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Bolivie : Interview d’Evo Morales

mardi 16 juin 2020 par Stella Calloni

Un peu plus de six mois après le Coup d’État du 10/11 novembre 2019 en Bolivie contre le Président Evo Morales, actuellement réfugié en Argentine, ce dernier nous met en garde sur la situation désastreuse de son pays, soumis à un gouvernement de fait dirigé par la présidente autoproclamée Jeanine Anez qui non seulement réprime la population, provoquant des massacres, pourchassant et emprisonnant les dirigeants et militants politiques, mais détruit aussi de manière systématique le modèle social, économique et les avancées réalisées par le gouvernement renversé du MAS.

Aujourd’hui, le pays est confronté à la pandémie de Covid-19 sans pouvoir compter sur la présence de l’État, tandis que les menaces militaires se multiplient et que des tanks de guerre continuent d’affluer ces derniers jours de l’intérieur du pays vers la ville de La Paz, dénonce l’ex-Président dans une interview à Buenos-Aires.

Interrogé sur la situation générale de son pays, il rappelle que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait recommandé une quarantaine stricte en Bolivie que la présidente de fait n’a pas appliquée, et que la situation des familles les plus modestes s’est gravement détériorée dans des régions comme le département du Beni, le plus touché aujourd’hui par l’expansion rapide du Covid-19.

Q. : Vous dénoncez l’absence de l’Etat dans des circonstances encore aggravées par des mouvements de troupes...

Morales : C’est le constat qui a été fait dans tout le pays. Malgré le système de santé bien organisé que nous avons laissé, l’État reste absent face aux circonstances actuelles, incapable de protéger la population des effets mortels du virus. Avec cette pandémie, tout a basculé.

Entre 1985 et 2005, en vingt ans de néolibéralisme, seuls 500 millions de dollars ont été investis dans la Santé. Entre 2006 et 2018, nous avons investi 600 millions de dollars supplémentaires et des hôpitaux ont été aménagés et habilités, y compris de deuxièmes et troisièmes niveaux et sans compter les postes sanitaires. Je citerai pour exemple le cas de Montero, dans le département de Santa Cruz où nous avons construit un hôpital très important que les putschistes ont paralysé.

C’est sous notre gouvernement qu’un programme d’Assurance Universelle de Santé a vu le jour. En à peine dix mois, dix millions de consultations gratuites ont eu lieu et aujourd’hui, les putschistes ont bloqué ce service d’Assurance universelle. Voir ce système d’assurance abandonné, détruit, est incompréhensible pour nous, nous qui garantissions la présence de l’État. Nous étions pourtant sur la bonne voie. Mais les putschistes ont préféré détruire tout le système de santé que nous avions mis en place.

Q. : Vous avez toujours mis l’accent sur ce projet. Comment auriez-vous réagi face à la pandémie si vous étiez resté au gouvernement ?

Morales : Notre système de santé aurait tout simplement fonctionné ce qui aurait entraîné un changement radical de la situation. Immédiatement après le coup d’état, les médecins cubains présents dans le pays ont été maltraités et expulsés du pays alors qu’ils étaient venus offrir leurs services en toute gratuité, ne demandant rien en échange et effectuant un travail de première importance.

Ils ne sont pas venus dans l’intention de privatiser mais pour nous soutenir dans notre projet de santé pour tous. Je me souviendrai toujours de ce que m’a dit un jour Fidel Castro : "Nous partageons le peu que nous avons, tout particulièrement ce qui relève du droit à l’éducation et à la santé." Fidel sera toujours à mes yeux l’homme le plus solidaire du monde.

En plus du personnel médical, Fidel nous a aussi envoyé des professeurs dans le cadre de notre programme d’alphabétisation avec le dispositif "Oui je peux" et nous sommes venus à bout de l’analphabétisme. A cela s’ajoute le Bon Juancito Pinto qui nous a permis de mettre fin à l’abandon de la scolarité, qui était très fréquent en Bolivie. Après avoir été alphabétisées, beaucoup de femmes ont voulu continuer à étudier et nous leur avons apporté une aide énorme pour leur faciliter l’accès à l’enseignement secondaire... Il nous est souvent arrivé de voir, avec une grande émotion, mères et filles devenir bachelières en même temps. Nous nous sommes rendus compte que ce n’était qu’une question de motivation, d’orientation et d’encouragement.

A mes yeux, il s’agit là d’un service rendu à la Patrie, en toute transparence, et détruire tout cela est inhumain.

Q. : Comment évaluez-vous la situation politique actuelle ?

Morales. : Nous pensons que ce gouvernement n’a jamais été "de transition" comme il le prétend. C’est un gouvernement de fait, une dictature, comme celles du Général Hugo Banzer (1971-1978) et de Luis Garcia Mesa (1980-81).

La Bolivie est en train d’être gouvernée par les Nord-américains, par la CIA. Le conseiller privé de la présidente de fait (Erick Foronda) a été conseiller auprès de l’Ambassade des États-Unis et l’ex-Ministre de la Santé (Marcelo Navajas) était le médecin de l’Ambassade tout en dirigeant une clinique privée, ce qui était contraire à la Constitution. Il est d’ailleurs impliqué dans le cas des surfacturations des respirateurs qui viennent d’être achetés et lors de l’enquête qui a été menée ensuite, il a clairement affirmé que ce surcoût avait été décidé par la Présidente et le Ministre du Gouvernement. Il l’a avoué après avoir été arrêté et emprisonné. Mais ce cas et d’autres similaires ont mis en évidence la profonde corruption du Gouvernement de fait, qui cherche maintenant à suspendre définitivement les élections.

Q. : La Présidente autoproclamée devait rester en poste de manière transitoire, uniquement pour organiser de nouvelles élections. Avait-elle le pouvoir de changer son Cabinet et prendre les décisions qu’elle a prises ?

Morales. : La seule chose qu’était tenue de faire Añez, était d’organiser rapidement de nouvelles élections. Maintenant elle se présente elle-même comme candidate à la Présidence, ce à quoi nous ne nous opposons pas (bien que des observateurs de l’ONU l’aient contesté). Mais ce qu’elle est en train de faire avec le soutien de la Droite, sous les instructions politiques des États-Unis, c’est de repousser indéfiniment les élections. Elle essaie au moyen d’un décret de remettre en vigueur la constitution de 1994 qui inhabilite et proscrit le MAS. Elle va même jusqu’à menacer le Sénat. Empêcher les élections, tel est l’objectif de la Droite.

Avant la pandémie, le MAS était porté gagnant et il l’est toujours. C’est pourquoi un important débat a lieu entre nous sur le thème électoral ​par rapport à notre mouvement.

Le Gouvernement de fait a aussi engagé des actions contre la loi 421 sur la répartition des sièges. Son objectif est clair : approfondir la crise pour que les élections n’aient pas lieu et qu’elles soient reportées. Le peuple Bolivien se bat pour récupérer ses droits spoliés.

Q. : Vous dénoncez aujourd’hui un mouvement de tanks de guerre venus prendre position dans les casernes militaires de la ville de La Paz, alors que le chef des Forces Armées, le Général Sergio Carlos Orellana, vient récemment de se présenter en uniforme militaire à la Chambre des Sénateurs pour faire signer les nominations, en menaçant les sénateurs que s’ils ne les approuvaient pas, elles le seraient de toute façon par la législation militaire. Qu’en pensez-vous ?

Morales. : La Présidente du Sénat, Eva Copa, leur a répondu que les Sénateurs ne céderaient pas aux pressions militaires et à celles du Gouvernement. Il semble qu’il s’agit là d’un nouveau coup d’état qui aggrave encore le cas du pays vis-à-vis du monde entier, avec la poursuite de ces tentatives d’empêcher tout processus électoral. C’est ce qui nous autorise à parler de Dictature.

Pour ce qui est des tanks, on ne lutte pas contre une pandémie avec des chars d’assaut, des fusils et des gaz lacrymogènes, mais avec la présence active de l’État face à la gravité de la situation sociale. Il faut des aliments de toute urgence. Le gouvernement a créé un Bon insignifiant de 500 bolivianos pour deux mois, alors que les employés du secteur pétrolier reçoivent 416 bolivianos par jour.
Sous notre gouvernement, nous leur accordions un bon alimentaire de 150 bolivianos par jour. Ce montant a donc augmenté jusqu’à 416 mais ils n’en perçoivent toujours que 150 : le restant disparait dans les commissions, le vol et la corruption.

Ce soir, 29 mai, j’étais en communication avec la Bolivie et on nous a appris que trois nouveaux tanks sont arrivés à la Paz. La semaine dernière, dix tanks étaient déjà arrivés depuis les localités de Tapalca et Coro-Coro où se trouvent des casernes rurales. Il doit en arriver huit autres de Patacamaya (située à 98 km de la capitale), toujours à destination de La Paz alors que qu’il y en avait déjà quatorze dans les régiments de la ville.

Hier, Añez a pourtant annoncé un assouplissement de la quarantaine. Alors pourquoi ce déploiement de tanks de guerre ? Encore une fois, on ne lutte pas contre une pandémie avec des tanks, des fusils et des gaz lacrymogènes, les élections ne se déroulent pas non plus sous la menace de chars d’assaut.

D’autre part, nous voyons les habitants solidaires de la région tropicale de Cochabamba, qui apportent des fruits et des aliments aux populations voisines qui en manquent, partageant le peu qu’ils ont, se faire arrêter et emprisonner ainsi que des Maires de certaines localités, le gouvernement provoquant ainsi toujours plus de confits avec les citoyens.

Q. Comment jugez-vous la situation de la région en ce moment, avec l’ingérence des États-Unis dans divers pays dont les peuples sont en résistance ?

Morales. : Nous assistons à une lutte des peuples de toute la région contre la domination, l’interventionnisme, les agressions et la politique économique qui leur est imposée. Je ne comprends pas comment le Président des États-Unis peut décider de rompre avec l’OMS, ce qui veut dire qu’il est contre la vie, celle des plus humbles. Détruire ou quitter des organisations internationales créées par les Nations-Unies est gravissime. Nous ne nous trouvons pas face à une pandémie mais à une guerre biologique et économique.

Je me souviens qu’il y a quelques années j’ai lu que diverses organisations internationales et le Fond Monétaire International (FMI) ont argumenté sur le fait qu’en politique, dans l’objectif d’un Nouvel Ordre Mondial, un plan de réduction de la population non-nécessaire devait être établi.
De quelle population "non-nécessaire" s’agit-il ?
Des petites gens, des personnes du troisième âge, des handicapés, des pauvres ?
Et voilà que nous arrive une pandémie. Je pense qu’il s’agit réellement d’une guerre biologique, au vu de ce qui se passe aux États-Unis. Cette puissance mondiale considère la population superflue comme un lourd fardeau et abandonne son peuple au virus. Les États-Unis ont cessé d’être une grande puissance mondiale, car la troisième guerre en cours, c’est la Chine qui l’a gagnée sans tirer un seul coup de feu.

Avec une population de 1 milliard 500 millions d’habitants, elle a pris le contrôle de la situation tandis que la grande puissance mondiale est le pays où l’on compte le plus grand nombre de morts alors qu’il continue à imposer ses sanctions et blocus à Cuba, au Venezuela, au Nicaragua et à d’autres pays. Il continue à investir dans des interventions militaires et rompt toutes relations avec les organismes internationaux ; la pandémie a révélé qu’il n’y existe pas de système de santé pour faire face à la pandémie.

La santé est un droit humain, le monde entier devrait admettre cela. La vie humaine n’est pas une marchandise, et on ne peut pas en finir avec un système de santé public pour en revenir à un système privé. La santé n’est pas un business, les industries pharmaceutiques existant à travers le monde ne devraient pas se retrouver entre des mains privées, elles ne devraient pas se mettre à chercher comment en terminer avec la vie d’êtres humains.
Les nations doivent débattre sur ces thèmes et les recherches dans le domaine de la santé doivent relever de l’État.

Q. : Comment se traduit l’ingérence des USA en Bolivie ?

Morales. : Sous la direction des États-Unis, toutes les réalisations de notre gouvernement et d’une Constitution saluée par le monde entier pour son concept de République Plurinationale ont été réduites à néant.

La Bolivie fait face à une double pandémie : l’une s’attaque à la vie et l’autre à l’économie.
La première nous tue au moyen d’un virus, et celle de la dictature au moyen de la famine et de la répression, en paralysant l’appareil productif. La dictature d’Añez, de Carlos Mesa et de Fernando Camacho détruit notre économie et notre productivité grâce à la corruption et au népotisme. Toutes les entreprises publiques sont à l’arrêt, c’est lamentable. Il n’y aura plus de ressources disponibles pour les fonds sociaux et les rentes.

Aujourd’hui, à cinq heures du matin, nous en avons discuté avec les camarades et au sujet du lithium. Rappelons-nous qu’en septembre 2018, nous avions inauguré la première usine de lithium et de chlorure de potassium. En décembre de la même année, nous exportions 15 000 tonnes de lithium au Brésil, et l’année dernière 200 000 tonnes. On m’a informé que depuis janvier de cette année 2020, cette usine est à l’arrêt et qu’on ne produit plus de chlorure de potassium ni d’urée.

En seulement 60 jours, cette production a été interrompue alors que nous aurions été en mesure d’exporter 350 000 tonnes au Brésil et en Argentine, sans compter d’autres pays. Cette année même, nous devions lancer l’industrialisation du lithium et là voilà stoppée. Assister à ce saccage de notre économie, à la fermeture de nos entreprises publiques fait mal à en pleurer.

Q. : Ces dommages paraissent quasiment irréversibles dans certains cas, cela signifie davantage de pauvreté, de chômage et représente un véritable retour en arrière...

Morales. : C’est exactement cela. Ils sont en train de tout détruire sous le prétexte que les entreprises publiques ne sont pas rentables et qu’il faut les privatiser. C’est pourquoi j’affirme que ce coup d’état est le fait du "gringo" contre l’Indien qui a démontré qu’un autre monde est possible, qu’une autre Bolivie était possible.

C’est un coup d’état contre notre modèle économique qui a vu le jour sans l’assistance de l’Ambassade des États-Unis, de l’USAID (Agence Internationale pour le Développement) et du FMI. Nous avons démontré qu’il était réalisable sans la participation des USA, de l’ATPDEA (Loi des Préférences Douanières Andines et de l’Éradication de la Drogue). Pourtant, ni les USA ni ces organismes dont le FMI ne sont capables de présenter un modèle différent.

Les USA n’ont pas d’autre modèle à présenter que le système capitaliste. Ce modèle signifie pauvreté, inégalité et mort. Ce coup d’état a aussi pour objectif de faire main basse sur le lithium. Nous avons prouvé que nous sommes capables de l’industrialiser nous-mêmes et voilà que le gouvernement actuel le cède aux États-Unis ; la privatisation de son exploitation n’est plus qu’une question de temps.

Le peuple est capable de tout et il l’a prouvé, non pas au moyen de la violence, mais par la solidarité démocratique. C’est pour cela que nous voyons des dirigeants du MAS persécutés, devenus prisonniers politiques ou réfugiés à l’Ambassade du Mexique. Nous exigeons la libération de ces prisonniers et qu’on en finisse avec cette répression et ces exactions contre le peuple sans défense.

Q. : Pour terminer, que pensez-vous des agissements de la presse hégémonique dans des circonstances aussi graves pour l’humanité, et qui répand plus que jamais des fausses nouvelles sur les réseaux sociaux et dans les médias ? La désinformation est-elle une arme de guerre ?

Morales. : Les peuples résisteront. Les temps sont difficiles et la lutte menée par les peuples est primordiale car ce sont des temps de libération. Les faits montrent que cette guerre menée par les médias est dépassée par la réalité que vivent les peuples.

L’impérialisme nord-américain a trouvé le moyen de diviser les Latino-américains, et à nous confronter aux Boliviens qui font usage de cette presse. C’est pourquoi l’intégration dans l’UNASUR (Union des Nations Sud-américaines), la CELAC (Communauté des Nations Latino-américaines et des Caraïbes), ces espaces créés par Fidel, Hugo Chavez, Nestor Kirchner, Lula (Luiz Inacio "Lula" Da Silva) est si importante.
Ils nous manquent cruellement en ce moment, tout comme Rafael Correa, Daniel Ortega, Fernando Lugo et d’autres.

Les États-Unis tentent de faire définitivement de l’Amérique Latine leur arrière-cour mais nous savons de quelle résistance sont capables les peuples de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua. La lutte de nos peuples est primordiale. Les États-Unis cherchent à nous diviser pour s’accaparer nos ressources naturelles.

Mais nos peuples n’accepteront jamais leur domination et leur pillage. Les États-Unis sont en pleine décadence mais ils frappent dur. Si cette pandémie n’avait pas touché la Bolivie le 3 mai dernier, nous aurions déjà récupéré notre Patrie, notre Démocratie et notre Processus de Changement. La pandémie est arrivée comme un anneau au doigt de la dictature qui veut changer définitivement notre modèle bolivien, qui était pourtant un modèle exemplaire.

Les États-Unis veulent la dictature, pas des élections.

Nous savons bien que lorsque les gringos mordent, ils ne lâchent plus le morceau. Mais nous sommes persuadés que nous serons bientôt des millions à revenir en Bolivie pour y restaurer la dignité et la démocratie et récupérer notre patrie.

Source : Resumen LatinoAmericano - Traduction Frédérique Buhl pour Bolivar Infos


Voir en ligne : https://www.les2rives.info/intervie...

   

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