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Vers des « révolutions colorées » ou vers une révolution sociale ?

jeudi 18 juin 2020 par Bruno Drewski (ANC) et Jean-Pierre Page.

C’est une déferlante mondiale extra-ordinaire. Car, en dépit des discours médiatiques et de beaucoup de ce qu’il est convenu d’appeler les « ONG » « ou « société civile » présentant ces événements sous l’angle de la « question raciale », c’est bien, à travers les injustices et les inégalités d’apparence raciale, de lutte de classe qu’il s’agit, d’où le caractère rassembleur du mouvement auquel tout prolétaire, tout précaire, tout exclu peut s’identifier. Comme monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, les manifestant étasuniens ou français s’attaquent-ils à une société en crise gangrenée par le profit ? Pour y réfléchir ensemble, nous vous proposons le texte ci-dessous de Bruno Drewski (ANC) et Jean-Pierre Page.

Vers des « révolutions colorées » ou vers une révolution sociale ?

« Nous allons combattre le racisme, pas par le racisme mais par la solidarité. Nous allons combattre le capitalisme, pas par le capitalisme noir mais par le socialisme ».
Fred Hampton (1948-1969) [1]

Il ne fait pas de doute que l’onde de choc qui a entrainé les évènements sans précédents aux Etats-Unis percute la vision que bien des gens pouvaient avoir d’un pays où semblait-il, le rapport des forces était à leurs yeux immuable. Ce qui allait de pair avec une vision de l’histoire écrite et réécrite selon les besoins du système dominant.

Aujourd’hui, ce regard souvent superficiel, ces idées reçues se trouvent bouleversées. Les USA ne sont donc pas invincibles et cette crise ne se réduit pas à ceux-ci mais au capitalisme dans sa version néolibérale la plus brutale. La contestation y est dorénavant devenue globale ! C’est là une des leçons essentielles qu’il faut déjà tirer de ce bouleversement historique et de ses implications.
Aux USA, des centaines de villes manifestent, on y trouve des travailleurs, des jeunes, des classes moyennes surendettées, des Blancs, des Noirs, des Latinos, des Asiatiques, unis dans l’action, et pas les uns sans les autres. Ce qui est tout à fait nouveau, c’est le degré massif atteint par ces convergences.

Le même phénomène a en même temps lieu à l’échelle mondiale avec des rassemblements de masse souvent interdits et toujours réprimés, y compris dans le contexte des contraintes de l’épidémie. C’est le cas dans d’autres pays, France, Allemagne, Italie, Espagne, Autriche, Pologne, mais aussi en Amérique latine, au Brésil, au Mexique, en Argentine, au Chili, en Asie, au Japon, en Inde, au Sri Lanka, et jusqu’en Australie ou en Nouvelle-Zélande.

Ce mouvement, caractérisé par l’ampleur et la durée, a pour l’heure mis en échec la tentative de Trump et du capital de tenter un coup d’état militaire. Cette conspiration n’est d’ailleurs pas sans rappeler le film prémonitoire de John Frankeinheimer « 7 jours en mai ». [2]

Succédant à de précédentes mobilisations sociales et politiques sur les cinq continents, nous assistons donc à un aiguisement des contradictions donnant à la lutte de classes une dimension inédite. Car, en dépit des discours médiatiques et de beaucoup de ce qu’il est convenu d’appeler les « ONG » « ou « société civile » présentant ces événements sous l’angle de la « question raciale », c’est bien, à travers les injustices et les inégalités d’apparence raciale, de lutte de classe qu’il s’agit, d’où le caractère rassembleur du mouvement auquel tout prolétaire, tout précaire, tout exclu peut s’identifier.

Les défaillances de la « gauche » comme d’une partie du mouvement syndical à jouer un rôle à la hauteur de leur histoire constituent dans le même temps un handicap, mais aussi une opportunité. Car cela permet le nécessaire clarification sur le contenu de ce que doit être l’alternative, à travers un programme de transformation par la rupture, afin de redéfinir ce que devrait être la direction de ce mouvement, et donc la place qui doit être celle des travailleurs en son sein.
Pour cette raison, on ne saurait réduire les choses au seul combat antiraciste, qui ne saurait pour autant être négligé, mais qu’en fait ce sont des enjeux de classe qui sont au centre de l’action. Cela ne peut être « race contre classe » comme visiblement le souhaiteraient certains ! Il y a donc urgence à bien mesurer la portée des changements en cours, tant au niveau de l’action que de la conscience.

Un mouvement inédit par son ampleur et sa durée !

L’assassinat de Georges Floyd n’a pas été bien sûr le premier crime raciste commis aux USA. Ce qui a provoqué l’indignation, c’est le « trop c’est trop » qui a coïncidé avec la perception et le vécu concret des effets de ce qu’est la barbarie néolibérale. Le crime raciste s’est cumulé avec le traitement social et sanitaire de l’épidémie de coronavirus aux USA. Celui-ci a témoigné du cynisme des dirigeants du pays, de leur mépris, de leur irresponsabilité d’autant plus évidente qu’il a aggravé plus encore les inégalités sociales. Ce sentiment est d’autant plus aigu que Georges Floyd était lui-même porteur du virus, mais sans aucune ressource pour le soigner !

Comment cela n’aurait-il pas touché l’opinion, et parmi eux les plus défavorisés, les éternels laisser-pour-comptes qui se prolétarisent aujourd’hui à grande vitesse, les exclus du système qui sont les premières victimes de l’épidémie, et parmi eux les Afro-américains. Dans ce ras-le-bol général et cette colère retenue depuis si longtemps, on trouve ceux dont les difficultés sont devenues insupportables.

Ces étudiants de milieu modeste confrontés aux problèmes du surendettement que provoquent leurs études, et souvent à la perte depuis le coronavirus d’un emploi de survie, autant que ces 40 millions de travailleurs ayant perdu leur travail au cours des deux derniers mois, et qui se voient eux et leurs familles privées non seulement de salaires mais de toute couverture sociale.
Faut-il ajouter à cette liste ceux qui sont contraints de reprendre le travail dans des conditions dangereuses. Et qui, à l’exception du 1% les plus riches, pourraient se retrouver dans cette liste qui ne cesse de s’allonger ? Ce qui s’est passé est donc tout sauf un évènement isolé et passager.

Bien des choses cachées jusque-là derrière le mur médiatique, le sentiment de honte silencieuse et le pilonnage idéologique remontent du coup désormais à la surface et sont dorénavant arrivées à maturation. Cela est confirmé bien au-delà de l’émotion causée par le caractère odieux et délibéré du crime, à travers la détermination et l’ampleur d’un mouvement qui touche géographiquement et socialement toute la société américaine et bien au-delà de ce qu’on appelle abusivement et péjorativement « les minorités ».
Mais de plus, ce vécu est le même également que celui ressenti dans de très nombreux pays. D’autant plus que l’américanisation du genre de vie, des « valeurs » serinées matin et soir par les médias mondialisés et des circuits d’informations fait que le monde entier se sent aujourd’hui quelque part, pour le meilleur et pour le pire, « américain ».

Si la planète entière doit vivre au rythme des incendies de forêts dans l’état de Washington ou d’un braquage au Texas tout en ignorant ce qui se passe dans le pays voisin, voire à quelques kilomètres de chez soi tout en ignorant aussi les mouvements de masse qui traversent les Etats alliés à l’impérialisme, alors il est logique que cet impérialisme culturel se retourne aujourd’hui contre ses géniteurs.

Ce qui est inédit donc, c’est que cela conduit nombre de gens, et certains pour la première fois, à réfléchir sur la nature et la légitimité même du système économique, sociale et politique qu’on leur a imposé.
Aux Etats-Unis celui-ci s’est construit d’abord sur un génocide, puis sur l’esclavage, la violence sociale, la surexploitation des travailleurs, la répression brutale du mouvement ouvrier, la marginalisation brutale de tout esprit critique, la superficialité. [3]
Poser le problème en ces termes, c’est aussi souligner combien l’émergence des pays riches, tout comme leurs rivalités, furent souvent le produit de situations identiques comme la colonisation, le pillage des ressources humaines et des richesses naturelles. Toutes ces spoliations insupportables se poursuivent d’ailleurs aujourd’hui à travers une recolonisation qui sert de prétexte aux guerres impérialistes et aux répressions de toutes sortes.

Ce constat met en cause les relations sociales, économiques et politiques entre les Etats, les institutions, les rapports entre les peuples du Nord et ceux du Sud, le mode de production, les rapports de propriété, le rapport à la nature, le dérèglement climatique, les libertés, les valeurs et les croyances. L’unilatéralisme et l’arrogance des Etats-Unis comme centre mondial de l’impérialisme, le suivisme et la lâcheté de ses vassaux ont mis les peuples du monde en coupe réglée.

Comme le montrent les grands mouvements d’émancipation populaire, il faut parfois un évènement déclencheur pour ensuite, en cherchant les causes véritables, aboutir à vouloir aller plus loin quant aux solutions à rechercher. L’action des Gilets jaunes n’a-t-elle pas commencé avec la contestation de l’augmentation du prix du litre de kérosène pour déclencher ensuite un mouvement de contestation radicale du capitalisme lui-même [4] .

C’est pourquoi, la chute des statues de ceux qui symbolisent la servitude et l’esclavage va donc bien au-delà de la seule dénonciation morale du racisme comme crime contre l’humanité. Elle exprime aussi le refus de l’oppression sous toutes ses formes comme l’aspiration à une autre société.

Let’s make America great again !

Aujourd’hui devant ce qui est la faillite d’un système, que reste-t-il des slogans « Let’s make America great again » [5] ou « America first » lancés par Donald Trump lors des élections présidentielles de 2016 ? Que deviennent les leçons de morale visant à justifier les ingérences et les sanctions régulièrement adressées quasiment au monde entier sous prétexte de faire respecter les droits de l’homme. En fait, dans sa fuite en avant, le néolibéralisme comme système politique voit dans la fonction répressive le but et l’objet de sa réingénierie de l’Etat [6] .

C’est encore une fois ce à quoi nous assistons aussi dans de nombreux pays et pas seulement aux USA, mais en France ou en Allemagne, à travers l’arsenal répressif mis en place, la pandémie servant de prétexte pour l’encadrement autoritaire des libertés publiques, ou encore par la mise en cause de tous les moyens de défense que le mouvement ouvrier a imposé au capital, les interdictions de toute idée critique, la banalisation des idées extrémistes et fascisantes.

Nous sommes arrivés à ce moment critique de l’histoire où rien ne peut plus masquer la décrépitude d’un système, ses tares, voire sa débilité ou sa sénilité comme le remarquait notre regretté Samir Amin. Les Etats-Unis qui en sont l’exemple le plus extrême, voient leur leadership et leur crédibilité contestée, non seulement par son peuple, mais dans une moindre mesure par ses propres vassaux.
Le chaos règne et le pays fait figure de bateau ivre. Dans l’incapacité de se ressaisir, son déclin semble dorénavant s’imposer comme un fait. Pour freiner celui-ci, le choix est celui de l’arbitraire et de la tyrannie. « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » prophétisait Gramsci, ce qui est tellement d’actualité. [7]

Le voile se déchire peu à peu, l’establishment démocrate et républicain semble paralysé et silencieux. Aucune voix ne s’élève, pas même celle de Bernie Sanders qui, après avoir appelé à voter Clinton, a lancé le même appel en faveur de Joe Biden. Trump accuse les manifestant d’être des « terroristes », il conspire, les menacent d’une intervention militaire et appelle à tirer à vue. Et c’est « silence dans les rangs » de la part du Congrès et du Sénat. L’establishment politique fait corps contre ce que l’on qualifie de « subversion anarchiste ». Quant à l’ancienne conseillère à la sécurité de Barak Obama, Susan Rice, elle met en cause la Russie qui serait derrière la violence et les manifestations [8] .

Certes, on sait que l’armée refuse d’intervenir et que l’actuel comme l’ancien Secrétaire d’État à la défense [9] critiquent ouvertement le Président, ce qui est aussi le cas de plusieurs généraux et haut-gradés [10], mais ce qu’ils mettent en cause, c’est le risque encouru pour le statut de l’armée, et non pas la mise en cause de la démocratie, ce qui est le cas aussi parce que l’armée profite du secteur florissant lié au complexe militaro-industriel.
La Garde nationale conteste également les ordres qui lui sont donnés du moins une partie d’entre elle. Quant à la direction de la Confédération syndicale AFL-CIO aux prises avec les nouvelles affaires de corruption de sa fédération de l’automobile UAW, elle a cru bon elle-aussi de dénoncer les manifestations. Ce n’est donc pas totalement surprenant que des manifestants s’en soient pris au siège de la Centrale et qu’un incendie s’y soit déclaré.

Un pays divisé !

Au fond, ce que renvoie le miroir relève tout à la fois de la barbarie et de la pétaudière. Le roi est nu, cela se sait mais surtout cela se voit. Les Etats-Unis dans leur forme actuelle font désormais face à un problème existentiel. Depuis 150 ans [11], ils n’ont jamais connu de situation aussi périlleuse, ce qui de surcroit les fragilisent internationalement et leur dénie toute légitimité à incarner un quelconque leadership.

Pire, le pays est profondément et durablement divisé. A ce point tout est possible, y compris une « guerre civile » comme l’admettent de nombreux observateurs [12] . Certains évoquent un éclatement du pays. La contestation de l’élite, de l’autorité du Président et de son appareil devient de plus en plus fréquente. Au point de le conduire à menacer le pays d’une occupation militaire ou d’appeler ses soutiens à « libérer » certains états « coupables », comme on l’a vu à l’occasion des mesures de confinement prises par les gouverneurs du Michigan, du Minnesota, de la Virginie quand des manifestants en armes ont occupé les parlements locaux [13].

Trump menace ainsi de ses foudres les habitants de Seattle qui ont pris pacifiquement le contrôle d’un quartier devenu le « Chaz », ils ont mis en place une zone autonome sans présence policière avec l’appui de la Mairie. Dans cette ville, on a donc décidé des coupes importantes dans les budgets de la police pour les reverser aux activités sociales. A Seattle, la population de cette « Commune » comme elle se revendique se réunit tous les jours en Assemblée générale et met en place des structures autogestionnaires.

C’est le cas dans d’autres villes importantes comme Los Angeles où le budget a été coupé de 150 millions de dollars. A Minneapolis, on a démantelé les services de police dont la réputation de violence raciste était connue bien qu’elle ait été dirigée par un chef de police d’origine afro-américaine [14] . Pour l’heure il n’y a aucune chance que l’Etat de Washington utilise la garde nationale pour écraser « Capitol Hill » et « Chaz ». Pour l’heure, rien ne peut se faire sans l’approbation du Gouverneur, même si Trump a tweeté au Maire « reprenez votre ville MAINTENANT. Si vous ne le faites pas je le ferai. Ce n’est pas un jeu ». Le Maire de la ville lui a répondu de « retourner dans son bunker » !

Face à cette situation, le caractère imprévisible de Donald Trump et de ses supporters fait planer la menace d’une intervention violente. Elle pourrait provoquer l’embrasement. Faut-il rappeler qu’aux USA et sans aucun contrôle, 300 millions d’armes, dont une moitié d’armes de guerre, sont en circulation. Cette situation peut donc entraîner des surenchères et de nouvelles provocations. Enfin, si les élections présidentielles ont lieu, ce qui n’est plus certain, une possible victoire de Joe Biden dit « Sleepy Joe » pourrait entraîner la réaction brutale des troupes de Trump. Puisque l’on peut s’attendre à la contestation des résultats par un camp ou un autre selon la « bonne vieille tradition » sorosienne d’accuser de falsification toute élection dont les résultats ne conviennent pas au Deep State des USAnien [15] .

Comment en est-on arrivé là ?

Bien avant l’élection de Donald Trump et l’épidémie de covid19, en réalité depuis plusieurs dizaines d’années, tous ces ingrédients explosifs se sont accumulés de manière irrépressible. La crise est devenue systémique. On vantait la reprise économique américaine dont on espérait pouvoir bénéficier des retombées. On ne tarissait pas d’éloges sur le dynamisme, la baisse du chômage, la performance des entreprises US, l’agressivité commerciale US vis-à-vis de la Chine et même de l’Union européenne, la fermeté face à la concurrence militaire chinoise ou russe, tout en taisant les actes de sanctions illégales ou d’espionnage industriel et scientifique de la première puissance en termes d’activités de renseignement dans le monde.

Seulement, on feignait d’ignorer l’essentiel, à savoir que la reprise économique US n’était qu’apparence, sa base industrielle pratiquement liquidée, à l’exception du complexe militaro-industriel, demeurait pour la schizophrénie financière et « l’exubérance irrationnelle du marché » selon le mot d’Alan Greenspan [16] . La crise de 2008 avait sonné l’alarme et avait donné un avant-goût de ce qui arrive maintenant. Mais l’aveuglement américanophile répandu dans le pays et à l’étranger grâce à un système de propagande quasi-monopolistique et bien rodé faisaient qu’on refusait d’admettre qu’en réalité la crise s’aggravait et creusait chaque jour un peu plus l’abime des inégalités sociales, contribuait à l’appauvrissement de masse à cause du surendettement et de la multiplication des bulles financières. Goldman & Sachs prévoyait pourtant l’explosion pour mars 2020, et pour une fois on ne leur donnera pas tort.
En fait, pendant toute cette période, la crise a bien profité au 0,01% des milliardaires et des familles les plus riches. Pendant qu’une poignée s’enrichissait de façon éhontée, le peuple lui s’appauvrissait dans des proportions inédites. Une étude récente a ainsi confirmé que les 15 000 foyers les plus aisés s’étaient accaparés 37% des revenus au cours des deux dernières années, au détriment des 300 millions d’Américains.

Pendant ce temps, et alors que le pays est ravagé par l’épidémie du Covid19 provoquant le décès de presque 120 000 victimes [17], on en prévoit 240 000 ce qui serait une « victoire » selon Trump et que l’économie est à l’arrêt ou déstabilisée, les milliardaires américains ont encore vu leur valeur nette combinée s’envoler de 434 milliards de dollars [18]. Comble de cynisme, Jeff Bezos, l’homme le plus riche du monde [19] a annoncé qu’Amazon ne prolongera pas au-delà de la fin mai l’indemnité de 2 dollars de l’heure pour les employés de ses entrepôts. Jeff Bezos gagne 11 000 dollars chaque seconde.

Mais, tout comme en 2008 quand Barack Obama avait renfloué les banques à hauteur de 787 milliards de dollars, Trump va faire encore mieux : il a décidé une première tranche d’aides massives de l’ordre de plus de 1 000 milliards de dollars, la FED après le choix d’un taux zéro d’intérêts jusqu’en 2022, a décidé d’accorder 750 milliards de rallonge pour éponger les dettes des entreprises. C’est « du jamais vu » et cela a provoqué immédiatement la hausse spectaculaire de la bourse de Wall street. Dow Jones, Nasdaq et le S&P se portent donc très bien, à la faveur de la crise sanitaire et de la pauvreté de masse [20].

On parle beaucoup de la réussite d’Amazon, de Facebook, de Microsoft, de Google, de Steer Tech [21], des Start-Up de la Silicon Valley mais on ferme les yeux sur l’envers du décor. Car pour tout ça, il y a un prix à payer.
La crise du coronavirus et l’assassinat de Georges Floyd ont opéré comme un formidable révélateur. La pauvreté de masse, la violence sociale, l’accroissement sans précédent des inégalités, l’endettement abyssal des familles, de leurs enfants étudiants, comme celui de l’Etat US, la déliquescence du système de santé dont, de toute façon les Américains sont privés s’ils perdent leur emploi. Ainsi, la population noire est la première victime de l’épidémie, elle l’est également de la crise économique et sociale sans précédent.

Selon une recherche menée par le Pew Center, à peine la moitié des Étasuniens âgée de 18 à 24 ans disposent en ce moment d’un emploi, le taux le plus bas depuis 1948, une époque pourtant bien antérieure à l’arrivée des femmes sur le marché du travail. Presqu’un cinquième de jeunes hommes âgés de 25 à 34 ans vivent encore chez leurs parents, et les ressources de l’ensemble des foyers ayant à leur tête des personnes de moins de 35 ans sont 68 % plus basses aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 1984.
L’incroyable montant total des emprunts étudiants non libérables a passé la barre des 1 000 milliards de dollars et dépasse désormais le total combiné des cartes de crédit et des emprunts automobiles. Le quart des étudiants endettés se trouve dans la catégorie des mauvais payeurs, et des indices inquiétants montrent qu’une grande part de cette dette étudiante va se transformer en charge permanente, réduisant de fait des millions de personnes à l’état de serfs. Un large éventail de la jeune génération étasunienne semble totalement appauvri, et tout indique qu’elle va le rester [22].

Le néolibéralisme ne sous-estime pas le fait que les vieilles structures s’effondrent ! C’est pourquoi, il entend constituer un modèle unique pour tous qui entend imposer la « logique du marché » à toutes les formes d’interaction humaine, économique aussi bien que financière, sociale, politique, culturelle, écologique et même psychologique.
Pourtant, son bilan est terrifiant.
Voilà pourquoi ce désastre nous est présenté comme la conséquence de la crise sanitaire alors que celui-ci n’avait pas attendu le coronavirus. La détresse sociale, l’accaparement des richesses par une petite oligarchie, les crimes racistes, la militarisation et la violence de la société US, la répression et l’autoritarisme d’Etat contre tout ce qui s’oppose à la logique du capital sont devenus des réalités incontournables et incontestables. Pour l’immense majorité des Américains, tout cela est devenu insupportable et c’est ce qu’ils expriment dans la rue.

Pour gérer la résistance, les régimes néolibéraux ont utilisé « l’économie comportementale », une nouvelle théorie apparue avec la montée du néolibéralisme dans les années 1980. Selon cette théorie, les gens se comportent souvent de manière irrationnelle ou stupide, et qui va contre de leur propre intérêt en raison de préjugés psychologiques ou neurologiques, et ils auraient donc besoin d’être poussés à penser. Toute critique du système est rejetée comme venant de « théoriciens du complot » ou de « paranoïaques », et ceux qui défendent la souveraineté ou l’intervention de l’État dans l’intérêt commun sont accusés de totalitarisme, et parfois réduits au silence avec succès.

Le projet néolibéral est toujours identifié à des objectifs nobles, comme la civilisation, les droits de l’homme, la liberté, la démocratie, le développement, le progrès, le modernisme, l’indépendance, l’objectivité et la prospérité. Ce qui n’est pas dit, c’est que ces termes sont pris dans le sens correspondant au point de vue d’une oligarchie mondiale. Vu depuis l’autre bout de la société, où dominent pauvreté, chômage, sous-emploi et insécurité, cela signifie exactement le contraire. Et c’est ce que la jeunesse appauvrie des Etats-Unis vient de comprendre dans sa masse.

Société civile, élites, et fondations

« Celui qui n’a pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre » [23] .
Le capitalisme n’en manque pas, et dans ce contexte il cherche à reprendre l’initiative. Sa stratégie ne saurait être sous-estimée. « Le néolibéralisme est indissociable du capitalisme, et cette « fabrication » de l’ordre mondial néolibéral s’opère par une restructuration consciente de l’État-nation et la promotion des élites pour en assurer sa reproduction » [24] . Cela se fait entre-autre par le rôle imparti à la soi-disant « société civile », censée être seule capable d’incarner la démocratie représentative et donc susceptible de prendre la tête d’un mouvement qui se cherche un programme et une direction. C’est ce à quoi nous sommes confrontés à travers ces évènements.

Sous la pression des USA, « la société civile » est devenue une référence commode pour permettre un plus grand contrôle, le dévoiement de toute action sociale et pour mieux les précipiter dans l’impasse des institutions, aux côtés des entreprises. Pour cette stratégie, les ONG sont de bien commodes chevaux de Troie. Aujourd’hui, elles pullulent par millions dans le monde.
On en compte 1 million en Inde, 210 000 au Brésil, 15 000 en Thaïlande. Ces structures diverses travaillent sur des créneaux très variés, en d’autres termes les problèmes « sociétaux » : droits de l’homme, économie, racisme, droits des minorités, LGBTQ, libertés religieuses, etc. dans le même temps, de 1945 à 2015, le nombre d’églises néo-évangélistes a triplé en France, il s’en est créé plus d’une par semaine [25] .
Aux USA les adèptes se comptent par dizaines de millions. Ces sectes sont souvent soupçonnées de manipulation mentale, d’intégrisme et d’ingérence politique mais aucun pouvoir français et encore moins Etatsunien n’ose constater le danger. L’intégrisme doit toujours venir des « barbares » du Sud ou de l’Est, jamais de l’Extrême-Occident.

En violation de la Charte des Nations Unies, on a imposé à son Assemblée générale, le partenariat de l’ONU avec les entreprises privées, le ”United Nations global compact” impliquant 13 000 entreprises de 179 pays [26] avec le soutien des syndicats conservateurs affiliés internationalement à la Confédération syndicale internationale CSI (ex CISL) et parmi elle, les confédérations françaises, dont la Confédération générale du Travail CGT.
Il est intéressant de noter la constitution de ces nouvelles alliances ONG/Syndicats, comme l’illustre la récente déclaration altermondialiste CGT/Greenpeace/Attac « en faveur d’une sortie de crise », en fait pour la promotion d’un « capitalisme vert à visage humain », ce qui veut dire « décroissant », et donc porteur d’appauvrissement et de précarisation sous couvert d’écologie [27].

On retrouve aux côtés des ONG, les think tanks et les fondations. Aux USA, en trente ans, le nombre de Fondations est passé de 27 000 à 87 000. Elles sont alimentées financièrement par les grandes entreprises, les états, les institutions fédérales, supranationales ou autres, entre autres, le Département d’Etat américain ou l’Union européenne. Dans une totale opacité, elles contrôlent les médias, les cercles "intellectuels", comme c’est probablement le cas avec le nouveau "Front populaire" encore une fois pour une « autre Europe », autour de Michel Onfray et de Natacha Polony, Jean-Pierre Chevènement, Philippe de Villiers, Idriss Aberkane, Régis de Castelnau, Jacques Sapir, Didier Raoult et d’autres.

Il existe donc tout un maillage très dense qui, surtout depuis la disparition de l’URSS, s’est mis en place et dont l’influence est largement sous-estimée !

Ainsi, un cas intéressant est celui de la Société du Mont-Pèlerin (SMP) ! Fondée en 1947 par le philosophe Karl Popper, concepteur de la « société ouverte » dont Georges Soros est le disciple, Friedrich Von Hayek, de l’École autrichienne d’économie, Milton Friedman, de l’École de Chicago, devenu conseiller économique du président américain Ronald Reagan, Allan Walters devenu conseiller économique de la Première ministre britannique Margaret Thatcher et d’autres néolibéraux membres de l’oligarchie étasunienne et de l’aristocratie européenne.

Un quart de siècle plus tard, l’occasion s’est présentée pour ses idéologues d’occuper des positions de pouvoir dans l’État avec l’école monétariste associée à Milton Friedman et aux « Chicago Boys », gagnant le soutien des classes dirigeantes au début des années 1980 pour restructurer le système capitaliste et rétablir l’accumulation du capital.
Avec la dictature fasciste d’Augusto Pinochet qui a transformé son pays en laboratoire du libéralisme, le Chili n’a toujours pas récupéré des ravages provoqués par leur politique et se trouve tragiquement frappé par l’épidémie de coronavirus, d’ailleurs aux côtés du Brésil. Il faut noter aujourd’hui, et parmi d’autres exemples, que Paulo Guedes, ministre de l’économie ultra-libéral du gouvernement d’extrême droite de Jair Bolsonaro, est lui aussi lié à la SMP et à l’école de Chicago [28] .

La SMP est un puissant réseau mondial de planification politique dirigé par une élite de plus de 500 groupes de réflexion et de nombreuses écoles de commerce, de fondations soutenues par des entreprises, de médias et de départements universitaires d’économie transformés en centres idéologiques de la stratégie néolibérale. Parmi eux, on trouve l’Atlas Economic Research Foundation (Atlas Network), l’American Enterprise Institute, Heritage Foundation, le Cato Institute, l’Institute of Economic Affairs, le Centre for Policy Studies et l’Adam Smith Institute. La plupart ont été financés et dirigés avec l’aide d’au moins un membre de la SMP [29].

Georges Soros est l’un d’entre eux, il a donné le nom de « société ouverte » (Open Society) à sa fondation tentaculaire. Il l’a fait en hommage à son Maître à penser Karl Popper. Atlas pour sa part dispose d’un réseau de quelque 500 organisations dans 96 pays, et assure le lien stratégique avec la SMP et les groupes de réflexion néolibéraux. Atlas est aussi associé au State Policy Network (SPN), un réseau de groupes de réflexion de droite largement financé par les entreprises multinationales. Il constitue la pierre angulaire du déploiement organisationnel, de la diffusion et de l’activation de l’idéologie néolibérale dans le monde.
Il a été créé par le membre de la SMP Antony Fisher, avec le soutien de Milton Friedman et de Margaret Thatcher ; sa mission, « jeter des groupes de réflexion favorables au marché libre partout dans le monde » et diffuser un schéma organisationnel pour activer l’idéologie avec des ambitions mondiales. Atlas a été impliqué dans des changements de régime et des déstabilisations, en particulier en Amérique latine et en Europe de l’Est, fonctionnant comme une extension de la politique étrangère américaine. On connaît le rôle des « révolutions de couleurs », et dans ce cadre l’action de Georges Soros et d’Otpor (« Résistance »).

Otpor [30] est une organisation basée en Serbie qui a été inspirée et mise en place à la fin des années 1990 en s’appuyant sur les théories de Gene Sharp [31] , soutenue et financée par le Département d’Etat à l’époque de Hillary Clinton, et par Georges Soros.
Otpor a eu un rôle et une action déterminante dans la chute de Milosevic en Serbie, dans le « Printemps arabe » [32] , dans les « révolutions de couleurs » dans plusieurs ex-pays socialistes, dont l’Ukraine, comme dans le tiers monde. Otpor est implanté dans plus de 50 pays et est également soutenu par le NED (National Endowment for Democracy), il est lié aux services d’intelligence US et il complète ainsi l’action d’officines comme Freedom House, active, elle, parmi les organisations professionnelles de journalistes, ou encore « USAid » ou les « Peace corps », institutions visibles de l’administration US consacrées au développement dans le monde et connus internationalement comme des couvertures de la CIA.

Le National Endowment for Democracy [33] créé en 1983 par le président Reagan comme mécanisme de financement permanent pour soutenir les organisations privées qui s’engageraient dans la propagande et l’action politique que la CIA avait organisées et financées secrètement par le passé. Le NED a été présidé par Judy Shelton précédemment membre important d’Atlas, elle a été la conseillère pour la campagne présidentielle de Trump et sa candidate favorite pour présider la FED [34].

La Cour européenne des Droits de l’Homme est également un exemple de ce type d’ingérence publique-privée. Georges Soros l’a complètement infiltrée, au point qu’un quart des juges y siégeant sont liés à sa Fondation « Open Society » (OSF) par l’intermédiaire de son réseau d’ONG. Soros qui aime à se présenter comme « un chef d’Etat sans Etat » a ainsi réussi à étendre son influence et à convertir la Cour européenne (CEDH) à son idéologie [35] .

Ces « brocanteurs d’idées », comme les appelait Hayek, produisent, diffusent, ancrent et, dans les périodes de crise, défendent le dogme néolibéral, contribuant à créer un cadre idéologique omniprésent qui représente de manière trompeuse les clivages internationaux et intra nationaux pour justifier la perpétuation du néolibéralisme, pour le rendre légitime. Selon Philip Mirowski (2009, ils « se soucient non seulement de la diffusion des idées néolibérales, mais aussi de jeter un doute sur des sujets controversés, comme le réchauffement climatique. Ils nient certaines réalités et cherchent à semer la confusion sur d’autres » [36] .

L’épreuve de force est engagée

Par conséquent, une formidable partie de bras de fer à l’échelle des Etats-Unis, de l’Occident et du monde entier est donc désormais engagée. On ne saurait en sous-estimer l’enjeu et encore moins les moyens utilisés par le capital pour venir à bout des mobilisations populaires qui, de surcroit, ont pris une dimension globale. Le capitalisme ne renoncera à aucun moyen et surtout pas à la violence et à l’autoritarisme qui caractérise dorénavant sa nature et son fonctionnement. Il est clair que nous allons vers une radicalisation mais aussi vers une clarification.
En ce sens, on peut déjà parler de situation révolutionnaire.
Évidemment, le mouvement populaire doit faire face à des handicaps, mais il ne fait aucun doute que la volonté qui se dégage dès à présent témoigne d’un choix conscient des peuples à se dégager de la gangue qu’impose le capitalisme. Cette évolution, si elle est inéluctable, dépendra aussi de la capacité de ce mouvement international à se donner les moyens et l’organisation nécessaire pour le conduire à ses fins.

La suite des événements qui se succèdent aux Etats-Unis, et ce qui commence de nouveau à pointer très vite en France. C’est ce que montre la mobilisation des personnels de santé le 16 juin brutalement réprimé par Macron. Cela met en évidence et clairement qu’il y a une bataille sur le contenu de classe, l’orientation de classe et la direction de cet immense mouvement protestataire de masse qui est partout très profond.
Aux USA, le crime raciste visant George Floyd a été l’élément déclencheur des émeutes et manifestations mais il n’en est pas la cause première, c’est toute la classe dite moyenne qui voit sa situation s’effriter sans plus aucun espoir de sortie du tunnel. L’oligarchie, le capital, ses représentants et ses défenseurs, les opportunistes de l’air du temps, y compris dans la prétendue gauche, celle qu’on peut qualifier de « morale et sociétale », craignent par-dessus tout que ce combat ne devienne anticapitaliste.

C’est là que les Soros et sa « société ouverte », ses créatures comme Otpor/Canvas et la plupart des mal nommées Organisations « non » gouvernementales, les fondations et think tanks euro-atlantistes et mondialistes interviennent avec la force de leurs réseaux et relais.

Le poing levé image de marque caractéristique d’Otpor, se retrouve ainsi massivement aux côtés de Black Lives Matter et souvent ensemble dans les manifestations US, mais aussi à Paris, Londres, Berlin, Auckland, Londres. Cela n’a rien d’innocent, et n’a rien d’une coïncidence…L’objectif est de s’appuyer sur des ethno-communautarismes essentialisés, des « identités visibles » vidées de tout contenu et projet social rassembleur et alternatif, pour réduire cette nouvelle étape de la lutte de classes à une confrontation raciale et/ou identitaire.
Ceci pourrait être aussi le cas de Black Lives Matter (BLM), dont l’indépendance est assez relative si l’on tient compte des énormes subventions en millions de dollars, près de 100 millions de Georges Soros, de la Fondation Ford ou du Président de Facebook Mark Zuckerberg, 8e fortune mondiale [37] , mais aussi de banques comme J.P Moragn, la Chase, ou la Fondation Kellog [38] .

Est-ce un hasard si BLM, créé en 2013, a surgi comme un mouvement visible immédiatement après la défaite électorale imprévue de la candidate des grands médias, du complexe militaro-industriel et du Deep State, Hillary Clinton, « l’interventionniste libérale » néoconservateur ?
Toutes ces méthodes de « manipulation des identités » de la part des chantres du « libéralisme », on avait déjà pu les observer avec l’instrumentalisation de l’islamisme après 2001 et 2003, puis dans les autres pays musulmans ciblés par l’impérialisme.

La violence policière est d’autant plus facilement assimilée aux « Blancs » que, de fait, elle est effectivement la plupart du temps raciste. Aux Etats-Unis, même quand il y a des politiques d’égalité, c’est la plupart du temps des politiques de « discriminations positives » et « d’égalité séparée » qu’il s’agit, alors qu’en France l’obsession est, à l’inverse, d’ignorer autant que faire se peut tout ce qui pourrait rappeler d’une façon ou d’une autre les différences de traitement pour raisons ethniques, fussent-elles évidentes.
Macron ne veut-il pas ouvrir un débat sur les principes de statistiques ethniques à contre-courant de tout universalisme propre à la République Française ? Et, concernant la violence policière, on doit rappeler que les Gilets jaunes de la France profonde en ont aussi expérimenté la « couleur », comme auparavant les manifestants antimondialistes de Seattle de 1989, preuve que c’est tout le système qui dans son ensemble devient répressif et rompt progressivement avec les mythes fondateurs libéraux.

C’est donc dans ce contexte qu’il faut se pencher sur les thèses somme toutes assez fumeuses de Peggy Macintosh sur les « Priviledged Whites » [39] (« Privilège d’être blanc ») qui essentialisent l’ensemble des « Blancs » et les culpabilisent du coup selon la bonne vieille méthode héritée du néo-protestantisme, sans doute pour les empêcher de se sentir dignes de se révolter contre l’ordre injuste.
Comment pourrait-on considérer par exemple comme un privilégié l’agriculteur français surendetté qui se suicide à cause de sa misère et de son sentiment d’humiliation et d’isolement tragique ? En France, c’est un agriculteur qui se suicide tous les deux jours [40]. En quoi sa situation peut-elle être comparable à celle du gros actionnaire d’une « multinationale » et grand propriétaire terrien, blanc ou même pas forcément, voire avec un précaire urbanisé qui a quand même accès à des restes de services publics dans son voisinage immédiat, y compris quand il n’est pas « blanc » ?

En quoi la situation de l’immigré ukrainien ou moldave sans papier serait-elle différente de celle de l’Africain de même statut, hormis le fait que le premier ne connaît même pas la langue ni même les codes culturels de son exploiteur ? Ce genre de théorie ne fait que repousser ce « Blanc » là, y compris immigré, dans le camp de l’extrême droite racialiste et raciste. Est-ce là le but non avoué des libéraux à bout de souffle ?

Soros roule donc pour son « business » et ses promoteurs, il roule pour sa classe et pour une vision néo-libérale à la fois « ouverte » et « tolérante » pour les flux de capitaux et de main d’œuvre, à cet égard le Brésil de Bolsonaro constitue un nouveau banc d’essai, avec d’ailleurs la menace sous-jacente d’un coup d’état que font planer les militaires et alors que déjà ils occupent la plupart des postes au sein du gouvernement et de l’administration, y compris le ministère de la Santé...
En France et en Europe occidentale, nous constatons aussi le développement d’une forme de « fascisation rampante » lancée cette fois par un « extrême centre » à la fois autoritaire et libéral, mais souvent aussi promoteur de la logique du « clash des civilisations » empruntée à Samuel Huntingdon et Francis Fukuyama. Macron, comme ses prédécesseurs, sait très bien manipuler le chaud et le froid, entre ses références subliminales à Pétain camouflées derrière des références à de Gaulle, ses proclamations « républicaines », son arrogance de classe et ses « en même temps » parfois carrément racistes [41] .

On le voit l’enjeu actuel est d’importance car nous sommes face à un cataclysme social et économique montant comme un tsunami déjà perceptible à l’horizon et qui aura inévitablement des conséquences politiques considérables.
Lesquelles ?
Ça on ne le sait pas encore exactement, mais une chose est certaine, le tsunami arrive à grande vitesse et l’adversaire de classe aux prises avec la crise de son système comprend très bien les risques qu’il comporte pour sa propre survie. Serons-nous dès lors capables de nous hisser, nous les peuples, à ce niveau d’exigence pour empêcher la nouvelle barbarie technicisée de triompher ?
C’est là toute la question politique qui doit intéresser les vrais progressistes, c’est-à-dire les partisans du progrès social et humain, du progrès de l’intelligence et du savoir, les partisans de l’humanisation de la vie collective. Risques et opportunités, voilà le défi devant lequel nous nous trouvons partout dans le monde, y compris désormais au centre de l’empire qui a rapatrié en quelque sorte la situation de crise permanente qu’il avait auparavant imposée dans ses périphéries néocoloniales, ce qui apparaît aussi particulièrement dans ses maillons faibles, en particulier en France.

Les polices se mettent donc aux ordres, ici en réprimant, en éborgnant ou même en tuant, et là, les mêmes en se mettant à genoux, en retirant certaines vidéos des réseaux internet, en excluant des Mark Twain ou des philosophes décrétés « blancs » pour mieux éteindre les convergences et la lutte de classe au nom d’un analphabétisme historique moralisateur. Celui-ci encourage à se mettre à genoux non plus par rébellion contre une autorité injuste mais pour mieux se soumettre à nouveau, sous une autre forme, à la même autorité qui n’a pas l’intention d’abdiquer et de se voir privée de ce qu’elle a confisqué dans le cadre de décennies de mesures de privatisation de la vie économique et politique.

C’est dans ce contexte qu’on assiste à une tentative de racialiser l’antiracisme pour le rendre manipulable par l’une des deux ailes du même système dominant. En fait, Soros, Trump, Wall street, « révolutions de couleurs », pseudo indigénisme, « Privilège blanc », féminisme dans sa version « Pussy Riot » ou « Femen », islamisme takfiri, néo-évangélisme, sionisme religieux ou « laïc », etc, tout cela, c’est au fond la même chose et tout cela roule pour les mêmes intérêts. Ce qui explique pourquoi certains peuvent verser des larmes de crocodile sur George Floyd ou sur Adama Traoré, mais en même temps oublier l’adolescent palestinien Iyad al Halak tué à Jérusalem [42], le combat pour la libération de Julian Assange, de Mumia Abou Jamal, de Leonard Peltier ou de Georges Ibrahim Abdallah et aussi l’exigence de réhabilitation de tous les Gilets jaunes injustement accusés, blessés, humiliés et réprimés, toutes couleurs de peau, toutes origines et toutes appartenances idéologiques ou religieuses confondues.

Les Blacks panthers ou Malcolm X ont été grands en leur temps car ils ont fait du combat des Noirs du Yankeeland le combat d’avant-garde de la justice pour tous les opprimés et exploités, y compris les Vietnamiens alors noyés sous les bombes et les militants du mouvement de toutes couleurs Students for a Democratic Society. C’est pour cela que la CIA, le FBI utilisant le programme des années 50 contre le Parti Communiste, le COINTELPO, les a assassinés, humiliés, drogués, terrorisés, divisés.
Comment oublier l’assassinat de Fred Hampton, de Huey Newton, de Bobby Hutton ou encore le combat exemplaire d’Angela Davis. Aujourd’hui, les neocons-neolib d’extrême centre, les NSA-CIA-Soros-Otpor-NGO-Freedom House-NED-etc veulent momifier le combat contre le racisme en le ...racialisant, en prônant en fait le « clash » des civilisations, le choc des « identités » ou de religions ritualisées et vidées de tout contenu spirituel, comme ils ont su vider le « socialisme » de tout contenu social pour l’amener vers le terrain largement stérile du sociétal.
Le glissement sémantique du « social » vers le « sociétal », du « gouvernement » vers la « gouvernance » ou des « organisations de masse » vers la « société civile » n’est pas une opération d’importance secondaire car la maîtrise des mots ou leur perversion, c’est le début du contrôle des esprits.

L’adversaire de classe ne manque pas de recours pour remplacer si nécessaire et une fois qu’ils ont servi, les Trump, Bolsonaro, Macron et autres, et même le pape d’hier, d’aujourd’hui ou de demain. Féminisme, racialisme, indigénisme à sa sauce, le capital est bien armé, il a allumé des contre-feux partout ...en tentant et parfois en réussissant à figer les luttes et les figures de lutte dans une « essence » indépassable.

Or, ce qui est requis aujourd’hui, ce sont des vraies révolutions, c’est l’émancipation de toute l’humanité qui n’est ni « blanche » ni coloniale ni ex-coloniale car elle est partout exploitée et fragmentée en « identités » opposables les unes aux autres, repêchables les unes ou les autres.

Si le martyr Malcolm X a laissé une leçon à l’humanité, c’est bien celle-là, qu’il a accompli d’abord en quittant la secte ethno-religieuse « Nation of Islam » pour s’élever vers la conscience de l’universel, tout en restant d’ailleurs musulman, mais désormais ouvert à l’idée du socialisme et d’un panafricanisme progressiste et non racial. C’est pour cela que la secte a assassiné la cible désignée par le FBI.

Il existe bien sûr dans chaque société des spécificités plus ou moins importantes qu’il faut prendre en compte et respecter, et il existe des inégalités nationales, religieuses, régionales, ethniques, sexuelles ou autres, mais lorsque celles-ci sont réellement portée par un mouvement autonome et authentique, elles ne se laissent pas soumettre par des minorités politiquement manipulées et collaborant avec le système répressif. L’objectif, et ce qui permet de départager le bon grain de l’ivraie. Car c’est la majorité qui est opprimée, et la minorité la plus opprimée et la plus courageuse, est justement ciblée parce qu’elle sait s’élever au-dessus de sa propre condition.

Le plus souvent ce combat se déroule à l’intérieur même de chaque mouvement politique, associatif ou syndical, car tous les mouvements porteurs de perspectives, sont pénétrés aujourd’hui par des éléments corrupteurs, porteurs de diversion et de manipulation. C’est d’ailleurs à cela qu’on reconnaît la force potentielle d’un mouvement, au fait que les oppresseurs et les exploiteurs cherchent à le corrompre et à le pénétrer de l’intérieur justement parce qu’il représente une force réelle potentielle en soi indéracinable.

Retour sur les « révocouleurs »

Depuis au moins le renversement de Milosevic en Yougoslavie, mais sans doute déjà bien avant, avec par exemple les pseudo charniers de Timisoara et la fausse révolution roumaine de 1989, les observateurs attentifs et critiques des campagnes médiatiques et émotionnelles avaient remarqué la capacité du système mondialisé à organiser des groupes chargés de prendre en main le mécontentement de différentes catégories sociales pour le diriger contre des pouvoirs qui ne plaisaient pas car ils étaient trop indépendants, parce qu’ils commençaient à manifester une certaine indiscipline envers les injonctions des gros centres financiers et militaro-industriels ou parce qu’ils ne maîtrisaient tout simplement plus la situation dans leur pays.

Ce qu’on allait appeler ici « révolutions colorées » ou là « printemps arabe » visait au départ des gouvernements de pays périphériques par rapport au « centre de l’empire » euro-atlantique ayant pour noyau les pays anglo-saxons des « Five Eyes » [43] et pour centre névralgique Wall street. Mais, au fur et à mesure de la crise et du délitement de « l’empire » qui a suivi la crise de 2008 et la montée des puissances émergentes, on a pu assister au « rapatriement vers le centre » d’un certain nombre de méthodes qu’on croyait au départ, réservées aux pays périphériques, au point où, aujourd’hui, on doit poser la question des liens pouvant exister entre le mouvement BLM qui s’est développé dans la foulée des manifestations anti-Trump.

Loin de nous l’idée de nier le fait que tous les mouvements de protestation ayant visé ou renversé des pouvoirs d’un bout de la planète à l’autre n’auraient pas joui de l’appui d’une base sociale peut-être parfois minoritaire mais incontestablement importante et ayant de véritables raisons de mécontentement.
Nous pensons néanmoins que, dans beaucoup de cas, la manœuvre a consisté à faire dévier le mécontentement sur des cibles secondaires par rapport aux véritables responsables des situations de détresse qu’ont subi les populations et que le battage médiatique planétaire organisé autour de certaines protestations les a empêchées de respirer, donc de se développer et de pouvoir vaincre. On a asphyxié la révolution à Bahrein en grossissant les manifestations de Damas et on a oublié Gaza pour encenser l’euromaïdan.

Hormis les organisations que nous venons de mentionner, rappelons que le maillage entre secteurs privés, pouvoir étatique et services secrets ont été théorisés à partir du concept de non-violence par Gene Sharp et Joseph Nye [44] sous l’expression de « Smart power », une habile combinaison d’interventions secrètes violentes, le « hard power », et d’interventions de la mal dite « société civile », le « soft power ».

Lorsqu’on analyse un régime politique et social dont le pouvoir s’étend à plusieurs pays, on doit toujours poser la question de ses maillons faibles. A l’échelle du monde, le « Grand Moyen-Orient » imaginé sous Bush 2, allant des rivages nord-africains de l’Atlantique au coeur du Xinjiang et l’Europe du centre-est constituent le terrain d’affrontement central, pour des raisons géopolitiques et énergétiques, mais aussi parce que les pouvoirs existant y sont relativement faibles et peu légitimes.

Mais au sein même du noyau central de la « famille atlantique », c’est la France qui a toujours fait figure de mauvais élève potentiel, ce qu’on a remarqué particulièrement en 2003 lorsque Paris a refusé de s’aligner sur la politique d’agression de Washington visant l’Irak. On aura constaté depuis que la France a bel et bien été reprise en main, au point où le monolithisme de ses médias est devenu caricatural, l’alignement atlantiste et européiste de ses élites politiques, de droite comme de gauche, « exemplaire », ce qui a permis l’inimaginable jusque-là, le retour d’une France définitivement post-gaulliste dans l’organisation militaire de l’OTAN et sa participation à plusieurs agressions armées au « grand » Moyen-Orient et en Afrique.

On doit donc poser la question des étapes qui ont abouti à cette dégénérescence dans un pays qui n’est pourtant toujours pas vraiment « normalisé » car, si ses élites politiques, économiques, culturelles et médiatiques ont été presque totalement domestiquées, le peuple de France dans sa diversité continue de manifester une propension à la rébellion qui éclate tantôt en banlieue, tantôt avec les Gilets jaunes, tantôt par des vagues de grèves et de manifestations de masse.
Aujourd’hui, alors que la crise du covid-19 a démontré l’incapacité du gouvernement Macron à répondre aux besoins de la masse des Français tout en démontrant sa capacité à satisfaire les exigences des plus riches, le mécontentement est généralisé. Il est clair que, au moment où le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, au moment où le Deep State US peine à reprendre le contrôle du centre de l’empire erratiquement gouverné par l’outsider Trump, au moment où la misère guette des pans entiers des classes travailleuses, une vague de mécontentement de masse risque de menacer l’ensemble du système capitaliste mondialisé. D’où la nécessité dans toute réflexion critique de voir venir les choses et de bien analyser en quoi les manifestations de mécontentement pourraient déboucher sur une convergence révolutionnaire ou, au contraire, être égarées par des manœuvres de diversion.

Aux différences sociales, régionales, religieuses et idéologiques qui ont fait l’histoire de France sont venues se rajouter aujourd’hui les conséquences de la colonisation, des guerres coloniales et des migrations provoquées par les effets du néocolonialisme puis de la destruction du camp socialiste. Ce qui explique pourquoi la population française, de par ses origines diverses, a de multiples yeux qui regardent le monde entier et qu’elle est simultanément marquée par des sensibilités difficiles à faire converger au premier abord.

Avec la crise du capitalisme, la désindustrialisation d’une grande partie du pays, la capitulation politique de ceux qui incarnaient le courant de lutte de classes, la classe ouvrière qui constituait le noyau solide et organisé structurant l’ensemble des mouvements revendicatifs a vu son rôle s’affaiblir.
Nous avons donc assisté à des mobilisations éparpillées au cours des décennies précédentes, quartiers populaires à population en partie immigrée ou post-immigration et peu intégrée dans les secteurs productifs touchés par le chômage de masse, mouvement de la France périphérique rassemblée sous la bannière des Gilets jaunes depuis novembre 2018, vagues de grèves de décembre/janvier 2019/20 et finalement mécontentement provoqué par la politique erratique du pouvoir face à la pandémie du covid-19 [45].

C’est dans ce contexte général qu’il faut analyser ce qui pourrait menacer le processus de convergences des mécontentements puisque, comme nous l’avons écrit plus haut, nous pouvons constater que les élites et l’État français ont été repris en main par les partisans d’un nouvel AMGOT [46] après la dernière tentative de Paris de mener une politique indépendante en 2003. Et au cours des quinze dernières années, la France est devenue le bon élève de l’impérialisme, un élève qui est même capable de faire du zèle sur la scène internationale, comme on a pu le voir en Libye, en Côte d’Ivoire ou en Syrie et comme il est aussi capable de faire du zèle en matière de répressions des mouvements populaires comme on a pu le voir avec les répressions brutales des banlieues, des mouvements de solidarité avec la Palestine, des mouvements de grève, du mouvement des Gilets jaunes et même des manifestations du 1er mai.

Le meilleur moyen de mater un mouvement dynamique, c’est de diviser les mécontents pour les opposer entre eux. Sur une base ethnique ou religieuse, et le racisme d’un côté ou le ressentiment postcolonial d’un autre, peuvent servir à cela, et aussi l’intégrisme religieux ou ethnico-religieux, qu’il soit sioniste, néo-évangéliste ou islamiste. A quoi on peut rajouter tous les éléments de division « sociétaux » qui pourraient contribuer à subdiviser encore plus la communauté nationale et territoriale française en sous-communautés barricadées.

Potentiel, contradictions et manipulations du mouvement de protestation anti-Trump et antiraciste aux Etats-Unis

Gilad Atzmon, ancien citoyen israélien devenu radicalement antisioniste, constate que le jazz a connu le succès mondial qu’on lui connaît car ce fut le chant et la musique du combat des Noirs des Etats-Unis pour leur émancipation. Mais ce style musical a été ensuite récupéré comme article d’exportation culturelle sophistiquée par l’establishment USunien .Cette évolution est allée de pair avec la transformation du mouvement de rébellion des descendants d’esclaves rebelles luttant pour la justice dans leur pays en courant intégré au système d’exploitation visant à promouvoir une bourgeoisie noire et a pousser la masse à quémander aumônes et « discrimination positive » [47] , non plus sur la base d’une revendication de justice mais d’une lamentation moraliste de victime consentante.

Né sur la terre spoliée de Palestine, Atzmon sait de quoi il parle et de ce que l’humanité a perdu avec l’asservissement d’une partie du jazz au système. On peut constater un phénomène parallèle sur le plan directement politique quand on observe que les représentants patentés de la « communauté noire », de la bourgeoisie noire de service en fait, ont appelé hier à voter Obama, puis Clinton, puis Biden, et pas même Sanders. C’est la vieille histoire d’Uncle Tom et des « nègres de maison », ou le « white man’s burden, le fardeau de l’homme blanc » [48] qui se répète sous nos yeux [49].

Ce qui permet de penser que le mouvement Black Lives Matter n’est pas le mouvement d’émancipation qu’il prétend être dans la foulée des Black Panthers ou de Malcolm X, ou même du plus modéré Martin Luther King, mais une organisation surtout utilisée par le Deep State parce qu’elle se limite à viser Trump, l’outsider par rapport aux cercles de pouvoir habituels, à dénoncer le racisme sur une base morale et à encenser des victimes qui doivent le rester au final. Elaine Brown ancienne Présidente des Black Panthers, remet les pendules à l’heure quand elle déclare : « BLM a une mentalité des plantations » [50].

Back Lives Matter, fondée en 2013 par un trio de femmes noires de la classe moyenne, queer, très virulentes contre « l’hétéro-patriarcat », est un produit de ce que Peter Dauvergne, de l’Université de Colombie britannique, définit comme la « corporatisation de l’activisme » [51] . Au fil des ans, BLM a évolué en tant que marque de marketing, comme Nike (qui soutient pleinement le mouvement). Les protestations généralisées de George Floyd l’ont élevée au statut de nouvelle religion. Pourtant BLM n’a aucun véritable attrait révolutionnaire.

Toutefois, il est vrai aussi que l’actuelle mobilisation de masse aux Etats-Unis dépasse largement les cercles organisés par les têtes du mouvement BLM et qu’il dépasse même largement la « communauté » noire, puisqu’il draine une masse issue des classes populaires de toutes origines et aussi des jeunes des classes moyennes « blanches » qui ont compris que leur avenir était bouché dans le capitalisme et qu’ils cherchaient une cause apte à symboliser et canaliser la lutte pour un changement de régime, c’est-à-dire le renversement du « monopartisme bicéphale republicain-democate » placé à la tête des Etats-Unis depuis des décennies.

« Pourquoi dit-on les patrons on deux partis, et que les travailleurs n’en ont pas ? » Il y aurait donc aux USA, mais sans doute aussi ailleurs et en particulier en France, une course contre la montre entre autres des groupes organisés pour canaliser et domestiquer en faveur du régime actuel le mécontentement légitime et la masse de ceux qui ont compris que c’est tout le système de domination actuel qui doit être renversé.

Comme le constate le professeur Norman Finkelstein, une grande partie des manifestants s’attaquent à « un système qui a détruit la vie de tous les jeunes et qui bloque toute sortie du cauchemar qu’ils endurent quotidiennement et qui va certainement s’aggraver. On estime que plus de 40% des personnes licenciées pendant la pandémie de Covid-19 ne seront pas réembauchées. Et cela se traduira pour ces jeunes qui n’ont pas d’épargne et qui joignent à peine les deux bouts, par une expulsion (car ils n’auront plus de quoi payer leur loyer). La plupart des manifestants ont probablement assisté aux rassemblements pro-Bernie Sanders. On oublie souvent que le slogan officiel de la Marche de 1963 à Washington (où Martin Luther King a prononcé son discours « J’ai un rêve ») était « Emplois et liberté pour tous ! » [52].

Il faut espérer qu’une direction, si elle émerge, exigera la « Fin de la brutalité policière ! » et aussi « Des emplois pour tous ! » .

Il est intéressant à cet égard de rappeler que, non loin des Etats-Unis, au Québec, le colonialisme anglais traitait publiquement, avant les années 1960, de « White niggers », les paysans canadiens français soumis au règne de sa gracieuse majesté et que le mouvement de libération nationale du Québec des années 1960, né dans la foulée de la révolution cubaine, de la lutte de libération nationale algérienne et du mouvement pour les droits civiques des Noirs des Etats-Unis a revendiqué haut et fort son statut de porte-parole des « Nègres blancs d’Amérique » en particulier avec la naissance du Front de libération du Québec [53] . C’est peut-être là, en Amérique du Nord comme en France et ailleurs, que nous pourrons retrouver la voie d’un combat réellement victorieux, émancipateur, anticapitaliste, anti-impérialiste, par-dessus « le narcissisme de nos petites différences » visibles, héritées, colorées, formalisées et engluées dans des revendications fragmentées et purement « sociétales », justement parce qu’elles ne sont plus sociales.

Le Deep State USAnien et son maillon faible français

Grâce à Wikileaks et aux lanceurs d’alerte qui se heurtent aujourd’hui à différents degrés de répressions visant entre autres Julian Assange, Chelsea Mannings et Edward Snowden, l’humanité a eu accès à de nombreux documents qui ont mis en lumière ce que tout chercheur de vérité critique soupçonnait déjà ou même savait sans avoir pour autant la preuve documentée de la source originale.

Pour confirmer notre thèse sur l’instrumentalisation des « minorités » par l’impérialisme US, nous citerons ici un document de Wikileaks la « Stratégie d’engagement pour les minorités », qui confirme que depuis fort longtemps l’ambassade des Etats-Unis en France cherche à jouer sur la question « identitaire » qui prouve encore une fois ce par quoi tout militant politique devrait commencer, à savoir qu’il faut toujours analyser au départ un événement en posant la vieille question « Cui Bono ? » ...
Dans l’intérêt de qui ?

Ce document [54] destiné au Département d’État à Washington est de première importance car il montre que depuis longtemps, en l’occurrence depuis au moins 2009 mais en fait depuis bien avant, il existe une stratégie organisée visant à pénétrer tous les milieux potentiellement influents en France ou pouvant jouer un rôle de fait « désagrégateur » de l’Etat-nation.

Ce que toute l’histoire de l’après-guerre a d’ailleurs, archives à l’appui, confirmé, avec la scission de la CGT et la création de FO, du parti « trotskyste-lambertiste », les aides à la création de l’EHESS pour contrebalancer le poids du CNRS jugé trop communisant, les stratégies de diffusion des films hollywoodiens, l’aide aux revues et think tanks libéraux ou de « gauche anticommuniste », à certains écrivains idolâtres des Etats-Unis ou d’Israël ce qu’on a appelé la « gauche américaine » de France [55] . Stratégie des USA qui s’est même parfois étendue à des étrangers, en particulier des chercheurs d’Europe de l’Est en séjour en France dans le cadre de la politique gaullienne de dépassement du clivage de la guerre froide Est-Ouest [56] .

Nous allons donc citer ici quelques fragments particulièrement révélateurs du rapport envoyé par l’ambassadeur des Etats-Unis à Paris de l’époque, Charles Hammerman Rivkin, nommé par le président Barack Obama le 1er juin 2009.
Un ambassadeur qui allait multiplier les efforts en direction des « minorités », des « banlieues », particulièrement des Noirs et des musulmans, alors même qu’il était connu pour ses sympathies envers l’entité israélienne et qu’il allait intervenir directement en 2013 auprès du gouvernement français pour que le patriote libanais pro-palestinien Georges Ibrahim Abdallah soit gardé en prison jusqu’à aujourd’hui en France, à l’encontre des principes même du droit et de la législation française.
Et qu’il allait en plus co-présider en juin 2014, avec son collègue ambassadeur US à Tel Aviv, le Groupe mixte de Développement économique Etats-Unis-Israël. Un personnage compétent et haut en couleur, « interventionniste libéral » néoconservateur mondialiste sans honte, connu pour ses vastes réseaux à Washington et en Californie, dans le monde politique, du business et de la culture. Il allait recevoir la Légion d’honneur de la part de François Hollande, puis la médaille vermeil de la ville de Paris de la part d’Anne Hidalgo, marque d’allégeance s’il en est de la « gauche caviardée » envers celui qui dirigeait la politique d’ingérence néoconservatrice de la puissance d’outre-Atlantique dans les affaires intérieures de la France.
C’est évidemment à partir de cela que nous devons juger les personnes qui ont accepté de serrer la main et de coopérer avec celui qui apparaîtra sans doute, comme le gouverneur colonial d’une France et l’entremetteur des « minorités » et des cercles musulmans de France à la recherche d’une « reconnaissance » et d’un statut de « nouvel Uncle Tom », de « nègre de maison », si bien analysé par Malcolm X et d’autres militants des mouvements d’émancipation noirs d’Amérique.

Voici ce que révèlent des fragments révélateurs de cet exemple emblématique de « soft power » US théorisé en 2009.

  • « ...restant fidèle à l’histoire unique de la France et de ses traditions, l’ambassade de Paris a créé une stratégie d’engagement pour les minorités qui englobe, entre autres groupes, les populations musulmanes françaises et répond aux objectifs du REFTEL A. Notre but est de motiver la population française à tous les niveaux pour augmenter ses efforts en vue d’atteindre ses propres idéaux égalitaires, et donc de promouvoir les intérêts nationaux américains (…) en mettant en place une stratégie agressive de communication envers les jeunes, (nous) encouragerons les discours modérés, propagerons les meilleurs pratiques, (...), en visant des dirigeants influents dans notre entourage proche, (…) La France a depuis longtemps été une championne dans le domaine des droits de l’homme et du respect des lois, à la fois sur son territoire national et à l’étranger, et se perçoit avec raison comme un leader historique au sein des nations démocratiques. (mais) (…) les institutions françaises ne se sont pas montrées assez flexibles pour s’ajuster à la démographie de plus en plus hétéroclite. Très peu de minorités tiennent des postes de dirigeants au sein des institutions publiques françaises. Comme le chantre de la diversité du président Sarkozy, Yazid Sabeg, l’a dit à l’ambassadeur Rivkin en décembre, l’Assemblée nationale « sert de miroir de la crise de la représentation en France » (REFTEL B) . L’Assemblée nationale, parmi ses 577 députés, compte un seul représentant noir de métropole, mais ne possède pas de députés d’origine arabe ou musulmane, alors que cette minorité représente approximativement 10% de la population. Il y a deux sénateurs musulmans (sur 343), mais pas de noirs, et seulement quelques sénateurs proviennent de minorités ethniques ou religieuses. Sabeg a également noté qu’aucun des 180 ambassadeurs français n’est noir, et seulement un est de descendance nord-africaine. Malgré la nomination par Sarkozy de ministres comme Rachida Dati, Fadela Amara et Rama Yade, les minorités sont toujours tenues à l’écart des institutions publiques ».

Ce constat nord-américain est certes tout à fait réel et il démontre que les élites françaises ont tendance à fonctionner en cercles ethniquement fermés (mais aussi et sans doute surtout socialement), ce qui mérite d’être souligné et combattu. Mais voir les Etats-Unis se placer en promoteur d’une diversité d’apparence pouvait déjà faire sourire à l’époque. Aujourd’hui, en connaissant les évolutions des statistiques de répressions du pays qui emprisonne environ 1/4 de la population carcérale du monde, en particulier celle issue des dites « minorités », c’est, comme on dit, « l’hôpital qui se fout de la charité », et ceux des « représentants » des minorités qui se sont prêtés à ce jeu sont les complices, du système néo-esclavagiste mondialisé mis en place par l’impérialisme yankee et son partenaire stratégique israélien.

Quand Rivkin constate donc le fait que en France « la politique élitiste et « familiale » est toujours de mise dans les institutions publiques, alors que l’extrême droite et les tendances xénophobes regroupent une petite (mais parfois influente) minorité », cela sonne incroyable quand on sait qu’il est au service de l’Etat et de dynasties politico-économiques inamovibles. Et que dire de cette prétention à constater dès lors que : « La France subit des conséquences néfastes alors que ses institutions dirigeantes n’arrivent pas à représenter la composition de la population. » ? Sans honte donc, notre ambassadeur croyait pouvoir déclamer dans ce rapport secret et devant le rester, il faut le rappeler, que :

  • « Notre stratégie comporte trois grandes cibles :
  • (1) la majorité, particulièrement les élites,
  • (2) les minorités, avec une attention particulière pour leurs dirigeants,
  • (3) la population générale. En employant les sept tactiques :
  • « Tactique 1 : S’engager dans un discours positif  : nous focaliserons notre discours sur le problème des discriminations. (…) nous mettrons en avant, parmi les qualités de la démocratie, le droit d’être différent, la protection des droits des minorités, la valeur de l’égalité des chances, et l’importance d’une représentation politique fidèle. (...) (en respectant) les deux vaches sacrées de France (la laïcité et le communautarisme), (et) (…) de montrer les coûts pour la France de la sous-représentation des minorités », et (...) nous continuerons et renforcerons notre travail avec les musées français et les enseignants pour réformer le programme d’histoire enseigné dans les écoles françaises, pour qu’ils prennent en compte le rôle et les perspectives des minorités dans l’histoire de France ».
  • « Tactique 2 : Montrer un exemple fort : (…) nous utiliserons l’outil de l’exemple. Nous continuerons à déployer nos efforts pour envoyer des dirigeants issus de minorités des Etats-Unis en France, et (…), En réunissant des groupes qui ne se rencontrent pas ailleurs, l’ambassade continuera à utiliser son image pour créer des opportunités de rencontres qui tranchent avec les barrières traditionnelles sociales et culturelles en France. »
  • « Tactique 3 : Lancer une campagne de sensibilisation agressive vers les jeunes  : (...) nous voulons gagner la confiance et améliorer notre compréhension des jeunes de différentes origines (...), nous voulons aider la prochaine génération française à améliorer sa capacité à diriger ses communautés, (...) pour influencer la jeunesse française, utilisant de nouveaux médias, des partenariats d’entreprises, compétitions nationales, événements ciblés de sensibilisation, et spécialement avec des invités américains, Nous développerons aussi de nouveaux outils pour identifier, apprendre des futurs dirigeants français, et les influencer, En même temps que nous développons les possibilités de formation et d’échange pour les jeunes Français, nous (...) nous baserons sur des réseaux de jeunes déjà existants, et en créerons de nouveaux sur Internet, connectant les futurs dirigeants entre eux... »
  • « Tactique 4 : encourager les voix modérées : nous allons encourager les voix modérées de la tolérance à s’exprimer (…) En s’appuyant sur notre travail avec les deux sites Web de premier plan axé vers les jeunes musulmans de langue française - oumma.fr et saphirnews.com – nous soutiendrons, formerons et nous investirons dans des médias et des militants politiques qui partagent nos valeurs . (Tout en cherchant) à « rencontrer les dirigeants modérés de groupes minoritaires, nous devons également intensifier nos efforts pour faciliter l’enracinement d’échanges inter-religieux. » (...) pour enseigner la tolérance actuellement employées dans les mosquées, synagogues, églises et autres communautés religieuses américaines. Nous allons dialoguer directement avec le ministère de l’Intérieur afin de comparer les approches américaine et française sur l’appui à donner aux leaders des minorités qui cherchent la modération et la compréhension mutuelle (…) »
  • « Tactique 5 : propager les meilleures pratiques : partager les meilleures pratiques avec les jeunes dirigeants de tous domaines, incluant les jeunes dirigeants politiques de tous les partis modérés (…) Nous créerons et encouragerons la formation et les programmes d’échange qui enseignent la valeur pérenne de l’intégration aux écoles, associations, bloggeurs, conseillers politiques et politiciens locaux. Grâce aux programmes de sensibilisation, les agents de toutes les sections de l’ambassade interagiront et communiqueront avec ces mêmes groupes nos meilleurs pratiques pour favoriser l’égalité des chances pour tous les américains (...) ».
  • « Tactique 6 : Approfondir notre compréhension du problème : (…) Nous innoverons en examinant comment la propre structure de certaines institutions françaises peut limiter la représentation des minorités parmi les élus et les plus hauts échelons de l’administration. En examinant attentivement des développements importants, comme le débat sur l’identité nationale (REFTEL B), nous voulons identifier les tendances, et idéalement prédire le changement de statut des minorités en France (...) »,
  • « Tactique 7 : Intégrer, cibler et évaluer nos efforts : (… un espoir grandissant qu’eux eussi peuvent représenter leur pays chez eux et à l’étranger, et même un jour arriver au sommet de la vie publique française en tant que président de la république. »  [57]

L’ambassadeur proclamait ici clairement que sa visée qui se veut « modérée » sous-entend, par ce vocable, en fait l’acceptation par tous les peuples, dont le peuple français, majorité et minorités confondues, du rôle de puissance dominante des Etats-Unis censées avoir une « Destinée manifeste » et un « droit d’ingérence » universel exceptionnel qui passe par la fragmentation des sociétés concurrentes.

C’est dans ce contexte qu’il faut replacer les raisons qui font que l’ambassade des Etats-Unis à Paris s’intéresse de près aux banlieues françaises et en particulier aux musulmans qu’il faut « décrocher » de leurs revendications sociales, anti-impérialistes et antisionistes, en organisant tout particulièrement des voyages outre-Atlantique tous frais payés, des réceptions de personnes ciblées correspondant aux intérêts des « visiteurs », et en organisant aussi de discrets déplacements de l’ambassadeur dans le département de Seine-St-Denis, des financements de projets cinématographiques, culturels, ou directement plus politiques dans les quartiers défavorisés.

On peut parler de manœuvres d’approche, de subversion, de manipulation, de pénétration et d’ingérence de la part de diplomates américains qui, si ces activités provenaient d’un autre pays, seraient dénoncées hauts et forts. On peut donc affirmer que les politiciens de Washington dans leur stratégie mondiale ont décidé de draguer ouvertement les représentants désignés et promus des « minorités visibles », tout particulièrement dans les « cités » d’Ile-de-France et les « quartiers » de Marseille ou de Lyon.

Ce programme « star » du département d’État des USA a été intitulé "International Visitor Leadership" et il existe en fait dans une version première perpétuellement renouvelée depuis la fin des années 1940 et touche tous les « alliés » de Washington, mais aussi ses « ennemis ». Il consiste à repérer les « leaders » de demain dans tous les pays du monde, en particulier dans les pays les plus stratégiques, pour les envoyer aux Etats-Unis pour un séjour d’environ trois semaines tous frais payés au cours duquel des contacts clefs et des liens durables sont enclenchés.

À étudier la liste des anciens « visiteurs », on comprend qu’il s’agit de chasser des têtes qui ne sont pas prises au hasard puisque parmi les anciens invités on notera, il y a bien des années les fondateur de l’Union Européenne comme Robert Shuman, Paul Henri Spaak, Jean Monnet [58] , entre autres et plus tard des personnages jeunes à l’époque comme Valery Giscard d’Estaing, Lionel Jospin, Alain Juppé, Pierre Bérégovoy, Raymond Barre, Nicolas Sarkozy, François Fillon, sept ministres français en exercice, seize sénateurs, trente-huit députés, ou encore Tony Blair, Gordon Brown, Romano Prodi, Gerhard Schroeder.
Parfois on peut constater qu’il y a des « ratés » mais dans la plupart des cas, ces « young leaders » ont effectivement contribué à faire évoluer la droite ou la gauche de leur pays dans une direction néolibérale et impérialisto-compatible.

Chaque année, c’est donc plus de 5 000 "visiteurs internationaux", venus de pratiquement tous les pays de la planète qui débarquent à Washington dans le cadre de ce programme de formation politique. En France, cela concerne plus d’une trentaine de personnes ayant autour de trente ans qui font chaque année ce voyage. Parmi eux et au regard des documents officiels et publics, un quart d’entre eux provient désormais de ce qu’on a baptisé sur les bords du Potomac "la diversité".

Citons à titre d’exemple « l’essayiste » médiatiquement promue Rokhaya Diallo, le rappeur Ekoué Labitey ou l’ancien sous-préfet de Seine-Saint-Denis, Fayçal Douhane. Notons également le fait non négligeable au regard de cette initiation outre-Atlantique que Rokhaya Diallo s’est vue par la suite financée par le journal Libération bien intégré au système de propagande euro-atlantique dans sa version « gauche sociétale », pour écrire un long article en forme d’apologie sur le mouvement Black Lives Matter.
Rokhaya Diallo est aussi appréciée par l’Open Society Institute de Georges Soros. Elle est par ailleurs liée à Sami Debbah, un des cadres du Collectif contre l’Islamophobie en France (CCIF), association dont on sait qu’elle a été financée (au moins autrefois) par Soros. On ne s’étonnera donc pas qu’elle apparaisse en tête des manifestations dénonçant tout à la fois le crime contre Georges Floyd ou celui contre Adama Traoré.

Une gauche anti-impérialiste post-immigration ?

Par rapport aux positions racialistes et/ou « indigénistes » revendiquées par les organisations et les personnalités ayant été ouvertement en liaison avec l’ambassade des Etats-Unis ou l’Open Society pour qui la question qui se pose est celle de l’accès des « élites » issues des « minorités » à des positions de « leaders », des militants plus proches des positions anti-impérialistes et antisionistes ont émergé dans les « quartiers populaires », et l’on doit poser la question de leur indépendance, réelle ou simplement verbale, à l’égard de l’impérialisme des Etats-Unis.

Le Comité Vérité et Justice pour Adama, par exemple, s’est formé autour du drame vécu dans la famille Traoré dont un des enfants, Adama, est mort dans les locaux de la police, ce qui nourrit de solides soupçons d’assassinat. Un des militants de ce comité de soutien à la famille Traoré, Youcef Brakni, est connu pour ses prises de position radicales à la fois sur les questions du racisme et de l’islamophobie mais aussi sur les questions des rapports sociaux et de classe.

Youcef Brakni est quelqu’un qui n’a pas hésité à citer publiquement lors d’un conseil municipal de sa ville de Bagnolet et dans une même phrase Muhammad, le prophète de l’islam, et Mao Zedong, le révolutionnaire communiste qui a libéré la Chine de la domination impérialiste. Youcef Brakni ne fait pas silence sur ses opinions et ses contacts au sein de la gauche radicale française et son association ont participé au mouvement des Gilets jaunes, qui avait assez peu mobilisé dans les populations d’origine immigrée.
Dans ce contexte, la participation à plusieurs reprises du Comité Adama aux manifestations des Gilets jaunes au nom de la solidarité des opprimés, des exclus et des marginalisés apparaît comme un acte de lucidité qui permet de penser qu’on n’a pas affaire à un opportunisme comparable à celui manifesté par une Rokhaya Diallo, sans parler de tous les « beurs&blacks de service » promus à des fonctions ministérielles de figuration sous les présidences Sarkozy, Hollande ou Macron.

Les liens entretenus par le Comité Adama dans les quartiers avec des syndicalistes ou des communistes semblent aussi aller dans ce sens, même si des rumeurs de séjours aux Etats-Unis de certains de ses militants ou de contacts suivis avec des personnes liées de la « transversalité » aux mouvances identitaires, racialistes ou théologico-communautaristes laissent planer aux yeux de certains des doutes sur l’anti-impérialisme ou la radicalité conséquente d’une partie de ses militants.

On aura remarqué aussi que, lors de la manifestation en principe interdite devant le palais de justice de mardi du 2 juin 2020 il s’est trouvé un des organisateurs, juché sur un monticule pour exiger publiquement d’une militante CGT venue à la manifestation qu’elle se retire avec son drapeau [59], ce qui laisse penser qu’il y a une tentative d’infiltration d’éléments voulant « racialiser » le mouvement pour empêcher les convergences.

On aura aussi remarqué lors de cette manifestation que trop de slogans étaient en anglais, qu’ils reprenaient une symbolique venue d’outre-Atlantique et que plusieurs pancartes arboraient le fameux poing d’Otpor, l’organisation des « révolutions colorées à l’américaine ». Tout cela laisse planer le soupçon de récupération du mouvement de protestation.

Adama Traoré est mort en 2016 et l’on ne peut que s’étonner que la justice française ne soit toujours pas parvenue à clore l’enquête et à répondre aux exigences d’impartialité, ce qui, bien entendu, soulève les soupçons. Cette affaire est du coup devenue emblématique pour les habitants des quartiers subissant les humiliations à répétition et les violences des forces de répression.

Les médias français n’ont de leur côté vraiment remarqué ce scandale qu’il y a peu, à partir du moment où, dans la foulée du meurtre de George Floyd aux USA et alors que, sortant du confinement et de la gestion erratique de la crise économique et de la pandémie du covid19, le mécontentement en France resurgissait. La première manifestation post-confinement, celle réussie du samedi 30 mai 2020 prévue à l’origine à la veille du confinement pour les sans-papiers vivant dans des conditions d’extrême précarité. Le caractère massif de la mobilisation du 2 juin n’est pas étranger à la frustration qu’ont subi pendant le confinement les quartiers surpeuplés, en particulier depuis l’assassinat de George Floyd qui peut assez facilement être associé à la mort d’Adama Traoré.

La séparation des pouvoirs pour quoi faire ?

On peut accuser le gouvernement français de beaucoup de choses, mais on ne peut pas ne pas lui reconnaître une grande compétence dans la façon de faire passer, en force ou en douce selon les occasions qui se présentent, les lois les plus scélérates.

Quand Emmanuel Macron demande à sa Gardienne des Sceaux de « se pencher » sur le dossier d’Adama Traoré toujours à l’instruction et de recevoir sa famille, il ne peut pas ignorer qu’il s’attaque au principe même d’indépendance et d’impartialité qui est censé caractériser le fonctionnement de la justice française, quoiqu’on pense de la façon dont il a déjà été dans les faits violé à plusieurs reprises au cours des années précédentes, mais jamais de façon aussi péremptoirement illégale.

Voilà que, par le fait même, les magistrats et les policiers aux ordres se retrouvent désormais esseulés et nus comme un ver devant un pouvoir qui les a auparavant instrumentalisés et qui semble aujourd’hui prêt à les ignorer.

Il est devenu indispensable que les Gilets jaunes, les syndicats de base dans les entreprises, les bases politiques et militantes, la France profonde et périphérique, les « issus de l’immigration » de première, deuxième, troisième, quatrième ou nième génération (!) fassent front commun pour imaginer et forcer la naissance d’une nouvelle société.


Article écrit avec l’apport d’informations collectées par Badia Benjelloun.


[1Fred Hampton fut un des dirigeants les plus populaire du parti des Black Panthers. Il fût assassiné pendant son sommeil dans une opération du FBI, sur ordre de J. Edgar Hoover.

[2« 7 jours en mai », un film de John Frankeinheimer, 1964

[4L’Assemblée des Assemblées s’est déroulée à Toulouse du 6 au 8 mars 2020.

[5Donald Trump s’est auto-proclamé l’auteur et propriétaire de la marque déposée « Let’s make America great again », en fait c’est l’ancien président Ronald Reagan qui en était à l’origine, Bill Clinton y avait eu également recours.

[6« Néolibéralisme contre souveraineté », Tamara Kunanayakam, La Pensée libre n°155, novembre 2018.

[7Antonio Gramsci (1891-1937), Cahiers de prison.

[8« Moscou soutient les troubles aux USA » Al Manar, 7 juin 2020.

[9Le général du corps des marines et ancien ministre de la défense de Trump James Mattis, surnommé « mad dog Mattis », « le Moine soldat » ou encore « Chaos » s’est illustré en Irak dans les massacres de Falloujah commis par l’armée US.

[10La consultation des newsletters « Defense one » ou « The D brief » que rédigent quotidiennement un groupe de hauts-fonctionnaires du Pentagone est éloquente quant à l’esprit qui règne au sein de l’état major militaire américain.

[11La guerre de sécession aux Etats-Unis dura de 1861 à1865.

[12©

[13« Trump appelle à libérer des états gouvernés par des démocrates », Le Point 18 avril 2020.

[14« On a créé un espace sur pour tous, à Seattle des manifestants organisent une zone autonome », The Observer, 12 juin 2020.

[15L’appellation « d’Américains » pour qualifier les habitants des seuls USA provoque de nombreuses réticences chez les autres peuples des Amériques. Ce qui explique pourquoi, au sud du Rio Grande, on a tendance à utiliser l’appellation de « Nord Américains », ce qui ne convient pas non plus aux Canadiens, aux St-Pierre et Miquelonais ou aux Groenlandais, d’où l’invention au Québec du terme « Usanien » pour qualifier leur voisin du sud, alors que, en France ou ailleurs dans la francophonie, c’est l’appellation « Etasuniens » que certains tentent de généraliser. Nous utilisons dans cet article alternativement toutes ces appellations pour habituer le lecteur à se poser cette question et tenter d’y trouver une réponse satisfaisante et à terme consensuelle ...tant que les Etats-Unis continueront à exister.

[16Alan Greenspan, ancien Président de la Réserve fédérale américaine mettait alors en garde (en 1996) contre une surévaluation du marché des actions.

[17Chiffres au 12 mai 2020. John Hopkins University dashboard

[18Chiffres enregistrés entre le 18 mars et le 19 mai. « Tale of two crisis : billionaires gain as workers feel pandemic pain », publiée par « Americans for tax fairness » et « Institute for Policy Studies », Anguille sous roche, 23 main 2020.

[19La fortune de Jeff Bezos est estimée à 153 milliards de dollars, Business Insider, 6 octobre 2018

[20« Trump annonce des aides massives aux entreprises », France 24, 17 mars 2020.

[21Anuja Sonalker de Steer Tech aime à répéter « Les humains sont des risques biologiques, les humains ne le sont pas » in « Sreen new deal », The intercept, Naomi Klein, avril 2020.

[22« L’Amérique s’embrase, la révolte de la jeunesse américaine », Jacob Cross, les 7 du Québec, 10 juin 2020.

[23Sun Tzu, L’art de la guerre

[24« Néoliberalisme contre souveraineté » Tamara Kunanayakam, La Pensée libre n°155, novembre 2018.

[25« En France les Eglises évangélistes consolident leur croissance », la Croix, 4 janvier 2017.

[26Le « United Nation global compact » fut lancé par Kofi Annan au Forum de Davos en janvier 1999. Bill Jordan secrétaire général de la CISL depuis devenue CSI y apporta son soutien.

[27Interview croisée, « Face à la crise il faut sortir du système néolibéral et productiviste » CGT/Greenpeace/Attac, Le Monde, 27 mai 2020.

[28« Paulo Guedes, le gourou ultralibéral de Jair Bolsonaro » France 24, 11 octobre 2018.

[29« Néolibéralisme versus sovereignty. The case of Sri Lanka », Tamara Kunanayakam, Sri Lanka Journal of economic research n°6, Sri Lanka Forum of University Economists, Colombo

[30Otpor a été créé en 1998, elle a pour fondateur Srdja Popovic co-fondateur du Mouvement Canvas (Centre for Applied Nonviolent Action and Strategies) impliqué dans plus de 50 pays. Il est financé par Georges Soros, l’International Republican Institute et le National Endowment for Democracy (NED).

[31Gene Sharp (1928-2018) est un philosophe américain qui a théorisé et inspiré les « révoltions de couleurs » réussies ou tentées en Serbie, Ukraine, Kirghizstan, Géorgie, Belarus et le « printemps arabe ».

[32Ahmed Bensaada, « Arabesques », enquête sur le rôle des Etats unis dans révoltes arabes », Investig’Action, 15 mai 2015.

[33Le NED est actuellement présidé par Carl Guershman. Dans son Conseil d’administration où avaient siégé Condolezza Rice, ancienne secrétaire d’état de George Bush, et Franck Carlucci, ancien patron de la CIA, on trouve aujourd’hui la fine fleur des néo-conservateurs et, parmi eux, Victoria Nuland cheville ouvrière du coup d’état en Ukraine et épouse de Robert Kagan théoricien du néo-conservatisme, et Elliot Abrams, actuellement détaché en Colombie pour organiser la subversion au Venezuela.

[34FED, réserve fédérale des Etats-Unis.

[35« Comment Georges Soros a infiltré la Cour européenne des Droits de l’Homme », Bastien Lejeune, Valeurs actuelles, 20 février 2020.

[36Cité par Tamara Kunanayakam, voir note 30, voir également « L’après ne sera pas favorable à une société de gauche, mais à des mesures néolibérales », Philipp Mirowski, Libération, 28 avril 2020.

[37La fortune de Mark Zuckerberg est estimée à 74,1 milliards en 2019.

[38« La Syrie à Seattle, la commune défie le régime US » Pepe escobar, Mondialisation.ca, 12 juin 20120.

[39McIntosh, Peggy (2019). On Privilege, Fraudulence, and Teaching As Learning : Selected Essays 1981-2019 (pp. 107–118). New York : Routledge.

[43Voir les révélations d’Edward Snowden à ce sujet < https://fr.wikipedia.org/wiki/Five_Eyes > et le film < https://citizenfourfilm.com >

[44Joseph Nye est professeur à l’Université de Harvard, c’est un analyste des relations internationales, par ailleurs membre de la Trilatérale.

[45Lire à ce propos la brochure de Francis Arzalier : Les luttes de classe en France : Novembre 2018 - été 2020

[46l’AMGOT, ou American Government for Occupied Territories, était le plan prévu par les Etats-Unis pour gérer les pays libérés de l’occupation nazie et devant être occupés par l’armée US chargée de préparer leurs institutions d’après guerre sur un mode capitaliste libéral anglo-saxon. En France, c’est la force de la résistance patriotique qui a finalement permis de former un gouvernement national indépendant sous l’égide du Conseil national de la Résistance qui a pu empêcher la transformation de la France en zone d’occupation militaire des Etats-Unis.

[48« The white man’s burden » poème de Rudyard Kipling,

[50Pepe Escobar déjà cité

[51Pepe Escobar cité plus haut dans Mondialisation.ca

[54« Wikileak » Confidential section 01 of 04 Paris 000058. fm amembassy Paris. to ruehc/secstate washdc priority 8075

[55Frédéric Charpier, La CIA en France. 60 ans d’ingérence dans les affaires françaises, Seuil, 2008.

[56Voir à cet égard, Bruno Drweski, Une Solidarité qui a coûté cher – Histoire populaire de Solidarnosc, Delga, 2019

[57Source originale :viewing cable 10paris58, embassy paris - minority engagement strategy http://46.59.1.2/cable/2010/01/10paris58.html

[58Lire le remarquable ouvrage d’Annie Lacroix-Riz sur « la Non-épuration en France », Armand Collin, Paris 2019

   

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