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J’ai regardé le journal de 20 heures

mercredi 8 avril 2020 par Philippe Arnaud

Hier, au journal télévisé de 20 h de France 2, le 13e sujet était intitulé : "Aides de l’État à l’économie : qui paiera la facture ?".

Et le sujet était ainsi déroulé ...

Voix de la journaliste : "Le coronavirus : quel sera le coût pour l’économie française et qui paiera le déficit ? Chantiers et usines à l’arrêt, restaurants fermés, un tiers de l’économie est en panne". Derrière une représentation d’artiste du Covid-19 on voit défiler à grande vitesse une chaîne de fabrication de billets.
Photo et voix de Bruno Lemaire, ministre de l’économie, avec inscription de ses propos sur l’écran] : "J’ai fait une comparaison avec la grande récession de 1929 parce que je ne vois pas, dans le passé proche, d’autre comparaison en termes de choc économique".

Voix de la journaliste : "Selon de nombreux économistes, il y aura une récession. Pour soutenir l’économie, il y a le plan de soutien du gouvernement, déjà réévalué à 50 milliards d’euros. Mais la facture pourrait être bien plus élevée".

Interview d’Eric Woerth, présenté comme Président LR de la Commission des finances] : "Ça peut aller à 120, 130, peut-être dépasser même ces montants, pour tout vous dire".

Voix de la journaliste : "Car les dépenses explosent ; exemple le chômage partiel, pour les salariés qui ne peuvent pas travailler, déjà 11 milliards, au lieu des 8,5 prévus. Ou encore le report des charges sociales et fiscales, 35 milliards. Qui va payer ? Pour l’instant, pas de hausse d’impôt pour les particuliers. Conséquence : la dette de la France, déjà de 2400 milliards pourrait s’alourdir, plus 150 milliards [et on voit dans un cartouche défiler les chiffres, comme sur l’écran d’une machine à sous]. Alors la Banque Centrale Européenne vient au secours des États pour racheter leur dette."

Interview d’Emmanuel Jessua, présenté comme directeur des études, Institut Rexecode] : "Ce rachat massif est fait pour à la fois pour rassurer les épargnants et assurer aux États un financement correct, faible, de la dette, eh bien, elle le fait par création monétaire, elle crée de la monnaie pour racheter ces titres de dette".

Voix de la journaliste : "Mais pour la gauche, il y a d’autres pistes".

Interview d’Eric Coquerel, de la France Insoumise de Seine-Saint-Denis] : "Il faut aller prendre l’argent là où il est, et là où il est, depuis maintenant des années, et pas seulement en France, c’est quand même dans l’explosion des revenus financiers. Donc il faut à nouveau les taxer."

Voix de la journaliste : "Autre solution, selon certains économistes, pour financer la crise, un grand emprunt national auprès des Français".

Remarque 1. On se dit : enfin ! On se demandait quand le sujet allait être abordé. Après trois semaines de confinement, le premier moment de sidération passé, et certaines habitudes prises, le gouvernement se lance dans les premières annonces. Mais à la façon dont on présente une mauvaise nouvelle à une amie (ou à un ami), en procédant avec ménagement : "Tu sais, ton père, il lui est arrivé un accident... On laisse alors son interlocutrice (interlocuteur) imaginer le pire pour, au bout du compte, lui apprendre le moins pire, qu’elle (il) accueillera donc avec soulagement. En lui déclarant par exemple : "Finalement , ton père n’est pas mort, il restera juste tétraplégique..."

Remarque 2. Les questions "Qui paiera la facture ?" et "Qui paiera le déficit ?" induisent leur réponse. Car, psychologiquement, elles instillent dans l’esprit de l’auditeur la réponse : "Le payeur, il y a des chances - ou, pour s’exprimer plus justement, des risques - que ce soit toi..."

Remarque 3. Le défilement d’une chaine de fabrication de billets et la succession rapide de chiffres procurent l’équivalent visuel de la canalisation qui fuit, de l’artère qui se vide de son sang, c’est-à-dire de ce qui est cause soit d’un dommage grave aux biens (inondation de l’appartement et des appartements voisins), soit d’un dommage grave ou irréversible à la personne - mort par hémorragie. Et l’identification peut se faire parce que, par métaphore, l’argent est aussi appelé le liquide : liquide comme l’eau du robinet, liquide comme le sang...

Remarque 4. Lorsque Bruno Lemaire se réfère à la crise de 1929 (c’est-à-dire à un événement presque séculaire, qui a jeté des millions de personnes au chômage aux États-Unis, en Allemagne, en France, et qui a, indirectement, amené la Seconde Guerre mondiale), il la met au-dessus des crises de 1987, de 1997 et de 2008. Autrement dit, il suggère : "Si je prends comme comparaison un événement aussi énorme, duquel ont découlé des conséquences aussi funestes, c’est que cet événement-ci (la pandémie du Covid-19) est elle aussi un événement énorme, qui aura des conséquences à son échelle : vous pouvez donc numéroter vos abattis...

Remarque 4 bis. Un point de vocabulaire, mais révélateur : il est question des "charges" sociales et fiscales. Il n’y a pas de charges sociales ! Il n’y a que des cotisations sociales, qui font partie de la rémunération globale, intégrale, indissociable du salaire des salariés (cotisations qui servent à payer leur retraite, leurs soins, leurs assurances sociales, leurs indemnités de chômage). Et il n’y a pas non plus de charge fiscale : l’impôt sert à pourvoir aux besoins de la nation, selon la belle formule de Condorcet : "L’impôt est un tribut que le peuple se paye à lui-même".

Remarque 5. La journaliste utilise à deux reprises la même expression : "selon de nombreux économistes" et "selon certains économistes". Mais qui sont ces "nombreux" ? Qui sont ces "certains" ? Qui sont-ils ? D’où parlent-ils ? Qui les rémunère ? A quels médias sont-ils liés ? On peut se poser des questions au vu de l’exemple de la remarque suivante.

Remarque 6. Emmanuel Jessua est présenté comme directeur des études de l’Institut Rexecode. "Directeur", "Études", "Institut", cela vous donne un parfum d’académie savante, d’université, de Nobel et de tout ce qui s’ensuit. Or, il faut bien savoir que ce fameux "institut" (avec un "i" minuscule) est en réalité une officine patronale.
En effet, comme l’écrit L’Humanité du 12 janvier 2012, Rexecode compte, parmi ses 80 adhérents, des grosses banques françaises, des fonds d’investissement français, les grands groupes du CAC 40 ainsi que tout ce que le patronat compte de fédérations ou de groupements, dont l’UIMM (Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie). Rexecode a donc une forte odeur d’idéologie patronale...

Remarque 7. A l’avant-dernier point, la journaliste donne l’opinion de "la gauche" (en l’occurrence représentée par Eric Coquerel, de la France Insoumise). Comme si les déclarations qui précédaient émanaient d’un empyrée neutre et "objectif" (adjectif qu’affectionne la droite), vierge de toute idéologie. Alors que Bruno Lemaire, ministre de l’Économie, est issu des rangs de L.R. (c’est-à-dire le parti de Nicolas Sarkozy et de François Fillon). Alors qu’Eric Woerth, à qui on donne la parole, est aussi membre de LR, et qu’il a été plusieurs fois ministre sous Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, et qu’il est proche de la famille Bettencourt.

Remarque 7 bis. On notera à ce propos que lorsque parlent Bruno Lemaire et Eric Woerth, ils parlent comme ministre et comme président de la Commission des finances - sous-entendu de l’Assemblée nationale, c’est-à-dire qu’ils parlent depuis une position surplombante (celle du gouvernement et celle du Parlement), d’une position nationale censée transcender et ignorer les divisions idéologiques, alors qu’Eric Coquerel, lui, est présenté comme "de gauche" et même seulement d’une portion de cette gauche (la France Insoumise), issue d’un seul département (la Seine-Saint-Denis), de surcroît le plus pauvre de France métropolitaine. Eric Coquerel, par rapport à Woerth et Lemaire, est donc rapetissé, confiné à représenter une opinion, une "idéologie" (mot codé de la droite pour désigner la gauche) et des intérêts catégoriels.
Alors que, comme on le sait, Le Maire et Woerth, eux, ne s’occupent que des intérêts de tous les Français...

Remarque 8. A la fin, "certains" économistes évoquent l’idée d’un grand emprunt national. Or, bien que tous les gouvernements aient recours à l’emprunt, il s’agit là d’un procédé de financement plutôt prisé par la droite (puisque, au lieu de prendre de l’argent aux citoyens par le biais de l’impôt), on leur en redonne par le versement des intérêts de cet emprunt ! On se souvient ainsi des emprunts Pinay, Giscard, Barre, Balladur. Et notamment du premier, exonéré de divers impôts, dont les droits de succession, et du deuxième, indexé sur l’or, qui, l’un et l’autre, ont coûté un bras à la France.

Ou, pour être plus précis, aux classes moyennes et populaires françaises, car, si l’emprunt est souscrit par les plus aisés, il est payé par les plus pauvres : par l’augmentation de la TVA, de la taxe sur les produits pétroliers et tous impôts indirects, par la hausse des frais d’inscription à l’université, par la baisse des aides au logement, par le déremboursement des frais de Sécurité Sociale, etc.

L’emprunt est une grande opération de transfert d’argent des pauvres vers les riches...

Je vous saurais gré de vos remarques, compléments, rectifications et critiques.

   

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