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Contre le darwinisme social : L’Effet-Darwin de Patrick Tort

jeudi 20 février 2020 par Derainne Lucien

L’appel à une recherche « darwinienne » – entendez compétitive et sélective – au cours des débats sur la loi de programmation pluriannuelle a fait réagir, ces derniers jours, aussi bien les chercheurs que le grand-public, grâce à l’écho que lui ont donné des journaux comme Le Monde ou Libération.

Je voudrai profiter de ces circonstances pour résumer un ouvrage que je viens de lire et qui mériterait d’être davantage connu en dehors des spécialistes d’histoire naturelle : L’Effet-Darwin de Patrick Tort.
Quoique tous les ouvrages de cet auteur (historien des sciences, théoricien d’une approche matérialiste des discours) valent la peine d’être connus, la lecture de celui-ci est particulièrement salutaire pour déconstruire les justifications qui sont aujourd’hui apportées à la concurrence, dans l’économie comme dans la société.

La question centrale du livre de Patrick Tort consiste à savoir comment la théorie de la sélection naturelle de Darwin peut s’appliquer aux activités humaines. Depuis la fin du 19e siècle, des penseurs comme Herbert Spencer ont appliqué les thèses de Darwin à la société, donnant ainsi naissance à ce qu’on a appelé le « darwinisme social ». On retient généralement de la sélection naturelle un seul de ses aspects : la loi du plus fort. L’individu le mieux adapté à son environnement a plus de chances de se reproduire et transmet donc davantage ses caractères à la génération suivante.
Transposé directement au monde de l’économie, ce mot d’ordre du struggle for life (qui, rappelons-le, n’est qu’une parcelle du système de Darwin) a été ainsi utilisé pour justifier la concurrence. Les meilleures entreprises détruisant les moins efficaces, l’ensemble de l’économie deviendrait de plus en plus performante. La littérature de la fin du 19e siècle a joué un rôle important dans la diffusion de ce « darwinisme social ».

En revenant aux textes de Darwin, Patrick Tort montre alors que cette transposition directe de la sélection naturelle vers la société est un non-sens.

Loin de défendre une sélection sociale, Darwin vante au contraire dans ses ouvrages l’empathie, la solidarité ou la collaboration.

Ce qui est surtout essentiel à comprendre, c’est que Darwin ne met pas en avant ces vertus par un scrupule moral qui ferait des sociétés humaines une sorte d’exception. Tout au contraire, cette conclusion est une conséquence logique de son raisonnement. La morale résulte elle-même de la sélection naturelle.

Pour le dire schématiquement, une poignée d’individus qui collaborent et s’entraident l’emportent toujours sur des individus isolés, quand bien même ceux-ci seraient beaucoup plus forts individuellement.

Comme l’espèce humaine est une espèce sociale, la sélection naturelle tend ainsi à privilégier les individus doués pour la collaboration, car c’est cette compétence qui est essentielle pour la survie. Patrick Tort appelle ce phénomène « l’effet réversif » de l’évolution : la sélection naturelle aboutit paradoxalement à la civilisation puisqu’elle tend à sélectionner des comportements opposés à la lutte. Se référer à Darwin pour justifier la concurrence ou l’élimination des plus faibles est donc un pur contre-sens.

Le destin paradoxal du darwinisme nous enseigne des choses importantes sur la vulgarisation et sur la diffusion des sciences dans la société. Si la pensée de Darwin a pu ainsi être dévoyée, c’est parce qu’on a relayé l’un de ses résultats, le struggle for life, aux dépens de sa méthode. On voit ici combien il peut être dangereux d’extraire un slogan à l’intérieur d’un système philosophique et scientifique en la séparant du raisonnement qui le sous-tend.

L’apport social d’une théorie scientifique ne tient pas seulement à ce qu’elle nous apprend mais bien à la manière dont elle nous fait apprendre. Le problème, c’est que nous lisons trop souvent les sciences humaines ou la recherche fondamentale à travers des attentes industrielles : on voudrait qu’elles nous livrent un résultat, un produit fini, une expertise.

Mais l’un de leur principal apport est plutôt une tournure d’esprit qui permet de résoudre les problèmes.


Date de parution 04/09/2008
18.30 € TTC
240 pages


Voir en ligne : https://ebruitermthd.hypotheses.org...

   

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