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Maurice Lemoine « Les USA refusent que l’Amérique latine s’éloigne de la voie néolibérale »

lundi 22 juillet 2019 par Jonathan Lefèvre et André Crespin pour Solidaire

Le journaliste, ancien rédacteur en chef du Monde Diplomatique et écrivain français Maurice Lemoine est l’auteur de nombreux livres sur l’Amérique latine. Nous l’avons rencontré afin d’évoquer l’actualité de cette région que les États-Unis considèrent toujours comme leur arrière-cour…

Comment résumer ce qui se passe en Amérique latine ?

Maurice Lemoine. Si vous m’aviez posé la question il y a 5 ans, je vous aurais dit que la gauche était en train de dominer. Il y a deux ans, je vous aurais dit qu’il y avait une vaste offensive néolibérale qui fait reculer partout en Amérique latine les gouvernements progressistes. Aujourd’hui, on est toujours dans cette contre-réforme globale mais en même temps, le Mexique est en train de basculer au centre-gauche avec l’élection d’Andres Manuel Lopez Obrador et demain, peut-être, l’Argentine va sortir elle aussi du giron de la droite néolibérale. Pour ceux qui s’inquiètent du recul de la gauche en Amérique latine, la situation n’est pas désespérée.

Mais effectivement, les secteurs les plus conservateurs, les plus réactionnaires, sont en train d’essayer de profiter de cette période actuelle, en particulier avec la crise au Venezuela qui est l’épicentre du phénomène, pour mettre les gauches en difficulté.

Le successeur de Rafael Correa à la tête de l’Équateur, Lenin Moreno, a expulsé Julian Assange après qu’il ait été réfugié pendant 7 ans dans l’ambassade équatorienne de Londres. Comment en est-on arrivé là ?

Maurice Lemoine. L’Équateur est le cas le plus extravagant. La droite n’est pas revenue au pouvoir après une élection comme en Argentine, après un coup d’État parlementaire comme au Brésil. Elle revient au pouvoir après une trahison. Lenin Moreno a été le vice-président de Rafael Correa, et à peine arrivé au pouvoir, il a complètement changé de camp. L’une des victimes de ce changement de politiques a été le journaliste-lanceur d’alerte Julian Assange auquel Correa avait accordé la nationalité équatorienne et l’asile diplomatique. Il faut que nos confrères fassent une enquête sérieuse sur qui est Lenin Moreno. Sa trahison a été une surprise totale pour tout le monde. A commencer par le président Correa. Je suis un journaliste de gauche mais j’ai du respect pour la droite quand elle est démocratique. Mais là, on a à faire à un des plus grands cas de trahison de l’Amérique latine.

En Colombie, on retrouve une politique mise en œuvre dans les années 1980 : l’assassinat systématique de leaders des mouvements sociaux
Dans le cas d’Assange, comment ne pas voir la main des États-Unis ?

Maurice Lemoine. Il y a en effet la main américaine. Une des premières mesures de Lenin Moreno en Équateur a été de se rapprocher des États-Unis. L’une des raisons pour lesquelles Washington voyait d’un mauvais œil Rafael Correa est qu’il n’avait pas permis le maintien d’une base américaine en Équateur. L’une des premières choses qu’a fait Lenin Moreno a été d’autoriser à nouveau au pouvoir américain d’utiliser le territoire équatorien pour des exercices militaires.

Quels sont les objectifs poursuivis par les USA en Amérique latine ?

Maurice Lemoine. La stratégie des États-Unis n’est pas nouvelle. Par exemple, au Venezuela, l’objectif est d’en finir avec le chavisme. C’était vrai en 2002 sous GW Bush lors de la tentative de coup d’État contre Hugo Chavez (président du Venezuela de 1999 à 2013, NdlR), c’est tout aussi vrai aujourd’hui avec le président actuel Nicolas Maduro.

Pour comprendre ce qui se passe, il faut en revenir à l’histoire entre les États-Unis et l’Amérique latine. En 1960, quand Fidel Castro arrive au pouvoir, le département d’État sort un mémorandum pour dire qu’il faut affaiblir le soutien du peuple cubain à Castro, il faut affaiblir l’économie, il faut que les gens se révoltent à cause de la faim et du désespoir. Ça nous ramène à 1970 au Chili, où le président Nixon donne l’ordre à son ministre Henri Kissinger de faire crier l’économie chilienne (« make the economy scream »). Ce qui va déboucher sur le coup d’État de Pinochet qui a été rendu possible via une crise économique provoquée de l’extérieur et de l’intérieur, par les classes dominantes.

Au Venezuela, on est dans le même processus. Les sanctions actuelles des États-Unis sont de véritables crimes : on est en train de faire mourir de faim les Vénézuéliens pour faire tomber Maduro. On le voit avec l’embargo sur le pétrole vénézuélien. L’argent ne rentrant plus, la situation sociale devient de plus en plus difficile. L’un des représentants de l’ONU a dit que les sanctions américaines violaient le droit international. Un rapport de deux intellectuels américains, dont Jeffrey Sachs, ex-conseiller de Bill Clinton, dit qu’on est en train de faire mourir de faim le peuple vénézuélien pour renverser le président.

L’objectif est que la population se détourne de Maduro. On est en train de couler le navire pour tuer le capitaine.

Pourquoi cette volonté des États-Unis d’en finir définitivement avec le modèle de société défendu par certains pays latino-américains ?

Maurice Lemoine. Parce que ce sont des symboles. Lorsqu’on voit John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale de Trump, dire qu’il y a en Amérique latine une « troïka de la tyrannie » constituée de Cuba, du Venezuela et du Nicaragua, lorsqu’on voyait Barack Obama en mars 2015 signer un décret qui faisait du Venezuela « une menace extraordinaire pour la sécurité nationale des États-Unis », cela n’a aucun sens.

Il y a eu une vague rose-rouge, des années où la gauche et le centre-gauche dominaient le continent. La droite radicale latino-américaine ne cherche pas à gagner des élections. Elle cherche à faire tomber le chavisme de manière que demain, où que ce soit, on puisse dire : « Attention, ne vous écartez pas de la loi néolibérale car cela va se terminer comme au Venezuela. »

Quels sont les risques que les USA interviennent militairement au Venezuela ?

Maurice Lemoine. L’intervention militaire est une possibilité qu’on ne peut écarter vu que Trump est totalement imprévisible. Mais je ne crois pas qu’on verra une invasion de marines américains. Parce que ce serait un nouveau Vietnam…

Ce qui est plus plausible, c’est une provocation permettant d’invoquer une intervention internationale. Il suffirait qu’un groupe de paramilitaires colombiens soit engagé pour revêtir un uniforme de l’armée vénézuélienne et attaquer une unité de l’armée colombienne. Vous avez l’incident qui vous permet de dire : « Le Venezuela a agressé la Colombie. Et au nom du traité interaméricain d’assistance réciproque, nous formons une coalition internationale pour rétablir l’ordre dans la région. »

La stratégie des États-Unis est une intervention multilatérale. Ils n’iront pas tous seuls. En dehors de ça, ils vont continuer à tenter de renverser Maduro en tuant le pays.

Mais la partie « raisonnable » de la droite vénézuélienne ne souhaite pas l’intervention militaire des États-Unis, que réclame Guaidó. D’un autre côté, ce qui est souvent sous-estimé, c’est la résistance des défenseurs de Maduro. Non qu’ils soient « amoureux » de la politique de Maduro ou qu’ils soient exempts de critiques par rapport au gouvernement. Sous l’impulsion de Chavez, et c’est une politique poursuivie par Maduro, il y a 47 000 conseils communaux qui ont été créés sur le territoire. Il y a donc une base sociale très organisée. Le chavisme est le courant politique qui a le plus de présence, de cohésion. Ce qui n’empêche pas la critique et l’autocritique, par ailleurs.

La Chine et la Russie accroissent leurs relations avec l’Amérique latine. Dans quelle mesure cela augmente-t-il l’agressivité des USA ?

Maurice Lemoine. Au nom du multilatéralisme, la Chine et la Russie appuient le Venezuela contre une politique unilatérale imposée depuis Washington à tous les pays du monde.

Quand on dit que le président Guaidó a été reconnu par la communauté internationale, on parle d’une cinquantaine de pays. La communauté internationale, ce n’est pas uniquement l’Union européenne et les États-Unis. Il y a 194 pays à l’assemblée générale des Nations unies. Cela veut dire que les trois quarts des pays reconnaissent Maduro comme le président du Venezuela. On a un clivage entre un groupe de pays industrialisés, dominants, qui veulent diriger la planète, avec les États-Unis et l’Union européenne, et puis le reste. Qui, pour une partie, prend parti pour le Venezuela au nom de la souveraineté, du refus d’une domination unilatérale de l’empire...


Le président français, Emmanuel Macron, et le Premier ministre espagnol, Sanchez, ont envoyé un ultimatum à Maduro pour qu’il organise des élections. On en revient au temps des colonies. Malheureusement pour eux, ils tombent sur des Vénézuéliens qui ont de la dignité, le sens de la souveraineté et qui les ont envoyé péter (sic). Ça radicalise les positions.

Les manifestations contre la politique du président d’extrême droite, Bolsonaro, sont très nombreuses. Comme en mai dernier, où les étudiants étaient des dizaines de milliers à descendre dans la rue pour protester contre les coupes dans l’éducation. (Photo Pescarts)

En Colombie, la violence a augmenté alors qu’un accord de paix entre les FARC et le gouvernement a été signé. Comment expliquer cela ?

Maurice Lemoine. Il y a une oligarchie, y compris militaire, qui vivait très bien de la guerre. Lorsqu’une guerre se termine, il y a des possibilités de revenus qui disparaissent. Il était prévu dans les accords de paix un certain nombre de réformes structurelles, de réformes agraires qui peuvent améliorer la vie des populations rurales. Ces politiques sociales gênent une partie de l’oligarchie colombienne. Elle fait donc tout pour torpiller les accords de paix.

Le président actuel Iván Duque est le fils spirituel d’Alvaro Uribe, ex-président d’extrême droite, un représentant de l’oligarchie mafieuse. Il y a en Colombie une droite libérale, représentée par Juan Manuel Santos, le président qui a signé les accords de paix, et une extrême droite mafieuse liée à Uribe. C’est celle-ci qui veut torpiller les accords de paix. Il y a une lutte entre les mouvements populaires, la droite libérale et l’extrême droite mafieuse. Dans ce cadre, on retrouve une politique mise en œuvre dans les années 1980 : l’assassinat systématique de dirigeants sociaux. J’ai renoncé à noter les noms de ces victimes. Il y en a tous les jours... Depuis la signature des accords de paix, il y en a eu plus de 500. Ce qui est effrayant, c’est qu’il y a une campagne médiatique intense sur le Venezuela mais que ces victimes colombiennes sont assassinées dans le silence.

Au Brésil, un président d’extrême droite a été élu. Quel est votre bilan des premiers mois du gouvernement de Bolsonaro ?

Maurice Lemoine. Le Brésil est un énorme paradoxe. Les classes dominantes expédient Lula (président de 2003 à 2011, NdlR) en prison sans aucune preuve de corruption contre lui. Il est écarté de la course à la présidence dont il était le grand favori. Et à la place d’avoir un président de centre-gauche – car Lula n’est pas un révolutionnaire – on se retrouve avec un président d’extrême droite...

Là encore, je ne suis pas persuadé que lors de la prochaine élection brésilienne, Bolsonaro ou ses représentants vont gagner une nouvelle fois. Même si elles ne sont pas médiatisées, il y a tous les jours des manifestations au Brésil car la casse sociale est terrible. Il n’est pas impossible que le phénomène Bolsonaro soit passager. L’avenir nous le dira. Même s’il est largement soutenu par un personnage qui s’entend très bien avec lui : Donald Trump.

Même dans les périodes plus difficiles, les partisans de politiques sociales ne disparaissent pas.

Quelles sont les perspectives pour la gauche en Amérique latine ?

Maurice Lemoine. La clé, c’est le Venezuela. Si Maduro tombe via un coup d’État, ce sera dramatique pour toute la gauche latino-américaine. Car celle-ci défend le Venezuela. Rappelons que le 4 août 2018, l’extrême droite a essayé d’assassiner Maduro avec deux drones chargés d’explosifs. Cela aurait été n’importe quel autre président dans le monde, ça aurait fait une affaire planétaire. Ici, ça a été minimisé. Il y a un mois, l’un des participants à cette tentative de meurtre a été interviewé en Colombie par CNN. Ce qui prouve deux choses : que ceux qui ont dénoncé cet attentat avaient raison, et qu’on peut avoir tenté d’assassiner un président de la république et se balader en toute liberté en Colombie...

Mais la bataille n’est pas perdue. Durant la grande période du bulldozer néolibéral, entre le début des années 1980 et la fin des années 1990, on est passé de 120 millions de pauvres à 280 millions. Mais la gauche n’avait pas baissé les bras. Le mouvement des sans terre se battait, il y a eu deux révoltes indigènes en Équateur, il y avait les zapatistes au Mexique, etc. Même dans les périodes plus difficiles, les partisans de politiques sociales ne disparaissent pas. Et si on n’y croit plus, alors autant prendre sa retraite.

Tout est bien qui finit mal ?


Le dernier livre de Maurice Lemoine vient de sortir. Avec « Tout est bien qui finit mal », le journaliste français signe un roman où il est question d’un Premier ministre, Manuvalse, et de son ministre des Finances, Manu Micron, qui imposent des politiques ultra-libérales par la force. Il est aussi question d’une guérilla latino-américaine, les « FRAC » et d’une guerre, « banana war ».

On l’a compris, sous une forme romancée et d’apparence légère, il s’agit bien d’un livre d’une actualité politique brûlante. Idéal à lire sur la plage (qui se trouve sous les pavés, comme chacun sait).
« Tout est bien qui finit mal », Vérone éditions, 554 pages, 28 euros.


Voir en ligne : https://www.solidaire.org/articles/...

   

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