jour aux rênes de l’État "prolétarien", je devrais très vite aller chercher refuge à l’étranger.

Peu importe finalement cette diversité d’approches : elle est normale, et je la crois même nécessaire entre Communistes, porteurs d’un même idéal d’égalité entre les humains et entre les nations. Maurice avait des convictions intransigeantes, ce qui est plutôt rafraîchissant en ces temps de trahisons de fin de siècle, mais rebelle à tout sectarisme.
C’est, en tout cas, au cours de ces conversations enfiévrés que nous devînmes amis, et le demeurâmes depuis.

Puis vint la décennie 90, ou "le monde changea de bases", mais pas dans le sens où nous l’avions espéré.

Ce fut d’abord l’effondrement-suicide de l’URSS et du "camp Socialiste", qui bascula mondialement le rapport de forces en faveur du Capitalisme et de ses fidèles. Parallèlement, les mutations transnationales du Capital permettait aux bourgeoisies des pays comme la France d’y détruire les grands sites industriels grâce aux délocalisations, et d’y démanteler la classe ouvrière, et ses organisations, partis, syndicats, et mouvements anti-impérialistes.
En même temps ou presque, le peuple sud-africain réussit à vaincre l’apartheid, et la Majoritée noire obtint enfin le droit de vote. Maurice était de ceux qui craignaient que les " réformistes " et la bourgeoisie noire soit la grande gagnante de cette révolution politique. Il n’avait pas tort, il n’y eut pas de révolution sociale à Johannesburg, qui devint une métropole capitaliste (presque) comme les autres. Le temps du militantisme effervescent aux côtés de l’ANC était en tout cas clos, pour moi comme pour Maurice.

Cette rupture des priorités lui permit alors de se consacrer au développement des "marges rouges", ces groupes militants marxistes ambitionnant de remplacer un PCF qui avait oublié les principes fondateurs. Il n’est pas de mise ici d’en écrire l’histoire, complexe et heurtée, en ce 21eme siècle dominé par une véritable contre-révolution libérale des esprits.

Il suffira de dire que nous avons vécu cette démarche souvent douloureuse parallèlement. Et même si elle ne nous conduisit pas dans la même organisation, elle ne fit que renforcer notre amitié, et nos affinités sur l’essentiel. Même si du fait de l’âge, des maladies et de l’éloignement, nos rencontres s’étaient espacées, notre confiance mutuelle s’est poursuivie.

Maurice a eu l’élégance d’accepter à ma demande de faire profiter le cycle parisien de formation militante Manouchian de ses compétences d’historien communiste. Et il fut au nom de son PCRF le compagnon apprécié des délégués de l’ANC lors d’un voyage solidaire à Séoul. Une attitude qu’on aimerait trouver chez tous les militants. Jusqu’à ses derniers jours, Maurice pratiqua ces qualités majeures : l’intransigeance quant aux principes qu’il pensait justes, lucidité cultivée, optimisme, et refus de tout sectarisme.

Jusques et y compris durant ses dernières années, transformées en souffrance par une atroce maladie qui détruisait son corps : mais je peux garantir qu’elle ne changeait rien à la qualité de son raisonnement...et de notre amitié.

Salut, Maurice. Pour moi, tu es toujours vivant.

Francis Arzalier, ANC, Polex
1/08/2020