Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > International > Une Pologne qui cherche toujours sa place sur la carte

Une Pologne qui cherche toujours sa place sur la carte

lundi 11 mai 2020 par Bruno Drweski (ANC)

Après avoir tenté de maintenir coute que coute pour ce 10 mai les élections présidentielles « par voie postale », la levée de bouclier de la part des partis et groupes d’opposition et la défiance d’une grande partie de la population a finalement forcé le gouvernement à se retirer de la manœuvre engagée malgré l’épidémie de covid 19, tant il était clair que des élections sans réelle campagne électorale et sans garantie du secret du vote et du comptage des voix perdaient toute légitimité.

La crise du covid, et même si les autorités polonaises ont mieux su affronter le défi que celles de nombreux pays occidentaux, a toutefois servi au pouvoir pour renforcer son contrôle sur les citoyens et profiter de la panique qui s’étaient emparés de certains pour tenter de renforcer sa popularité. Cela a néanmoins contribué en retour à décrédibiliser aux yeux de certains l’idée même que le virus était dangereux et alimenté toutes sortes de théories complotistes voyant dans le confinement une manipulation du pouvoir et allant jusqu’à reprendre parfois ce qui circule de plus stupide sur ce sujet dans le monde, y compris dans certains milieux se qualifiant de gauche radicale.

Mais le pouvoir polonais, qui a eu besoin de la Chine pour lui fournir conseils et médicaments, et qui s’est d’ailleurs enorgueilli d’avoir obtenu en priorité le plus gros porteur au monde, un Antonov ukrainien, chargé d’équipements médicaux en provenance de Tianjin n’a pas pu du coup utiliser pour renforcer sa crédibilité le « China Bashing » si répandu chez les alliés des États-Unis.

Un début de bilan sur les trois dernières décennies de transformation

En fait, la crise du coronavirus arrive en Pologne au moment où, après trente ans de « transformation capitaliste » dans un sens de plus en plus néoconservateur et au départ néolibéral, les Polonais, en particulier les plus jeunes, ont tendance à faire le bilan des réussites ou des échecs de cette période, en terme social, en terme de développement ou de régression économique et en terme d’alliances stratégiques.

Le parti au pouvoir, Droit et Justice (PiS), a pu conquérir son électorat en remettant en cause, au moins en apparence, les éléments les plus détestables de la politique néolibérale tout en cultivant un discours « national-catholique », pro-OTAN, pro-USA, pro-israélien et superficiellement eurosceptique, tout en faisant des clins d’œil à l’électorat nostalgique des acquis sociaux de la période socialiste d’avant 1989. En prenant pour la première fois depuis 1989 une mesure, le versement d’allocations familiales, il a pu conforter son apparence sociale, même si, ne remettant pas fondamentalement en question les « réformes » de 1989, il s’est vite trouvé à court de moyens pour prolonger de telles politiques.

Mais il n’en reste pas moins qu’à tout prendre n’importe quel Polonais, particulièrement celui appartenant aux classes populaires trouvera toujours l’actuel pouvoir moins détestable que celui qui a précédé au cours des législatures précédentes. Le gouvernement actuel n’a donc pas de soucis à se faire avec les partis d’opposition puisque l’opposition libérale est déconsidérée à cause des « thérapies de choc  » qu’elle a menée lorsqu’elle était au pouvoir tandis que les forces de gauche qui réémergent périodiquement dans le pays depuis 1993 sont, à chaque fois, et après quelques débuts prometteurs, « happées » par des dirigeants plus intéressés par le sociétal que le social et qui gardent les yeux rivés sur Bruxelles, celle de l’OTAN comme celle de l’UE.

Droit, démocratie, économie et justice ?

Le système politique polonais a cessé de fonctionner selon les canons de la démocratie libérale classique non seulement parce que le PiS a rogné un certain nombre de principes de séparation des pouvoirs, déjà d’ailleurs passablement encornés par ses prédécesseurs libéraux, mais surtout parce que le président de la République, Andrzej Duda, a constitutionnellement un pouvoir limité, et que son premier ministre ne peut plus prendre d’initiatives importantes sans obtenir l’aval du chef réel du pays, Lech Kaczynski, qui s’est en apparence contenté de continuer à diriger le PiS mais qui, par ce biais, contrôle en fait étroitement tous les députés de la majorité parlementaire qui votent comme un seul homme toutes les injonctions de leur chef, mettant ainsi au garde à vous et le premier ministre et le président.

Les mauvaises langues disent que, si le nouveau régime a liquidé quasiment tous les acquis sociaux de la Pologne populaire, détruit l’image des communistes et plus largement des principes de gauche, il a vite restauré le « rôle dirigeant du Parti » sur le gouvernement et l’appareil d’État, tout en bénéficiant de la légitimité dont jouit l’Église catholique dans les milieux les plus traditionalistes de la Pologne profonde, celle qui constitue le socle électoral du PiS. Socle pour qui la Pologne doit être bâtie sur son ethnie et sa tradition cultuelle.

D’où par exemple le côté « identitaire » du refus systématique de la par de tous les pouvoirs successifs depuis 1989 de toute forme d’avortement, ce qui hérisse beaucoup de Polonais acquis à la fois à la liberté de choix et à celle de nation civique et territoriale, mais qui peinent à voter pour les partis d’opposition à cause de leur libéralisme économique qui ne fait plus recette chez beaucoup.

Le parti au pouvoir a toutefois tenté avec plus ou moins de succès d’élargir son socle électoral de base en jouant sur les mesures sociales qu’il a prise au départ et même s’il n’en a plus vraiment les moyens, surtout depuis le ralentissement de l’économie sous l’effet du covid. Néanmoins le PiS continue à neutraliser l’opposition car, faute d’opposition de gauche sociale et radicale, il reste considéré comme ayant une fibre plus sociale à cause de sa politique d’aides aux familles, de la réintroduction de la gratuité des médicaments pour les plus de 75 ans, de l’abaissement de l’âge de la retraite, de quelques timides mesures de taxation des institutions financières et d’un discours politique déclarant favoriser le développement des entreprises polonaises.

Cette politique était au départ assez facile à mener tant le désastre social était général, au point où quelques modifications allant à l’inverse de tout ce qui s’était fait depuis 1989 était assez facile à réaliser sans pour autant faire fuir les entreprises et les capitaux étrangers qui savaient que, même avec ces quelques mesures, l’exploitation de la main-d’œuvre polonaise, voire de la maint-d’œuvre ukrainienne au noir affluant en provenance de son pays saccagé, restait très largement rentable si l’on compare avec la situation des pays d’Europe occidentale.
Il faut à cela rajouter que la Pologne voisine directe de l’Allemagne peut jouer sur des coûts minimes de transports des composants produits en Pologne pour la grande industrie allemande. Quant au chômage, après s’être « délesté » d’environ 4 millions de Polonais émigrés depuis 1989, il reste un phénomène sous contrôle.

On a beaucoup dit que la Pologne et les autres anciens pays socialistes ayant adhéré à l’Union européenne étaient bénéficiaires nets des « aides » et des investissements européens au point où l’on accuse souvent à Bruxelles l’actuel gouvernement polonais de brandir cyniquement l’europhobie tout en accueillant les mannes européennes. Mais en Pologne, comme en Roumanie et dans d’autres pays de la frange orientale de l’UE, de nouveaux chercheurs émergent qui refont les calculs et qui, comparent les transferts de capitaux d’Ouest en Est avec les bénéfices reçus à l’Ouest des commandes obligatoires à des tarifs souvent verrouillés vers le haut. Et ils aboutissent à la conclusion que les pays de l’Est sont globalement perdant. Ces travaux peuvent être contestés mais ils témoignent de l’émergence d’un courant de réflexion et de recherche qui tente de penser de façon indépendante et autrement que selon la doxa sempiternellement répétée à l’Est et à l’Ouest depuis 1989.

Racisme, xénophobie ou pas

On a aussi beaucoup accusé les autorités polonaises ou celles des pays voisins pour le racisme manifeste qu’elles manifestent envers les migrants choisis par l’UE, ce qui correspond à la réalité d’une opinion que l’Église a en plus chauffé à bloc contre le danger « d’invasion islamique ». On a cependant pas fait remarquer que chaque pays manifeste une prédilection pour les immigrants qui viennent de pays avec lesquels ils ont une histoire commune.

Ce qui explique pourquoi les migrations en provenance de l’ex-URSS ou de Vietnam, y compris celle de Tchétchènes musulmans depuis les années 1990, n’ont pas provoqué les mêmes tensions que l’idée de devoir accueillir des « migrants » venant de pays avec lesquels la Pologne n’a pratiquement aucun lien traditionnel.

Pour ce qui est de l’accusation d’antisémitisme qui vise traditionnellement les Polonais particulièrement rétifs sur ce point, le gouvernement PiS a « réglé le problème » en collant systématiquement à toutes les initiatives politiques d’Israël, sans pour autant hésiter à utiliser l’ambiguïté lors des campagnes électorales pour flatter l’électorat le plus xénophobe et tolérer la présence de groupes ouvertement fascisant au moment où il réprime toute manifestation de sympathie ou d’activité communiste.

L’agressivité manifestée par l’État d’Israël au Moyen-orient mais aussi sa tentative de récupérer à son profit ou à celui d’organisations juives agréées par lui tous les biens de juifs assassinés par les nazis sans héritier contribue cependant à maintenir un sentiment antisémite dans les catégories de la population incapables de faire la différence entre « juif » et « sioniste », situation dont le pouvoir est en partie responsable à cause du recul du niveau scolaire général et de la promotion des éléments les plus réactionnaires au sein du clergé catholique dans un pays où les cours de religion sont devenus obligatoires.

Manipulations des ressentiments

On accuse souvent le PiS de népotisme ce qui est largement vrai mais ce qui était pratiquement tout autant pratiqué par les gouvernements antérieurs, d’obédience libérale ou social-démocrate. Tous ont également voulu manipuler l’histoire au profit d’un discours unilatéralement anticommuniste, antisocialiste et russophobe, même s’il faut reconnaître au PiS qu’il a dépassé ses prédécesseurs dans cette direction, allant même jusqu’à mettre en accusation et parfois à incarcérer ceux qui contredisaient la nouvelle doxa officielle.

L’Institut de la Mémoire nationale chargé de dire l’histoire officielle et qui a été créé après 1989 sur les décombres de la Commission d’enquête sur les crimes nazis est devenu le porte-parole de la légitimité du pouvoir et le censeur des voix alternatives. Aujourd’hui cet institut bénéficie d’un budget quatre fois supérieur à celui de l’Académie des Sciences mal vue par le pouvoir car trop indépendante et dont la « tare » congénitale est d’avoir été créée par les communistes. Tout est fait pour bâtir une nouvelle mythologie nationale ignorant ou dénigrant tous les combattants progressistes, a fortiori quand ils étaient communistes, et créer une vision essentialiste et victimaire de l’histoire nationale.

Comme il est devenu impossible en Pologne de s’attaquer trop visiblement aux méfaits qu’a connu le pays en provenance d’Allemagne, comme le gouvernement polonais a besoin pour sa légitimité internationale de l’appui d’Israël et comme ses rêves de grandeur le pousse à vouloir jouer un rôle majeur dans l’Ukraine fascisante d’aujourd’hui, il ne reste plus au PiS que d’exciter les passions contre la Russie ou contre le danger imaginaire « d’invasion islamique ».

La Pologne en revanche a été tentée par le projet chinois de nouvelles routes de la soie et par des investissements en provenance de ce pays, mais les Américains qui sont très influents dans le pays semblent avoir mis le hola devant toute tentative de trop reserrer les liens avec Pekin. Et, sachant que les entreprises allemandes et ouest-européennes ont trop besoin de la main-d’œuvre polonaise à bas salaire, le gouvernement polonais peut donc jouer sur le devant de la scène sa partition eurosceptique tout en sachant en coulisse négocier des aménagements.

Toutefois, pour mieux préparer ses arrières, et à un moment où les États-Unis craignent de voir l’Allemagne tentée par une coopération étroite avec la Russie, les pays d’Eurasie et d’Asie orientale, la Pologne a réussi à lancer l’Initiative des trois mers qui regroupe autour d’elle, de la Croatie et de l’Autriche, tous les États de la frange orientale de l’UE, créant ainsi au moment où les tensions entre une Europe du sud « latine » et une Europe du nord « germanique » émerge, une troisième sous-région, un troisième pôle au sein de l’UE.

L’ambition de Varsovie étant de prendre au sein de l’UE la place de « grand » laissée vacante par le brexit en bénéficiant de l’appui des États de cette Initiative des trois mers.

Double alignement médiatique

On parle beaucoup dans les médias occidentaux, pourtant eux aussi aux mains de quelques propriétaires ou de plus en plus contrôlés par les gouvernements, des atteintes à la liberté de la presse en Pologne. Il est clair que les médias publics sont systématiquement domestiqués par le gouvernement mais les médias privés, souvent aux mains de propriétaires allemands, sont devenus les quasi-porte-paroles de l’opposition libérale.

Les Polonais n’ont donc plus comme choix qu’entre une option de centre-droit et une option de droite radicale. Le gouvernement tente dans ce contexte verrouillé de jouer sur son contrôle de fait de l’appareil judiciaire pour intimider les journalistes des médias libéraux. Ce combat n’intéresse en fait que la moitié des Polonais prête à choisir entre national-catholicisme et néolibéralisme, dans un pays où une seconde moitié plus ou moins grande de la population s’est repliée sur sa vie privée, déçue par toute la scène politique, ce qui concerne en particulier la frange relativement importante de la société qui continue à cultiver un souvenir positif de la période socialiste et qui vit depuis 1989 dans un espèce d’exil intérieur transmis depuis aux enfants.

Peu nombreux en revanche et dans ce contexte sont ceux qui osent ouvertement proclamer leurs convictions communistes, anarchistes ou socialistes radicales. La gauche radicale ou communiste en Pologne se manifester par l’émergence de sites internet assez suivis, communistes, socialistes, anarchistes et quelques chétifs groupuscules. L’expérience des communistes qui ont permis la naissance d’une nomenklatura passée en 1988/89 avec arme et bagages dans le camp libéral et celle des ex-communistes devenus en fait sociaux-libéraux qui sont passés par deux fois au pouvoir par la suite a achevé d’assécher le potentiel électoral de la gauche même si cette sensibilité reste enracinée dans le pays.

Il n’y a toutefois pas que les deux camps qui s’opposent au pouvoir depuis 1989, les nationaux-catholiques et les libéraux ou sociaux-libéraux, fussent ils « ex-communistes », il y a aussi désormais l’émergence d’une vraie extrême droite qui a fait son apparition au parlement avec 9 % des voix, et que le pouvoir tolère car elle lui permet de ne pas être désigné lui même sous ce label infamant.

Le clivage qui domine aujourd’hui en Pologne a toutefois tendance à devenir de plus en plus brutal, ce qui témoigne du désespoir grandissant de la société et de la baisse général du niveau culturel. Les arguments échangés font une large place à la violence verbale mais c’est en fait un faux débat la plupart du temps car il est quasiment impossible d’aborder les questions qui importent réellement à la masse des Polonais, celle de la remise en cause ou pas des privatisations effectuées depuis trente ans, celle du modèle de société, plus social ou plus libéral, celle d’une nouvelle politique industrielle plus autocentrée, celle des partenariats à conclure avec les sociétés les plus dynamiques d’Asie et donc de la nécessité de régler positivement les griefs accumulés dans les relations avec la Russie puisqu’un bref regard sur la carte nous montre que pour devenir la plaque tournante entre l’Europe et l’Asie et profiter des nouvelles routes de la soie, il va bien falloir que Varsovie cherche et conclue des compromis avec Moscou, qu’elle accepte de prendre du recul avec les injonctions néolibérales de Bruxelles et surtout qu’elle se mette à limiter les très coûteux liens avec Washington qui imposent des engagements militaires unilatéraux et des importations d’armement.

Nous sommes en Pologne comme ailleurs dans le monde à une fin de cycle après trente ans de libéralisme échevelée et de mondialisation incontrôlée et on sent bien que toutes les recettes possibles dans le cadre du système existant ont été appliquées. S’il n’y a pas émergence d’une réelle alternative économique et sociale en Pologne, capable par ailleurs de saisir les nouvelles opportunités internationales et de prendre conscience des réalités géopolitiques et géo-économiques, la Pologne ne pourra que verser vers un autoritarisme grandissant, processus jusque là considéré comme impensable au sein de l’Union européenne, mais comme on assiste désormais à des évolutions similaires dans presque tous les appareils de pouvoirs des pays membres et que, par ailleurs, le sort de l’UE semble beaucoup moins assuré qu’il y a quelques années, l’hypothèse d’une démocrature polonaise devient plausible vu la montée du mécontentement et des exigences sociales et l’absence de force politique de masse organisée qui pourrait canaliser cette sensibilité.

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?