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Repenser la philanthropie : « Me voler 1000 dollars puis m’en rendre un, ce n’est pas de la bonté »

mercredi 15 novembre 2017

Écrivain nigérian, Uzodinma Iweala a fait forte impression lors de son discours prononcé à Genève le 12 octobre dernier, en ouverture de la conférence « Repenser la philanthropie » co-organisée par « Le Temps ». Nous en reproduisons une partie ici.

Vous avez sans doute entendu parler de ce concert mémorable du chanteur de rock Bono, symbole de la philanthropie contemporaine. Une foule fervente dansait et chantait à tue-tête tandis que les effets lumineux allaient bon train et que la musique battait son plein. Bono s’est alors arrêté et a demandé le silence. Semblant descendre du ciel, la lumière d’un projecteur s’est braquée sur lui, au centre de la scène. Il s’est mis à claquer lentement des doigts. Le public était déconcerté. Après quelques claquements, il a enfin parlé : « Chaque fois que je claque des doigts, un enfant meurt en Afrique. » Alors, dans l’obscurité de la salle, un homme avec un fort accent britannique a crié : « Ben arrête de claquer des doigts, bon sang ! »

Comprenez-moi bien, j’ai du respect pour Bono. Le travail que lui et d’autres célébrités ont fait pour attirer l’attention sur des causes telles que l’allègement de la dette et la lutte contre le VIH/sida a vraiment sauvé des vies. Mais je raconte cette anecdote car je pense qu’elle résume l’un des aspects les plus intéressants – et problématiques – de la philanthropie moderne : telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, la philanthropie préserve les pouvoirs en place, lesquels sont à l’origine d’une grande partie des souffrances qu’elle tente de soulager. Et, ce faisant, elle va à l’encontre de ses intentions initiales. Cela est particulièrement vrai pour la philanthropie occidentale en Afrique.

Si l’on ramène cet épisode musical aux structures et aux dynamiques du pouvoir, on voit un homme blanc sur son perchoir, tel un dieu adulé par ses adeptes, devant une assistance majoritairement blanche, s’exprimant au sujet d’Africains si misérables que lui et son public, avec leurs bonnes intentions, se croient dotés d’un pouvoir absolu sur des vies noires.

Si cela vous fait penser au colonialisme, ce n’est pas un hasard. Il est impossible de discuter de la philanthropie en Afrique sans aborder le colonialisme.

Qui est humain ?

Mais tout d’abord, qu’est-ce que la philanthropie ? Elle a été définie comme l’amour de l’humanité, dans un sens bienveillant et nourricier. Pour Samuel Johnson, il s’agissait de l’amour du genre humain et de la bonté. Dans sa forme la plus pure, elle est un acte profondément révolutionnaire. Pratiquer la philanthropie, c’est reconnaître pleinement et intimement l’humanité fondamentale de toute personne. Cela peut passer par l’allègement de la pauvreté avilissante ou la lutte contre les structures politiques oppressives – il existe de nombreuses façons de pratiquer l’amour de l’humanité, dans un sens bienveillant et nourricier. Cependant, l’héritage du colonialisme et le désordre actuel de la philanthropie en Afrique compliquent les choses.

Commençons par prendre conscience de la difficulté pour les êtres humains – avec nos différentes ethnies, nationalités et races (même si ces termes sont réducteurs) – de se faire une idée complète de qui est humain et qui ne l’est pas. Cette faiblesse aboutit à des définitions schizophrènes de l’humanité qui découlent de la rencontre entre ce continent et les idées européennes sur ce que signifie être réellement humain.

Les dommages du racisme sur la notion de philanthropie sont si profonds qu’ils la rendent pratiquement irrécupérable

De nombreux exemples montrent que les Africains n’étaient pas considérés, dans la pensée européenne, comme des humains à part entière. En 1763, le philosophe Emmanuel Kant a écrit, dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime : « Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie… Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines ! Et elle semble aussi grande quant aux facultés de l’esprit que selon la couleur de la peau. »

Ce point de vue était partagé par nombre de contemporains de Kant, philosophes des Lumières et architectes de l’ordre libéral à partir duquel la pratique de la philanthropie moderne s’est développée. Il est d’autant plus troublant que la construction mentale du cosmopolitisme, par Kant, joue un rôle essentiel dans les pratiques actuelles de la philanthropie. D’aucuns diront que le philosophe moral n’a pas besoin d’être parfait pour que sa philosophie ait de la valeur. Néanmoins, les dommages du racisme généralisé sur la notion de philanthropie sont si insidieux et profonds qu’ils la rendent pratiquement irrécupérable. En effet, le péché originel qu’a commis Kant en définissant ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas en tant qu’humains dans l’idéal cosmopolite soulève une question cruciale : si l’ordre libéral ne considère pas les Africains comme pleinement humains, est-ce que la philanthropie en tant que pratique et concept peut s’appliquer aux Africains ?

La « mission civilisatrice »

C’est ici qu’entre en jeu la terrible entreprise coloniale, qui peut se résumer de la manière suivante : l’industrialisation de l’Europe exigeait l’extraction de ressources africaines (y compris humaines), et pour justifier cette extraction, il a fallu codifier des versions encore plus extrêmes du racisme de Kant, qui ont abouti au fameux cercle vicieux de la déshumanisation. L’extraction enrichissait les Européens tout en rendant les Africains plus pauvres et donc moins humains en apparence, ce qui justifiait de poursuivre l’extraction, voire de l’accélérer.

Associé au capitalisme, le libéralisme est un ensemble de doctrines qui peuvent se révéler embarrassantes. Ainsi, les Européens affectaient de croire que les Africains n’étaient pas humains mais il est évident qu’en leur for intérieur, ils savaient qu’ils l’étaient. Alors, pour s’absoudre – et pour justifier l’extraction – ils ont présenté le colonialisme comme une « mission civilisatrice ». Les Européens seraient alors les gardiens des vastes ressources africaines jusqu’à ce que les Africains soient en mesure de les gérer eux-mêmes. Cette théorie est à la base de la philanthropie contemporaine en Afrique. Comme l’a écrit Rudyard Kipling :

  • « O Blanc, reprends ton lourd fardeau,
  • Les sauvages guerres de la paix,
  • Nourris la bouche de la famine,
  • Fais la maladie cesser. »

Quelle merveilleuse conjecture ! C’est comme si je venais chez vous, que je volais vos affaires, vous jetais à la rue puis proclamais au monde entier que j’allais porter, à contrecœur, le lourd fardeau de m’occuper de cet être paresseux et crasseux que vous êtes. [...]

Pour lire la suite de l’article : Ici

Transmis par JP


Voir en ligne : http://reseauinternational.net/repe...

   

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