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Tournant répressif et exactions policières, la tentation du pire du régime algérien

jeudi 18 avril 2019 par Omar Benderra, Algeria-Watch

Depuis le 22 février 2019, au fil de méga-manifestations hebdomadaires et de mobilisations quotidiennes rassemblant toutes les catégories sociales et générations, le peuple algérien offre une image exceptionnelle de pacifisme et d’organisation. Dans une ambiance joyeuse, il montre sa détermination à faire advenir un État de droit. Mais les tenants du pouvoir n’entendent rien céder et accentuent la répression.

Espoir

Semaine après semaine, qu’il pleuve, qu’il vente ou sous le soleil printanier, par millions, les femmes et les hommes de ce pays, de tous âges et de toutes conditions clament leur rejet unanime de la dictature, de ses mœurs et de ses personnels. Les slogans et mots d’ordre qui se répandent comme un feu de plaine à travers tout le territoire traduisent l’exaspération de tous devant un système politique absurdement inefficace, complétement corrompu et d’une violence perverse jamais démentie.

La modération de l’expression et l’humour témoignent d’une immense créativité traduisant un authentique génie populaire. Mais ils expriment surtout la volonté de sortir dans l’ordre, dans la dignité retrouvée et l’éthique souveraine, d’un infernal et interminable cycle d’oppression et d’arbitraire.

Alimenté par la volonté de vivre ensemble dans la paix et la dignité, l’espoir dans la possibilité du bonheur est le moteur de ces mobilisations. Elles constituent de ce point de vue une rupture radicale dans le continuum politique national, une césure inaugurale par l’émergence d’une nouvelle génération qui s’est ostensiblement approprié une histoire héroïque, en se révélant fort différente de celles qui l’ont précédée.

Le régime a été visiblement pris de court par les premières mobilisations populaires. Il a vainement tenté d’identifier – sinon de fabriquer – des meneurs islamistes et une immixtion étrangère relayée par une hypothétique cinquième colonne (les « ennemis de l’intérieur ») également fantasmatique (voir l’article de Marwan Andaloussi). Mais il n’existe rien de tel, ni dans la composante sociale très diverse ni dans des slogans focalisés sur le changement démocratique, le respect des libertés fondamentales et l’État de droit.

Les forces « régulières » de police déployées par le régime pour canaliser ces masses innombrables ont été confrontées à des manifestants déterminés mais pacifiques, disciplinés mais résolus à faire entendre leurs voix multiples dans le respect et la dignité.

Subterfuges

Mis au pied du mur de leurs errements, les décideurs à l’abri des regards ont fait mine de concéder le départ de leur absurde candidat, en réaménageant un gouvernement fantoche et en désignant un chef d’État intérimaire dont la carrière est notoirement construite sur la fraude et l’imposture. Et pour tenter de calmer la colère de l’opinion, ces décideurs ont fait embastiller quelques milliardaires trop voyants acoquinés à l’entourage du président déchu.

Les chefs réels du système de la prédation rentière – les principaux généraux de l’armée et des moukhabarate (la police politique) – ont cru trouver dans la stricte observance d’un leurre constitutionnel le moyen de durer en dupant l’opinion. Ces stratagèmes élaborés sur l’illusion que la population entérinerait une logique de changement en trompe-l’œil tablent sur la faiblesse supposée des capacités de discernement politiques de l’opinion.

L’annonce d’élections présidentielles pour le 4 juillet (dont la population ne veut pas entendre parler) fait partie du dispositif de transition à l’intérieur du pouvoir. Le peuple, pensaient ses dirigeants, se contenterait de ces faux-semblants et admettrait la vessie constitutionnelle qui passerait pour une tremblante lanterne démocratique. Cela, bien entendu, dans les limites très étroites d’un statu quo actualisé sans marge de négociation.

Il n’en a rien été, bien évidemment. À bout de sa patience pourtant légendaire et ayant déchiré le voile de peur jeté sur elle depuis le putsch du 11 janvier 1992, la population, semaine après semaine, continue d’exiger une authentique transition vers un régime pleinement démocratique et renvoyant avec mépris ces subterfuges à leurs concepteurs.

L’amère réalité de la résistance populaire s’imposant à des généraux acculés, il ne reste à ces derniers que le recours à ses ressorts propagandistes usuels. Les discours officiels reprennent des éléments de langage démonétisés, au point d’en être ridicules. Tout le registre est convoqué, de la très classique « citadelle assiégée », à l’omniprésente « main étrangère » jamais identifiée en passant par les « complots ourdis » par d’indicibles puissances elles aussi étrangères.

Répression

Ces constructions paranoïaques pourraient prêter à sourire si elles n’annonçaient pas le tour de vis sécuritaire déjà perçu au cours de la semaine du 8 avril. Avec l’asséchement de ses capacités financières, le régime n’a plus comme moyen de régulation sociopolitique que la violence nue, son domaine d’expertise par excellence.

Les dirigeants actuels des forces de sécurité ont fait leurs armes au cours de la guerre de terreur contre la population des années 1990. Laquelle s’inscrivait dans une tradition répressive plus ancienne encore. Cette violence est en effet depuis 1962 la culture matricielle du pouvoir militaro-policier algérien, dont les dirigeants ont été formés dans le mépris des civils et le culte de la force brutale. La dictature, continuatrice de l’ordre colonial, corrompt quand elle peut, terrorise et humilie pour maintenir son emprise sur la société.

C’est bien cette méthode qui est aujourd’hui à l’œuvre à ciel ouvert. Sournoise et de basse intensité dès le 22 février, quand des provocations policières ont néanmoins coûté la vie au professeur de médecine Selim Ben Khedda, l’un des fils du dernier président du GPRA. Depuis cette date, des dizaines de jeunes issus de milieux populaires croupissent en prison sans jugement. Au fil des journées de mobilisation, par glissements successifs, la répression a été progressivement élevée à un niveau supérieur jusqu’à ce fatidique vendredi 12 avril.

Des délinquants recrutés pour l’occasion ont été chargés de provoquer les forces de l’ordre pour les amener à se déchaîner aveuglément, à coups de matraques et de grenades lacrymogènes contre des manifestants paisibles, souvent venus en famille, enfants compris. Des « policiers de choc » cagoulés et armés ont fait ostensiblement usage de fusils chargés de balles en caoutchouc, causant de très nombreux blessés, certains très sérieusement. Comble de l’irresponsabilité ou du sadisme, un grand nombre de grenades lacrymogènes ont été tirées à l’intérieur du tunnel des facultés, au centre d’Alger.

Terrorisme

Des jeunes parfaitement innocents, contrairement aux agents provocateurs pourtant identifiés par les manifestants, ont été arrêtés et déférés en procédure d’urgence. Certains de ces jeunes ont écopé de peines de prison ferme allant jusqu’à deux ans sous des prétextes complément fallacieux. Le même jour à Béchar, dans le Sud-Ouest, les forces anti-émeutes du Darak (gendarmerie) se sont livrées à de véritables exactions contre des manifestants pacifiques, occasionnant de nombreux blessés.

Plus gravement, dimanche 14 avril, des militantes associatives et politiques qui manifestaient devant la Grande Poste au centre-ville d’Alger ont été raflées et transférées au commissariat de Baraki, à une trentaine de kilomètres à l’est de la capitale. Selon l’une des victimes et une source journalistique fiable s’exprimant à visage découvert sur les réseaux sociaux, quatre de ces militantes, relâchées au bout de quelques heures, ont été contraintes de se dévêtir et de subir une fouille « corporelle » par des policières (voir cet article).

Il s’agit là de méthodes coloniales typiques, totalement inacceptables, assimilables à des actes de torture et relevant donc des tribunaux. Sur le plan symbolique, le dommage est désastreux tant cet outrage évoque les insupportables images de la prison américaine d’Abou Ghraïb en Irak occupé.

Ces exactions et atteintes inadmissibles à l’intégrité physique des manifestants et à la dignité de citoyennes parfaitement non violentes ne constituent qu’une partie des faits observés depuis quelques jours. Les observateurs sur le terrain conviennent tous que ces dépassements vont crescendo, tant en termes de niveau de violence et de formes d’humiliation que d’occurrences. Cela indiquerait que le système dirigé de facto par le général Ahmed Gaïd Salah se dirige vers une gestion durcie afin de tenter de juguler cette profonde éruption populaire.

L’option d’une répression brutale et au recours à la pression psychologique est une voie extrêmement périlleuse car, outre la violation manifeste des droits humains, elle heurte frontalement la volonté populaire massive et unanime. Le peuple algérien, ayant abattu le mur de la peur, est résolu à avancer dans la voie des libertés et de la démocratie. Il est difficile d’imaginer que la force brute puisse endiguer un tel mouvement tellurique. La répression pourra éventuellement ralentir la dynamique en cours, mais sa principale victime risque d’être l’alliance du peuple et de son armée dans un contexte lourd de dangers.

Impunité

Les policiers qui donnent de tels ordres et ceux qui les exécutent doivent être, dès que possible, identifiés et poursuivis. D’autant plus que les temps ont profondément changé depuis les paroxysmes meurtriers de la « sale guerre », masqués à l’époque grâce à la complicité de l’Occident. Or aujourd’hui, l’alibi djihadiste ne peut être invoqué, ni de près ni de loin.

De surcroît – et cet élément est déterminant –, la révolution numérique, les réseaux sociaux et l’omniprésence des smartphones ont modifié la nature des rapports aux événements. Comme chacun a pu le constater au vu des images très nettes de violences policières, plus personne n’est à l’abri des caméras.

Les images de ces policiers aux allures de délinquants tirant sur la foule ou matraquant des manifestant-e-s ont intensément circulé. L’anonymisation de la violence n’est donc plus vraiment possible et il est relativement simple pour un utilisateur expérimenté des ressources du Web de tracer ceux qui se risquent à des exactions. Dans ce monde où rien ne peut être efficacement et durablement dissimulé, les donneurs d’ordre comme les chaînes de commandements ne peuvent plus agir dans le secret.

Des voix s’élèvent ainsi pour que le directeur de la Sûreté nationale, Abdelkader Kara Bouhadba, soit appelé à s’expliquer publiquement sur le traitement infligé aux militantes au commissariat de Baraki. En attendant que la justice se saisisse de cette affaire gravissime, le chef de la police devra nécessairement situer le rôle de chacun et préciser les sanctions qu’il entend exercer à l’encontre des coupables de ces crimes.

Les policiers dignes de l’uniforme qu’ils portent sont mis devant l’obligation de se démarquer des auteurs de ces violences. Les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre le savent comme tout un chacun : les Algériennes et les Algériens sont fermement résolus à arracher leurs droits.

Responsabilité

Le chantage à la « main étrangère » et le recours à la terreur ou l’intimidation pour les empêcher d’atteindre cet objectif traduisent l’aveuglement et l’effondrement moral de ceux qui se pensent en maîtres incontestables et éternels du pays.

En jouant l’ultime carte de la répression pour imposer une farce électorale, les généraux-décideurs – et à leur tête le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah – mettent en péril un État défendu avec conviction par cette population maltraitée de manière barbare. Le triptyque du régime – rente, corruption et violence – sape continuellement la stabilité de l’État et insulte la dignité du peuple.

Dans cette escalade policière, que valent les promesses solennelles de défense du peuple et de ses choix ? Le 10 avril, le chef d’état-major avait en effet publiquement affirmé que l’armée se tenait « aux côtés du peuple » (voir sa déclaration). Mais nul n’ignore que le personnel dirigeant a une conception spécifique de la parole donnée. Quelle est la valeur des déclarations lénifiantes de dirigeants usés, corrompus et cyniques face à la réalité d’une jeunesse bastonnée, emprisonnée et humiliée ?

Dans cette séquence très particulière de l’histoire du pays, la responsabilité directe du haut commandement militaire est très clairement engagée. C’est en son nom collectif que ces méthodes inacceptables sont employées. C’est bien l’ensemble des officiers généraux et supérieurs occupant les fonctions décisionnaires qui devront assumer les actes commis sous leur autorité, réelle ou nominale.

La population a montré sa maturité en opérant clairement une distinction entre l’armée et ses chefs au niveau le plus élevé. Ces généraux restent donc confrontés à l’impératif d’évaluer leur responsabilité historique et de se hisser à la hauteur des aspirations du peuple. Ils sont personnellement comptables de la gestion de la crise en cours et des atteintes aux droits humains. Il est clair pour tous, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, que l’impunité des années 1990 n’est plus de mise. Chacun, inévitablement, rendra compte individuellement de son rôle dans les violences de tous ordres infligées à la population.

Transition

Le réalisme politique, la sagesse et l’authentique patriotisme doivent prévaloir sur la volonté pathologique de conservation à tout prix du pouvoir absolu. La crispation des dirigeants et leur refus d’entendre raison relèvent d’une posture d’arrière-garde.

La paix civile finira par s’imposer à cet ordre archaïque qui obère la sécurité nationale. Car, plus que jamais, l’Algérie a besoin d’une armée moderne et puissante dans un contexte géostratégique éminemment dangereux, marqué par le retour décomplexé de la politique coloniale de la canonnière. L’armée algérienne, libérée des contingences politiciennes, doit vitalement orienter toutes ses capacités vers la mission qui est la sienne, en acceptant enfin la vraie modernité juridique consistant pour elle à se placer sous l’autorité civile.

À l’évidence, personne n’attend que la hiérarchie militaro-policière cède le pas de bonne grâce à l’expression politique du peuple et à son désir de légalité. Mais l’irrésistible changement de paradigme est en action, le modèle de gouvernement autoritaire mis en place au cours de l’été 1962 est forclos.

Tous ceux qui observent le mouvement populaire en cours s’accordent pour souligner qu’un seuil sociopolitique majeur a été franchi. Censées bloquer ce processus, la répression et la terreur ne sont que des palliatifs très coûteux pour maintenir en survie artificielle un système arrivé au bout de lui-même. La tentation du pire par le non-respect des droits humains pourrait mener à des dérives inquiétantes.

La résolution de la crise n’est pas dans le maintien, même revisité, de l’autoritarisme militaire et du non-droit. Aussi violente et déviante que puisse être la répression, elle ne pourra pas restaurer un lien définitivement rompu avec le système de la rente. Les méthodes avilissantes pour ceux qui y ont recours ne font qu’approfondir le rejet unanime de la société.

Toutes les alternatives à un règlement politique fondé sur le principe de réalité et le respect des libertés fondamentales sont vouées à l’échec. La négociation, aussi complexe soit-elle, du pouvoir réel militaire avec les forces politiques réelles issues de la mobilisation du peuple pour l’instauration de l’État de droit, demeure l’unique option honorable.

   

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