Association Nationale des Communistes

Forum Communiste pour favoriser le débat...

Accueil |  Qui sommes-nous ? |  Rubriques |  Thèmes |  Cercle Manouchian : Université populaire |  Films |  Adhésion

Accueil > ANC en direct > Actualité Politique et Sociale > Et si on supprimait le défilé du 14-Juillet ?

Et si on supprimait le défilé du 14-Juillet ?

mardi 16 juillet 2019 par Philippe Leymarie pour le blog du Diplo

C’est une institution, un rendez-vous incontournable chaque année sur les Champs-Élysées : un rituel impérissable, qui fait marcher au pas quatre mille soldats des trois armées, élèves des écoles militaires mais aussi gendarmes, policiers et pompiers, avant la Légion étrangère ou la cavalerie de la garde républicaine, et les blindés, alors que le ciel se couvre de norias d’avions et d’hélicoptères grand consommateurs de kérosène. Cette démonstration à la gloire des militaires, qui sert aussi aux politiques à faire passer quelques messages, fait figure de vache sacrée. Mais faudra-t-il le garder éternellement ?
Suivi des réflexions de Philippe Arnaud...

Moment privilégié de communication entre la France et son armée, ce cérémonial met en scène l’allégeance des militaires à la nation, de l’armée au pouvoir civil, du glaive à la toge, devant le président de la République, chef des armées en titre, en présence du gratin institutionnel et de l’essentiel de la classe dirigeante. Une dramaturgie tracée au cordeau, réglée au millimètre et à la seconde. Un rituel qui est une fierté pour les militaires, et leur petite heure de gloire, toutes décorations dehors. Mais aussi un outil de communication politique et diplomatique du gouvernement, en même temps qu’une spectaculaire démonstration de savoir-faire technique, particulièrement à travers le défilé aérien."

« Faut-il condamner le défilé du 14-Juillet ? », demande Jean-Luc Cotard, ancien officier de la direction de l’information au ministère des armées, passé au privé, dans un numéro de la revue trimestrielle Inflexions — publiée par l’armée de terre —, consacré au patrimoine. C’est le signe que la question peut au moins être posée, y compris au sein de l’armée, Cotard concluant qu’il y aurait « collectivement trop à perdre » en supprimant ce rituel qui d’ailleurs n’est plus réservé aux seuls soldats, puisque policiers, douaniers, pompiers civils, gardiens de prison descendent désormais les Champs-Élysées.

Remontant à la genèse du défilé, Cotard explique qu’à l’époque des batailles rangées, il fallait savoir marcher au pas cadencé, former des lignes, carrés ou colonnes [1]. Il explique aussi que les prises d’armes, les revues et défilés constituaient une manière de fortifier l’esprit de corps, et une aide au commandement, pour permettre d’évaluer la puissance de feu et la condition des effectifs, et faciliter la transmission des informations et des ordres. Les galons, emblèmes, drapeaux, sonneries jouaient le même rôle. Et c’est tout cela qui se retrouverait, mais avec moins de retombées pratiques aujourd’hui, dans cette symbolique de la troupe qui marche au pas, en rang, en musique, etc., devant ses chefs.
Au bazooka

Ce patrimoine, quelle qu’en soit l’utilité actuelle, est peu contesté, sinon dans quelques mini-franges antimilitaristes à l’ancienne. Et par quelques personnalités. En 2011, la candidate écologiste Eva Joly avait proposé de remplacer le défilé militaire du 14-Juillet par un « défilé citoyen », s’attirant les foudres de la droite. Philippe Poutou, le porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), [syndicaliste à l’usine Ford de Blanquefort — menacée de fermeture —, avait fait sensation, lui aussi, durant la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, en proposant s’il était un jour élu de supprimer au plus vite ce défilé militaire : « C’est un symbole de guerre. Cette parade virile, militaire est complètement dépassée, ça ressemble trop à ce qui se passe en Corée du Nord », avait notamment déclaré Poutou dans un journal du soir de France 2, en avril 2017.

À la veille du 14 juillet 2017, le site Drenche avait donné la parole à un « pour » et à un « contre » : l’ex-candidat du NPA à l’élection présidentielle, comme pourfendeur du défilé, et un capitaine présenté comme membre d’un état-major, et tenu à l’anonymat, qui jugeait indispensable cette célébration, y compris dans sa dimension militaire.

Comme à son habitude, Poutou avait tiré au bazooka :

• étalage de matériel de mort ;
• parterre de gradés plus ou moins médaillés, bêtement au garde-à-vous devant une tribu d’hommes de pouvoir et de possédants ;
• parade nauséabonde et coûteuse ;
• défilé pollueur, à terre et dans les airs ;
• idéologie chauvine nationaliste ;
• nation offensive, néocoloniale et impérialiste, qui ne manque pas une occasion d’intervenir en Afrique ou au Proche-Orient ;
• une armée qui occupe, bombarde et tue, sous couvert d’opérations humanitaires ;
• en fait, vouée à la défense d’intérêts stratégiques ;
• des aventures militaires, sans transparence ni contrôle ;
• Philippe Poutou plaidant, au final, pour une société démilitarisée et un monde sans frontières.

Le capitaine-mystère avait bien sûr été plus « soft » :

• le défilé est la mise à l’honneur des forces militaires, de sécurité et de secours ;
• l’illustration du lien armée-nation cher aussi bien à nos armées qu’à nos politiques ;
• il met l’accent sur l’armée comme acteur du lien social ;
• c’est l’occasion de briser les tabous et la peur de nombre de jeunes à s’engager ;
• les écoles sont toujours en tête du défilé : des formations prestigieuses, au service de la République, néanmoins gratuites ;
• un des derniers pays démocratiques du monde à effectuer un défilé de cette ampleur ;
• une formidable vitrine de l’excellence française ;
• l’opportunité pour le gouvernement d’inviter des étrangers, de faire passer des messages politiques ;
• et pour les militaires et forces de sécurité de présenter et défendre leurs professions ;
• un défilé qui n’est pas seulement militaire : il reste une fête pour la population, et l’occasion de mettre l’accent sur des thèmes particuliers, par exemple, l’outremer, le service civique, les pupilles de la nation, ou le dispositif de veille « Sentinelle » sur le territoire national.
Le défilé de Trump

Bien que souvent regardé dans l’Hexagone d’un œil blasé, le défilé est plutôt envié à l’étranger. Le cas le plus emblématique est celui du président américain Donald Trump. Invité sur les Champs-Élysées en 2017 pour la commémoration du centenaire de l’entrée en guerre des Américains, il s’était dit « ébloui de la démonstration française », exprimant le souhait d’avoir « une parade comme celle en France , l’une des plus belles auxquelles j’ai assisté ».

Selon le Washington Post, le président avait transmis des directives en ce sens à ses généraux en janvier 2018 — un projet finalement abandonné quelques mois plus tard, sur le conseil du Pentagone, en raison de son coût et des risques de destruction du revêtement routier de la capitale fédérale. En outre, rappelait la correspondante de RFI à Washington, Anne Corpet, « le défilé militaire n’est pas une tradition américaine : la plus grande puissance armée du monde n’a pas besoin d’exposer ses troupes pour montrer sa force ; et ce type de parade est perçu par les Américains comme un apanage des régimes totalitaires ».

Mais, Trump étant Trump, et étant surtout en campagne pour sa réélection en 2020, il a remis le couvert, obtenant sur le tard, pour l’Independance day du 4 juillet dernier, un « évènement » à dominante militaire, sur le National Mall, la grande avenue au centre de Washington entre le Congrès et le Lincoln Memorial : une exposition de chars et autres matériels, et un mini-défilé aérien, avec passage d’une patrouille acrobatique, de chasseurs dernier cri F-35, d’un des deux 747 présidentiels baptisés, « Air Force One », et du nouvel hélicoptère de la Maison Blanche, le « Marine One ».

À qui s’en étonnait, Donald Trump a répliqué dans un tweet : « Ce sont nos avions, nous avons les pilotes, l’aéroport est juste à côté (Andrews), on a juste besoin de carburant. Les chars et tout le reste sont à nous ». Mais, en cette journée traditionnellement patriotique et apolitique aux États-Unis, cette démonstration militaire peu coutumière, clôturée par un discours évidemment « pro domo » du président au Lincoln Memorial, aura fait grincer les dents, notamment dans le camp démocrate (2).
Europe militaire

En France, les unités étrangères se bousculent pour figurer dans le défilé des Champs à Paris. Cette année, signale À l’avant-garde, le site d’actualités sur la défense belge, le 12e régiment de Ligne, l’une des unités les plus anciennes de l’armée belge, créée au lendemain de l’indépendance, descendra l’avenue, comme l’avait fait ce même régiment il y a tout juste cent ans, à la fin de la Grande Guerre.
"

L’an dernier déjà, une unité de Chasseurs Ardennais avait défilé sur les Champs — signe aussi du rapprochement organique des armées de terre des deux pays, dans le cadre du contrat CaMo de fourniture et entraînement mutuels sur blindés. Une compagnie espagnole, venant de Koulikoro, au Mali, descendra également les Champs, pour illustrer les missions de formation de l’Union européenne EUTM, auxquelles participe Madrid. L’Espagne est l’un des pays européens avec lesquels la France entretient la coopération militaire la plus intense.

La descente des troupes est précédée par celle des emblèmes des dix pays de l’Initiative européenne d’intervention (France, Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Pays-Bas, Portugal et Royaume-Uni) lancée en juin 2018 pour favoriser l’émergence d’une culture stratégique européenne commune. « En cette année d’élections européennes et au vu de l’énergie française pour promouvoir les coopérations militaires européennes, l’Europe militaire était un thème tout trouvé », a expliqué le général Le Ray, gouverneur militaire de Paris, en préparant ce défilé.

Remarques sur le défilé du 14-Juillet

par Philippe Arnaud

Les deux remarques ci-après datent d’avant le 14 juillet. Je les ai publiées en premier sur le site du Monde diplomatique, en commentaires à un article de Philippe Leymarie, écrit sur son blog "Défense en ligne". Le sujet traité par Philippe Leymarie était intitulé : "Et si on supprimait le défilé du 14-Juillet ?"

Premier commentaire, du 10 juillet, à 2 h 33.

- Il y a quelque chose de paradoxal (et même de proprement scandaleux) dans la célébration du 14-Juillet. Celle-ci, en effet, exprime symboliquement des valeurs opposées à celles de l’événement fondateur, à savoir la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789.

1. Celle-ci eut lieu à l’est de Paris, dans les quartiers populaires, alors que le défilé militaire du 14-Juillet se tient à l’ouest de Paris, dans les quartiers riches et huppés.

2. La prise de la Bastille fut un événement spontané alors que le défilé militaire est un événement longuement préparé, qui donne lieu à maintes répétitions, ainsi qu’au bouclage des quartiers de Paris où se déroule la manifestation..

3. La prise de la Bastille fut un acte de révolte contre l’autorité de l’État, un soulèvement du peuple, auquel participèrent les Gardes françaises, qui passèrent du côté des insurgés. Le défilé militaire est une manifestation de l’obéissance de l’armée envers les corps constitués, et le témoignage que le gouvernement tient bien en main son outil militaire, contre tout ennemi extérieur... ou intérieur !

4. La prise de la Bastille fut une manifestation de violence envers l’autorité (le gouverneur de Launay fut lynché) alors que le défilé du 14-Juillet voit les Parisiens assister avec dévotion [2] à la descente des Champs-Élysées par le président de la République.

5. Il n’est pas anodin, il n’est pas innocent, que les troupes qui défilent viennent de l’ouest. En effet, ce fut également de l’ouest que les troupes d’Adolphe Thiers, les "Versaillais" vinrent pour écraser la Commune de Paris en avril-mai 1871. Les troupes allemandes paradèrent deux jours sur les Champs-Élysées en 1871 après la capitulation de Paris et récidivèrent en juin 1940.

• On m’a parfois objecté que la célébration du 14-Juillet n’était pas la commémoration de la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, mais celle de la Fête de la Fédération, le 14 juillet 1790. Il s’agit là d’un sophisme. En effet, les organisateurs de la Fête de la Fédération auraient pu choisir d’autres jours symboliques de 1789, comme le Serment du Jeu de Paume, le 20 juin, ou l’abolition des privilèges, le 4 août, ou le retour du roi à Paris, le 6 octobre.

- Néanmoins, ce fut le 14 juillet qui fut choisi car les Parisiens, et, au-delà, tous les Français, eurent le sentiment que (du fait que la prise de la Bastille ne fut pas réprimée), ce jour-là, il s’était passé un événement décisif, radical et irréversible. La preuve : le comte d’Artois, frère de Louis XVI (et futur Charles X), que l’on présente parfois comme peu intelligent, émigra dès le 17 juillet 1789, soit trois jours après la prise de la Bastille, alors que son frère Louis XVI allait encore régner, formellement, plus de trois ans (jusqu’au 10 août 1792). Il avait tout compris...

• Une commémoration du 14-Juillet qui en respecterait l’esprit, devrait être comme un 1er Mai, mais un 1er mai des grandes années revendicatives, un 1er mai avec drapeaux rouges, chants révolutionnaires, revendications sociales et sociétales foisonnantes exprimées avec véhémence et slogans bien sentis. Et un 14 juillet qui se tiendrait non pas aux Champs-Élysées mais place de la Bastille...

Deuxième commentaire, du 12 juillet, à 16 h 01.

• Comment se fait-il que le 14-Juillet soit commémoré par un défilé militaire et ait ainsi acquis un caractère guerrier qu’il n’avait pas au départ, en 1789 ? Cela est peut-être dû à la date à laquelle il commença à être fêté de manière régulière.

1. La première célébration eut lieu en 1880, mais sur l’hippodrome de Longchamp. Cette date est importante car elle se déroula neuf ans après une défaite douloureuse et mortifiante contre l’Allemagne.

2. On ne se représente pas à quel point, pour les Français, cette défaite fut un choc. En effet, jusque là, l’armée française passait pour la meilleure d’Europe. Or, elle fut balayée en moins d’un mois, entre la surprise de Wissembourg (4 août) et la capitulation de Sedan (1er septembre 1870).

3. Certes, la République, qui succéda à l’Empire dès le 4 septembre, sauva l’honneur en prolongeant la lutte jusqu’en février 1871, mais, en dehors de quelques succès tactiques sans lendemain (comme à Coulmiers, à Bapaume et à Villersexel), elle fut battue stratégiquement sur tous les théâtres d’opération : le long de la Loire, dans le Nord, dans l’Est, et, surtout, dans tous les grands sièges : à Paris, Metz, Strasbourg, Belfort, etc. Et elle dut abandonner trois départements et payer 5 milliards de francs-or. Ce fut là une humiliation dont la France rumina la revanche durant 43 ans.

4. La revue militaire de Longchamp fut ainsi une manière de montrer aux Français que, cette fois-ci on ne se laisserait pas faire et qu’on rendrait coup pour coup aux Allemands.

5. Cette première célébration, en 1880, eut lieu cinq ans après l’amendement Wallon (en janvier 1875), qui officialisait la République, ce qui était important puisque, jusqu’en 1873, les monarchistes eurent encore, avec le comte de Chambord, l’espoir d’une restauration. Et que ce ne fut qu’en 1883 que ledit comte de Chambord mourut en Autriche. Il fallait donner du prestige à la République et prouver que celle-ci savait - et saurait, mieux que l’empire, mieux que la royauté - défendre le pays et la patrie.

6. Ce défilé était (peut-être) aussi destiné à présenter au peuple un autre visage que celui où l’armée s’était "illustrée" en dernier (à savoir l’écrasement de la Commune, en mai 1871), et à montrer à la bourgeoisie républicaine qu’elle avait l’instrument militaire bien en main, soit pour réprimer les grèves (comme à Fourmies, en mai 1891), soit pour reprendre en main un régiment mutiné (le 17e à Béziers, en 1907), soit pour écarter un général aux velléités putschistes (Boulanger en 1889), soit pour imposer à l’armée une décision dont, au départ, cette armée ne voulait pas (réhabilitation de Dreyfus, en 1906).

7. Ce caractère militariste et cocardier ne put qu’être confirmé (et même renforcé) par les deux guerres mondiales qui suivirent.

8. Il le fut aussi, sans doute, de façon paradoxale, par les deux défaites qui suivirent (Indochine et Algérie) ainsi que par la perte de certains attributs de prestige international : fin de l’empire colonial et absorption de pans de souveraineté dans des institutions plus vastes : Communauté européenne, OTAN. Et il le fut enfin par l’état de paix qui règne sur le continent européen (du moins à l’ouest) depuis 1945. On semble d’autant plus fasciné par l’armée qu’il n’y a plus de péril ni allemand (comme en 1914 et 1939), ni soviétique (comme jusqu’en 1989).


[1La fonction et le grade de sergent viennent, explique-t-il, des « serre gens » chargés de mettre la troupe en rang.

[2Cette année Macron fut copieusement sifflé !

   

Un message, un commentaire ?

Forum sur abonnement

Pour participer à ce forum, vous devez vous enregistrer au préalable. Merci d’indiquer ci-dessous l’identifiant personnel qui vous a été fourni. Si vous n’êtes pas enregistré, vous devez vous inscrire.

Connexions’inscriremot de passe oublié ?